In memoriam le père Émile Bergh, s.j. (1898-1968)
Alfred de Bonhome, s.j.
N°1968-5 • Septembre 1968
| P. 257-268 |
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Au terme d’une vie consacrée
Le 22 juillet dernier, Dieu a brusquement rappelé à lui le P. Émile Bergh. Vie Consacrée se voit privée de celui qui fut son directeur pendant près de 25 ans, et nombreuses sont les âmes et les communautés religieuses qui perdent en lui un conseiller au dévouement inlassable.
Durant la première quinzaine de juillet, le Père avait encore dirigé deux retraites en France. Il en revint fort fatigué. Trois jours plus tard, il fut transporté à Louvain, à la clinique des Sœurs Franciscaines. L’on fit un électrocardiogramme. Soudain le Père fut saisi d’un malaise qui s’avéra vite irrémédiable. Un confrère, appelé d’urgence, donna l’Onction des Malades à celui qui tant de fois était accouru au lit des mourants pour leur procurer ce réconfort du Christ. Tandis qu’on récitait les prières des agonisants, il paraissait devant Dieu. « Je n’ai plus que peu de temps à souffrir », venait-il de dire à la Sœur infirmière.
Trois jours après, ses obsèques eurent lieu au scolasticat jésuite d’Eegenhoven. Tous ceux qui y prirent part eurent l’impression d’être rassemblés par lui. Outre les confrères de sa communauté, sa famille, ses amis, des gens qu’il avait aidés de multiples façons, il y avait là une centaine de Sœurs. Leur présence était un témoignage reconnaissant rendu au dévouement multiforme du P. Bergh à la vie religieuse. Tandis que l’on procédait à l’inhumation dans le cimetière aménagé dans le jardin du scolasticat, des larmes coulèrent sur maints visages. Mais la paix et l’assurance de la récompense reçue de Dieu dominaient dans tous les cœurs.
Les étapes de sa vie
Émile Bergh naît à Gembloux, le 25 janvier 1898. Il se montre un enfant toujours égal à lui-même, sérieux, aimable, doux et très avenant. Il fait ses humanités à Liège, chez les Jésuites du Collège Saint-Servais, où il est toujours premier de classe. Du début de la guerre 1914 à février 1915, il se dépense sans compter au service des blessés. Puis il cherche à rejoindre le front. En 1916, il va passer la frontière hollandaise, quand il est arrêté et emprisonné, en Belgique, puis en Allemagne. L’étonnant apostolat qu’il exerça alors est presque entièrement resté son secret. La captivité altère pour toujours sa santé, ce qui n’empêchera pas une surprenante carrière de travail et de dévouement. Entré dans la Compagnie de Jésus au noviciat d’Arlon en 1919, il passe ensuite au scolasticat de Louvain pour sa philosophie et sa théologie, entre lesquelles s’intercale une « régence » à Anvers Saint-Ignace. Ordonné prêtre le 24 août 1930, il fait son troisième an à Tronchiennes sous la direction du P. J.-B. Herman. Puis il revient à Louvain, d’abord pour un doctorat en droit canon à l’Université [1], puis comme professeur de morale et de droit canon de 1936 à sa mort.
En 1945, il prend la direction de la Revue des communautés religieuses. Il ajoute à ces fonctions un volumineux courrier (consultations, lettres de direction) et de longs périples, qui occupent la majeure partie des vacances d’été : tout au long d’un itinéraire souvent sinueux, s’échelonnent retraites, sessions, conseils à donner à des communautés ou à des Congrégations. Dès avant Vatican II, de nombreux instituts, religieux ou séculiers, demandent son aide pour la révision de leurs constitutions. A cela s’ajoutent les multiples besoins spirituels et matériels qui savent pouvoir compter sur sa charité disponible et discrète. Seule la mort met un terme à cet inlassable dévouement.
Un apostolat multiforme
Pendant 37 ans, le P. Bergh a formé de jeunes Jésuites au sacerdoce. Son enseignement canonique a principalement porté sur les religieux et les sacrements. Il avait le don de dire clairement l’essentiel et il faisait bénéficier ses auditeurs de sa vaste expérience.
