Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Grandes ou petites communautés ?

Résultats de notre enquête

Alfred de Bonhome, s.j.

N°1968-6 Novembre 1968

| P. 336-352 |

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Dans son numéro de mars-avril de cette année, Vie Consacrée a posé à ses lecteurs des questions au sujet de la dimension des communautés [1]. Nous ne nous attendions pas à un grand nombre de réponses. Nous en avons reçu neuf. Mais leur intérêt, on va le voir, supplée à la petitesse du nombre et, dans l’ensemble, elles sont convergentes. Elles seront éclairantes et stimulantes pour tous les lecteurs de Vie Consacrée à une heure où la communauté religieuse se cherche. Aussi remercions-nous ceux et celles qui ont pu nous répondre.

I. Provenance des réponses

En dépit de leur nombre restreint, les réponses émanent de communautés assez diverses :

– 2 communautés contemplatives (= C) féminines (= f) de Fiance.

– 3 réponses viennent de deux instituts actifs (= A), les deux seuls instituts masculins (= m) qui aient pris part à l’enquête :

Une Province française d’une branche de l’Ordre des Frères Mineurs nous a envoyé, groupées systématiquement, des réponses à une enquête qu’elle a entreprise il y a peu d’années.

2 réponses proviennent d’un « second noviciat » international de Frères enseignants : l’une, donnée par six Canadiens, l’autre par cinq Frères de quatre nationalités.

– 3 réponses de communautés féminines à la fois contemplatives et actives (= CA) :

2 communautés françaises (dont une cherche à abandonner le style de rie monastique) et une en Belgique (elle paraît s’adonner à un apostolat).

– 1 communauté féminine belge qui n’a pas donné de précisions sur son caractère ; elle paraît cependant être active (= CA ?) [2].

II. Les réponses aux questions posées

QUESTION 1 : Quelle est, selon vous, la dimension idéale d’une communauté ?

a) Réponses sur ce point précis :

Une réponse ne dit rien à ce sujet (Am).

Deux optent pour les grandes communautés :

Une ne précise pas le nombre optimum (CAf).
D’après l’autre, si l’on cherche uniquement l’esprit de famille, il faudrait environ vingt-cinq membres. Mais, en raison d’une série de prestations à assurer et de la présence des sœurs malades et âgées, « il faudrait le double ou presque pour une vie bien équilibrée. Disons de quarante à cinquante-cinq. Au-delà c’est trop (Cf).

Les six autres réponses voient l’idéal dans les petites communautés. Le nombre de membres souhaités varie quelque peu :

12 à 15 (CAf).
8 à 12 (CAf).
10 (Cf).
8 à 10, avec un minimum de 5 ou 6 (CA ? f).
6 ou 7 (Am).
6 environ, en précisant que 10 religieux forment déjà une grande communauté (Am).

b) Réflexions et remarques :

Ce sont deux groupes religieux actifs masculins qui indiquent le chiffre le plus bas.

Quant aux religieuses on peut voir une contemplative aussi bien que des sœurs de communautés « mixtes » dans un parti comme dans l’autre.

Tous nos correspondants, sauf deux (Cf et CAf), quelle que soit leur option, en disent les avantages et les inconvénients, comme ceux de l’option contraire.

Une réponse (celle qui opte pour 6 ou 7 membres) n’arrive à cette conclusion qu’après une discussion : « Tout, y dit-on d’abord, dépend de l’œuvre, des tempéraments, de l’âge... L’harmonie des tempéraments est davantage à considérer que la grandeur du groupe » (Am).

QUESTION 2 : Quels sont les avantages et les inconvénients d’une grande communauté ?

a) Services mieux assurés, notamment les services spirituels.

Cet avantage est souligné surtout par une communauté contemplative et une communauté « mixte ».

  • On trouve plus facilement les cadres voulus (supérieurs, maîtresse des novices, diverses officières), et ce n’est déjà pas si facile (CAf).
  • L’office et sa dignité sont plus facilement assurés (Cf ; CAf) ; et la vie liturgique est plus belle (Am).
  • Moins de presse, d’agitation et de fatigue pour le travail, ce qui favorise grandement le recueillement commun et la prière (Cf).
  • La où se fait l’adoration perpétuelle du Saint Sacrement elle peut être assurée et avec moins de fatigue (Cf).
  • Possibilité d’assurer le travail nécessaire à la marche de la maison et à la subsistance de la communauté (Cf), ou du moins travail plus facile sans essoufflement préjudiciable aux personnes et à l’ensemble (Am).

b) Avantages pour la vie de communauté :

De ce point de vue, l’on souligne toutes les possibilités d’un groupe nombreux :

1. Il permet d’abord un enrichissement positif de l’ensemble. A une exception près, ceci est noté seulement par les réponses provenant d’un « second noviciat » international de Frères enseignants ; elles concordent ou se complètent sur ce point (2 Am).

