Contemplation et vie contemplative dans le passé et dans le présent
Jean Leclercq, o.s.b.
N°1968-4 • Juillet 1968
| P. 193-226 |
La lecture en ligne de l’article est en accès libre.
Pour pouvoir télécharger les fichiers pdf et ePub, merci de vous inscrire gratuitement en tant qu’utilisateur de notre site ou de vous connecter à votre profil.
Sommaire
I. La contemplation chrétienne. – 1. L’enseignement du Concile. – 2. La tradition.
II. La vie contemplative. – 1. Sa légitimité : A. La « rupture » chrétienne. B. La rupture dans l’histoire du salut. C. La rupture dans le développement de l’Église : a. Les faits, b. La doctrine. – 2. L’expérience contemplative : A. L’expérience de prière. B. Les conditions de la prière. C. Les formes de la prière.
III. Valeur ecclésiale de la vie contemplative. – 1. Le problème. – 2. Les réponses de l’histoire. – 3. Conscience de membres : a. Avec Dieu, b. Pour les hommes. – 4. Trois contemplatives témoins.
Conclusion. Présence et conscience.
I. La contemplation chrétienne
1. L’enseignement du Concile
Le Concile Vatican II a employé le vocabulaire de la « contemplation » avec une constance étonnante. Ce mot est utilisé deux fois dans le préambule du premier texte promulgué, la Constitution sur la Liturgie, pour caractériser la vraie nature de l’Église et indiquer le but de toute son action [1], il se retrouve, à propos des prêtres, dans le ch. V de la Constitution dogmatique sur l’Église [2], et le verbe contemplari leur est de nouveau appliqué dans le Décret sur le ministère et la vie des prêtres [3]. Le document où cette manière de parler est la plus fréquente est l’un des derniers, et celui dans lequel on pouvait le moins le prévoir : elle revient quatre fois dans la Constitution pastorale sur l’Église dans le monde d’aujourd’hui [4]. Il est vrai que là, « contemplation » est parfois pris en un sens large. Mais si l’on veut savoir quelle est sa signification précise dans le christianisme, il faut le demander au passage dans lequel il est éclairé par tout un contexte doctrinal, et qui est dans le second chapitre de la Constitution dogmatique sur la révélation divine, Dei Verbum [5].
Le fondement objectif de toute contemplation chrétienne y est clairement exposé. Après avoir rappelé tout ce que Dieu a fait pour se manifester aux hommes, lors des préparations de l’Ancien Testament, puis, pleinement, en Jésus-Christ, dont l’Évangile, accueilli dans la foi par les Apôtres, est maintenant transmis par l’Écriture et la Tradition, le Concile montre de quelle façon l’Église répond à cette révélation : « En son cheminement terrestre, elle contemple, dans la Tradition et l’Écriture, comme en un miroir, Dieu dont elle reçoit tout, jusqu’à ce qu’elle soit amenée à le voir face à face tel qu’il est » [6]. La contemplation est donc l’œuvre, l’action – exactement : la réaction –, de l’Église tout entière, et elle se réalise en ses membres, de façons variées, adaptées à la grâce de chacun d’eux. Le texte le précise un peu plus loin, affirmant qu’il s’agit non de conserver un dépôt immobile, mais de le faire progresser et grandir, pénétrer dans la vie. Tous les mots portent, en ces formules très denses.
« Cette Tradition qui vient des Apôtres progresse, avance (proficit) dans l’Église, sous l’assistance du Saint-Esprit ; en effet, la perception des réalités aussi bien que des paroles transmises s’accroît (crescit), et par la contemplation et l’étude (ex contemplatione et studio) des croyants qui les méditent en leur cœur, et par l’intelligence intérieure dont ils font l’expérience (intima spiritualium rerum quam experiuntur intelligentia), et par la prédication (ex praeconio) de ceux qui, avec la succession épiscopale, ont reçu un charisme certain de vérité. Ainsi l’Église, tandis que les siècles s’écoulent, tend constamment vers la plénitude de la divine vérité, jusqu’à ce que soient accomplies en elle les paroles de Dieu ».
