Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Accepter le dialogue

Maggy Boxho

N°1969-4 Juillet 1969

| P. 214-226 |

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Ces quelques réflexions abordent le sujet non au niveau des techniques, mais à celui des attitudes. Elles comprennent deux parties : la première essayera de définir le dialogue ; dans la seconde, nous verrons ensemble comment l’accepter avec ses lois et ses exigences.

I. Qu’entend-on par « dialogue » ?

A. Le dialogue est une recherche ensemble de la vérité

Cette recherche est aussi vieille que la philosophie, c’est-à-dire que le monde. Au IVe siècle avant notre ère déjà, le sage Socrate parcourait les routes de la Grèce antique en quête de la vérité. Convaincu que cette vérité est enfouie en chaque homme, il s’efforçait, par des interrogations méthodiques, procédé qui a d’ailleurs reçu son nom, de réveiller cette vérité latente en chacun. Cette méthode a cependant très souvent été négligée ou dénaturée, et la transmission des connaissances s’est plutôt faite au cours des siècles « ex cathedra », les maîtres parlant d’autorité, les disciples se contentant d’enregistrer des idées toutes faites.

Cette façon de procéder a pu être longtemps admise, sembler normale. Le monde changeant peu, les réponses aux problèmes humains pouvaient, en effet, rester longtemps valables. Mais l’évolution rapide de la science, ces dernières années, a remis en question tout cet enseignement dogmatique. Les contestations des mois écoulés suffiraient à nous en convaincre. C’est que ce que l’on affirme aujourd’hui est presque toujours déjà dépassé demain, et demande donc sans cesse à être revu. Les jeunes en sont conscients, ils rejettent les formules toutes faites, vidées de leur contenu à force d’avoir été ressassées ; ils veulent de l’authentique et pour cela, dialoguer, c’est-à-dire participer activement à la longue marche des hommes vers la vérité.

B. Le dialogue est une prise de conscience commune des responsabilités

Des essais en ce sens ont été tentés dans tous les secteurs.

1. Essais au plan politique
Les rencontres nationales et internationales se multiplient, mais elles restent la plupart du temps au niveau des compromis, chacun y défendant ses propres intérêts.

2. Essais au plan économique
Les hommes d’affaires se contactent, se rencontrent, s’associent, fusionnent même en vue d’un meilleur rendement dans une société de consommation. Au sein de chaque entreprise, de gros efforts sont déployés pour améliorer les relations humaines, les rapports patrons-ouvriers ou employés.

3. Essais au plan humain
On ne parle plus aujourd’hui que de dynamique de groupes, de révisions de vie, de carrefours. Les conseils pastoraux, les commissions de coordination, les chapitres généraux, les conciles mêmes, ne sont pas autre chose que des essais de rencontre et de dialogue. Le sont aussi les nouvelles formes que prennent les relations supérieurs-inférieurs.

Mais pouvons-nous vraiment affirmer que toutes ces tentatives débouchent sur une prise de conscience commune des responsabilités ? N’est-on pas trop souvent, en ce domaine, passé d’un extrême à l’autre ? De l’autoritarisme arbitraire à l’indépendance absolue ?

Fort d’une autorité qu’il savait tenir directement de Dieu, le supérieur, autrefois, commandait et exigeait une obéissance sans réplique. Les inférieurs, eux, n’avaient qu’à se soumettre, même si l’ordre ne concordait pas avec leur manière de voir les choses.

Aujourd’hui, par contre, à force de « prendre ses responsabilités », d’« agir selon sa conscience », on en arrive à une indépendance de fait qui est, elle aussi, bien loin du dialogue vrai.

Ce n’est que lorsque, dans la tâche commune, chacun s’engage à la fois personnellement et en solidarité avec le groupe, que l’on peut commencer à parler de dialogue. Que de fois, alors même que nous croyons dialoguer, ne restons-nous pas encore au plan des revendications et des défoulements !

Tous ces tâtonnements, tant au plan politique ou économique qu’au plan humain, donnent des résultats plus ou moins satisfaisants. Le vrai dialogue toutefois ne pourra naître que lorsque l’intérêt personnel cédera le pas à l’intérêt de tous, que lorsque la motivation sera orientée vers la réalisation mutuelle des personnes et non vers l’assouvissement des ambitions personnelles, le tout dans une prise de conscience croissante de responsabilités communes librement assumées et partagées.

