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La vie contemplative canonique dans l’apostolat de l’Église aujourd’hui

M. Basil Pennington, o.c.s.o.

N°1969-3 Mai 1969

| P. 144-156 |

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Introduction

Cette heure en laquelle l’Église est en train d’essayer d’exprimer sa nature profonde de Peuple de Dieu, d’Épouse et de Corps du Christ, est une heure où la préoccupation pastorale domine. Et tandis qu’elle s’efforce de comprendre et de réaliser la totalité de sa mission pastorale, l’Église découvre en elle-même le charisme permanent de la vie contemplative. C’est dans ce contexte que nous posons la question : Quelle est la place de la vie contemplative dans l’Église apostolique aujourd’hui ?

I. Le fait historique : un charisme permanent

Inspirés par les psaumes [1], par l’exemple d’Élie, de Jean-Baptiste, du Christ lui-même et de S. Paul, et par telles des paroles du Seigneur comme : « Cette sorte de démon ne se chasse que par la prière et par le jeûne » (Mt 17,20) ; « Je me consacre moi-même pour eux afin qu’ils soient eux aussi consacrés » (Jn 17,19) ; « Marie a choisi la meilleure part » [2], dès que l’Église a pu vivre en liberté et même avant [3], il y a eu des chrétiens qui se sont retirés plus ou moins d’entre leurs frères pour se vouer eux-mêmes à une vie de prière, de pénitence et d’écoute silencieuse de la Parole de Dieu. Lors de chacun des renouveaux de l’Église, une reviviscence de ce mouvement s’est manifestée. Partout où s’est développée une vie chrétienne vivante, il s’en est trouvé quelques-uns à l’intérieur du Peuple de Dieu qui ont choisi d’engager leur vie chrétienne dans cette voie, en réponse à un appel intérieur que l’Église, Épouse du Christ, a de plus en plus explicitement sanctionné de son approbation et encouragé.

II. Aspect théologique

Mais pourquoi, consciente comme elle l’est de l’obligation pressante où elle se trouve de prêcher l’Évangile à toute créature, pourquoi l’Église reconnaît-elle et doit-elle reconnaître et entretenir en son sein une telle forme de vie ?

La réponse est double :

L’Église, Épouse du Christ, doit reconnaître toutes les formes de vocation qui ont germé en elle sous l’impulsion de Son Esprit. « Ce qu’on a pu appeler la spiritualité du désert, cette forme d’esprit contemplatif qui cherche Dieu dans le silence et le dénuement, est un mouvement profond de l’Esprit qui ne cessera jamais, tant qu’il y aura des cœurs pour écouter sa voix » [4]. A cette motion de l’Esprit charismatique, l’homme a été poussé à répondre à la fois individuellement et collectivement, car cela fait organiquement partie de l’Église Corps du Christ. La présence de la vocation contemplative tout au long des étapes diverses du cheminement historique de l’Église montre à l’évidence qu’une telle vocation appartient réellement à la structure même de l’Église [5]. C’est une réalité historique permanente, que l’Église ne peut pas ne pas reconnaître.

Bien plus, comme Peuple de Dieu, l’Église a une vocation qui s’exprime concrètement par la double initiation sacramentelle du Baptême et de la Confirmation. Pour répondre à sa vocation, elle a besoin, au moins pour son mieux-être, d’un organe strictement contemplatif. Mon intention est d’explorer brièvement cette réalité moins évidente.

A) La vocation de l’Église

« L’Église, comme Peuple de Dieu socialement et juridiquement organisé, n’est pas une simple ‘entreprise du bonheur éternel’ mais la continuation, la présence perpétuée de la tâche et de la fonction du Christ dans l’économie de la Rédemption, sa présence actuelle dans l’histoire, sa vie, au sens propre et plénier » [6].

Par son Baptême, l’homme ne devient pas seulement membre de droit de l’Église par qui lui vient le salut. En un certain sens, il devient réellement le Christ, un prolongement du Christ, un autre Christ. De ce fait, il doit reproduire dans sa vie quelque chose de la vie du Christ. À travers telle ou telle existence singulière, c’est tel ou tel des aspects de la vie du Christ qui va être manifesté avec plus d’évidence. Bien qu’elle demeure essentiellement une, la vocation baptismale des chrétiens s’accomplit sous des modalités très diverses à l’intérieur du Peuple de Dieu. Les membres du Corps du Christ sont multiples. « Et l’œil ne peut pas dire à la main : ‘je n’ai pas besoin de toi’ » (1 Co 12,21).