On retrouve ici cette tension (tendit) eschatologique (usquedurn, donec) dont tant de textes du Concile portent le témoignage [7]. Non qu’il s’agisse d’un avenir à attendre après la fin des temps : le mystère est déjà communiqué, reçu et possédé, dans le présent de l’Église, mais d’une façon active, dynamique, et continue :
« L’enseignement des Saints Pères atteste la présence vivifiante (vivificam praesentiam) de cette Tradition, dont les richesses sont déversées (transfunduntur) dans la pratique et la vie de l’Église qui croit et qui prie. C’est par cette même Tradition que la liste intégrale des Livres Saints est connue (innotescit) dans l’Église, c’est grâce à elle que les Livres Saints sont compris plus profondément (penitius intelliguntur) et sont rendus sans cesse agissants (et indesinenter actuosae redduntur). Ainsi Dieu, qui parla jadis (olim locutus est) ne cesse de converser (sine intermissione... colloquitur) avec l’Épouse de son Fils bien-aimé, et l’Esprit Saint, par qui la voix vivante de l’Évangile retentit dans l’Église, introduit (inducit) les croyants dans la vérité tout entière et fait que la parole du Christ réside en eux avec toute sa richesse ».
On pourrait dire beaucoup au sujet de ce texte, admirablement riche de réminiscences bibliques. N’en retenons que ce qui concerne notre propos : la reconnaissance du fait que l’activité de contemplation est l’un des moyens grâce auxquels l’Église grandit, avance vers sa fin, répond à l’intervention salvifique du Dieu qui se révèle, en le « regardant dans l’Écriture et dans la Tradition, comme dans un miroir », se maintient avec lui en un dialogue, un « colloque », une conversation intime, qui ne s’interrompent jamais. La contemplation chrétienne n’est pas, en premier lieu, l’activité psychologique d’un individu atteignant Dieu sans médiation : il n’y a pas de contemplation sans l’Écriture et sans l’Église.
2. La Tradition
Le Concile se réfère, on s’en souvient, à « l’enseignement des saints Pères ». Et, de fait, il serait facile de relever chez les théoriciens antiques de la prière contemplative, non seulement les idées, mais les termes eux-mêmes qui sont dans les passages de Dei Verbum cités plus haut ; ces auteurs ont souvent comparé l’Écriture à un miroir [8] ; ils ont parlé du lien qu’il y a entre « l’intelligence et l’expérience » [9] ; ils ont montré comment, par la méditation, l’histoire sacrée entre dans la mémoire, nourrit les pensées, toute la vie, continuellement, chaque jour, (quotidie) [10] ; ils ont utilisé les mots de « croissance », de « progrès » [11] ; ils ont traité de cette pénétration « plus profonde », ou « plus élevée », des mystères du salut, tout cela dans l’humilité, car à mesure que « le sens » en nous « grandit », et que l’on « comprend mieux », l’élèvement ou l’orgueil diminue : on sent tout ce qui manque encore à la pleine et claire vérité, on souffre d’en être privé, on désire [12]. De toute façon, comme le dit un Psaume, on « goûte en soi-même ce que dit le Seigneur Dieu » [13].
Il suffira ici d’illustrer ce rappel de toute une tradition par deux extraits de l’un des auteurs qui eurent, en ce domaine, le plus d’influence : Cassien. On retrouvera au début du premier, des expressions toutes proches de celles de Dei Verbum : Crescente... cum proficiente proficiet, studium, intelligentia :
« À mesure que s’accroît, par l’étude, le renouvellement de notre esprit, le visage des Écritures commence aussi à se renouveler et la beauté d’une compréhension davantage sacrée progresse, en quelque sorte, avec celui même qui progresse... ».
Et ailleurs, à propos de celui « qui continue à progresser » et qui « se rassasie des plus sublimes et mystérieux enseignements des Prophètes et des Apôtres », Cassien fait cette déclaration qui, pour être fort connue, n’en reste pas moins admirable. Ici encore, on reconnaîtra, à travers la traduction, les mots experientia, meditatio, speculum :
« Vivifié par cet aliment dont il ne cesse de se nourrir, il se pénètre à ce point de tous les sentiments exprimés dans les psaumes, qu’il les récite désormais, non point comme ayant été composés par le Prophète, mais comme s’il en était lui-même l’auteur, et comme une prière personnelle, dans les sentiments de la plus profonde componction ; au moins estime-t-il qu’ils ont été faits exprès pour lui et il connaît que ce qu’ils expriment ne s’est pas réalisé seulement autrefois dans la personne du Prophète, mais trouve encore en lui tous les jours son accomplissement.