  • Possibilité plus grande d’enrichissement spirituel dans les échanges.
  • Variété des tempéraments.
  • Ouverture plus grande.
  • Enfin, chose importante, possibilité de prendre soin des membres malades. Une communauté féminine signale le cas des membres âgés (CAf).

2. L’on indique aussi l’avantage qu’ont les grandes communautés de contrebalancer de graves difficultés que peuvent connaître les petits groupes et que ne manquent pas de souligner, on le verra, les partisans de ceux-ci.

  • « Les difficultés de caractère ne sont jamais très graves, car elles sont noyées dans l’ensemble » (CAf).
  • Une grande communauté divise et estompe les inconvénients causés par un sujet lourd à porter (Cf).
  • Épanouissement peut-être plus heureux de certains tempéraments plus difficiles (Am).
  • Les erreurs commises par un membre apparaissent moins (Am).
  • Assouplissement des caractères (Am).
  • Meilleure adaption des nouveaux venus (Am).

c) Avantages pour la vie religieuse :

  • Équilibre de cette vie assuré. Une réponse affirme par deux fois qu’il faut pour cela une communauté assez grande, du moins dans les instituts de vie contemplative. Elle paraît motiver ceci par l’abondance des prestations à assurer (Cf).
  • Une certaine indépendance à l’égard du milieu social (Am).
  • Régularité extérieure plus facile (2 Am) ; d’où stabilité aidant les jeunes à grandir dans la fidélité à la vocation propre de l’institut (un autre Am).

d) Avantages pour l’apostolat de la communauté.

  • Possibilité de travail en équipe et variété des compétences (4 réponses : les 3 Am et CAf).
  • Activités diversifiées et respect des goûts particuliers de chacun (Am).
  • On peut se remplacer plus aisément ; d’où meilleures possibilités pour les vacances et les journées d’études (CA ? f).
  • Possibilité d’entreprises apostoliques (CAf).
  • Influence plus grande dans le secteur (Am).

Meilleure installation matérielle pratique (imprimerie, p. ex.) (Am).

Les inconvénients sont principalement soulignés par les instituts masculins (3 Am).

a) L’on marque surtout la sérieuse difficulté pour un groupe nombreux de constituer une communauté authentique.

1. En dépit d’une proximité matérielle, l’on vit aisément dans l’isolement des personnes ou des petits groupes.

  • « On peut se sentir parfois un peu seul, éprouver à certains moments le besoin d’un peu plus de chaleur humaine » (Cf ; dans le même sens 1 CA f).
  • Risque d’isolement pour les timides ou les moins favorisés (2 Am).
  • Très souvent les grandes communautés sont une espèce de fourretout, un rassemblement d’hommes qui vivent le même idéal en théorie et qui en fait sont happés par des engagements apostoliques divergents et à la limite « centrifugeants ». D’où communauté formelle, théorique ; la limite communauté-dortoir où on est terriblement seul » (Am).
  • « On peut s’éviter, se négliger et même s’ignorer tout en vivant apparemment sous le même toit » (Am).
  • Agrégat où chacun s’isole et cherche son intérêt (Am).
  • Risque de désintéressement pour les occupations communes (Am).
  • « Tendance à se replier sur soi-même, soit en petit clan ; pas de vraie union de cœur ; chacun va son chemin sans apporter quelque chose à l’esprit de famille » (Am ; clans signalés par un autre Am).

2. À un niveau plus profond, difficulté d’une véritable communion personnalisante ;

  • Tendance à l’anonymat et à l’impersonnalité (Am).
  • On se connaît moins (CAf et Ca ? f).
  • Intimité réduite (Am).
  • Difficulté à dialoguer et à s’obéir mutuellement (Am).
  • Difficulté d’établir l’harmonie et de trouver l’unité (2 Am).
  • Difficulté de réunir tout le monde (Am), d’organiser des détentes communes (CAf).