Les baptisés forment un Corps ecclésial, une société visible, le rassemblement du Peuple de Dieu. Et donc, toujours au plan social, la vie du Christ et chacun des états de cette vie doivent être manifestés sacramentellement par ceux en « qui la grâce de Dieu dans le Christ va être présente sous la forme d’un événement et d’un événement perceptible historiquement, en permanence, dans une corporalité incarnée dans le monde » [7]. A cette fin, sous l’inspiration du Saint-Esprit et pour répondre aux vocations divines qui se découvrent parmi ses membres, l’Église a reconnu et juridiquement établi les états de perfection, dont les groupes sociaux qu’ils forment s’efforcent de vivre et de manifester socialement les divers aspects de la vie du Christ [8].

Dans la vie contemplative canonique, l’Église vit et manifeste socialement le mystère du Médiateur expiateur retournant au Père. Le contemplatif vit la mort du Christ, son retour au Père, son délaissement des activités de ce monde, son entrée dans la vie du ciel.

Nous ne sommes pas encore parvenus à la pleine intelligence de la distinction entre la nature et les effets propres des sacrements de Baptême et de Confirmation ; mais il est évident que ce dernier approfondit et perfectionne en quelque sorte l’initiation chrétienne accomplie par le premier. Par la confirmation, le chrétien se voit donc appelé à entrer plus pleinement dans la vie du Christ et dans l’œuvre de cette vie, à révéler à tous les hommes les desseins de Dieu sur eux, à leur témoigner que Dieu « n’abandonne pas l’ensemble du monde créé à sa faute, mais le rachète, le protège et le transfigure » [9].

Mais comment le chrétien qui répond à une vocation strictement contemplative dans l’Église réalise-t-il sa vocation chrétienne dans sa plénitude, comment s’acquitte-t-il du témoignage qu’il doit à ses compagnons d’humanité ?

Il le fait en vivant les modalités personnelles qui lui sont propres de sa vocation baptismale. Il le fait en vivant le mystère du Christ retournant à son Père, dans la voie que le Christ a suivie, sur la Croix. Il le fait par sa prière : « Père, pardonne-leur... » (Lc 23,34). Il le fait en offrant sa vie en expiation : « Père, entre tes mains... » (Lc 23,45) [10]. Il le fait en montrant le but auquel tous doivent tendre : « Tu seras avec moi dans le paradis... » (Lc 23,43). Il le fait en tant que membre d’un Institut contemplatif dont l’existence et l’activité n’ont pas d’autre justification intelligible que les vérités fondamentales de l’Évangile : il y a un Dieu, un Dieu qui a droit à une réponse totale de la part de l’homme, un Dieu d’amour qui comble pleinement l’homme qu’il appelle et destine à trouver en Lui son achèvement par la participation à sa Vie Divine. Le contemplatif – comme membre d’un organe ecclésial strictement contemplatif – est, pour tous ses frères, un signe définitif, qui ne peut être amputé de sa signification. Comme la tradition l’a toujours compris, il signifie la venue du Jour du Seigneur, quand la vocation de l’Église sera tout à fait réalisée et qu’elle-même répondra à l’appel de son Divin Époux et, avec Lui, passera au Père, le jour où le Peuple de Dieu tout entier entrera dans la Terre Promise [11].

Comme membre d’un Institut contemplatif canonique, la « signification » du contemplatif est’ essentiellement ecclésiale, aussi bien qu’eschatologique, car, en lui, c’est l’Église qui vit et qui est signe. En cette qualité de membre d’une fraternité conventuelle, d’un élément organique de l’Église, le contemplatif témoigne par son intime union de charité avec tous les autres membres de sa fraternité qui, unis avec lui, retournent au Père [12].

B) Le renouveau

En cette heure de l’Histoire Sainte, le pèlerinage de l’Église l’éclaire profondément sur elle-même, qui cherche à comprendre et à réaliser plus totalement son être de Peuple de Dieu, d’Épouse et de Corps du Christ. Dans le concret, elle s’efforce d’exprimer aussi clairement et de vivre aussi authentiquement que possible sa mission pastorale. A cette lumière, elle entreprend de réévaluer et de renouveler tous les aspects de son activité multiforme de donneuse de vie. Le contemplatif, celui qui se retire quelque peu d’entre ses frères pour tourner plus complètement son visage ad Patrem (vers le Père) et tendre son oreille à la Parole de Dieu, demeure véritablement membre de l’Église. En lui, l’Église vit plus intensément sa vie d’épouse qui adore. Par sa vie liturgique communautaire, elle réalise plus parfaitement son culte. Mais le contemplatif lui aussi doit faire sien l’esprit actuel de l’Église et s’efforcer de son côté de purifier, renouveler et vivre aussi pleinement que possible sa vocation particulière au sein du Peuple de Dieu, selon le mode d’efficacité apostolique qui lui est propre.