C’est qu’en effet les divines Écritures se découvrent à nous plus clairement, et c’est leur cœur en quelque sorte et leur moelle qui nous sont manifestés, lorsque notre expérience, non seulement nous permet d’en prendre connaissance, mais fait que nous prévenons cette connaissance elle-même, et que le sens des mots ne nous est pas découvert par quelque explication, mais par l’épreuve que nous en avons faite. Pénétrés des mêmes sentiments dans lesquels le psaume a été chanté ou composé, nous en devenons, pour ainsi dire les auteurs... Nous trouvons tous ces sentiments exprimés dans les psaumes ; mais, parce que nous voyons très clairement, comme dans un pur miroir, tout ce qui nous est dit, nous en avons une intelligence beaucoup plus profonde. Instruits par ce que nous sentons nous-mêmes, ce ne sont pas à proprement parler pour nous des choses que nous apprenons par ouï-dire, mais nous en palpons, pour ainsi parler, la réalité, pour les avoir perçues à fond ; elles ne font point l’effet d’être confiées à notre mémoire, mais nous les enfantons du fond de notre cœur, comme des sentiments naturels et qui font partie de notre être ; ce n’est pas la lecture qui nous fait pénétrer le sens des paroles, mais l’expérience acquise ».
Telle est l’activité contemplative chrétienne : un contact avec Dieu dans la méditation de sa parole, l’admiration pour les mystères qu’il a révélés, accomplis, au cours de toute l’histoire du salut, par conséquent dans l’Église, avec elle et pour elle, puisqu’elle est ce salut maintenu présent et efficace dans le monde.
II. La vie contemplative
1. Sa légitimité
La notion de « contemplation » éclaire celle de « vie contemplative ». Il est parlé de celle-ci en plusieurs textes du Concile et en des termes qui ne laissent pas de doute sur sa signification : elle est un état de vie dans lequel on s’adonne à la recherche de la prière aussi continuelle que possible, à l’austérité pratiquée avec joie, le tout favorisé par des conditions de recueillement et de solitude [14]. Ce dernier élément comporte une certaine « séparation du monde », qui peut admettre des degrés et qu’il faut bien entendre. En effet, comme l’a précisé Paul VI dans un discours du 22 mai 1967 le mot « monde » peut désigner soit la création, – le cosmos, ainsi qu’on aime dire aujourd’hui –, soit l’humanité qui est le « théâtre du drame humain » – et ce sens revient fréquemment dans Gaudium et spes –, soit enfin la nature humaine atteinte par le péché – c’est alors ce « monde » dont parlent souvent S. Jean et S. Paul [15]. Il peut également signifier la société ordinaire, même chrétienne, avec tout ce qu’elle comporte de dangereux, mais aussi de bienfaisant.
Il est des chrétiens qui prennent de la distance à l’égard du « monde » entendu en ce dernier sens : connaissant, estimant, admirant les valeurs que l’on peut y trouver, ils acceptent librement de se priver de certaines d’entre elles en vue d’en cultiver d’autres avec plus d’intensité : celles de la vie contemplative. Leur renoncement baptismal au monde du péché les conduit à une rupture avec le monde, à un éloignement, un recul par rapport à lui, bref, selon un terme à la fois biblique et traditionnel, à une « anachorèse » dans la solitude, considérée comme condition de purification et de prière. Cette retraite volontaire est un fait, une donnée d’Église, attestée en elle depuis l’antiquité et encore fréquente aujourd’hui. Elle a reçu de la tradition une double justification.