Le traité qui paraissait avoir sa faveur était la Pénitence. Il mettait à l’enseigner tout le zèle miséricordieux qui l’animait au confessionnal, où il aimait être l’instrument du Christ qui pardonne. Dans la formation pratique qu’il donnait au ministère de la confession, ses étudiants étaient frappés de sa bonté, de sa fermeté, de la justesse de ses solutions et de l’esprit profondément surnaturel qui les animait. Dieu avait doté le Père d’un charisme spécial pour préparer les mourants. « Je n’en ai pas vu un seul qui ait refusé le crucifix », me dit-il un jour.
Prêtre, croyant profondément à sa vocation d’instrument du Christ consacré et consécrateur des âmes au Père, le P. Bergh tint à servir ses confrères dans le sacerdoce. Il aimait leur donner la retraite. Il étendait cette sollicitude à des cas tragiques, et sut comprendre combien les circonstances avaient pu diminuer la responsabilité des intéressés. Il suggéra aux autorités romaines des remèdes appropriés, et l’on peut croire que les solutions libératrices qu’il en obtint eurent leur part d’influence dans la discipline plus souple adoptée par le Saint-Siège. Il aida aussi les Sœurs du Bon Pasteur dans leur difficile apostolat.
Modeste et humble, le P. Bergh partageait la prédilection du Christ pour les pauvres de Dieu, pour les simples et les petits. Avec l’aide de quelques personnes généreuses et dévouées, qui assuraient ne rien pouvoir lui refuser, il exerça pendant une trentaine d’années une charité discrète, à Louvain et en dehors, répondant en toute disponibilité à de multiples besoins, habituels ou occasionnels, auprès des pauvres, des vieillards, des malades, des mourants.
Au service de la vie religieuse
Religieux, le Père le fut dans le plein sens du mot. Une personne qui ne le vit qu’une seule fois, il y a dix ans, écrit : « Je n’ai jamais oublié l’impression qu’il m’avait faite d’un homme soucieux de Dieu..., impression qu’on n’a pas tellement souvent ». L’on sentait en lui une préoccupation d’absolue conformité à la volonté de Dieu, souci qui pouvait paraître minutieux, mais provenait, en fait, d’un attachement personnel au Christ. Rien d’étonnant s’il donna à ses confrères un témoignage d’intégrale fidélité à sa consécration religieuse et se mit tout entier au service de la vie religieuse dans l’Église.
Nous avons déjà parlé de sa dissertation doctorale et de son enseignement du traité des religieux. Nous mesurerons dans un instant sa contribution à la Revue des communautés religieuses. Conséquence directe de celle-ci, lui arrivèrent de partout consultations et demandes de direction spirituelle. Ses réponses frappaient par leur bon sens, leur équilibre, le souci de respecter les personnes et les situations, de ne rien précipiter, d’attendre que la meilleure solution s’indique avec le temps. Tout autant que la compétence doctrinale, elles révèlent un sens aigu de ce qu’il convient de faire et de la meilleure manière de le réaliser.
Peu de personnes connaissent son essai de fondation d’une Congrégation féminine, à spiritualité eucharistique très marquée. Dans sa grande charité, il crut pouvoir y grouper des personnes de santé frêle et même de vraies malades. Les membres auraient servi l’œuvre de la Rédemption par une vie de prière et de patience, en s’offrant pour que tous les membres souffrants du Christ croient à l’immense valeur de leur vie pour le salut du monde. Une petite communauté s’était déjà formée, quand la permission que le Père sollicitait lui fut refusée, en raison des difficultés que son dessein pouvait présenter pour la formation des candidates. Il accepta simplement. Jamais plus il ne parla de cet essai et de son douloureux aboutissement.
Le collaborateur et directeur de la « Revue des communautés religieuses »
La contribution du P. Bergh à la Revue des communautés religieuses, devenue maintenant Vie consacrée, remonte à 1930, alors qu’il était étudiant en théologie. Pendant huit ans, ses articles et notices reflètent son goût spirituel, spécialement sa prédilection de toujours pour l’Eucharistie. Le titre de son premier article, paru l’année même de son ordination, est significatif : La communion fréquente [2], ébauche de la brochure qu’il publiera plus tard sous le même titre. Suit un article sur Messe et communion [3]. Puis paraissent 17 articles et notices consacrés à des dévotions et indulgences et au Jubilé de la Rédemption de 1933-1934 [4].
