Les unions d’Instituts
Émile Bergh, s.j.
N°1968-5 • Septembre 1968
| P. 269-282 |
Parmi les mesures envisagées par le décret Perfectae caritatis pour le renouveau adapté de la vie religieuse, il en est une de particulière importance, savoir les Unions entre Instituts. Nous voudrions, dans les pages qui suivent, présenter ces dispositions ; illustrer par quelques exemples diverses formes d’unions réalisées en ces dernières années ; suggérer d’autres modes de regroupement, qui paraissent répondre à l’intention générale du décret Perfectae caritatis : le renouveau spirituel dans la fidélité au charisme des fondateurs.
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Parmi les mesures envisagées par le décret Perfectae caritatis pour le renouveau adapté de la vie religieuse, il en est une de particulière importance, savoir les Unions entre Instituts [1]. Le décret en parle en des textes qu’il convient de reproduire intégralement :
21. Aux instituts et monastères qui, après consultation des Ordinaires locaux compétents, ne présentent pas, au jugement du Saint-Siège, d’espoir fondé de vitalité future, on devra interdire de recevoir à l’avenir des novices et, si c’est possible, on les unira à un autre institut ou monastère plus florissant, dont le but et l’esprit se rapprochent des leurs.
22. Selon l’opportunité et avec l’approbation du Saint-Siège, les instituts et les monastères autonomes auront à promouvoir entre eux des fédérations, si de quelque manière ils appartiennent à la même famille religieuse ; ou des unions, s’ils ont des constitutions et des usages presque identiques et sont animés du même esprit, surtout lorsque leurs dimensions sont restreintes ; ou encore des associations, s’ils s’occupent d’œuvres extérieures identiques ou similaires.
Le Motu proprio Ecclesiae sanctae du 6 août 1966 fournit sous le titre De l’union et de la suppression des Instituts d’utiles directives sur la façon de procéder en la matière :
39. Pour promouvoir entre instituts une union de quelque genre que ce soit, il faut une préparation convenable, spirituelle, psychologique, juridique, dans l’esprit du décret Perfectae caritatis. Dans ce but, il sera souvent opportun pour les instituts de se faire aider par un conseiller, approuvé par l’autorité compétente.
40. Dans ces cas et circonstances, il faut avoir en vue le bien de l’Église, tout en tenant compte néanmoins du caractère propre de chaque institut et de la liberté de chacun des membres.
41. Parmi les critères qui peuvent concourir à se former un jugement sur la suppression d’un institut ou d’un monastère, après avoir pesé toutes les circonstances, on retiendra les points suivants surtout s’ils se réalisent simultanément : le petit nombre de religieux relativement aux années d’existence, le manque de candidats pendant plusieurs années, l’âge avancé de la majeure partie des membres.
Si on doit en venir à la suppression, on s’arrangera pour que, « si possible, on s’agrège à un autre institut ou monastère plus florissant, dont le but et l’esprit ne sont pas fort différents » (P.C. 21). Que chaque religieux soit entendu au préalable et que tout se fasse dans la charité.
Nous voudrions, dans les pages qui suivent, présenter ces dispositions ; illustrer par quelques exemples diverses formes d’unions réalisées en ces dernières années ; suggérer d’autres modes de regroupement, qui paraissent répondre à l’intention générale du décret Perfectae caritatis : le renouveau spirituel dans la fidélité au charisme des fondateurs.
En 1955, nous avons donné dans la Revue des Communautés religieuses, pp. 164-170, une étude intitulée Fusion de Congrégations. Qui la relirait, constaterait que les considérations de cette époque n’ont rien perdu aujourd’hui de leur valeur. Au contraire, certaines d’entre elles, par exemple sur la préparation progressive d’une fusion, sont consacrées par les Normes. Mais ce qu’il est très important de noter c’est que l’Église elle-même, dans la conjoncture solennelle d’un Concile, a jugé opportun de favoriser le mouvement d’union. Elle le fait, nous allons le voir, avec prudence et délicatesse, vu la gravité de la matière, mais sa pensée n’est pas douteuse : pour un plus grand bien commun, pour la vitalité de certains Instituts, il faudra entrer courageusement dans ce processus, parfois nécessaire ou en tout cas vraiment utile.