La première vient de la diversité des grâces et des vocations, de cette variété des charismes sur laquelle, à la suite de l’Écriture, Vatican II a insisté plus d’une fois : « les dons de l’Esprit sont différents... » [16], et c’est cependant le même Esprit qui appelle les fidèles à diverses manières de mener la vie chrétienne. Les contemplatifs n’ont pas le droit de se retirer du monde pour faire autre chose que ce qui est propre à tous les chrétiens ; mais il leur est demandé de le faire autrement. Car, d’une part, Dieu est libre, et, d’autre part, les hommes sont limités. Il est donc légitime que certains s’adonnent d’une façon plus intense que d’autres à telle ou telle forme de la réponse chrétienne au message de Dieu. On a pu parler de « la limitation de notre conscience spirituelle, c’est-à-dire du fait que nous ne pouvons vivre à fond une attitude spirituelle sans restreindre notre champ de conscience et laisser de côté des aspects complémentaires... Nous ne pouvons agir dans le monde sans affaiblir notre attention à Dieu » [17]. Et cependant, cette « action » est nécessaire, bienfaisante, comme cette « attention ». Parmi les différents moyens énoncés par la Constitution sur la révélation de faire grandir dans l’Église la parole de Dieu, une certaine spécialisation dans la proclamation du message, le praeconium, a fait apparaître les « prêcheurs » de diverses sortes, et une spécialisation dans la méditation du même message, la contemplatio, fit que, des premiers siècles de l’Église à nos jours, la vie contemplative s’est organisée et développée.
Mais si l’Esprit peut appeler certains à cette spécialisation, c’est conformément à une autre donnée, qui constitue la seconde justification de la vie contemplative : le rôle, dans l’histoire du salut, de la rupture définie plus haut, de l’anachorèse. Celle des contemplatifs n’est pour eux qu’un moyen de réaliser, d’une façon déterminée, au plan subjectif, une exigence chrétienne commune à tous les fidèles. En ce sens, pour ceux qui sont appelés à mener la vie de solitude pour Dieu et avec Dieu, celle-ci est la condition de leur participation au salut. Elle est même une manière éminente de contribuer à leur propre salut et au salut universel. Aussi ne peut-elle se définir que dans son rapport à l’intervention salvifique de Dieu, manifestée au maximum en Jésus-Christ, et à la parole de Dieu, maintenue efficace dans l’Écriture et la Tradition. Elle est l’une des formes revêtues par cette contemplation et ce consentement que toute l’Église donne à la Révélation, et l’on comprend que « l’intelligence intérieure » de la Bible et de l’enseignement de l’Église y tienne une si grande place : c’est elle qui la constitue, la légitime, et lui assure une valeur objective, une efficacité réelle. Il n’y a pas de vie contemplative authentique sans intelligence spirituelle – et le Concile, on l’a vu, va jusqu’à parler d’« expérience » – du contenu de l’Écriture Sainte. Il n’y a pas non plus de vie contemplative sans union avec toute l’Église et sa hiérarchie.
Les saints et les docteurs qui ont institué et justifié la vie contemplative se sont toujours référés à des données bibliques. Plutôt que de textes particuliers, il s’agit des ensembles majeurs de faits religieux, des événements fondamentaux dont parle l’Écriture : ils illustrent le rôle de l’anachorèse dans l’histoire du salut.
L’Ancienne Alliance comporte un élément très net de séparation : Abraham est appelé à quitter sa famille et sa terre. Israël devient un peuple en sortant d’Égypte et en passant par la Mer Rouge et le désert, puis doit s’isoler des peuples cananéens. Le souvenir du désert devient un idéal pour certains groupes prophétiques. Par l’Exil, les structures nationales sont détruites, mais la conscience d’une clôture spirituelle ne fait que croître, et à l’époque hellénistique les Maccabées et le Pharisaïsme, puis Qumran, ne font qu’insister sur cette coupure par rapport au monde païen.