C. Le dialogue – envisagé sous l’angle des relations personnelles – est une rencontre réelle de l’autre en passant par la communication pour arriver à la communion

1. Il nous faut passer du monologue au dialogue
Trop souvent nous pensons dialoguer alors que nous ne faisons que monologuer. Monologuer, c’est parler pour s’affirmer, c’est communiquer ses propres vues sans se soucier de celles des autres, sans écouter autrui. C’est rechercher son intérêt, c’est donc « se servir » des autres. Nous ne faisons attention à eux que parce que nous avons besoin d’eux comme interlocuteurs, besoin d’eux pour avoir quelqu’un à qui parler, quelqu’un qui nous écoute... Dans le dialogue vrai pourtant, l’autre a toujours priorité sur moi et sur le sujet traité.

Ce soi-disant dialogue est, du reste, rarement un dialogue à deux. Il est bien plus souvent une cacophonie à trois, quatre, six, même lorsqu’il n’y a que deux personnes en face l’une de l’autre. Il y a, en effet, mon interlocuteur tel qu’il est vraiment, tel que je le vois, tel aussi qu’il essaie de paraître à mes yeux... et voilà déjà trois personnages en une seule personne. De même, de mon côté : il y a celle que je suis en fait, celle que je m’efforce de montrer et celle que l’autre croit que je suis... Vous comprenez aisément que, dans ces conditions, le vrai dialogue est bien difficile, il est même impossible si, de part et d’autre, on n’essaie pas de rencontrer les personnes réelles. Il ne s’agit pas avant tout de discuter des idées, mais de se rencontrer en vérité, d’être présent l’un à l’autre, de s’accepter mutuellement sans à priori, sans jugement ni condamnation.

2. Il nous faut dépasser les obstacles
Arriver au dialogue tel que je viens de le définir, n’est guère facile. L’on n’y parvient qu’en surmontant tous les obstacles qui risquent de nous barrer la route :

  • La méthode pour la méthode : lire de beaux livres qui expliquent comment procéder pour arriver au dialogue n’est pas mauvais en soi, peut même être utile, mais ce qui importe surtout, c’est l’engagement personnel. La méthode peut servir, mais elle n’est pas le dialogue. Celui-ci est essentiellement attention à l’autre. En l’écoutant, j’essaie de répondre à son attente pour qu’il puisse devenir lui-même, de sorte que l’image subjective que je me suis faite de lui cède peu à peu la place à la véritable personne qui est devant moi.
  • L’impatience et le découragement devant l’insuccès : nous voudrions arriver du premier coup au vrai dialogue, à une vraie rencontre de personne à personne, alors qu’on n’y arrive que pas à pas, en tâtonnant, en recommençant cent fois et plus...

D. Conclusion

Le dialogue est donc à la fois :

  • une recherche ensemble de la vérité – celle-ci n’étant le monopole de personne – dans un souci de partage en profondeur ;
  • une prise de conscience commune de responsabilités, orientée par un intérêt commun et animée par une motivation désintéressée ;
  • une rencontre enfin, une rencontre de l’autre pour lui-même, afin de le mieux connaître et d’être mieux connu de lui, seul moyen pour tous deux de se réaliser soi-même.

II. Comment accepter ce dialogue avec ses lois et ses exigences ?

A. Il faut prendre conscience

a) de ce que le dialogue EST. Nous l’avons déjà suffisamment souligné plus haut.
– Il est avant tout une relation de personnes.
– Il est dynamique et non pas statique : on n’y « est » pas du coup, on n’y « est » même jamais parfaitement. C’est quelque chose qui grandit, dont on approche à petits pas, précisément parce qu’il s’agit de personnes. Fabriquer un objet est relativement facile : celui-ci est fait une fois pour toutes et peut alors être mis de côté. Mais réaliser une relation de personnes, cela ne va pas du jour au lendemain, cela se fait progressivement.

b) de ce que le dialogue EXIGE :
– Il exige l’expression et l’acceptation de « sa » vérité [1] : pour être capable de dialoguer, il faut commencer par être vraiment soi, arriver à exprimer vraiment sa vérité. Si facilement nous jouons au personnage, nous faisons « comme si » pour plaire à l’autre. Mais accepter de « faire comme si », c’est se fermer au dialogue car seule l’expression de notre vérité donnera à l’autre la confiance dont il a besoin pour exprimer la sienne.

