Les vœux des premiers étudiants jésuites
S. Ignace, précurseur de l’instruction « Renovationis causam »
Estebán Olivares, s.j.
N°1969-4 • Juillet 1969
| P. 233-238 |
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Une des nouveautés les plus frappantes de l’Instruction Renovationis causam, du 6 janvier 1969 [1], est la possibilité qu’elle donne de se lier à l’Institut à la fin du noviciat, non plus par une profession religieuse temporaire, mais par un autre type de lien temporaire, comme, par exemple, une promesse faite à l’Institut. Il est recommandé que ce lien temporaire porte déjà sur la mise en pratique des trois conseils évangéliques, afin qu’il soit une véritable préparation à la profession perpétuelle [2].
Celui qui est au courant des origines des scolastiques de la Compagnie de Jésus et des vœux qui y sont prononcés [3], remarquera facilement une analogie de situations et de solutions entre la nouvelle législation et les prescriptions de S. Ignace de Loyola concernant ces étudiants qui, dans les collèges, se préparaient, par un entraînement moral et intellectuel, à pouvoir être admis plus tard dans la Compagnie de Jésus.
Selon le droit commun de cette époque, après une année de noviciat, les candidats faisaient la profession solennelle, qui faisait appartenir le profès, avec tous les droits qui y étaient attachés, à l’Ordre auquel il s’incorporait. Sa formation pouvait se poursuivre dans les couvents, dans le cadre d’une vie religieuse organisée selon le droit.
Dans la Compagnie de Jésus, cela n’était pas possible, en raison de la profession de disponibilité envers le Pape qui devait y être faite. La première Formule de la Compagnie, approuvée oralement en 1539 par Paul III, disait :
Toute la Compagnie et chacun de ses membres... sont soumis au Vicaire du Christ de manière telle qu’ils sont liés par vœu à réaliser immédiatement, sans tergiversation ni excuse, ce que Sa Sainteté leur commande touchant le bien des âmes et la propagation de la foi.
Il était donc nécessaire que n’entrent dans la Compagnie que des hommes vertueux et suffisamment lettrés. Il était « chose fort difficile » que la Compagnie puisse s’enrichir de pareils hommes, même s’il en était « de bons et de savants » [4]. Aussi parut-il bon aux premiers compagnons d’Ignace de fonder des collèges dans lesquels se formeraient des aspirants à la Compagnie.
Ces étudiants, qui avaient l’intention et le propos d’entrer dans la Compagnie de Jésus après leurs études, se liaient déjà à elle en quelque manière par des liens découlant d’un certain vœu, mais non par des vœux strictement religieux.
Dans le document Fondation de collège, de 1541, dans les normes relatives aux étudiants, il est prescrit que :
Celui qui au collège a atteint l’âge requis et est passé par les épreuves et a satisfait aux conditions citées, doit promettre que, ses études une fois achevées, il entrera dans la Compagnie pour s’y incorporer (si elle veut bien l’y admettre) à la condition que la promesse ou vœu n’oblige pas avant l’accomplissement d’un an d’études. De sorte que, pour s’engager par une promesse ou un vœu, il faudrait les trois épreuves ou conditions susdites et un an de probation dans les études. Cette année une fois achevée, s’il n’est pas content, il pourra, au sortir du collège, suivre la voie qui lui paraîtra la meilleure.
Plus simplement, en 1544, lors d’une nouvelle rédaction de ce document, il est prescrit aux étudiants que :
après un an de premières épreuves, ils feront une promesse ou vœu simple d’être incorporés dans la Compagnie, après leurs études, si on accepte de les admettre.
Cependant, dans la rédaction de 1541, on prescrivit immédiatement avant la norme citée que :
si celui qui doit aller au collège a l’âge requis, d’après le droit et les coutumes de notre Mère la sainte Église, il devra, avant d’y aller, faire vœu de pauvreté et de chasteté pour toujours ; et s’il n’a pas encore l’âge, il le fera lorsqu’il atteindra cet âge.
Mais cette prescription du vœu privé de pauvreté et de chasteté, non seulement disparaîtra en 1544, mais sa pratique fut réprouvée, le 31 octobre 1547, dans une lettre circulaire, dont l’original dit :
À propos des vœux, etc. Au Portugal et ailleurs. Ce jour on écrit que, après un an, ceux qui désirent étudier dans un collège de la Compagnie doivent faire vœu de lui appartenir, s’ils sont reçus ; et qu’on ne leur laisse pas faire les vœux de pauvreté et de chasteté ; pour que, si on ne les accepte pas, ils puissent rester libres sans avoir besoin de recourir à la Pénitencerie pour absolution.