3. Inconvénients analogues pour les supérieurs :

Autorité :

  • plus distante ; cloisonnement trop fréquent par rapport aux frères (Am) ;
  • trop accaparée (Am), ce qui empêche la disponibilité à tous (CAf).

4. Une réponse est la seule à indiquer l’inconvénient suivant ;

– « Dans une grande communauté, vous trouverez toujours des natures avides des charges et qui auront une attitude pénible envers celles dont on croit qu’elles déroberont la charge tant désirée... Dans les petites communautés, « il est plus aisé de réparer, de revenir en arrière, du fait que l’union est plus facile » (Cf).

b) L’on signale aussi que la grande communauté est préjudiciable à la vie religieuse et apostolique [3]

1. Elle alourdit la marche :

– Centralisation ; installation ; manque de souffle missionnaire ; nécessité d’un surnombre de prescriptions légales, ce qui endort l’initiative et conduit au formalisme et au pharisaïsme ; danger du tout fait, du tout prévu, sans qu’on soit assez éveillé et stimulé (Am).

2. Difficulté de créer une véritable communauté de prière et d’apostolat (Am).

c) La grande communauté nuit aussi au témoignage à donner :

1. D’un point de vue général :

« La grande communauté ferme facilement au milieu pour lequel notre vie de fraternité veut être un témoignage. Cela est presque certain pour nous en pays de mission... En milieu païen nous voyons difficilement comme elle pourrait s’adapter aux besoins apostoliques du milieu au niveau des gens et aussi à leur compréhension » (Am).

– Pas assez d’effort d’assimilation des formes de vie de ceux à qui l’on veut apporter le message, partage nécessaire spécialement avec les plus petits, si l’on veut être compris et écouté (Am : d’après Ecclesiam suam).

2. Du point de vue du témoignage de pauvreté :

  • Il peut être empêche par l’isolement et le cadre extérieur (Am).
  • Une grande communauté logeant sur une propriété d’une certaine importance donne une impression de puissance, de force, de stabilité et de richesse (Am).
  • Style bourgeois des grandes maisons (Am).
  • « Pour une grande communauté, il est absolument impossible de porter aux yeux du monde un témoignage de pauvreté ». Ceci à cause de la nécessité de grands bâtiments à entretenir, ce qui oblige à quêter et par suite à ne pas donner au travail rémunéré le temps nécessaire (Cf).

QUESTION 3 : Quels sont les avantages et les inconvénients d’une petite communauté ?

On va voir qu’ils sont à l’opposé des inconvénients que l’on voit aux grandes communautés.

a) Vie commune plus authentique :

1. Une petite communauté constitue plus aisément une famille (4 réponses : Am ; Cf ; CAf ; CA ? f) :

  • Il est plus facile de se grouper, de se rencontrer et de se détendre ensemble (2 Am).
  • Relations plus aisées et plus vraies (Am).
  • Intimité humaine et chrétienne plus grande (Am).
  • Moins de gêne pour dire son opinion (Am).
  • Dialogue plus facile (Am).
  • Plus grande facilité à s’aimer vraiment (Cf ; CA ? f).

2. Communauté plus personnalisante :

a. Chacun est mieux connu et respecté pour ce qu’il est :

  • On peut « accorder plus facilement à chaque membre de la communauté locale sa vraie place et se réjouir de son existence » (Am).
  • Possibilité de « faire naître un sentiment de valorisation en chacun des membres » (2 Am).
  • On se connaît mutuellement (4 réponses : 2 Am ; Cf ; CAf) ; d’où échanges plus profonds (CAf).
  • Une réponse que nous avons déjà signalée voit dans les grandes communautés l’inconvénient de permettre l’ambition des charges, avec, par suite, bien des divisions et des souffrances. S’il y a une vraie famille, dit-elle, cette concurrence n’est pas possible. Elle propose même pour les charges un roulement annuel sans élections. « Rien à faire pour éclipser tel ou tel sujet qui ne vous plaît pas ou même écraser aux yeux de toute une communauté un sujet fervent. Tout cela demande des constitutions adaptées et je crois que cela est possible malgré l’étonnement que je pense provoquer » (Cf).

b. L’on est profondément solidaire les uns des autres :

  • « Conscience de solidarité : on a besoin d’un de l’autre » (Am).
  • Fonctions communes et travail dans le même sens, qui suscitent des recherches faites ensemble (Am).
  • « On ne peut guère éluder les existences (sic ; les exigences ?) posées par les relations de frères à frères. On est quotidiennement mis en demeure de se convertir ensemble, les uns avec les autres, les uns par les autres » (Am).
  • « Obligera peut-être à un dépassement individuel plus grand pour vivre vraiment comme n’ayant qu’un cœur et qu’une âme » (Am).