I. Présentation des dispositions récentes
Nous suivrons le développement logique des idées plutôt que les articles où elles sont exprimées et cela en unissant étroitement les normes concrètes d’exécution aux dispositions plus générales du décret.
Nous voici tout d’abord (P.C. 21) en présence des Instituts (Ordres, Congrégations, Sociétés sans vœux publics, en principe même Instituts séculiers) [2] et des monastères autonomes dont la vie est languissante [3] et qui ne fournissent pas d’espoir fondé de reprise. La conduite que le Concile propose à leur égard est d’abord d’interdire qu’ils reçoivent encore des novices. C’est là pure justice et charité à l’égard des candidats. On ne peut admettre de les voir s’engager dans un genre de vie où ils ne pourront pas rendre à Dieu toute la gloire, ni à l’Église tout le service dont ils sont capables, ni épanouir leurs talents spirituels ou naturels. En permettant que des Instituts de ce genre se maintiennent, l’Église manquerait à sa mission.
Remarquons cependant la prudence du législateur. C’est uniquement si l’Institut ne présente pas « d’espoir fondé de vitalité future » qu’il faut lui interdire de recevoir des novices. L’appréciation de ce regain possible de vie ne sera pas toujours aisée. Aussi faudra-t-il chercher lumière auprès des Ordinaires locaux intéressés [4]. D’après le texte, il nous paraît que c’est au Saint-Siège, à savoir à la S. Congrégation des Religieux, qu’il revient de décider de la fermeture du noviciat, même pour une Congrégation de droit diocésain [5].
L’interdiction de recevoir des novices entraînerait nécessairement, à un délai plus ou moins long, la disparition de l’Institut. C’est pourquoi l’on suggère de réaliser « si possible » l’union à un Institut plus vigoureux, dont le but et l’esprit ne sont pas trop différents. Les mots « si possible » couvrent évidemment de multiples hypothèses. La plus douloureuse serait qu’aucun autre Institut ne se montre disposé à s’adjoindre celui qui périclite. Peut-être y a-t-il eu parfois de regrettables timidités en cette matière, où par ailleurs peut s’exercer une haute charité.
C’est ici le moment de faire appel au n. 41 des Normes d’exécution, qui propose un critère pour juger de l’opportunité d’une suppression d’institut [6]. Trois éléments, surtout s’ils se réalisent simultanément, sont à retenir : le petit nombre de religieux relativement aux années d’existence [7], le manque de candidats pendant plusieurs années, l’âge avancé de la majeure partie des membres [8].
Le texte de ce n. 41 demande que l’on tienne compte de toutes les circonstances et admet d’autres critères que ceux qu’il propose. Il semble p. ex. qu’un défaut grave de sujets aptes au gouvernement ou aux tâches de formation, joint à la langueur de l’esprit religieux, justifierait l’interdiction de recevoir des novices et rendrait souhaitable l’adjonction à un autre Institut.
Le décret P.C. (n. 21) et les Normes (n. 41) préfèrent à la suppression pure et simple – qui probablement entraînera des dommages assez sérieux – l’union à un autre Institut de but et d’esprit assez analogues.
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Mais à côté de ce que l’on pourrait appeler « l’opération-sauvetage » le Concile a demandé de façon positive, mais discrète il est vrai, que l’on favorise des fédérations, unions, associations d’instituts : « Les Instituts... auront à promouvoir entre eux des fédérations... ou des unions... ou encore des associations... » (P.C. n. 22, ultérieurement commenté aux nn. 39 et 40 des Normes). Les raisons d’être de cette directive sont assez évidentes. La diminution des vocations jointe à la multiplication des œuvres risque d’amenuiser et d’épuiser certains Instituts. Ils deviennent incapables d’assurer la bonne formation de leurs sujets, le renouvellement régulier du cadre des Supérieurs. Par ailleurs, l’on constate qu’historiquement des familles religieuses sont sorties d’une source commune, qu’il existe entre elles de réelles similitudes. Un rapprochement ne ferait que réduire la dépense inutile de certains organes dédoublés (Conseil généralice, personnel de formation) et donnerait à l’ensemble la possibilité d’envisager des œuvres plus universelles, entre autres au profit des missions. La collaboration apparaît de plus en plus opportune dans un monde qui tend à s’unifier. Certes elle existe déjà parfois au niveau des œuvres et d’une action commune. Il paraît être dans la logique surnaturelle de la vie religieuse qu’elle conduise à une union plus profonde.