– Il exige l’interdépendance : je m’engage, et parce que je m’engage, l’autre accepte de s’engager aussi. Je ne puis exiger de l’autre qu’il engage sa vérité si je n’engage pas la mienne. Cette interdépendance suppose, en outre, que j’accepte de me laisser changer par l’autre. Je ne puis, en effet, arriver au dialogue avec l’idée bien établie que j’ai, moi, toute la vérité, et que ce que je pense, ce que je suis, est parfaitement et nécessairement ce qu’il y a de mieux. Je dois oser aller au dialogue en acceptant d’avance de me laisser éventuellement transformer. Je ne dis pas « manier », c’est tout différent !

– Il exige une présence à l’autre : il ne s’agit pas de nous « prêter » seulement... Que de fois en écoutant mon interlocuteur, je pense déjà à autre chose, ne fût-ce qu’à la réponse que je vais lui donner. Il ne peut, dans ce cas, être question de vrai dialogue, celui-ci exigeant que je sois vraiment présente à celui qui me parle, dans un profond respect de ce qu’il exprime ou même n’exprime pas. Je ne puis être curieuse, essayer de savoir tout ce qui est en lui, je dois simplement lui donner l’occasion d’être lui-même, de dire ce qu’il a à dire et ce qu’il veut bien dire. Je ne puis donc le harceler de questions de façon à ce que toute sa vérité sorte, bon gré mal gré.

– Il exige que l’on soit à l’écoute de l’autre, avec son esprit, mais aussi avec son cœur : Ceci suppose que nous soyons prêtes à apprendre autant qu’à enseigner, à donner aussi bien qu’à recevoir, à aimer et à être aimées.

– Il exige, enfin, d’être renoué lorsqu’il est interrompu : dire après de premiers essais, infructueux peut-être, que cela ne va pas, que c’est impossible, c’est se couper définitivement du dialogue. Il faut croire qu’on y arrivera un jour. Mais comment ?

B. Il faut VOULOIR dialoguer vraiment

Le dialogue demande une attention soutenue à l’autre, à ses intérêts, son milieu, son insertion dans le monde humain, social, économique et politique, de telle sorte qu’il puisse s’y réaliser pleinement. Il demande donc que nous rencontrions l’autre en tant que personne, dans le milieu où il se trouve.

Il me faudrait, dès lors, étendre mon sujet aux domaines les plus divers : domaines personnel et communautaire, milieu éducatif, relations sociales, et j’en passe. Cela nous entraînerait trop loin. Nous nous limiterons par conséquent aux domaines qui nous touchent de plus près : le domaine personnel et le domaine communautaire. Je pourrai ainsi vous parler un peu de mon expérience personnelle, de mes propres essais, et les mots que je vous dirai seront d’autant plus vrais qu’ils seront l’expression de quelque chose de vécu.

a) Dans le domaine des relations personnelles, le vrai dialogue débouche sur l’amitié

Arriver à une véritable amitié, c’est arriver au vrai dialogue.

Quel est le cheminement de l’amitié ? autrement dit, quel est le chemin du dialogue ?

– Tout commence souvent – mais pas nécessairement – par une sympathie naturelle, une rencontre fortuite à la suite d’un intérêt commun, d’un travail fait ensemble, d’une détente, peut-être même d’une responsabilité partagée.

– Parfois cependant, il arrive que ces premières relations d’amitié déçoivent. Plus on se contacte, mieux on se connaît, et ce qui frappe surtout... ce sont les défauts, les limites réciproques, bref, tout ce qui heurte. Si nous n’arrivons pas à ce moment à dépasser la déception pour accepter vraiment l’autre dans toute sa vérité, nous n’arriverons jamais à l’amitié, et ce que nous avions pris pour un début d’amitié, n’était que recherche de nous-mêmes. Nous étions heureuses d’avoir rencontré quelqu’un qui nous rendait service, nous faisait passer des moments agréables parce qu’il partageait nos idées, mais nous n’aimions pas vraiment.

– Le dialogue, l’amitié, exige que nous assumions l’autre pleinement, avec ses richesses et ses pauvretés ; que nous lui permettions d’être et de devenir de plus en plus lui-même, sans le forcer à se mettre un masque pour nous être agréable, pour paraître celui que nous avons rêvé peut-être, mais qui n’est que l’apparence de lui-même. Obliger l’autre à « faire comme si », c’est parfois le tuer à tout jamais. Chacun demande, en effet, pour devenir vraiment, d’être accepté à fond, de pouvoir exprimer sa vérité profonde, de pouvoir se dire tel qu’il est, avec ses lacunes et ses difficultés, sûr de ne jamais être condamné ni même jugé, sûr d’être accepté quand même, parce que sûr d’être aimé pour lui-même et non pour ses qualités ou ses défauts.