Comme on peut le voir, on insistait dans cette lettre sur la norme de 1544, et on recommandait de ne pas laisser les candidats faire les vœux privés de pauvreté et de chasteté, afin de garder une plus grande liberté de ne pas les accepter dans la Compagnie, s’ils n’étaient pas aptes, sans devoir recourir à la Sacrée Pénitencerie pour leur obtenir la dispense de vœux qui étaient réservés au Saint-Siège.
La promesse ou vœu d’entrer dans la Compagnie s’explicite par après dans le premier texte des Constitutions, avec l’ajoute du vœu de garder à l’avenir la pauvreté, chasteté et obéissance dans la Compagnie, si on y est admis. Comme l’explique Polanco, le secrétaire de S. Ignace :
Le vœu de garder la chasteté, la pauvreté et l’obéissance, quant à l’obligation (on lit en marge : et à la force du vœu), commence pour les étudiants lorsqu’ils sont admis à la profession..., bien que l’observation doive commencer tout de suite.
Néanmoins déjà en 1552 – et sûrement lorsqu’on a révisé le vœu des étudiants, comme l’ont indiqué Lainez et Araoz dans leurs remarques sur les Constitutions – on prescrit que les trois vœux obligeraient dès lors, bien que conditionnés, à la persévérance dans la Compagnie – celle-ci étant déjà considérée dans un sens plus large, comprenant non seulement les profès et les coadjuteurs formés, mais aussi ces étudiants. La formule modifiée dit :
Dans cette Compagnie, je promets de garder pauvreté, chasteté et obéissance perpétuelle selon les Constitutions de la même Compagnie, dès maintenant et toujours.
Ces vœux n’avaient pas cependant un caractère juridique public dans le sens du canon 1308 : ils n’étaient pas reçus par le supérieur au nom de l’Église et, par conséquent, ce n’étaient pas des vœux religieux. Les Constitutions le disent clairement lorsqu’elles exposent le caractère des vœux des étudiants :
Ceux qui, une fois achevée la première probation et les deux années d’épreuves, sont reçus comme scolastiques approuvés feront vœu devant quelques-uns de la maison, bien que dans la main de personne.
Ce texte subsiste encore dans les Constitutions actuelles, même si ces vœux sont devenus publics en droit, en 1584, par la déclaration de la Bulle Ascendente Domino de Grégoire XIII [5]. Ces vœux des premiers étudiants avaient cependant certains effets juridiques (ils sont à l’origine d’un lien plus ferme à la Compagnie, etc.), semblables à ceux que font naître les vœux non publics ou d’autres liens prescrits dans les Sociétés sans vœux publics et dans les Instituts séculiers. À cause de ces effets juridiques, certains auteurs appellent semi-publics ces vœux et ces liens, et d’aucuns les appellent publics, bien que dans un autre sens que celui du canon susmentionné [6].
S. Ignace prescrivit donc aux étudiants de la Compagnie – au moins de 1544 à 1552 – un lien qui n’était pas des vœux religieux, une profession religieuse, mais un vœu d’entrer dans la Compagnie, ou, plus tard, un vœu de pauvreté, chasteté et obéissance pour l’avenir ; un lien qui cependant se rapportait en quelque façon à l’observation des conseils évangéliques, mais qui ne constituait pas les candidats en religieux au sens strict, même s’il les liait d’une certaine manière à un Institut religieux. Nous ne parlons pas ici de la dernière étape de la législation ignatienne, à laquelle les trois vœux, bien que privés, devinrent vœux pour le présent, puisqu’ils comportent déjà la consécration religieuse et que, selon l’opinion du temps, ils constituent religieux ceux qui les font.
Il y a donc une ressemblance entre la pensée première de S. Ignace sur le lien qui doit attacher les étudiants à la Compagnie et ce que permet l’Instruction Renovationis causam sur un lien en rapport avec l’observation des conseils évangéliques, qui ne soit pas la profession simple temporaire.
L’Instruction, il est vrai, pour donner un exemple, ne parle pas de vœu, mais de promesse faite à l’Institut et en rapport avec l’observation des conseils évangéliques [7]. Ce qui semble coïncider avec la promesse d’obéissance et de pauvreté qui, dans les Instituts séculiers, fait partie du lien – stable, mutuel et complet – entre l’Institut et ses membres : ces promesses sont faites à l’Institut, qui les accepte en tant qu’il est un groupement déterminé, et pas au nom de l’Église. La promesse de chasteté, dans notre cas, compléterait le lien dans sa référence aux trois conseils évangéliques.