Nous n’en dirons pas plus pour l’instant sur l’opportunité de ces rapprochements. Dans un moment, en traitant des diverses formes d’unions réalisées ces dernières années nous aurons l’occasion de mieux faire saisir leur utilité.
Ce qui doit dominer toute la question « c’est le bien de l’Église » (Normes, n. 40). On ne saurait trop insister sur ce point. La rénovation adaptée des Instituts est voulue par l’Église pour une meilleure réalisation de sa mission à elle.
A maintes reprises dans la constitution Lumen Gentium (nn. 43-47) et dans le décret Perfectae caritatis, le caractère ecclésial des Instituts religieux a été souligné plus qu’il né l’était jadis. Il y va de la sainteté de l’Église que la vie religieuse rayonne dans le monde l’idéal évangélique. Comme la ferveur intérieure et l’activité apostolique d’un Institut sont totalement au service de l’Église – locale et universelle –, ainsi le maintien de cet Institut ou son union à un autre doivent être examinés en fonction du plus grand bien de l’Église.
On est frappé en même temps du respect manifesté « pour le caractère propre de chaque Institut » (Normes n. 40), ce qui fait souhaiter p. ex. que l’on cherche à se joindre à une congrégation d’orientation analogue (P.C. nn. 21-22).
Les documents ne perdent pas de vue non plus le caractère parfaitement libre qu’a dû présenter la profession faite dans un Institut déterminé. C’est à ce genre de vie-là qu’on s’est engagé. Aussi faudra-t-il tenir compte de la liberté de chacun des membres (Normes n. 40). « Chaque religieux devra être entendu au préalable » (Ibid., n. 41). Cela impliquera normalement une information suffisante sur le genre de vie que l’on songe à adopter [9] et l’émission d’un vote secret. De longue date, la jurisprudence a établi cette procédure et nous croyons que si de notables divergences se manifestaient au scrutin le Saint-Siège écarterait ou retarderait le projet d’union.
On constate d’ailleurs avec intérêt qu’une préparation convenable des esprits est souhaitée par les Normes elles-mêmes (n. 39). Cette préparation on la désire :
a) « spirituelle ». Cela entraîne non seulement la nécessité de la prière pour connaître la volonté divine, mais aussi un désir ardent de procurer la plus grande gloire de Dieu, le meilleur service de l’Église, le bien des âmes religieuses intéressées ; cela comprend aussi l’attitude d’humilité et de renoncement réclamée en ces circonstances parfois pénibles. Les Normes (n. 41) demandent expressément « que tout se fasse dans la charité ». Car à quoi servirait un décret « d’union juridique » s’il n’avait comme origine et comme résultat une charité unissant un plus grand nombre de consacrés au service de la charité infinie et universelle ?
b) « psychologique ». On devine sans peine le heurt très douloureux que pourrait causer la présentation trop brusque de l’éventualité d’une fusion à une Congrégation qui n’y a pas été quelque peu préparée. Le Conseil généralice conscient de la nécessité d’une mesure de ce genre devrait procéder d’abord plus par interrogations, insinuations, que par déclarations tranchantes. Ménager des contacts entre les deux familles intéressées à l’occasion de détentes, de récollections, de retraites est une façon toute normale de se connaître, de se comprendre, de s’estimer. On remarque souvent que c’est au niveau des jeunes que le rapprochement est plus facile et que l’opportunité de certaines solutions graves est mieux saisie. Cela se comprend facilement parce qu’ils sont moins enracinés dans un genre de vie déterminé.