L’idée s’en retrouve dans le Nouveau Testament. S. Paul l’exposera avec des textes hérités de la tradition : « Ne formez pas avec les infidèles d’attelage disparate... Quel accord entre le temple de Dieu et les idoles ? Or c’est nous qui sommes le temple du Dieu vivant, ainsi que Dieu l’a dit : « J’habiterai au milieu d’eux et j’y marcherai ; je serai leur Dieu et ils seront mon peuple. Sortez donc du milieu de ces gens-là et tenez-vous à l’écart, dit le Seigneur... » [18]. Mais, désormais, le thème est radicalement transformé ; tout élément racial et légaliste est dépassé : il s’agit de quitter le péché pour s’approcher de Dieu, rester uni à lui. Les évangiles montrent la rupture, l’anachorèse pratiquée par le Baptiste, puis par Jésus lui-même, qui s’en va au désert « pour y être tenté », s’y retire pour la prière solitaire, et y invite ses disciples à l’occasion. Telle est la vie contemplative de tout chrétien en face de Dieu et de soi-même, fondement de toute attitude de charité envers le monde. Si Jésus prêche l’Évangile du royaume, c’est parce qu’il se sait Fils, qu’il connaît le Père, qu’il possède l’Esprit. Ainsi du chrétien, dans lequel, par l’Esprit, il vit : toute sa vie contemplative ne peut être qu’une participation à celle de Jésus, de même que toute proclamation du message ne peut être qu’une continuation de sa propre annonce du salut.
a. Les faits. – Ces quelques données de l’Écriture, la tradition les a interprétées de deux façons : par les faits eux-mêmes de vie contemplative au cours de l’histoire de l’Église, et par l’enseignement qui fut, à leur sujet, donné à la lumière de thèmes bibliques particuliers.
Les faits, d’abord, montrent que cet appel à renoncer au monde a revêtu de multiples formes. Il est, en effet, à la fois spirituel et historique, incarné, dirait-on dans le vocabulaire d’aujourd’hui. D’une part, il n’est pas lié à une forme institutionnelle déterminée ; d’autre part, il faut bien qu’il se manifeste de façon concrète. Quand l’Église dans son ensemble est un petit troupeau honni du monde, comme au temps des persécutions, il n’y a ni occasion ni raison pour que se constituent institutionnellement des communautés qui manifestent d’une façon visible cette recherche de purification et de prière dans la solitude. Dès les premiers siècles, pourtant, apparaît un ascétisme dans lequel on fait grand cas de la continence ; sous ses formes excessives, et dans la mesure où elle implique un certain dualisme opposant esprit et matière, cette tendance inspire les hérétiques encratites, ce dernier mot voulant dire « abstinents ». Mais ce mouvement se développe aussi, avec plus de mesure et d’une façon orthodoxe, à l’intérieur de l’Église. Il est marqué, en particulier, par une haute estime de la virginité. Or il est, par essence, une sorte de clôture à l’égard des valeurs mondaines. Il rencontre des tendances analogues dans la philosophie orientale – celles qui, poussées trop loin, donnent naissance au manichéisme – et grecque, spécialement dans le platonisme. L’encratisme chrétien fait une place aux valeurs humaines contenues dans ces traditions. Il y a donc, dans la synthèse qui s’est formée alors, des éléments contingents, qu’il était légitime d’admettre après juste critique, mais qui peuvent être soumis aujourd’hui à un nouveau discernement. Ce serait, en tout cas, simplifier indûment les faits que de les expliquer tous par la seule dépendance à l’égard de tel ou tel courant culturel. Il y eut là, en réalité, une manifestation de cet humanisme chrétien, de cette capacité que possède l’Église d’assimiler les valeurs humaines et dont l’histoire devait offrir tant d’autres exemples au Moyen Âge, à la Renaissance, à toutes les époques, et singulièrement à la nôtre.
Dans l’Église d’Occident, depuis l’antiquité, et peut-être encore davantage dans l’Église d’Orient, l’ensemble du peuple chrétien a reconnu dans les formes institutionnelles de l’anachorèse le signe d’un idéal inspiré de l’Évangile et qui illuminait sa vie de foi. Il a eu confiance dans la prière ou, mieux encore, dans la vie sanctifiée et unie à Dieu de ceux qui renonçaient à d’autres fonctions, pour se consacrer à cette vocation que l’on peut appeler « contemplative », d’un mot qui fut, à l’origine, platonicien, mais qui avait acquis un sens nouveau, plus large, entièrement chrétien. Encore y eut-il continuellement, de la part de l’autorité de l’Église et des saints, un renouvellement de cette institution, parce que ce n’est pas son observance matérielle, ce n’est pas la « lettre », en elle, qui unit à Dieu, mais une constante recherche spirituelle, en cohésion avec la vie de toute l’Église.