3. Avantages analogues pour l’autorité :

  • Autorité plus proche (Am) et plus facilement conciliante (un autre Am).
  • Plus grande possibilité pour le supérieur de connaître ses frères ; plus grande compréhension (un autre Am).

b) Meilleure vitalité :

1. Religieuse :

  • Soutien moral et psychologique, nécessaire à la vie de prière et à l’apostolat (Am).
  • Réalisation des valeurs franciscaines pour ceux qui ont à les vivre : pauvreté, fraternité, pénitence authentique (Am).

2. Humaine :

  • Initiatives et disponibilité plus grandes (2 Am).
  • Accomplissement plus facile d’une action diversifiée au sein d’un cadre communautaire accepté de tous (Am).
  • Organisation plus rapide du travail et de l’horaire (Am).
  • Décisions plus rapides et plus unanimes (Am).
  • Développement de l’esprit pratique, incitation à la « débrouillardise », formation au dévouement (Am ; CAf, qui note que les questions de cuisine peuvent être un peu trop préoccupantes).

c) Aide pour le témoignage à donner et les relations avec les hommes (souligné par les Fils de S. François) (Am) :

  • « Proximité plus grande aux gens et partage de leur sort ».
  • « Les petites communautés peuvent mieux vivre dans une maison louée, ce qui répond mieux à l’esprit de S. François, et aussi être davantage au niveau des gens pour témoigner ».
  • Ceci spécialement en mission. On peut vivre au milieu des pauvres, au vu des gens. Présence du Christ plus parfaite en milieu païen : « elle est sans doute plus difficile, mais plus authentique ».
  • Plus grande aptitude aux besoins et aux aspirations des temps actuels (Am)

a) Un inconvénient est mentionné par six réponses, et de façon plutôt insistante : en petite communauté, l’entente peut être fort difficile, surtout avec certains sujets, et il importe absolument de veiller à ce qu’elle soit humainement possible (les 3 Am ; Cf ; 2 CAf ; CA ? f) :

  • Une réponse le dit de façon lapidaire : « Ou c’est la fraternité ou c’est l’enfer ! » (Am).
  • « S’il y a égoïsme et jalousie, c’est ressenti avec plus d’intensité : c’est l’enfer ; alors chacun cherche ses aises en dehors de la fraternité » (Am).
  • Vie difficile et très dure si on ne s’entend pas (CAf ; CA ? f).
  • « Heurts dégénérant en bouderie ou rupture irréparable (surtout à deux) » (Am).
  • « Incompatibilités de caractère plus difficiles à surmonter : d’où la nécessité de veiller à constituer des fraternités qui se tiennent et s’harmonisent déjà sur le plan humain (Am), ce qui n’est pas toujours aisé (un Am).
  • « Il peut arriver qu’un sujet soit lourd à porter, quelque charité qu’on y mette ». Dans une petite communauté, il le sera infiniment plus (Cf).

b) Certaines difficultés pour la vie religieuse :

  • « Difficulté, sinon un manque, à la régularité, au silence, au recueillement, difficulté à laquelle contribue la dimension des locaux » (Cf).
  • « Danger de perdre de vue l’austérité de la vie religieuse, car, si fraternelle qu’elle soit, elle ne doit pas être tout de même, précisément, une « vie de famille » (même Cf).
  • Danger de rapports trop humains, si l’on s’entend trop bien (CAf).
  • « Pénétration plus facile de l’esprit mondain » (Am).
  • « Danger de subir trop facilement l’influence du milieu social environnant »(Am).
  • « Possibilité d’un affaiblissement du sens de l’autorité ; contrôle administratif et religieux rendu plus difficile en raison de cette « diaspora » (Am).

c) Inconvénients spécialement pour la vie de prière collective et personnelle :

  • Difficulté, à cause du petit nombre, d’assurer régulièrement l’office et la célébration communautaire de la messe (Am).
  • « L’absence de chapelle... peut nuire au recueillement : on prie où on peut, quand on peut et comme on peut. Cependant, il y a aussi de petites communautés très ferventes » (CA f).