Nous avons vu ce qu’est la vocation d’un Institut intégralement contemplatif : vivre la vie du Christ de telle sorte que les états ultimes du Christ et de l’Église soient clairement manifestés. Nous avons vu en quoi consiste sa mission : médiation expiatrice – prière – témoignage et exemple. Pie XII appelait cela l’apostolat au sens large dans lequel il voyait une modalité essentielle de l’apostolat de l’Église [13]. Et tandis qu’il notait que chaque chrétien y est appelé par la grâce de son Baptême et de sa Confirmation, il soulignait aussi que, en rigueur, rien de plus ne peut être exigé au titre de cette incorporation sacramentelle conférée par le Baptême et la Confirmation. Dans le cloître, le contemplatif doit vivre cet apostolat ; cela ressortit à la vocation apostolique de chacun des membres du Peuple de Dieu, telle que son environnement propre les conditionne, et découle de l’obligation primordiale de l’amour de Dieu et du prochain. En vérité, celui qui a voué la vie contemplative en vue d’une consécration plus totale a le devoir de vivre cet apostolat avec une plus grande intensité. Mais sa vocation ne requiert de lui aucun engagement actif dans l’apostolat extérieur ou apostolat au sens strict [14].

Toutefois, il doit effectuer son renouvellement en vivant autant qu’il est possible selon le mode de vie actuel de quelqu’un qui, manifestement, s’est voué totalement à mourir avec le Christ et à revenir au Père. Une telle vie a une réelle signification apostolique. En tant que vie contemplative canonique, elle est un signe transparent qui renvoie directement à Dieu, un signe d’Église prophétique de cette vie du ciel vers laquelle l’Église entière est tendue activement [15].

Si l’on pose la question de savoir si les Instituts intégralement contemplatifs ne pourraient pas, à l’occasion de leur aggiornamento, étendre leurs activités à la présentation du message chrétien, ceux-ci doivent alors se rappeler les mots de Pie XII : « Vous savez bien que nulle œuvre n’est plus capable d’attirer la bienveillance divine et d’aider le prochain que le sacrifice perpétuel de la louange et de l’exemple d’une vie toute pure... Vous avez choisi la meilleure part, gardez-la et ne vous laissez pas détourner de votre sainte résolution sous prétexte de procurer le salut du prochain » [16]. Moïse doit demeurer les bras élevés au-dessus de lui, sinon le Peuple de Dieu n’aura pas la victoire [17]. « Soyez fidèles aux vénérables et saintes traditions de votre Ordre », ainsi le Pape de l’aggiornamento exhortait-il ses fils Trappistes [18].

Les religieux entrent tout à fait dans les intentions pastorales de l’Église en vivant selon les normes de leur forme particulière de vie, telle qu’elle a reçu l’approbation de l’Église [19]. Si les Instituts contemplatifs ne sont pas fidèles à leur vocation propre, et s’ils ne gardent pas – comme un signe prophétique – ce qui les distingue, ou s’ils l’obscurcissent en secondant les efforts apostoliques de l’Église en d’autres directions, aucun autre organe de l’Église n’est en mesure de suppléer à leur carence. L’apostolat nécessaire et efficace qui est le leur manquera à l’Église [20].

Dans cette œuvre pressante de renouveau, « il n’est pas question d’abandonner les devoirs d’un état, mais de déterminer exactement jusqu’où des devoirs peuvent être étendus ; il n’est pas question de s’embarquer dans de nouvelles tâches en plus des traditionnelles, mais de porter ces dernières à leur plein achèvement, de réaliser chacun sa vocation jusqu’en ses ultimes exigences, de ‘devenir ce que nous sommes’ » [21].