Malgré cela, au cours des siècles, la vie contemplative n’a pas toujours évité les abus, les déviations. Elle a toujours été exposée à la tentation, à laquelle il n’est pas exclu que certains de ses membres aient cédé, de considérer la séparation matérielle ou telles autres observances comme ayant en elles-mêmes une valeur pour le salut. Contre ces périls ont réagi les réformateurs dans l’Église. La critique de la Réforme protestante alla dans le même sens, non sans exagération ; elle affirma, sur ce point, avec une sorte d’exaspération excessive, presque désespérée, une vérité que la hiérarchie de l’Église avait toujours maintenue et qu’on remet en lumière aujourd’hui en beaucoup d’Églises, même en dehors du catholicisme : à savoir qu’une certaine forme d’union à Dieu exige une rupture et un isolement de caractère essentiellement spirituel, issu du Nouveau Testament, illustré par lui, auquel l’isolement matériel doit demeurer subordonné.
b. La doctrine. – Tels sont les faits de rupture dans l’Église. Ils ont été illustrés, au plan doctrinal, par les Pères et les auteurs spirituels de tous les temps, y compris du nôtre. Ils ont aimé montrer que l’anachorèse contemplative n’est qu’une réalisation majeure et, en ce sens, typique, de valeurs religieuses dont l’exemple a été offert par des événements et des personnages bibliques : vocation d’Abraham, Exode et purification dans le désert, signification symbolique des représentants divers du prophétisme : Élie, Élisée, les « fils des prophètes », la montée du Carmel, la vision d’Ézéchiel. S. Jean-Baptiste vit dans la pénitence du désert, où il attend, puis montre celui qui doit venir. Jésus se retire sur la montagne – symbole de solitude – « pour y être tenté », pour s’y livrer à la prière prolongée, pour être transfiguré dans la lumière du Thabor, pour passer, par l’agonie et la mort, à la résurrection, pour manifester son retour au Père. La Vierge Marie écoute la parole, la médite en son cœur. La communauté de Jérusalem est assidue à la prière.
D’autres thèmes illustrent l’eschatologie qui est en train de se réaliser : l’union totale à Dieu, qu’elle anticipe dans la foi, est symbolisée par le retour au paradis, le repos sabbatique, le cirant de l’éternel alléluia dans l’amour inamissible, l’union avec les anges qui adorent Dieu, le louent, clament sa gloire : car c’est cela qu’exprime l’idée traditionnelle de la « vie angélique », laquelle n’a rien de commun avec un illusoire « angélisme », une imitation de la nature des anges, dont nous savons si peu. Tous ces moments et ces aspects de l’histoire du salut, ceux qui sont appelés à la vie contemplative les réalisent à leur façon : ils écoutent la parole, y répondent, l’accomplissent ; ils explicitent, rendent actuels en eux-mêmes et, par conséquent, dans l’Église et pour elle, les mystères du Christ ; participant aux sacrements et vivant selon l’Évangile, ils cherchent à atteindre cette union intime avec le Verbe qui fut souvent évoquée grâce au symbolisme du Cantique des cantiques ou des noces spirituelles ou de la consécration virginale à l’Epoux ; de toute façon, ils essaient de vivre pleinement sous l’influence du Saint-Esprit envoyé par le Christ ressuscité à son Église.
Un lien constitutif avec l’Église, en laquelle s’actualisent tous les aspects de l’histoire du salut conformément aux divers charismes de l’Esprit, est donc essentiel à la vie contemplative. Et à l’intérieur de celle-ci se manifeste aussi une grande variété de dons et de vocations, par conséquent de modes d’existence : il y a place pour différentes formes d’érémitisme et de vie en commun ; on peut insister plus ou moins explicitement, pourvu que ce ne soit jamais exclusivement, sur tel ou tel des aspects et des thèmes bibliques et traditionnels rappelés ci-dessus, conformément à la richesse des traditions complémentaires dont furent initiateurs ces pères, ces fondateurs qui ont été, au cours des siècles, comme des relais du Saint-Esprit.