d) Petitesse :

  • « Manque d’ouverture dans les idées : toujours les mêmes conversations » (Am).
  • « Fatigue d’un tête-à-tête continuel avec les mêmes personnes, pas nécessairement les plus sympathiques » (même Am).
  • « Risque d’être trop souvent seul à cause des occupations diverses, des études et des parloirs » (même Am).
  • Plus grand danger de vivre en « bonnes femmes » (CAf).

e) Risque que les activités soient entravées :

  • Dispersion des efforts ; trop de rôles à jouer (Am).
  • Difficulté très grande de s’occuper des œuvres, par manque de bras (CA ? f).
  • « Recevoir (famille, etc.) devient une grande surcharge, au lieu d’être une joie » (même CA ? f).
  • « Quand les charges apostoliques et matérielles de la maison sont trop grandes, il y a essoufflement des uns et des autres, au détriment de l’équilibre des personnes comme aussi de l’ensemble » (Am).

f) Impossibilité enfin de suffire à l’entretien des religieuses âgées (CAf).

QUESTION 4 : Avez-vous fait l’expérience d’une communauté divisée en petits groupes :

a) Sous le même toit ? Cette division doit-elle s’étendre à tous les aspects de la vie commune ou à l’un ou l’autre aspect seulement ?

b) Dans des maisons différentes ?

Aucun de nos correspondants ne dit nettement avoir fait une de ces expériences [4] Ces dernières sont plutôt envisagées d’un point de vue théorique, par 5 réponses :

L’une d’elles voit des éléments positifs dans la répartition en plusieurs maisons (Am).

Les quatre autres parlent des groupes restreints qui se créent au sein des grandes communautés (un autre Am, Cf, CAf, CA ? f).

L’on observe que ce phénomène peut se produire tout naturellement et très heureusement ; il contribue à animer les rapports et à rapprocher les frères ou les sœurs (Am, Cf). Il faut même en venir là si l’on veut un esprit de famille dans une grande communauté (esprit qui, d’ailleurs, sera suscité de façon plus apte dans les petites fraternités) (Am).

Le but de ces sous-groupes est de favoriser les échanges : révision de vie, lectio divina, travail, animation de la prière, services (Am) ; étude et recherche, avec une animatrice choisie par le groupe (CAf).

Selon deux réponses, il y a danger de cloisonnement ou de fossés entre les groupes ; ils peuvent dégénérer en petits clans ou chapelles (Am ; CA ? f). Aussi faut-il créer des passerelles, favoriser les échanges entre les différents groupes (Am).

III. Quelques réflexions

Nous voudrions livrer certaines réflexions que paraissent susciter les réponses dont nous venons de rendre compte. Nous indiquerons encore parfois certains points signalés par nos correspondants qui dépassent généralement la portée des questions posées.

A. Ainsi que le dit une des réponses, il faut au problème une solution pluraliste. Les options à faire varient selon le point de vue que l’on prend, selon le caractère (contemplatif ou apostolique) et la vie des familles religieuses (Cf), selon les pays ou les milieux (Am). De plus, il faudrait des constitutions adaptées aux diverses formules (d’après Cf).

B. Il faut toujours un grand souci d’ authenticité. Toutes les réponses reçues manifestent cette préoccupation.

1°) Authenticité de la vie de communauté comme telle.

Ayant pour rôle de rendre publiquement témoignage à la charité de Dieu dans le Christ, une communauté religieuse ne peut être une pure juxtaposition d’individus. Elle droit permettre à ses membres de se valoriser personnellement au mieux par leurs relations mutuelles, de se connaître, de s’entraider en tout, de communier les uns aux autres dans une solidarité dans le Christ aussi poussée que possible.

Selon la plupart des réponses reçues, ceci est plus aisé, si pas réalisable uniquement, dans de petites communautés. Faudrait-il donc supprimer toutes les communautés nombreuses ? Nous ne le pensons pas. Il faut, certes, rendre possible une bonne connaissance et prise en charge mutuelle, mais elle ne doit pas nécessairement exister entre tous les habitants d’une maison. Il nous paraît suffire qu’elle existe au sein de sous-groupes constitués dans une grande communauté. L’on peut alors bénéficier de la plupart des avantages reconnus à celle-ci : enrichissement résultant d’un plus grand nombre et d’une plus grande diversité de membres, services communautaires et apostoliques mieux assurés, vie religieuse plus aisément équilibrée et mieux résistante aux influences « mondanisantes ». D’autre part, la formule permet aux membres d’une communauté nombreuse de trouver dans leur sous-groupe un style de vie familial et fraternel et une responsabilité solidaire. La vie en grande communanté en est d’autant personnalisée.