III. Conséquences au plan canonique

Si la vie contemplative intégrale, la vie tout orientée ad Patrem (vers le Père), fait partie intégrante de l’Église [22], elle doit être protégée et maintenue. Mais si elle a sa place parmi les institutions qui composent la structure extérieure de l’Église, un statut canonique doit être élaboré pour elle. C’est pourquoi ce serait bien si le nouveau Code de droit canon, en exposant les grands principes qui doivent inspirer la vie chrétienne, pouvait favoriser explicitement le renouveau de la vie contemplative comme mode de vie particulier à l’intérieur de l’Église [23] en lui procurant un statut canonique propre [24].

Toutefois, la question d’un statut canonique propre à la vie contemplative est une de celles qui ont provoqué une certaine inquiétude. Si tous les Instituts masculins qui mènent une vie strictement contemplative sont des Instituts monastiques, dans l’Église Occidentale tous les Instituts monastiques ne poursuivent pas leur idéal monastique dans une voie purement contemplative. Certains redoutent que le concept de « monastique » soit réservé juridiquement à la seule vie contemplative stricte, à l’exclusion de la majeure partie de ceux qui, actuellement, portent le nom de « moine ». Cette crainte a trouvé quelques justifications dans l’action entreprise au sein de l’Église Orientale au cours de la dernière décade [25]. Et il est exact qu’une telle définition de l’état monastique, ne recouvrant que la seule vie contemplative canonique stricte, est désirée par certains.

Cependant, le fait est qu’un groupe très important de religieux mènent une vie fondée sur une Règle monastique qu’ils ont vouée d’observer, une vie spécifiquement informée par la tradition monastique ancienne, mais qui a aussi recueilli la tradition d’un réel engagement dans l’apostolat actif. Le droit de l’Église devrait coïncider avec la réalité qu’elle abrite en son sein. Ces moines devraient donc chercher à discerner de façon précise ce qui les distingue des autres groupes de religieux de vie « mixte » ou « active ». A la lumière de ces notes distinctives, on pourrait formuler une large définition canonique du moine.

Cela laisserait encore place, à l’intérieur de l’ Ordre monastique, à une distinction subséquente, indispensable si l’on veut préserver la vie contemplative canonique dans l’Église. La note spécifique des moines intégralement contemplatifs pourrait être la « retraite » [26], dans le sens de : vie de prière et d’expiation, de retour au Père, d’éloignement des activités du monde, et même de l’activité apostolique, si nécessaire pour ce genre de vie et ainsi donnant clairement un témoignage très existentiel et authentique à la plénitude de Dieu et à la vocation du Peuple de Dieu à trouver son achèvement dans la contemplation de cette plénitude.

Conclusion

Sous la motion de l’Esprit, à toutes les époques de la vie de l’Église, quelques-uns des membres du Peuple de Dieu ont été mis à part pour vivre pleinement leur initiation sacramentelle par une expiation priante et une retraite prophétique, et par une vie de retour au Père, donnant ainsi au Corps ecclésial d’accomplir en eux sa vocation à revivre les dernières étapes de la vie du Christ et d’offrir un signe permanent et sensible historiquement de sa grâce eschatologiquement victorieuse. Cette forme de vie contemplative « appartient à la structure essentielle du Corps Mystique du Christ » [27] et c’est pourquoi elle devrait être pourvue d’un statut canonique, conformément à la directive donnée par le Concile Vatican II de préserver et d’entretenir au sein du Peuple de Dieu ce charisme.

Puis-je conclure en citant quelques lignes de notre regretté Saint Père Jean XXIII :

La vie contemplative ! Oh ! Qu’elle est précieuse aux yeux de Dieu, précieuse à l’Église !...
Elle constitue une des structures fondamentales de la Sainte Église, elle a été présente à toutes les phases de son histoire bimillénaire, toujours féconde en solides vertus, toujours riche d’un mystérieux et puissant attrait sur les âmes les plus hautes et les plus nobles...
En vérité, ce sont ces âmes très pures et très élevées qui, par leur souffrance, leur amour et leur prière, exercent en silence dans l’Église l’apostolat le plus universel et le plus fécond. Voilà une garantie de la valeur, aux yeux de l’Église, de la vie contemplative. D’autres s’adonnent, à l’exemple de Marthe, aux tâches extérieures du ministère. Mais c’est Marie qui reçoit, des lèvres du Sauveur, l’assurance qu’elle a choisi la meilleure part. Cette part est la vôtre. – Ainsi donc, chers Fils, fidélité à la Règle, fidélité aux vénérables et saintes traditions de l’Ordre. Et parmi celles-ci, il nous plaît de mentionner cette belle union de charité qui fait de tous les Trappistes du monde une grande famille, une famille où l’on ignore les limites territoriales, les distinctions en provinces et en nations...
Permettez qu’au nom de cette divine Église du Christ, Nous vous disions en confidence combien Nous comptons, à la veille du Concile Œcuménique, sur la prière des contemplatifs qui, dégagés de tout souci extérieur, peuvent se donner entièrement à ce rôle béni d’intercesseurs auprès de Dieu !