En 1938, le Père met pour la première fois au service de la Revue sa science de canoniste, par quelques pages éclairantes sur un sujet assez spécial : Vœu collectif [5].
À partir de 1939, il siège au Comité de Rédaction de la Revue, dont les Pères Creusen et Jombart sont les directeurs-rédacteurs. En 1945, la Revue des communautés religieuses reparaît après l’éclipse de la guerre. Le P. Creusen étant à Rome depuis 1939, le P. Bergh devient, en fait, pour l’être jusqu’à sa mort, le directeur principal. En 1966, alors que venait de se clôturer Vatican II, le Père, secondé par un Comité de Rédaction, donne à la Revue une orientation conforme au renouveau dont l’Église, et la vie religieuse en particulier, avaient besoin. Elle prit alors le titre de Vie consacrée.
À sa fondation en 1925, la Revue visait avant tout l’information canonique. Le P. Bergh, voulant aider de plus en plus largement religieux et religieuses à vivre authentiquement leur consécration à Dieu, à l’Église et au monde à sauver, fit une large place, dans la Revue des communautés religieuses, à l’information sur l’activité du Saint-Siège. Avant tout, il commenta de façon éclairante les documents relatifs à la vie religieuse [6]. Parmi ceux-ci il faut mentionner le commentaire, non signé, dont il entrecoupa l’Encyclique Sacra Virginitas, publiée par Pie XII le 25 mars 1954. Pages lumineuses, équilibrées, révélatrices d’une foi profonde dans l’incomparable valeur que représente dans l’Église la virginité consacrée [7]. Mais il rendait compte également d’activités et de discours du Pape et d’actes de la Curie romaine qui ne concernaient pas immédiatement la vie religieuse. Les religieux, pensait-il, étaient appelés à donner leur témoignage en pleine connaissance des enseignements et en conformité avec les impulsions du premier pasteur de l’Église [8].
Le grand mouvement qui aboutit à l’ aggiornamento conciliaire trouva chez lui un large accueil. Le rapport qu’il donna dès 1950, au premier Congrès des « Etats de perfection » tenu à Rome, porte le titre révélateur, que nous traduisons du latin : « La rénovation adaptée de la législation canonique générale par rapport à l’état de perfection » [9].
Mais il eût été infidèle à l’inspiration maîtresse de son âme, s’il n’avait orienté la Revue vers les sujets proprement spirituels. Il écrivit plusieurs articles, d’une doctrine sainement traditionnelle ; son souci primordial y fut d’aider les religieux à trouver dans l’union à Dieu la réponse fondamentale aux appels actuels de l’Église et du monde, appels dont il percevait nettement l’urgence [10].
Plusieurs autres articles révèlent l’attention du Père pour les problèmes pratiques de la vie religieuse. Il traite, par exemple, les sujets suivants : rapports entre aumôniers de couvents et supérieurs [11], vie liturgique et exercices de piété [12], entretiens spirituels des religieuses avec leur supérieure [13]. Parmi ses meilleures études, écrites avec toutes les ressources de son expérience et un authentique souci d’actualité, nous voudrions mentionner les suivantes : vie religieuse et devoir de l’aumône [14], vie commune [15], le chapitre général d’affaires [16], le service ecclésial de la vie religieuse [17], la vie de prière des religieuses hospitalières [18], le chapitre provincial [19].
Le directeur aimait renseigner les lecteurs et lectrices de la Revue, et ce dès avant Vatican II, sur les expériences en cours et sur les directives épiscopales adressées aux religieux [20].
Un mot revient souvent sous sa plume : charité. Il souhaite aider ses frères et sœurs religieux comme lui à se vouer au mystère de la charité de Dieu, à lui rendre témoignage et à le prolonger dans le monde [21]. Cette charité, il voulait qu’elle se traduise par une union très concrète entre religieux, non seulement à l’intérieur des communautés, mais aussi entre Ordres et Congrégations. Divers articles et chroniques sont consacrés aux expériences de rapprochement, collaboration, union, fédérations, confédérations et fusions dont il avait connaissance [22]. Il mettait alors volontiers en exergue ces mots de la prière sacerdotale du Christ : Ut omnes union sint. « Pour que tous soient un ». Sa meilleure consultation : Fusion de Congrégations, traite ce sujet délicat et assez peu exploré avec réalisme et franchise, non moins qu’avec tout le tact requis [23]. Elle reçut du P. Creusen une approbation chaleureuse, bien méritée.