Notons en passant que la préparation sérieuse du Chapitre général spécial doit avoir été une occasion normale de faire surgir le problème de l’avenir.
c) « juridique ». Nous pensons que sous ce terme il faut comprendre les contacts avec les Ordinaires intéressés pour solliciter leur avis ; les contacts aussi entre les Conseils généraux intéressés, la communication des Constitutions, des renseignements d’ordre économique, la discussion s’il y a lieu de la forme d’union, d’après ce que nous dirons à l’instant. A la préparation juridique appartient encore un premier sondage des opinions, ou en tout cas ce suffrage secret dont nous venons de parler et qui doit précéder l’introduction de la demande officielle auprès du Saint-Siège.
Comme cette préparation multiforme demande du discernement et de la persévérance, on comprend que l’aide d’un conseiller approuvé par l’autorité compétente soit souhaitable (Normes, n. 39). On pourra demander cet assistant p. ex. aux Unions des Supérieurs Majeurs.
2. Réalisations diverses
En recourant aux textes que nous venons de commenter et aux réalisations des dernières années il y a moyen de donner une idée plus exacte de la grande variété des formules possible d’unions. Le texte des Normes (n. 39) ne parle-t-il pas lui-même d’« union de quelque genre que ce soit ». Le décret Perfectae caritatis indique au n. 22 certains caractères distinctifs des « associations », « fédérations », « unions », mais n’entend pas fournir une définition précise de ces termes. Il semble d’ailleurs qu’ils indiquent plutôt des types assez généraux sous lesquels il y a place pour des applications nuancées. Voyons la chose de plus près.
L’Association
L’Association est le groupement de deux ou de plusieurs Instituts, qui a pour but de les faire s’entraider. Le décret P.C. n. 22 parle d’associations dans le cas « d’identité ou de similitude des œuvres externes auxquelles ces Instituts s’appliquent ». Mais on peut l’envisager dans d’autres hypothèses. L’association semble convenir particulièrement à des cas où l’on ne peut entrevoir encore une fédération, ou une union, mais où cependant un premier rapprochement veut s’exprimer déjà en une forme juridique.
Nous avons sous les yeux le texte d’une convention approuvée par la S. Congrégation des Religieux au début de 1968 pour une « Association », d’abord temporaire pour trois ans, sous forme d’expérience, entre une grande Congrégation active et un Institut contemplatif de droit diocésain, comportant un seul monastère. Voici les dispositions principales de cette convention d’association :
Respect de la physionomie propre aux deux Congrégations, chacune gardant sa spiritualité, ses œuvres, et conservant à sa tête une Supérieure Majeure assistée d’un Conseil.
Chaque Congrégation reçoit ses aspirantes et leur assure une formation dans la ligne de sa spécificité.
Les liens juridiques créés par l’Association se répercutent essentiellement au plan spirituel, les deux Congrégations formant pour ainsi dire une même famille.
Une aide s’établit entre les deux, tant au plan spirituel et apostolique qu’au plan matériel, en particulier :
- Rencontres périodiques des Conseils des deux Congrégations, avec étude des problèmes concernant la vie religieuse et la formation des Sœurs.
- Entraide pour la formation des sujets (échanges de documents, sessions de formations, retraites spirituelles, etc.).
- Assistance matérielle.
Notons enfin cette clause pleine de respect pour l’esprit propre du monastère associé :
La Supérieure Générale des... et son Conseil déclarent expressément vouloir réserver à la Communauté de... toute liberté de s’orienter vers une autre solution le jour où, expérience faite, leur union à une Congrégation active apparaîtrait à ses membres ne pas répondre à leur attente.
La Fédération
La Fédération est une forme de rapprochement beaucoup plus élaborée déjà au point de vue juridique. L’art. 22 de P.C. préconise ce type lorsqu’il s’agit « d’instituts ou de monastères autonomes qui appartiennent en quelque façon à la même famille religieuse ».
C’est évidemment cette note d’appartenance à un même Ordre qui a joué dans le grand mouvement de fédérations qui a suivi la Constitution Sponsa Christi du 21 novembre 1950. Les documents du Saint-Siège [10] et l’activité de la S. Congrégation des Religieux ont manifestement encouragé ce mouvement, dans lequel on doit voir un premier effort de renouveau de la vie religieuse, au niveau tout au moins des moniales.