Saint Joseph’s Abbey, Spencer
U.S.A. 01562

[1Ps 26,4-8 ; 35,8-9 ; 61,6 ; 72,25-28 (Vulgate).

[2Lc 10,42. – Selon le sens littéral, le Christ affirme ici que Marie a choisi la bonne part de l’écoute contemplative de la Parole de Dieu, par opposition avec la part du service, et que cette part ne lui sera pas ôtée, même si ceux qui servent font appel à son aide. Le Christ prévoyait certainement la réalisation plus radicale à laquelle son affirmation était promise dans la tradition future de l’Église. Les Pères voient dans cette péricope deux formes de vie : l’active et la contemplative. P. ex., S. Basile, In Mon. Const., ch, 2 ; S. Augustin, Serm. 27 De Verbo Dom. ; Ps 71,28 ; S. Jérôme, Sur Jérémie, ch. 3 ; Cassien, Conf. 1, 8,2 ; S. Grégoire le Grand, Morales VI, ch. 28 ; Sur Zach., 14 ; Bède, Comm. de Luc ; Théophylacte, Sur Luc ; Maldonat résume cette tradition : « Qui n’a pas conclu de ce passage à deux genres de vie ? » – P. Catry note : « Pour conclure à l’impossibilité de trouver un fondement objectif à la prééminence de la vie contemplative sur la vie active (au sens moderne de ces deux termes) dans le texte de Luc 10,38-42 et dans son interprétation patristique, Csányi a dû édulcorer le sens de certains témoignages, ou encore ne pas tenir compte de certaines affirmations considérées (par lui) comme hétérodoxes » (« Bull, de spiritualité monastique », dans Collectanea Ordinis Cisterciensium Reformatorum, 24 (1962), 95).

[3Quand S. Antoine se retire au désert vers l’an 260, Paul l’Ermite y est déjà. – Cf. Pie XII, Discours au Congrès des Études Orientales, 11 avril 1958, dans Les Instituts de vie parfaite. Éd. des Moines de Solesmes, Tournai, 1962, n. 1086 ss ; La Doc. cath., n. 1276, col. 531 ss ; R. C. R., 1958, 83 ss.

[4Pie XII, loc. cit.

[5« La vie contemplative assurément,... appartient à la structure essentielle du Corps Mystique du Christ. Et dans l’Église de Dieu, des origines du nom chrétien jusqu’à notre époque, tout le long des siècles et à travers les vicissitudes de l’histoire, cette vie, féconde en vertus solides, a toujours ravi à soi, par un attrait mystérieux, des âmes d’une vigueur et d’une élévation singulières qui, par leur vie et leur silence, obéissent effectivement à cette maxime de l’Évangile : « Dieu est Esprit, et ceux qui adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent adorer » (Jean XXIII, Lettre Recens a te, o.c., n. 1213).

[6K. Rahner, The Church and the Sacraments, New-York, 1963, p. 13 ; souligné par nous.

[7K. Rahner, Nature et Grâce, New-York, Sheed & Ward, 1964, p. 90.

[8« Comme le Christ veut que chacun des membres lui soit semblable, ainsi le veut-il aussi pour le Corps de l’Église tout entier... Par les Instituts multiples et variés dont elle s’orne comme de joyaux, elle montre en quelque sorte le Christ priant sur la montagne, ou prêchant aux foules, guérissant les malades et les infirmes, ramenant les pécheurs dans la bonne voie » (Pie XII, Mystico Corporis, § 47. Cf. aussi Lumen Gentium, n. 46).

[9« Ce deuxième sacrement est la Confirmation, l’imposition des mains qui confère le charisme de l’Esprit approprié à la mission de transformer le monde dans l’accomplissement de la tâche propre de l’Église comme telle ; car elle, en tant qu’Église sainte, dans la plénitude de sa vitalité et de sa puissance transformante, doit être pour le monde le témoignage de Dieu qu’il n’abandonne pas l’ensemble du monde créé à sa faute, mais le rachète, le protège et le transfigure » (K. Rahner, The Church and the Sacraments, p. 92).