Ses consultations furent d’ailleurs très nombreuses : 112 en 32 ans, sur les sujets les plus divers. Il y faisait preuve de ce bon sens, de ce sens pratique qu’il mettait d’instinct en œuvre au contact des situations concrètes.
La Revue des communautés religieuses ne fut pas seule à bénéficier de sa collaboration. Pendant 38 ans, il fut, dans la Nouvelle Revue Théologique, le commentateur attitré de la plupart des actes du Saint-Siège de caractère canonique ou pastoral. En collaboration avec le P. J. Levie, S.J., il fit paraître trois articles, réunis ensuite en un cahier, S.S. Pie XII et la guerre, qui présentent les actes et les enseignements de ce Pape pour restaurer un ordre humain conforme à l’Évangile [24].
Le fondateur de l’« Union Eucharistique »
Son attachement au Christ, le P. Bergh l’a toujours traduit dans une dévotion au Seigneur présent et agissant en son Eucharistie. Cette vive piété eucharistique avait été, disait-il, la grâce spéciale de sa première communion, faite en 1909, à l’âge de 11 ans.
Son pas nerveusement trottinant se faisait paisible lorsqu’il se rendait auprès du Saint Sacrement pour sa visite matinale. Il récitait presque toujours son office à la chapelle, où il priait habituellement pendant une bonne heure avant son coucher.
Vers 1942, il reprit son premier article de la Revue des communautés religieuses en une brochure : La communion fréquente. Ses effets. Sa pratique. Il y développe la nécessité de notre collaboration à la grâce eucharistique [25].
En 1963, il jeta les premiers fondements de l’Union Eucharistique. Il méditait, semble-t-il, depuis longtemps de grouper les familles religieuses ayant pour fin spéciale l’adoration du Saint Sacrement et, d’une manière plus générale, les Congrégations à spiritualité spécifiquement eucharistique. Le lien entre les instituts membres serait « la grâce particulière qui a suscité de nombreuses familles religieuses pour un service spécial de Notre-Seigneur, présent et agissant dans son Église par l’Eucharistie (Jn 6, 44 et 65) ».
Le P. Bergh fit part de son dessein à plusieurs Congrégations et y consacra une notice dans la Revue des communautés religieuses [26]. En décembre 1963, 12 instituts avaient adhéré à l’Union Eucharistique Pro Mundi Vita (ils sont actuellement 57). La Constitution de Vatican II sur la Liturgie, promulguée en ce même mois, fournit au fondateur et à l’Union une base doctrinale riche et stimulante. Plus tard, en 1965, l’Encyclique Mysterium Fidei de Paul VI serait pour l’Union un nouveau soutien, en encourageant le culte traditionnel du Saint Sacrement et en le recommandant spécialement aux familles religieuses.
Rencontres et retraites spécialisées, un bulletin trimestriel doctrinal et documentaire montrent la vitalité de l’œuvre. Autre signe de celle-ci, l’extension de l’Union en dehors des pays de langue française, à laquelle le P. Bergh consacra une part importante de son dernier voyage à Rome et qui est sur le point de se réaliser [27].
Le témoignage d’une vie
Ce qui frappait d’emblée chez le P. Bergh, c’était sa douceur, une douceur du regard et de la voix, signes manifestes d’un grand respect bienveillant. De son pas rapide, il paraissait subtilement s’insinuer, sans bousculer rien ni personne. Malgré une grande fermeté, il a parfois donné l’impression contraire par les formes doucereuses que prenait alors sa charité. Son recueillement habituel a pu être interprété à l’occasion comme de la froideur par telle personne qui le croisait sans être appelée à s’entretenir avec lui. Il était aussi bien l’homme des grands mystères de la foi que des dévotions particulières, qui répondaient bien à son caractère tourné vers la pratique concrète. Profondément pieux comme il l’était, il résistait mal à la tentation d’émailler ses cours d’exhortations spirituelles. Le Père savait que son genre plaisait moins à certains et l’acceptait en toute humilité. Personne n’a jamais pour autant douté de sa sainteté. Dans ses dernières années, d’ailleurs, on le trouvait plus simple, plus abandonné, plus familier.