Sans qu’on ait défini expressément à cette occasion le terme « fédération », on a pu dégager assez facilement les éléments essentiels de l’institution : une fédération de moniales est un groupement de plusieurs monastères du même Ordre qui, gardant leur autonomie, s’unissent, selon des Statuts particuliers, sous une même Supérieure majeure [11], dans un but d’entraide et de collaboration au point de vue spirituel, disciplinaire, économique [12].
L’érection des fédérations et l’approbation des Statuts relèvent de la S. Congrégation des Religieux. Les Statuts sont de grande importance pour fixer la physionomie des fédérations, qui comportent pas mal de variétés sur un fond assez commun.
Le mouvement de fédérations des monastères de moniales déclenché en 1951 avait abouti déjà à la fin de 1967 à la constitution de 142 fédérations groupant 1781 monastères. En l’année 1967, six fédérations ont été réalisées ; cela semble une reprise, consécutive à Perfectae Caritatis, du mouvement ralenti entre 1961 et 1966 [13].
Les fédérations peuvent être réalisées non seulement entre monastères de moniales [14], mais aussi entre Congrégations religieuses de droit pontifical ou de droit diocésain. De 1965 à 1967, six fédérations de Congrégations féminines ont été constituées [15].
Une fédération de six Instituts masculins de France a été réalisée en date du 25 janvier 1967. Quatre de ces Instituts sont de droit pontifical [16], les deux autres sont de droit diocésain [17]. La « Fédération de Notre-Dame », qui en est résultée et compte ainsi plus de 400 membres, prévue pour dix ans, pourra être poursuivie, interrompue ou changée en forme plus stricte [18].
Nous empruntons aux Statuts d’une des Fédérations de Sœurs les précisions juridiques que voici, qui fixent assez nettement la physionomie de cette forme de groupement.
Les Congrégations et les communautés autonomes qui composent la fédération restent ce qu’elles sont et gardent leur dénomination, leur autonomie et leur indépendance, leur gouvernement immédiat par leurs Supérieures majeures, leurs relations actuelles avec les Ordinaires diocésains. Chaque Congrégation fédérée reste libre de demander en tout temps son détachement de la Fédération.
Un « Conseil de la Fédération » prend celle-ci en charge. Il est constitué par les Supérieures générales en fonction et une déléguée par Congrégation. Ce Conseil se réunit une fois par an pour désigner sa Présidente, choisie à tour de rôle parmi les Supérieures générales. Il établit le thème qui devra être étudié pendant l’année et discuté à la réunion suivante. Il traite des affaires de la Fédération et fixe le montant de la contribution de chaque Congrégation à la caisse de la Fédération. La Présidente, qui n’est qu’une première entre des égales, convoque et préside le Conseil, lui soumet tout ce qui a trait aux affaires de la Fédération. Elle n’a aucun pouvoir de Supériorat sur les Congrégations autres que la sienne, ni sur leurs sujets.
Pour atteindre sa fin qui est de cultiver l’esprit de la Fondatrice et s’entraider sur le plan religieux, apostolique, professionnel la Fédération se propose :
- de favoriser la vie spirituelle par des rencontres et, éventuellement, par des Retraites communes,
- de pourvoir à une meilleure formation professionnelle, par des sessions sur le plan technique,
- de faire profiter chaque Congrégation ou Communauté de l’expérience et des facilités des autres,
- de favoriser la collaboration sur le plan missionnaire,
- de suppléer aux difficultés pouvant naître de l’isolement des Maisons,
- de donner à chaque Congrégation la possibilité de recevoir dans son Noviciat les candidates destinées à d’autres Congrégations fédérées,
- de permettre le prêt ou l’échange de sujets, ce qui ne se fera qu’avec le consentement des Sœurs intéressées :
- soit pour une raison de formation ou de spécialisation,
- soit pour un motif de santé,
- soit pour une raison d’entraide.