– Cette assomption de l’autre en vérité, n’est possible que dans la mort à soi-même, la mort à son égoïsme, pour vivre d’une vie sans cesse renouvelée. Pour permettre à l’autre d’être lui ou elle-même, je dois cesser de vouloir me servir de lui ou d’elle comme d’un objet, je dois faire mourir en moi le désir de m’imposer, de parler sans tenir compte de l’autre, je dois m’oublier pour ne penser qu’à épanouir l’autre. L’autre, de’ son côté, en s’épanouissant, mourra aussi à lui-même et me permettra alors de m’épanouir à mon tour. Mais il faut qu’il y en ait un qui commence, sinon personne ne fera jamais rien.

– Parler de mort à soi et d’assomption totale de l’autre, de tous les autres, c’est parler d’ouverture et de disponibilité, et c’est, du même coup, paradoxalement, parler de virginité. Car se savoir aimé est la condition pour pouvoir aimer l’autre pour lui-même, pour l’accueillir tel qu’il est, non comme une chose, mais comme une personne. Se savoir aimé de Dieu permet d’aimer les autres d’un amour-qui nous « virginise » d’autant plus qu’il est plus total. Lorsqu’au jour de l’Annonciation, Marie reçut en elle le message de l’Ange, elle prit pleinement conscience de cet Autre – avec une majuscule – qui entrait dans sa vie et qui la consacrait : « ϰεχαpιτωμένη, tu me plais, je t’aime profondément, tu es la toute belle. » À ce moment, Marie s’est totalement oubliée pour se livrer, corps et âme, à l’Autre et cet Autre, ne rencontrant plus en elle aucun obstacle, l’a virginisée complètement, c’est-à-dire, qu’à partir de ce moment, il n’y eut plus rien d’elle en elle, il n’y eut plus que cet Autre, Jésus incarné, Jésus devenu homme. L’amitié vraie, l’ouverture totale à Dieu et aux autres, nous virginise, nous aussi. Notre virginité, en effet, n’est pas avant tout un trésor à conquérir et à garder. Elle est ouverture à Dieu qui nous virginise, Dieu qui vient à nous dans la prière, Dieu que nous rencontrons aussi dans les autres, dans l’amitié. Toutes les personnes avec lesquelles nous vivons peuvent, si nous le voulons, nous virginiser, parce qu’elles peuvent toutes nous aider à sortir de nous-mêmes pour aller à la rencontre des autres.

– C’est Jésus vivant, Jésus ressuscité, plus présent à nous que nous-mêmes, qui est le gage de cette mort et de cette résurrection en nous. Il est aussi notre force. Il faut y croire. Parce qu’il est présent, lui, tout est possible, même l’impossible. Parce que là où nous sommes 2 ou 3 rassemblés en son nom, Il est, lui aussi ; le dialogue entre nous peut toujours être noué et renoué. Jésus n’est pas seulement ressuscité il y a 2000 ans, il est vivant aujourd’hui, il vit au milieu de nous encore en 1969.

b) Dans le domaine des relations communautaires, le vrai dialogue débouche sur la révision de vie

On y arrive par un cheminement semblable à celui de l’amitié.

Quel est ce cheminement ?

– Une communauté, c’est un groupe de personnes où se mêlent les sympathies et les antipathies. Telle figure m’est sympathique, telle autre ne l’est pas. Qui dira pourquoi ? Il arrive toutefois que des personnes qui, au premier abord, ne m’étaient pas sympathiques, me le deviennent quand j’ai appris à les connaître. Le contraire peut arriver aussi. Quoi qu’il en soit, le dialogue en communauté s’avère difficile parfois. Nous venons d’un monde individualiste : notre éducation en famille en a été marquée, notre formation au noviciat aussi. On nous a appris à ne pas nous mêler des autres, à vivre « seules avec Dieu ». On nous a mises en garde contre les amitiés particulières... et nous n’avons guère été rodées au dialogue. L’essentiel était de sauver la paix à tout prix tout en vivant les unes à côté des autres. En conséquence, il ne fallait pas trop parler. Un mot de trop pouvait tout brouiller. Mieux valait donc, pour sauver la charité, dire le moins possible.