Un autre trait, moins apparent, de sa personnalité, fut la fermeté. Elle se révélait, par exemple, dans la vigueur de ses homélies, provenant de la profondeur de son attachement au Christ. Son témoignage essentiel nous paraît être une constante et radicale fidélité à sa vie religieuse, vécue comme consécration à Dieu et au prochain pendant les 49 ans qu’il passa dans la Compagnie de Jésus. Les règles, celle du silence en particulier, les appels de la cloche étaient pour lui l’expression indiscutée de la volonté de Dieu. Plus fondamentalement, il voulut fidèlement suivre le Christ chaste, pauvre et obéissant. L’on pouvait trouver trop minutieuse sa façon de traduire un souci d’universelle dépendance en matière de pauvreté et d’obéissance ; elle n’en révélait pas moins une volonté d’absolue consécration jusque dans le détail, témoignage de la délicatesse de son amour pour Dieu.
L’attachement du P. Bergh au Saint-Siège était bien connu. Il vénérait dans le Pape le vicaire du Christ, chargé par lui d’éclairer et de stimuler les croyants pour que la foi de l’Église ne défaille point. Il eut le mérite de toujours affirmer sans crainte cette conviction.
Sa fermeté ne l’empêcha pas de montrer dans les dernières années de sa vie une étonnante ouverture. Son attachement à l’Église le rendit accueillant au renouveau suscité par Vatican II. En janvier dernier, il prit part avec les étudiants du scolasticat à un triduum de style entièrement nouveau, avec la participation de prêtres séculiers, de religieuses et de laïcs, hommes et femmes. Ce fut pour lui l’heureuse découverte d’aspirations authentiques du Peuple de Dieu et de cette jeunesse qu’il était appelé à former. Dans ses rencontres avec ses derniers étudiants, avec lesquels il avait accepté des recherches en groupe, il les écoutait et s’intéressait à toutes leurs aspirations au sujet de la vie religieuse, les impressionnant par son effort sincère de compréhension de choses parfois déroutantes pour lui. Ce qui les frappa aussi, ce fut son insistance sur l’attachement au Christ, sur la consécration au Verbe Incarné, qui, plus que les appels des hommes, doit inspirer les religieux face aux problèmes actuels. Il parlait aussi de la nécessité de sauvegarder dans la vie religieuse la liberté apostolique, la disponibilité aux appels des âmes.
Cette charité totalement disponible, le P. Bergh la vécut en toute vérité au dedans et au dehors de sa communauté. Comment elle se dépensait au dehors, il n’en parlait jamais, mais on pouvait soupçonner son dévouement multiforme grâce à certains indices : courrier quotidien abondant, appels au téléphone et au parloir entrecoupant des journées chargées ; sorties, prévues ou imprévues, pour aller porter la lumière, le pardon et le réconfort du Seigneur.
Cet élan, il le puisait dans l’Eucharistie, où il trouvait « une force plus grande que la sienne », ainsi qu’il en fit la confidence sur la fin de sa vie. Les mystères de l’agonie et de la croix l’attiraient particulièrement, et il croyait vivement au Seigneur communiquant sa charité dans le don de sa chair de Ressuscité pour la vie du monde (Jn 6,51), mots du Christ qui l’avaient visiblement frappé.
L’on ne saurait oublier le cachet marial de sa spiritualité. Tout montrait qu’il se sentait en profonde communion de cœur avec la Vierge, avec sa douceur, son indulgent accueil pour les pires misères humaines, sa consécration ferme et simple à l’œuvre de son Fils. Il voyait en elle la co-rédemptrice offrant son Cœur immaculé avec le Crucifié du Calvaire. Il eut à cœur d’être fidèle à son chapelet quotidien.
Nous ne verrons plus et n’entendrons plus le P. Bergh, à qui, dès son existence terrestre, Dieu semblait avoir communiqué quelque chose de son omniprésence aimante à la multitude des hommes. Nous croyons que, plus que jamais, il nous est présent dans le Seigneur. C’est pourquoi tous ceux qui y sont appelés continueront avec confiance son œuvre au service de la vie consacrée [28].
St.-Jansbergsteenweg, 95
Leuven (Belgique)
[1] Sa dissertation doctorale Éléments et nature de la profession religieuse met en lumière le caractère ecclésial et public de cet engagement et fait autorité. Elle a été partiellement publiée dans les Ephemerides theologicae Lovanienses, 1937, 5-32.