Il faut cependant essayer que les vastes communautés ne soient pas trop alourdies, au détriment des facultés d’initiative et de création. Il ne faut pas non plus une communauté si nombreuse que le supérieur ne puisse connaître personnellement ses frères ou ses sœurs ni ne puisse leur être assez accessible pour être vraiment animateur.

Une réponse a souligné que le style de vie de la communauté dépend plus de son supérieur que de sa dimension.

La chaleur humaine dépend beaucoup du supérieur et de l’organisation. S’il a le souci et le zèle de ses fonctions, il crée le climat, que l’on soit 25 ou 50. Si petite que soit la communauté, elle et ses membres ne s’épanouiront pas sans lui (Cf).

Ces lignes soulignent avec raison le rôle très important du supérieur : il peut réussir à être au nom de Dieu un soutien et un stimulant efficace, non seulement pour chacun de ses frères, mais aussi être l’âme créatrice d’une authentique fraternité, même nombreuse. N’y a-t-il pas cependant, dans les petites communautés et, dans une certaine mesure, dans les sous-groupes des grandes, une attention mutuelle des frères qui, sans en éliminer la nécessité, ne remplace pas la sollicitude du supérieur le plus capable ?

Concernant l’exercice de l’autorité à l’égard des petites fraternités, l’on peut se demander quelle formule adopter. Ces groupes pourraient avoir chacun un véritable supérieur local. L’on pourrait aussi nommer un vice-supérieur, agissant au nom d’un supérieur local (p. ex., d’une communauté plus vaste se trouvant à proximité) ou du supérieur majeur. Ou bien un certain nombre de petits groupes vivraient sans la présence constante d’un supérieur, mais auraient des contacts fréquents avec un supérieur local (p. ex., d’une maison dont leurs membres feraient juridiquement partie) [5]. Notons encore une fois ici que, en se chargeant les uns des autres, les membres d’une fraternité jouent un rôle qui incombait autrefois à peu près exclusivement au supérieur. Celui-ci peut donc être l’animateur d’un nombre relativement élevé de religieux répartis en petites communautés. Encore faut-il qu’il puisse suffisamment les connaître et s’en occuper.

Quant aux petites communautés, il est fort important, on l’a vu plus haut, qu’elles ne comprennent pas de sujets lourds à porter. Si l’organisation des communautés dans un institut est telle que ces sujets seront partout un poids qui ne peut être supporté, il y aurait là un motif valable de les faire rentrer dans le monde.

Il importe d’organiser les petites communautés de façon à ce que les membres puissent s’enrichir les uns les autres humainement et spirituellement. S’il sont en nombre restreint, il faut pouvoir remédier à l’inconvénient d’échanges qui se font toujours entre les mêmes personnes. L’on peut songer à des contacts réguliers avec d’autres petites fraternités ou de grandes communautés du même institut, ou bien avec des communautés d’autres Ordres ou Congrégations. Il sera bon aussi de changer de temps à autre la composition des petites fraternités.

2°) Il faut veiller à l’authenticité du témoignage à donner par la communauté.

Le témoignage d’une véritable fraternité paraît aisément lisible dans le cas des petits groupes. Ils peuvent s’insérer dans les mêmes conditions de logement, de travail et de vie que le commun des gens, surtout dans les mêmes conditions que les moins riches. Ils sont à même aussi de s’adapter au milieu. Ce sont là d’incontestables avantages. Un vaste groupement donne une impression de puissance et isole aisément de la population ambiante. N’y a-t-il cependant pas moyen de remédier à ces inconvénients en suscitant un style de vie simple, fraternelle et ouverte ? Si l’on y réussit, des contacts s’établiront entre les religieux et les hommes vivant dans leur voisinage. L’ampleur des bâtiments et du groupe apparaîtra mieux alors comme un service et un signe du Royaume auquel la multitude des hommes est appelée. Ne faut-il pas déjà, en ces temps d’attente du dernier jour, des signes visibles de la grande communauté des rachetés ? Mais il faut pour cela tout un style de bâtiments et de contacts au dedans et au dehors. Il faut une vie de communauté personnalisée et familiale, perceptible aux yeux des hommes, qui soit signe de la communion avec lui et entre nous à laquelle Dieu nous convie.