Le problème mérite qu’on y réfléchisse car si nous avons choisi de vivre en communauté, il faut que cette vie ensemble ait un sens...

– La psychologie a démontré et prouvé combien le dialogue du groupe déclenche une énergie de vie enrichissante pour chaque membre du groupe et pour le groupe lui-même. Pourquoi fait-on des training-groupes sinon parce que le groupe engendre une richesse qu’il faut exploiter, qu’on ne peut garder en vase clos sous peine de la laisser se perdre... Peut-être allez-vous me dire, une fois de plus, que vous avez essayé, mais en vain. C’est possible. Dans ma communauté aussi, il y eut des efforts infructueux. On a fait tant de carrefours pour les chapitres, on s’est réuni, on a discuté, tellement discuté qu’on en a son compte. C’est que justement, on est resté au plan de la discussion, sans aller jusqu’au vrai dialogue. Chacune avait son idée sur la vie religieuse et la défendait au prix de disputes parfois. Mais, nous sommes-nous suffisamment écoutées l’une l’autre ?

Devant ces essais maladroits, apparemment inutiles, faut-il capituler ? Ou faut-il chercher des groupes de dialogues en dehors de sa propre communauté ? Le dialogue a parfois l’air d’aller mieux avec des gens que l’on ne côtoie pas quotidiennement... Et pourtant, c’est dans nos communautés à nous que le Seigneur nous demande de vivre en fraternité et, s’il nous en fait le don, en amitié.

– Dès que nos communautés seront arrivées à ce dialogue vrai, elles deviendront des témoins authentiques du Christ ressuscité, parce qu’alors Jésus vivra vraiment dans le groupe. Le chemin qui nous mènera là peut être long et douloureux, mais il faut croire qu’il nous conduit au but. Non pas croire que nous y arriverons tout de suite, mais simplement que nous y arriverons un jour, grâce à nos efforts persévérants : le dialogue parfait, dans la transparence totale, demande notre résurrection dans le Christ.

– La révision de vie a, comme atout, Jésus présent qui agit en nous et à travers nous pour réaliser chaque personne dans le groupe et le groupe lui-même. Nous sommes ensemble en présence du Seigneur lorsque nous faisons la révision de vie, et nous savons qu’il n’est pas inactif.

– Le vrai dialogue fera de nos communautés des cellules d’Église vivantes et rayonnantes. Il n’y a pas, à mon avis, d’autres moyens de sauver la vie religieuse et peut-être même la vie chrétienne tout court. Un peu partout se forment des petits foyers de vie évangélique authentique.

Comment procéder pratiquement à une révision de vie en communauté ?

Je partirai, si vous le voulez bien, de l’exemple concret d’une communauté de 5 religieuses, qui a tenté et, en partie, réussi l’expérience. Je la choisis parce que, précisément, ce n’est pas ce que l’on a coutume d’appeler une communauté « idéale », mais une communauté fort hétérogène et pour qui le démarrage a été difficile. Les sœurs y sont d’âges et de caractères différents et pas toujours commodes. La vie en commun ne s’y déroule pas sans heurts...

Nous avons pourtant essayé d’y faire la révision de vie. J’y suis allée moi-même dans ce but avec un prêtre. J’ai constaté, en effet, que la présence d’une personne venant de l’extérieur est souvent bénéfique, pourvu qu’elle accepte de s’engager elle aussi.

S’il s’agit d’un prêtre, la révision de vie pourra alors déboucher sur l’Eucharistie, expression par excellence de notre communion en Jésus.

Lorsque nous sommes arrivés là pour la première fois, nous avons commencé par nous mettre avec les autres autour de la table et par nous intéresser à chacune d’elles. Chacune a pu dire ce qu’elle avait vécu au cours de la semaine écoulée, ce qui avait été marquant pour elle, et tout le groupe l’a écoutée avec attention. Ce fut là leur première merveilleuse découverte : ces sœurs croyaient qu’elles ne vivaient pas vraiment ensemble, qu’il leur était impossible de former une communauté unie, et voilà qu’elles prenaient conscience qu’elles savaient s’intéresser l’une à l’autre, s’écouter.