Sous toutes ses formes, et dans la mesure où elle cherche à réaliser le mystère du salut d’une façon pleinement conséquente, la vocation contemplative est exceptionnelle et, en ce sens, extraordinaire ; il est normal qu’elle ne soit pas des plus fréquentes. Néanmoins, elle n’est légitime que si elle favorise une communion avec toute l’Église, à la vie de laquelle elle contribue à sa façon. Cette exigence de communion universelle suppose que le contemplatif s’efforce de se vider de tout égoïsme, de se purifier de tout amour propre afin de se livrer à l’amour universel. Et ceci donne lieu, entre lui et tous les autres membres de l’Église, à une responsabilité réciproque. Si les chrétiens qui restent dans le monde ont le droit de demander leur aide aux séparés, ceux-ci ont également besoin qu’on prie pour eux, afin qu’ils demeurent fidèles à leur difficile vocation.
2. L’expérience contemplative
Quel est, maintenant, le contenu de cette vie contemplative ? Quelle occupation ou préoccupation doit emplir ce loisir ? Nulle autre que cette activité de contemplation dont parle le Concile, et dont il est difficile de témoigner autrement que par des balbutiements maladroits et désordonnés. Comment analyser cette réalité obscure, mettre de l’ordre entre les composantes de cette expérience profonde ? Faute de pouvoir l’expliquer clairement, on est réduit à l’évoquer sans grande précision, pourvu que ce soit sincèrement, sans littérature. Car il s’agit d’une réalité riche et simple à la fois : entendre la parole de Dieu et, pour l’entendre, l’écouter, la recevoir et réagir à son sujet ; entrer en « colloque » avec Dieu par la médiation de sa parole efficace ; tâcher de la « comprendre plus profondément » ; en ce sens, l’éprouver en soi, en faire l’expérience ; par là même vouloir et actualiser le dessein du salut, qui est d’unir Dieu avec toute l’humanité en Jésus-Christ et dans l’Église ; participer, dans l’Esprit Saint, au dialogue du Christ avec son Père. La prière n’est, fondamentalement, rien d’autre qu’une coopération à l’œuvre de salut réalisée en Jésus : par elle on se rapproche objectivement, efficacement de Dieu, on franchit la distance qui nous sépare de lui, on le rejoint et on s’unit à lui ; c’est cela être sauvé, s’associer au salut de tous. Et tout ceci s’accomplit dans la foi, non sans la collaboration de toutes nos facultés ; au contraire : en passant par elles, mais au-delà de leur fonctionnement naturel, ordinaire.
Cette attitude habituelle de présence à Dieu est simple. Elle n’est point facile, mais elle ne doit pas non plus paraître hors de portée, idéale, irréelle, en quelque sorte aérienne, et sans contact avec le quotidien de l’existence. Elle s’exerce à travers les nécessaires activités que comporte la vie de chaque jour : les instituts de vie contemplative opèrent seulement une sorte de tri entre toutes les activités possibles aux chrétiens, et ne retiennent que celles qui sont compatibles avec cette « préoccupation de Dieu ». Les contemplatifs – clercs, laïques ou religieux – qui ne mènent pas la vie contemplative se livrent aux activités propres à leur vocation et tâchent de les pénétrer de leur contemplation. Parmi les autres, il en est qui excluent toute activité immédiate à l’égard du prochain, ce qui représente un cas limite, légitime, mais exceptionnel. Il en est qui acceptent une part d’activité, pourvu que celle-ci reste le rayonnement de leur contemplation, ne devienne pas leur but, mais soit en fonction de ce but, débordement non cherché mais non refusé, toujours subordonné à ce qui, pour eux, est premier. Il est difficile de garder cette hiérarchie de valeurs, car l’activité entraîne et, il faut le dire, elle est plus facile que l’expérience contemplative.
Aussi, afin de la préparer, de la conserver, faut-il avoir de l’expérience contemplative une notion exacte, à la fois élevée et réaliste. Elle ne suppose pas de phénomènes psychiques extraordinaires ; elle ne consiste ni en vives consolations pour l’affectivité, ni en efforts intenses de l’intelligence ; elle est une recherche humble, obscure, et assidue. Elle est une attention, une adhésion, une intimité, un amour, un consentement, une présence réciproque, un étonnement et une admiration devant l’œuvre de Dieu, une assimilation de sa parole, une solitude avec lui, en silence, une communion, une participation ; elle est l’actualisation même du dessein de Dieu, elle est le salut dans l’acte où il se réalise en un chrétien et, par lui, dans l’Église.