[10« L’Église, tandis que la presse si fort l’apostolat extérieur, si nécessaire de nos jours, attribue pourtant la plus grande importance à la contemplation, et cela tout particulièrement à notre époque, où l’on insiste trop sur l’action extérieure. En effet, l’apostolat authentique consiste très précisément dans la participation à l’œuvre de salut du Christ. Or, cette participation est impossible sans un esprit intense de prière et de sacrifice. Le Christ racheta le monde, esclave du péché, principalement par sa prière et en se sacrifiant lui-même : aussi bien, les âmes qui s’efforcent de revivre cet aspect intime de la mission du Christ, même si elles ne se consacrent à aucune activité extérieure, pratiquent l’apostolat d’une manière éminente » (Jean XXIII, dans L’Osservatore Romano du 24 août 1962).

[11« Le but de l’Église est clairement manifesté dans la vie monastique, et cette vie doit porter son témoignage eschatologique... ; l’état final de l’Église comme de chaque chrétien a, pour ainsi dire, son épiphanie dans la vie du moine. Sa contemplation est sa propre liturgie, pâle reflet, mais reflet permanent, sur la terre, du culte céleste célébré par les anges et les saints, auxquels nous nous joignons nous-mêmes.... Pour l’ordinaire, cela n’est possible que dans un contexte de silence et de prière, de solitude et d’union qui élève tous les actes de la vie à une dignité presque rituelle » (P. Grammont, Liturgy and Contemplation, dans Truc Worship, un symposium franco-anglais. Baltimore, Hélicon, 1963, p. 95). – Cf. aussi Dom Cozien, « Theologische Bezinning op Kloosterleven en Zielzorg », dans Benediktijns Tijdschrift, 23 (1962), p. 4 ss.

[12« La fonction particulière de la grâce (de la Confirmation) que chaque chrétien reçoit plus particulièrement comme sa tâche propre est déterminée par l’appel de Dieu et par la répartition des charismes de l’Esprit, qui ne sont rien d’autre que les directions particulières en lesquelles ce même et unique Esprit déploie son action. Tous en sont gratifiés et, ainsi munis, tous peuvent et doivent servir, même ceux qui, apparemment, ont reçu la grâce contraire » (K. Rahner, The Church and the Sacraments, p. 91. – Cf. aussi F. Vandenbroucke, « Théologie de la vie monastique », dans Studia Monastica, (1962) n. 2, p. 383).

[13Alloc. De quelle consolation, 14 sept. 1951, A. A. S., 43 (1951), 786 ss. Cf. aussi Gaudio afficimur, 27 sept. 1956, A. A. S., 48 (1956), 674 ss ; Six ans, 5 oct. 1957, A. A. S., 49 (1957), 922 ss. – Le P. Peifer applique cette doctrine de Pie XII à la vie contemplative monastique : « C’est le devoir de tout chrétien de participer à l’apostolat ; mais, à l’intérieur de celui-ci, il faut distinguer deux sphères d’activité différentes. Le Pape Pie XII désigne ces aires par l’appellation respective d’apostolat-au-sens-large et d’apostolat-au-sens-strict. Le premier consiste dans la sanctification des membres de l’Église par la prière et l’exemple, et chaque chrétien y est appelé en vertu de son Baptême. L’apostolat au sens strict est l’apostolat des œuvres extérieures, c’est-à-dire des œuvres spirituelles et matérielles de miséricorde. Le clergé et les laïcs travaillent ensemble dans cette sphère sous la direction de la Hiérarchie... La distinction commune entre les Ordres « contemplatifs » et les « actifs » se prend de la sphère d’apostolat dans laquelle les uns et les autres sont principalement engagés... Dire que le monachisme est contemplatif signifie, non seulement qu’il a pour fin l’union à Dieu par la charité, ce qui est vrai de toute forme de vie religieuse, mais aussi que l’ensemble des moyens que le moine met en œuvre pour parvenir à cette fin consiste essentiellement dans les exercices de l’apostolat au sens large. » (CL. Peifer, « Purity of heart and the modem monk », V, dans The American Benedictine Review, 14 (1963), 271 ss. – Cf. K. Rahner, Theological Investigations, t. II, Baltimore, 1963, ch. n, p. 319 ss ; E. Schillebeeckx, « The layman in the Church », dans Vatican II. The theological dimension, p. 262 ss ; A. P. Léonard, « The theological foundation of the lay apostolate », ibid., p. 284 ss).