Nous avons ensuite préparé ensemble l’Eucharistie. L’une a proposé un texte qui l’interpellait, l’autre un chant, une troisième une prière. L’atmosphère à ce moment était déjà tellement recueillie que nous avons décidé de célébrer l’Eucharistie à l’endroit même où nous étions réunies.

Au début de la messe, pour être plus « vraies » l’une envers l’autre, nous avons remplacé le Confiteor par un aveu personnel : nous nous sommes demandé mutuellement pardon, non d’une littérature, comme autrefois au chapitre des coulpes, mais de choses vraies, et la messe a continué si bien, qu’au baiser de paix, c’était une véritable amitié qui se créait, qui se renouait.

Depuis ce jour, nous nous revoyons tous les quinze jours. A un rythme très régulier, nous nous rencontrons, nous essayons... pas toujours avec le même succès, mais nous avons conscience que quelque chose est en train de changer : la communauté se soude de plus en plus, elle cherche à dialoguer, à partager ses joies et ses peines. On se bouscule, bien sûr, encore de temps en temps car on est resté soi-même, mais forte de la présence de Jésus, la communauté se forme et grandit.

C’est une façon de procéder. Il y en a d’autres. On peut partir d’un fait aussi, mais ce peut être dangereux. Facilement, on tombe dans la discussion ou même les jugements et les condamnations dures. Facilement, l’une ou l’autre alors se sent visée et risque de se fermer...

On peut également partir d’une question : qui est Jésus pour moi ? Qu’est-ce, pour toi, que prier ?

De toutes façons, quel que soit le point de départ, l’important est que l’on s’écoute vraiment, que l’on s’ouvre l’une à l’autre.

Combien de temps faut-il y consacrer ?

Une heure, une heure et demie tous les quinze jours ou, du moins, tous les mois, me semble un minimum. Peut-être sommes-nous tentées de dire que c’est beaucoup, que nous n’avons pas le temps... Il faut pouvoir faire du temps l’une pour l’autre, si l’on veut dialoguer, si l’on veut se rencontrer vraiment.

Comment faire lorsque la communauté est trop nombreuse ?

Si la supérieure est d’accord – car il faut la mettre dans le coup – on peut former plusieurs noyaux. Un groupe dépassant 6 à 8 personnes ne peut faire du bon travail. Chacun des groupes a son rythme, évolue à son propre pas. Chacun aussi reste ouvert aux autres, ne les juge pas, ne se compare pas à eux, mais avance en vérité au rythme de sa vie à lui.

Une initiation psychologique est-elle souhaitable ?

La psychologie peut parfois nous aider, mais elle peut aussi être nocive et n’est certainement pas indispensable. Pour réussir le dialogue, il faut surtout apprendre à aimer, à aimer humainement d’abord. L’humain n’est pas un guet-apens contre lequel il faut se mettre en garde. Jésus s’est incarné non pour condamner l’humain, mais pour le réaliser. Être humain n’est donc pas – comme nous l’avons peut-être trop souvent cru – être faible, déficient. Être pleinement humaines nous aidera, au contraire, à nous ouvrir davantage au Seigneur et aux autres.

III. Conclusion

Dialoguer est difficile, mais « si tu ne renais, a dit Jésus, tu n’auras pas le Royaume ». Pour re-naître un jour, il faut d’abord mourir, devenir pauvre, pauvre de soi, dépouillé de son égoïsme, de ses revendications, et cela nous fait froid au dos, nous n’aimons pas mourir. C’est pourtant jusque là que le Seigneur nous demande d’aimer. Écoutons Jean Lacroix :

Dialoguer, c’est toujours, d’une certaine façon, entrer dans une lutte en même temps que c’est échanger. Dialoguer, c’est s’exposer, non pas tant aux coups d’autrui, ce qui n’est rien, qu’au bouleversement de sa propre pensée et peut-être à la perte de soi. Qui n’a pas passé par cette épreuve avec crainte et humilité, qui n’a pas tremblé de se voir contraint de tout remettre en question, qui n’a pas senti sa raison se modifier en quelque sorte sous l’emprise de la raison d’autrui, qui n’a pas librement accepté et vécu cette espèce d’holocauste de soi-même, n’est pas un partenaire valable dans le dialogue des hommes.

Naamsesteenweg 302
Heverlee (Belgique)

[1Ce qu’on entend par là, c’est d’abord la vérité de ce que chacun de nous est réellement, mais aussi ce qu’il saisit et vit de LA vérité.

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