L’Union
D’après P.C. n. 22 l’union est le regroupement « d’instituts qui ont des constitutions et des usages presque identiques et sont animés du même esprit ». Ces unions doivent être spécialement prises en considération « lorsque leurs dimensions sont restreintes ». Laissant de côté pour l’instant l’union extinctive qui s’appellera plus exactement fusion, nous envisagerons ici le cas des Instituts qui se groupent entre eux pour en former un nouveau. C’est une union au sens le plus heureux du mot, puisqu’elle réalise l’apport intéressant de chacun à la constitution d’un nouveau tout. On est en droit d’en attendre un regain de vitalité pour chacun des Instituts intéressés.
L’on a souvent cité à ce sujet la Congrégation Romaine de Saint-Dominique issue de l’Union de quatre Congrégations dominicaines de France. Plus près de nous, trois Congrégations de la Retraite à savoir la Retraite du Sacré-Cœur d’Angers, la Congrégation du même titre de Bruges et les Filles de la S. Vierge de la Retraite de Vannes ont réalisé leur union en mai 1966. Ce regroupement avait été préparé entre autres par la rédaction en commun d’une Charte, ébauche des futures Constitutions d’une unique « Congrégation de la Retraite » [19].
Pour montrer la souplesse des formules juridiques, citons l’exemple de monastères fédérés qui ont réalisé une union plus étroite sous un gouvernement centralisé. En 1949 s’était constituée la Fédération française de l’Ordre de N.D. de Charité du Refuge, à laquelle d’ailleurs s’étaient rattachés des monastères espagnols et mexicains du même Ordre. Avec les autorisations nécessaires, le Chapitre spécial de 1967 a examiné la question de savoir s’il convenait pour une meilleure adaptation de l’Ordre à sa mission et aux exigences de l’heure de passer du régime de fédération à celui d’union. Une consultation préalable auprès de toutes les Sœurs des divers monastères avait permis de constater que 95 % le désiraient. À la quasi-unanimité (38 voix sur 39), le Chapitre général a décidé le changement de la Fédération française en « l’Union latine [20] de l’Ordre de N.D. de Charité ». Le 3 octobre 1967, la S. Congrégation des Religieux sanctionnait ce changement.
La Fusion
Il s’agit ici de cette union de deux Instituts où la personnalité morale de l’un disparaît par incorporation à l’autre. Comme nous le faisions remarquer jadis [21], il faut considérer surtout l’aspect positif de cette démarche : c’est une transfusion de vie, le passage en groupe de religieux, parfois bien méritants, à un Institut qui est davantage capable de les soutenir dans leurs efforts spirituels et dans les œuvres qu’ils assument.
Ce que nous avons dit dans la première partie de cette étude, notamment au point de vue de la préparation psychologique et spirituelle, s’applique de manière spéciale ici. Personne n’aborde de gaieté de cœur un problème de ce genre et n’en poursuit patiemment l’exécution à travers de multiples difficultés. Abstraction faite de « l’union » en un corps nouveau, il semble bien cependant que la fusion est le procédé le plus efficace pour sauvegarder les valeurs essentielles de la vie religieuse chez les membres d’un Institut devenu débile. C’est d’ailleurs sous cette forme que le mouvement d’union entre Instituts s’est le plus fréquemment traduit en ces dernières années : en 1965, quinze fusions ; en 1966, treize [22]. Dans 18 cas sur 28, ce sont des Congrégations de France qui ont fusionné avec d’autres du même pays. Cela montre sans doute les difficultés propres à un pays où les vocations ont beaucoup diminué (à vrai dire n’est-ce pas une constatation à faire pour le plus gland nombre ?). Mais cela nous paraît aussi témoigner du sérieux avec lequel le problème du renouveau est étudié en France. On pourrait penser d’ailleurs que nous n’en sommes encore qu’aux premières manifestations d’un mouvement vraiment utile qui répond à des exigences objectives.
À côté des solutions que l’on vient de proposer, il y a d’autres manières de travailler au renouveau, dont il nous reste à parler.