[14« D’autres encore ne vivent, en droit et en fait, que la vie contemplative. Elles s’y tiendront, à moins qu’elles ne doivent, par nécessité, et pour un temps limité, accepter certaines activités apostoliques. Il est clair que ces moniales exclusivement contemplatives participent à l’apostolat de l’amour du prochain sous ses trois formes de l’exemple, de la prière et de la pénitence. » Pie XII, Alloc. Lorsque nous, 2 août 1958, A. A. S., 50 (1958), 584 s. ; R. C. R., 1958, 192.

[15Cf. A. Savaton, Valeurs fondamentales du monachisme, Tours, Marne, 1962, ch. 9 ; « Apostolat » ; noter spécialement les conclusions, p. 131 ss. – Également : F. Vandenbroucke, « Monnikendom en Kerk », dans Benediktijns Tijdschrift, 23 (1962), p. 18 ss.

[16Pie XII a parfaitement répondu à cette question en écrivant aux contemplatives : « Ce siècle bruyant et inconsistant méprise ou rejette une vie de retraite vouée à la contemplation, parce qu’il la regarde comme une inaction sans profit, un détriment pour la société humaine ; vous du moins, vous savez bien que nulle œuvre n’est plus capable d’attirer la bienveillance divine et d’aider le prochain que le sacrifice perpétuel de la louange et l’exemple d’une vie toute pure. Nous constations combien le désir passionné de tout changer pénètre partout à notre époque désordonnée :’vous qui avez choisi la meilleure part, gardez-la et ne vous laissez pas détourner de votre sainte résolution sous prétexte de procurer le salut du prochain, dans la fausse idée que l’époque orageuse que nous traversons exige non une vie dédiée à la contemplation, mais une vie d’action’. » (Quemadmodum decessor noster, 4 nov. 1941, dans Les Instituts, n. 565). Le P. V. Walgrave souligne le besoin spécifique de notre temps : « ...Quand on s’arrête à considérer la très séculière perspective dans laquelle nombre de chrétiens saisissent les grandes idées de notre époque, on se dit que rarement auparavant dans l’histoire il a été aussi nécessaire de réaffirmer la transcendance du divin et la folie de la Croix. En vérité, c’est seulement à la lumière de ces vérités fondamentales que nous pouvons intégrer ces valeurs modernes à l’œuvre de la rédemption. Cela signifie que, au cœur même de la chrétienté, nous devons rencontrer des hommes qui, manifestement, vivent sous l’emprise de la réalité de Dieu, des contemplatifs » (« The contemplative vocation of the active monastic Orders », dans Review for religions, 23 (1964), p. 280). Cf. P. C. Bori, « La Testimonianza monastica nel mondo attuale », dans Vita monastica, 16, p. 36 ss.

[17Cf. Ex. 17,11 ; également : S. Pierre Damien, Op. 12, P. L., 145, 280.

[18Jean XXIII, Alloc. aux moines cisterciens, 20 oct. 60, A. A. S., 52 (1960), 898 ; R. C. R., 1960, 203.

[19« Dans la fin proposée par et pour une société religieuse, le S.-Siège reconnaît la réponse à un besoin de l’Église. L’approbation de l’Église légitime cette fin et la rend possible grâce à une organisation sociale à l’intérieur de l’Église, et offre à ceux qui souhaitent s’y vouer des garanties d’efficacité et de stabilité. En un mot, le S.-Siège ne reconnaît pas seulement un service, mais une action de l’Église... Nous entrons pleinement dans la visée pastorale de l’Église en respectant rigoureusement la fin pour laquelle l’Église a donné son approbation » (J. Hamer, « The place of religious in the apostolate of the Church », dans Vatican II. Theological dimensions, p. 399 s.).

[20« Comme le martyr, le moine est un témoin dans l’Église, et son témoignage est nécessaire à la vie de celle-ci. Mais il n’est qu’une conséquence de sa vie même, et n’existe que s’il accepte de ne pas se poser en but recherché. Le monachisme, radicale orientation vers Dieu, précisément parce qu’il est cela et rien d’autre, exerce en second temps logique un rôle irremplaçable pour toute l’Église » (B. Besret (moine de Boquen), « La liturgie monastique ; ses fondements théologiques », dans Le message du moine à notre temps, Paris, 1958, p. 236).