Cependant un vœu de faire profession à l’avenir dans un Institut religieux peut être considéré comme un de ces liens qui, d’après l’Instruction Renovationis causam, peuvent attacher le novice à cet Institut à l’achèvement de son noviciat : ce vœu impliquerait l’obligation d’observer la règle et les constitutions, comme cela se fait maintenant en toute profession religieuse, et, comme il est dit dans l’Instruction, c’est là un effet nécessaire de pareil lien, quel que puisse être ce dernier [8]. L’observation de la pauvreté, de la chasteté et de l’obéissance est une de ces obligations. Ainsi y aurait-il un lien qui se référerait aussi à l’exercice des trois conseils évangéliques, encore que d’une manière implicite, comme dans l’exemple proposé dans l’Instruction, d’une promesse faite à l’Institut d’observer ces conseils. Mais il semble que ce rapport implicite pourrait suffire, puisqu’une référence explicite n’est pas demandée par l’Instruction comme une exigence absolue, mais comme une grande convenance, « dans l’esprit d’une véritable préparation à la profession perpétuelle » [9].
Ainsi la prescription première de S. Ignace pourrait-elle être formulée dans un langage juridique postérieur de quatre siècles.
Le motif allégué pour introduire cette nouvelle norme législative est que :
maintenant, plus qu’en d’autres temps, des novices, après le noviciat, n’ont pas acquis la maturité religieuse suffisante pour se lier immédiatement par des vœux religieux, bien qu’ils n’offrent aucun doute concernant leur générosité et l’authenticité de leur vocation à l’état religieux ; eux-mêmes désirent mieux se préparer à la profession religieuse en raison de son sérieux et de ses exigences.
Pour sa part, S. Ignace exigeait des étudiants, non seulement les études requises pour une formation humaniste suffisante, mais encore une nouvelle année d’épreuve après l’achèvement de ces études :
Même s’ils sont contents, si la Compagnie a encore quelque doute, elle pourrait augmenter les années d’épreuve, jusqu’à ce qu’elle soit complètement satisfaite.
On jugeait que dans beaucoup de cas – malgré une vocation authentique à la Compagnie et un caractère généreux, comme dit l’Instruction Renovationis causam – une épreuve plus longue était nécessaire, comme préparation à la profession religieuse solennelle, la seule profession qui se faisait alors dans la Compagnie de Jésus et dans tous les Instituts religieux. La même prescription s’appliqua ensuite à la profession simple des coadjuteurs formés.
Pour expliquer cette nouveauté de son Ordre, S. Ignace disait :
La raison qui nous a mus à organiser des épreuves plus poussées et à prendre plus de temps que dans les autres congrégations est celle-ci : si quelqu’un entre dans un monastère bien ordonné et réglé, il sera plus éloigné des occasions de péché, en raison d’une plus grande clôture, tranquillité et régularité que dans notre Compagnie. Celle-ci n’a pas de clôture, de tranquillité et de quiétude, mais l’on s’y déplace d’un lieu à un autre. En outre, à un homme de vie désordonnée qui n’a pas encore progressé, il suffira de s’améliorer dans un monastère ainsi ordonné et réglé. Mais, dans notre Compagnie, il faut avoir été d’abord sérieusement mis à l’épreuve avant d’être admis, car on devra plus tard, dans ses allées et venues, agir avec des personnes bonnes et mauvaises, en des rencontres pour lesquelles il faudra des forces plus grandes et des expériences plus poussées, comme aussi de plus grandes grâces et dons de notre Créateur et Seigneur.
Dans l’Instruction Renovationis causam comme motifs de la nouveauté, on en indique de caractère subjectif : un manque de maturité plus prononcé aujourd’hui chez les novices achevant le noviciat et le fait que, devant le sérieux d’une profession religieuse et ses exigences, ils désirent une préparation plus poussée. Ces exigences plus nombreuses constituent également une raison objective, pareille à celle qui a poussé S. Ignace à décider la possibilité de retarder la profession religieuse dans la Compagnie de Jésus. Dans les deux cas il s’agit d’un temps plus long d’épreuve avant la profession religieuse, prescrite à chaque époque comme commencement de la vie religieuse publiquement consacrée à Dieu.
Des situations analogues ont donc, aux débuts de la Compagnie de Jésus comme de nos jours, suscité des solutions similaires.
Paseo de Cartuja, 4
Granada (Espagne)
[1] Texte dans Vie consacrée, 1969, 113-130.
[2] Nn. 34, 35.
[3] Cf. E. Olivares, S. J., Los votos de los escolares de la Compania de Jesus. Su evolucion juridica. Bibliotheca Instituti Historici S. I., vol. XIX, Rome, 1961.
[4] « Fondation de collège », document de 1540 (ibid., 50).
[5] Codicis Iuris Canonici Fontes, I, p. 274, § 20.
[6] Cf. A. Gutiérrez, C. M. F., « De natura voti publici et voti privati, status publici et status privati perfectionis », dans Comment, pro relig., 1959, 277-329.
[7] Nn. 34-35.
[8] N. 36.
[9] N. 35.