[2] R.C.R., 1930, 126-135, 157-164.
[3] R.C.R., 1931, 114-121.
[4] Il faut y ajouter l’article « La civilisation chrétienne en péril », où le Père commente les trois grandes Encycliques par lesquelles Pie XI s’opposa au nazisme, au communisme athée et à la persécution mexicaine (R.C.R., 1937, 65-72).
[5] R.C.R., 1938, 10-13.
[6] Voir, p. ex., sur les Statuts généraux des moniales (R.C.R., 1951, 73-88, 117-134), le jeûne eucharistique et la messe du soir (1957, 91-94), les religieux au service militaire (1958, 57-63).
[7] R.C.R., 1954, 101-128.
[8] Voir son article, en collaboration avec le P. R. Lechat, S.J., « L’esprit ecclésiastique », dans R.C.R., 1949, 62-68, 85-97. Le caractère ecclésial de la vie religieuse y est bien marqué.
[9] Paru dans les Periodica de re morali..., 1951, 29-39, et dans les Acta et Documenta Congressus generalis de Statibus perfectionis, Romae 1950, Rome, t. I, 1952, p. 507-513.
[10] Voir, p. ex. : « Vie religieuse et amour du prochain » (R.C.R., 1948, 57-61, 94-99, 142-145, 178-184) ; « Vie religieuse et paix surnaturelle » (1952, 83-90) ; « Formation des novices à l’oraison » (1959, 27-31, 80-84, 177-181) ; « Formation à l’oraison au postulat » (1960, 31-37) ; « Suggestions pour l’organisation des retraites » (1962, 127-131) ; « Jésus crucifié et la vie religieuse » (1963, 59-67, 112-130). Le dernier article paru dans Vie consacrée de son vivant fut : « Un exercice du sacerdoce des fidèles. L’Apostolat de la Prière » (dont le Père tint à commenter les Statuts renouvelés d’après Vatican II) (1968, 242-245).
[11] R.C.R., 1948, 107-111.
[12] R.C.R., 1949, 24-34.
[13] R.C.R., 1952, 52-58.
[14] R.C.R., 1945, 49-55, 80-95 (reproduction, avec des modifications, d’une étude que le Père diffusa en pleine guerre, en 1942).
[15] R.C.R., 1945, 133-145.
[16] R.C.R., 1950, 78-87.
[17] Examen de conscience sur la vie religieuse, dans R.C.R., 1952, 187-200 (rapport lu à Rome au Congrès International des Supérieures générales).
[18] R.C.R., 1953, 75-82.
[19] R.C.R., 1958, 135-149.
[20] Voir, p. ex. : Retours en famille (R.C.R., 1949, 139-141) ; Formation chrétienne. Faits et travaux récents (1950, 198-200).
[21] Tel est le but de son bel Examen de conscience sur la vie religieuse (R.C.R., 1952, 187-200).
[22] Voir R.C.R., 1945, 166 ; 1946, 131 ; 1949, 81 ; 1949, 118-124, 200 ; 1952, 97, 176, 203-209 ; 1954, 25-27, 159-163 ; 1955, 9-16, 73-75 ; 1955, 164-170.
[23] Fusion de Congrégations, dans R.C.R., 1955, 164-170. Dans le numéro de Vie consacrée où paraît cette notice, l’on trouvera un article posthume du P. Bergh, resté inachevé : Les Unions d’instituts, où il prolonge et élargit ce qu’il avait écrit en 1955.
[24] Nouvelle Revue Théologique, 1945, 612-641, 741-785, 865-882.
[25] Plusieurs fois enrichie, la brochure, maintenant épuisée, a eu sa 4e édition en 1947.
[26] « L’Union Eucharistique », dans R.C.R., 1963, 231-232. Les renseignements que nous venons de donner sont tirés de ces deux pages.
[27] Le Secrétariat de l’Union Eucharistique se trouve jusqu’à nouvel ordre : 25, rue de Maubeuge, 75-Paris (9e)
[28] La discrétion du Père nous a sans doute laissé ignorer bien des traits de sa vie et de son apostolat. Nous serions heureux de les recueillir et disons d’avance toute notre gratitude à ceux et celles qui voudront bien nous les communiquer.