[21Card. L. J. Suenens, The nun in the world, éd. rev., Westminster Md., 1963, p. 71. – Comme le disait Pie XII au deuxième Congrès des États de perfection : « Il ne leur est pas interdit de penser à la rénovation et à l’adaptation des moyens de s’en acquitter, sans manquer toutefois au respect dû à la tradition, et sans déroger aux prescriptions que les Constitutions considèrent comme inviolables » (9 déc. 1957 ; Les Instituts..., n. 1019 ; R. C. R., 1958, 15). – Lors d’une intéressante enquête menée en Allemagne, on a demandé à six cents personnes : « Croyez-vous que les Ordres contemplatifs masculins puissent justifier leur existence, eu égard au petit nombre des prêtres ? » 85 % des réponses furent affirmatives ; mais on soulignait que le moine doit vivre la vie qui est la sienne et montrer que vraiment Dieu lui suffit, exerçant en cela le plus fructueux apostolat qui soit accessible à un membre de l’Église » (P. Holt, « De monnik in de publiekc opinie », dans Benediktijns tijdschrift, 23 (1962), 84 ss).

[22« En même temps, nous ne pouvons oublier que l’incarnation dans le monde n’est qu’un seul des pôles de l’existence de l’Église. L’Église n’est pas seulement le Royaume du Christ dans le monde, elle est aussi l’anticipation de la Jérusalem céleste. Elle n’est pas seulement milieu de grâce, elle est aussi réalité de grâce. De là vient que l’autre pôle de l’existence de l’Église est l’eschatologie. Ces deux attitudes de l’Église à l’égard du monde ne sont pas seulement pleinement chrétiennes et légitimes, mais elles sont aussi absolument requises pour amener à sa pleine actualisation la réalité virtuelle de l’Église... C’est pourquoi c’est la nature même de l’Église qui légitime la spiritualité de séparation du monde et lui garantit une fonction nécessaire et durable à chaque période de son existence » (Cl. Peifer, o.c., p. 286).

[23Nous sommes tout disposé à admettre que la terminologie d’« active » et de « contemplative » en usage de nos jours n’est pas entièrement satisfaisante. Mais jusqu’à ce qu’elle soit remplacée par une meilleure, nous l’utiliserons pour exprimer la distinction réelle, quoique seulement modale, entre deux formes de vie religieuse définies clairement et à bon droit, qui toutes deux existent dans l’Église. Cette distinction doit être maintenue et exprimée. Par « contemplatif » nous entendons une personne ou un état de vie qui se caractérise par un certain retrait du monde en réponse à une vocation de prière et de pénitence, d’intercession et d’ascension spirituelle, une vie de retour au Père.

[24Un tel statut canonique ne serait pas entièrement nouveau. La Constitution Apostolique Sponsa Christi, du 21 nov. 1950, nous donne une définition de la vie contemplative canonique (Statuts généraux, II, § 2 ; R. C. R., 1951, 56), et beaucoup d’autres formulations ont été proposées, surtout au cours de la dernière décade. Nous pouvons aussi, par un retour en arrière, interroger l’histoire et citer à la fois le droit ecclésiastique et le droit civil. Par ex. : « La vie monastique et la contemplation qui s’y fait est chose sainte qui par sa nature propre conduit à Dieu. Non seulement elle aide ceux qui y accèdent, mais, par sa pureté et la supplication de Dieu, elle est aussi à tous les autres d’une remarquable utilité » (Corpus iuris civilis, Préf., Novellae CXXXIII).

[25Au moment où il a été procédé à la codification du droit des religieux de l’Église orientale, un large pourcentage d’instituts religieux, invités à faire un choix, ne jugea pas possible de revenir aux formes monastiques orientales et se retira donc de la catégorie des moines. Mais, au départ, la distinction ne portait pas sur l’orientation active ou contemplative des Instituts, mais s’opérait entre la profession publique de stabilité dans le lieu, propre au moine, et la forme structurelle des Instituts modernes de rite latin. Cf. V. J. Pospishil, The Law of persons (Ford City, Pa., St Mary’s Ukranian Catholic Church, 1960), p. 233 ss.

[26« La vie contemplative signifie... une vie fondée sur la base d’un radical éloignement du monde (cela reprend et résume la tradition tout entière, note de l’auteur de ces pages). La vocation qu’elle réalise est d’une valeur très haute, mais ce n’est pas celle des Congrégations, dont la fin immédiate est l’apostolat » (L. J. Suenens, o.c., p. 43).

[27Jean XXIII, Lettre Recens a te, dans Les Instituts, n. 1213.

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