3. Rapprochement selon les spiritualités
Les documents du Concile, Lumen gentium (chap. 6) et Perfectae caritatis, attachent une grande importance à « l’esprit propre » des diverses familles religieuses. Or cet esprit n’est pas à ce point tellement propre qu’on ne puisse le retrouver assez semblable dans d’autres Instituts. Songeons p. ex. aux Congrégations bénédictines s’inspirant de la Règle de saint Benoît, au grand nombre de familles franciscaines qui, à travers la Règle du Tiers-Ordre régulier, se rattachent profondément à l’esprit de saint François d’Assise.
On ne s’étonnera pas que, répondant à la grâce de l’heure et dans le désir de retrouver l’essentiel et de se le partager plus efficacement, se dessinent pour l’instant des mouvements pleins d’avenir. Nous voudrions en présenter quelques-uns, à titre d’exemples, bien certain d’être incomplet dans cette présentation. Nous recevrons avec vive reconnaissance les renseignements complémentaires qu’on voudra bien nous faire parvenir [23].
Ressourcement et regroupement franciscain
Il y a plus de dix ans, quelques Frères Mineurs de France sont entrés en dialogue avec des Congrégations féminines franciscaines. Ce fut d’abord sous la forme de récollections trimestrielles, dans une région de huit ou dix départements. Progressivement les récollections amenèrent des échanges. Un essai prématuré de fédération échoua. Mais l’œuvre était trop importante pour que les provinciaux franciscains de France et de Belgique ne la reprennent pas en mains vigoureusement. Réunissant des religieuses appartenant à des Congrégations comptant moins de 250 membres, on se mit à inventorier soigneusement le patrimoine spirituel de l’Ordre franciscain, ce qui aboutit à la publication d’une œuvre remarquable, L’Itinéraire Franciscain.
Nous ne pouvons entrer dans tout le détail des manifestations multiples de cette fraternité : retraite itinérante dans des sanctuaires franciscains et surtout à Assise ; sessions à Desvres et à Poissy, constitution en 1966 au Puy d’une Association Saint-François d’Assise « ni canonique, ni juridique, mais fraternelle », dont font partie sept Congrégations de France et de Belgique et dont les statuts ont été soigneusement élaborés [24].
[1] L’on emploie ici le mot « Unions » dans un sens générique qui appellera dans la suite des spécifications.
[2] Comme l’approbation de ces derniers est de date toute récente, il est très peu probable qu’on doive leur appliquer les prescriptions de l’art 21.
[3] « Languescentibus » : Ainsi dans les titres des schémas préparatoires de P.C.
[4] Ce point a été introduit à la dernière révision du texte, à la demande de 42 Pères conciliaires.
[5] Pour justifier cette manière de voir on peut recourir au c. 493 qui réserve au Saint-Siège la suppression des Instituts même de droit diocésain. L’interdiction de recevoir des novices est un stade préliminaire de la suppression, au moins lorsqu’elle n’est pas accompagnée de la fusion avec un autre Institut.
[6] Qu’on veuille bien toujours sous-entendre « ou d’un monastère », comme les documents le disent explicitement. En soi, la suppression d’un monastère de moniales tire moins à conséquence, nous semble-t-il, que celle d’un Institut. Les moniales peuvent être assez facilement accueillies dans un autre monastère de leur Ordre.
[7] Notons cependant que l’on peut rencontrer des Instituts d’implantation assez locale, qui ont toujours connu, dans une histoire déjà longue mais féconde, un nombre assez restreint de membres. « Petite congrégation » ne dit pas nécessairement « congrégation languissante ». Voir « Fusion de Congrégations », R.C.R., 1955, 165.
[8] Pour bien interpréter « la pyramide des âges » et en tirer des conclusions pour l’avenir d’un Institut, compte tenu évidemment du recrutement que l’on peut espérer, il faudra généralement recourir à des professionnels de la statistique. Voir p. ex. Léon de Saint Moulin, S.J., « L’évolution du nombre des religieuses en France et en Belgique », R.C.R,. 1963, 233-236.
[9] Il ne faut pas perdre de vue toutefois que l’essentiel (conseils évangéliques et vie commune) est substantiellement le même partout et que la sensibilité à l’égard d’observances secondaires différentes ne devrait pas faire échouer une union souhaitable et bénéfique. Voir Fusion de Congrégations, R.C.R., 1955, 167.