3°) Nécessité de sauvegarder l’authenticité de la vie religieuse.

Il peut paraître aisé à un petit groupe de religieux inséré en pleine pâte humaine d’incarner la simplicité de l’évangile. Mais il doit être fort en garde contre les influences « mondanisantes » auxquelles il est exposé. Il doit être une fraternité où l’on s’aime à cause du Christ et en lui, au-delà de relations simplement humaines de la chaleur desquelles on se satisfait dans un égoïsme subtil, qui se décourage lorsque cette chaleur n’est plus sensible. Il faut être en garde contre un souci d’efficacité humaine alors que la communauté religieuse ne peut être que l’œuvre de Dieu, contre une certaine recherche des aises que l’on croirait pouvoir admettre par un souci de charité ou d’adaptation mal compris.

Ceci fait saisir toute l’importance de la formation de ceux qui vivront en petite fraternité. Ils doivent être formés à toujours personnellement opter pour l’Évangile, pour un radical renoncement à eux-mêmes pour l’amour de Dieu et des autres dans le Christ.

Selon une des réponses, la formation des nouveaux venus semble devoir se faire dans une grande communauté (Am). Ceci ne nous paraît pas toujours nécessaire. Seraient suffisamment formatifs, croyons-nous, le contact avec un maître bien choisi et la vie dans des communautés ayant résolument opté pour une vie vraiment religieuse et l’esprit propre de l’Ordre ou de la Congrégation. Une formation donnée en petite fraternité aurait l’avantage de mieux se faire au contact des réalités humaines. L’on pourrait en tout cas envisager avec profit des stages dans de petites communautés.

Un mot à propos d’un point particulier, celui de la pauvreté. Peut-elle n’être vraiment responsable que dans les petites communautés ? Ce n’est pas sûr. Dans les grandes maisons, l’on peut constituer de petits groupes avec leur budget propre et il doit y avoir moyen de faire partager par tous la responsabilité économique de l’ensemble.

4°) Il faut toujours pourvoir à une prière authentique.

Il y a d’abord la nécessaire prière personnelle, que ne peuvent empêcher les locaux, le rythme et le style de vie. Il faut notamment des groupes suffisamment fournis pour que, les services communs n’étant pas trop lourds, chacun puisse avoir suffisamment de temps et de liberté pour s’entretenir avec Dieu.

Du point de vue de la prière communautaire, certaines réponses, on l’a vu, voient dans les groupes nombreux l’avantage de pouvoir l’assurer facilement. Beaucoup de petites fraternités peuvent sans doute aisément pourvoir à leur propre vie liturgique. Mais n’est-il pas opportun qu’il y ait aussi de vastes communautés religieuses qui récitent l’Offre et célèbrent l’Eucharistie ? Ne sont-elles pas un signe expressif de la totalité du Peuple de Dieu appelé à célébrer la liturgie de maintenant et de l’éternité ? Telle peut être la vocation propre de certaines familles religieuses. Mais il faut, pour que leur participation à la liturgie soit vraie, que ces grandes communautés soient organisées de façon à êtres personnalisantes et vraiment fraternelles.

5°) Il faut tenir compte des exigences de l’apostolat.

De ce point de vue, il faut souligner la valeur apostolique des petites communautés. Étant plus aisément de vraies fraternités où l’on se connaît et s’épaule, elles sont aussi plus facilement le signe auquel l’on reconnaît les disciples du Christ. Elles s’insèrent avec moins de peine dans les groupes humains à évangéliser.

Par ailleurs, selon les réponses reçues, même de partisans de petites communautés, une action apostolique requiert un nombre suffisant de personnes, qui peut aisément faire défaut dans les groupes restreints, qui souffrent alors de surcharge et d’essoufflement.

Ne pourrait-on trouver une solution grâce à une distinction entre, d’une part, l’action apostolique, qui se ferait en des bâtiments plus vastes où se réuniraient à cet effet les membres de plusieurs groupes et, d’autre part, la vie de communauté, qui serait vécue en petite fraternité ? L’apostolat peut même être exercé en collaboration avec des religieux d’autres instituts, des prêtres séculiers ou des laïcs.

Cette formule peut être valable en pas mal de cas. Notons cependant l’avantage qu’il peut y avoir aussi à ce qu’un service hospitalier, d’enseignement ou autre, soit exercé exclusivement par une communauté. N’y a-t-il pas alors une heureuse unification entre l’apostolat et la vie ensemble ? L’apostolat est alors l’œuvre de toute une fraternité constamment vécue et se renforce du témoignage qu’elle donne, avec, au surplus, l’avantage d’un même esprit propre, dont l’apostolat peut être très heureusement marqué. Encore faut-il, bien sûr, que l’on veille à une vie suffisamment familiale et fraternelle. Tout cela est question de judicieux équilibre.

C. Quelques problèmes concrets :

1°) Il y a, rappelons-le, celui de la charge de la cuisine dans les petites communautés.

2°) Ainsi que le signale une réponse, il faut être attentif à la question des lectures, si importantes pour l’information, la vie intellectuelle et spirituelle. Dans un petit groupe, une bibliothèque n’aura guère de clients et de ressources (CAf). Aux intéressés de voir ce qu’il convient de faire dans ce domaine.

3°) Comment constituer les petits groupes ?

Envisageons d’abord la division des grandes communautés en groupes plus restreints, soit sous un même toit, soit en des maisons différentes. Il paraît légitime que l’on exprime aux supérieurs certains désirs au sujet de ceux avec qui l’on voudrait vivre ou... ne pas vivre. Mais la répartition doit, en fin de compte, être l’œuvre du supérieur ayant tout pesé dans le Seigneur. Il peut être opportun de la modifier régulièrement. Un religieux ne peut choisir ceux avec qui il vivra, ni exclure certains frères. Il doit accepter ceux que le Christ lui donne comme compagnons. Il est évidemment parfois humainement impossible de vivre avec certains. Il appartient alors au supérieur de pourvoir à la situation.

Autre chose est l’entrée de nouveaux venus dans de petites communautés déjà constituées. Aux supérieurs de déterminer celles auxquelles ils appartiendront.

4°) Un grave problème est celui des religieux malades ou âgés. Comment en prendre soin dans une petite communauté ?

On entend parfois dire que les religieux pourraient finir leurs jours à l’hospice. Mais un religieux n’a-t-il pas droit, en vertu même de l’alliance de la profession conclue avec son Ordre ou sa Congrégation, de passer toute son existence en compagnie des frères ou des sœurs auxquels il s’est donné et qui l’ont entièrement pris en charge ? Il faudrait trouver une ou des solutions qui respectent ce droit. Créer une maison de retraite commune à plusieurs communautés ou inter-congrégations ne semble guère opportun. Il y règne aisément un climat psychologique peu heureux. Mieux vaut mettre les religieux âgés dans des communautés où la vie leur soit possible, si vastes qu’elles doivent être pour qu’ils puissent y trouver tous les services nécessaires. Ils jouiront ainsi d’un contact bienfaisant avec leurs frères ou leurs sœurs en pleine force. Le recrutement des Ordres et des Congrégations étant en baisse pour le moment, il faut prévoir des maisons qui pourront abriter dans leurs vieux jours ceux qui, dès maintenant ou dans un proche avenir, vivront, en petite communauté.

D. C’est dans le respect de tous qu’il faut entreprendre recherches et changements. Une réponse dit qu’il faut tenir compte de ce qui existe et respecter l’ensemble des membres, avec la diversité de leurs aspirations et de leurs difficultés.

« Il ne faut pas briser des Sœurs, manquer à la charité fraternelle, sous prétexte d’expériences nouvelles de vie communautaire » (CAf).

Nous ne prétendons pas avoir touché tous les aspects du problème de la dimension des communautés. Vie consacrée serait heureuse de continuer à aider le dialogue sur cette question d’importance majeure pour la vie religieuse aujourd’hui.

Sl.-Jansbergsteenweg, 95
Leuven (Belgique)

[1P. 119.

[2Nous n’avons donc pas reçu de réponse d’institut féminin de caractère nettement apostolique.

[3Les Fils de saint François qui nous ont répondu sont particulièrement sensibles à ces inconvénients.

[4Une communauté toutefois a organisé avec fruit des groupes d’étude et de recherche.

[5Il serait intéressant de rechercher comment vivaient autrefois les petits prieurés et comment se traduisait concrètement leur lien avec une abbaye.

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