[10] La Constitution Sponsa Christi a été suivie à deux jours de distance (23 nov. 1950) par l’instruction Inter preclara de la S. Congrégation des Religieux. Voir R.C.R., 1951, 41-68.
[11] Il ne s’agit pas d’une Supérieure Générale, comme dans une Congrégation centralisée, mais d’une « Présidente », d’une « Visitatrice » ayant uniquement les pouvoirs qui lui sont conférés par les Statuts.
[12] R.C.R., 1951, 123.
[13] Nous empruntons ce renseignement-il une chronique du P. Alberto Barrios Moneo, C.M.F., Monasterios e Institutos federados, dans Vida religiosa, 1968, 267-271. D’après cette statistique, l’Espagne compte 637 monastères fédérés sur les 937 qui y existent. Viennent ensuite la France avec 361 et l’Italie avec 331 monastères fédérés.
[14] On sait que pour les moines la Congrégation monastique groupe plusieurs monastères autonomes sous l’autorité d’un Supérieur (c. 488, 2°), qui n’a cependant que les pouvoirs qui lui sont fixés par les Constitutions (c. 501, § 3). Le 21 mars 1952, a été constituée une Confédération des Congrégations monastiques de l’Ordre de Saint-Benoît (R.C.R., 1953, 65-71).
[15] En 1965, celle de 7 Congrégations de sainte Ursule d’Anne de Xainctonge (en préparation depuis 1960) ; en 1966, la Fédération italienne des Religieuses de S. Joseph (6 Congrégations) ; de même la Fédération du Canada des Religieuses de S. Joseph (6 Congrégations) ; la Fédération de sainte Angèle de Merici des Ursulines de France (Bayonne, Malet, Ispinac, Ambert, Monistrol s/Loire, Saint-Chamond) ; en 1967, la Fédération d’Australie et de Nouvelle Zélande des Religieuses de S. Joseph (5 Congrégations) ; la Fédération française des Religieuses dominicaines de S. Catherine de Sienne (Bourg-en-Bresse, Ambert, Passe-Prest, Sens, Pontcallec-en-Berne) (cf. Vida religiosa, 1967, 465 ; 1968, 271).
[16] Les Fils de Marie Immaculée (Luçon), les Missionnaires de l’immaculée Conception de Lourdes (Tarbes et Lourdes), les Religieux du S.C. de Jésus ou Pères de Timon-David (Marseille) ; l’Institut de l’Œuvre de la jeunesse de Jean Joseph Allemand (Marseille).
[17] Les Missionnaires de N.D. de la Délivrance (Bayeux et Lisieux), les Oblats réguliers de S. Benoît (Albi).
[18] Vida Religiosa, 1968, 175-176.
[19] De même, en 1965, les Sœurs Missionnaires de N.D. de la Salette et les Sœurs Réparatrices de N.D. de la Salette se sont unies sous le titre de Sœurs de N.D. de la Salette.
[20] L’Union compte en effet 14 monastères en France, 1 au Portugal, 3 en Espagne, 2 au Mexique, 1 aux États-Unis. Notons que le même Ordre comporte d’autres fédérations : anglaise, irlandaise, américaine.
[21] R.C.R., 1955, 165-168. Dans L’Année canonique, 1965, 9-20, le P. Agathange Bocquet, O.F.M. Cap., a traité de façon très précise de la procédure à suivre en cette matière, sous le titre De l’union extinctive d’une Congrégation religieuse à une autre.
[22] Nous empruntons ces chiffres, présentés comme officiels, à la Rivista delle Religiose, 1967, 302-303. Nous constatons toutefois dans la liste l’omission au moins d’une fusion, réalisée entre deux Congrégations françaises. Tous les protocoles d’exécution des fusions ne seraient-ils pas rentrés à Rome ?
[23] Ils peuvent être adressés à la Direction de la revue (N.D.L.R.).
[24] Ici s’arrête le manuscrit de cet article, que le P. Bergh espérait terminer pour ce numéro. Le Seigneur en a jugé autrement (N.D.L.R.).