Elle est une rencontre avec le Père en Jésus par l’Esprit, une réponse à la parole de salut qu’il a dite. L’Église entière va vers Dieu selon cette grâce, que le contemplatif reçoit à sa façon : il en fait l’expérience à un niveau profond, d’une manière constante et exigeante. Il est à la fois dans la possession, à cause de la certitude de sa foi, et dans le désir, à cause de l’obscurité de sa foi ; il se trouve en présence de Dieu comme ayant besoin de lui et le cherchant. Il remercie pour le salut qu’il a reçu, et il continue à mendier. Dieu est devenu pour lui une réalité personnelle, qui lui révèle à lui-même sa propre personne, sa dignité et sa misère. L’expérience du contemplatif n’est pas nécessairement, ni fréquemment, exaltante. Elle est sainement humiliante. Elle est celle d’une pauvreté, d’une difficulté radicale à correspondre aux avances de Dieu. Mais elle n’est pas déprimante, décourageante : elle est fondée sur cette fidélité de Dieu à son peuple, à l’Église, à chacun de ceux qui croient en lui ; elle est l’épreuve de la fidélité de l’homme, elle est pour lui l’occasion d’espérer, de supplier, par conséquent d’obtenir toujours davantage : à ce titre encore elle est occasion de salut.
S. Bernard a parlé, en termes forts, de ces « plaintes » dont lui faisaient part, en leur confidences, ses religieux, au sujet de la « sécheresse » et de la « langueur » de leur esprit, de la « stupidité de leur âme hébétée ; car ils se sentent incapables de pénétrer les subtiles et profondes réalités divines, ils n’éprouvent rien ou presque rien de la douceur de l’Esprit ». Vont-ils renoncer à poursuivre l’expérience ? « Ils soupirent, ils aspirent à recevoir l’esprit de sagesse et d’intelligence » [19]. Ils ne se laissent point distraire de leur recherche, accaparer par des occupations plus faciles. A ce prix, peu à peu, ils sont purifiés, transformés. Non point satisfaits, certes, ni contents d’eux-mêmes ; simplement fidèles, eux aussi, comme Dieu l’est et parce qu’il l’est : ils participent à sa fidélité : c’est elle qui les rassure et les console [20].
Cette expérience humble et parfois humiliante, pour être poursuivie, suppose des conditions spéciales de silence, de recueillement, d’austérité, d’attention prolongée à la parole salvifique de Dieu. Elle ne s’obtient pas à force de concentration sur soi, mais, au contraire, d’oubli de soi, d’ouverture à l’œuvre de Dieu. Le contemplatif « se fait silence pour entendre Dieu, et plus il est silence, plus il reçoit Dieu. Il se fait tout entier réception, oreille tendue au Verbe ». [21]. Il ne cherche pas à savourer, mais à s’offrir. Il a parfois le sentiment que Dieu l’oublie. Mais son attachement à Dieu est, au-delà de tout sentiment, dans la foi. Et même lorsqu’il a l’impression de pénétrer davantage ce qu’il croit, il doit sans cesse renouveler sa soumission. Il arrive que de nouvelles lumières fassent surgir de nouveaux problèmes. À mesure que son adhésion devient plus intime, son désir se fait également plus intense. Il est ainsi constamment partagé entre ce qu’il a et ce à quoi il aspire, ce qu’il est déjà et ce qu’il voudrait devenir en se laissant transformer de plus en plus, de lumière en lumière, par la gloire du Seigneur. Il sait que cela ne sera sa part qu’au-delà de la mort ; en attendant, il s’en remet entièrement à la grâce, c’est-à-dire à la générosité, à la libéralité de Dieu. Par le don qu’il reçoit de lui, il participe à l’expérience de foi en Dieu et de fidélité à Dieu qui fut celle des prophètes, des apôtres, de Marie, des saints, qui est celle de tous les fidèles, eux-mêmes ayant tous part, de façon plus ou moins limitée, en leur existence d’hommes, à la totale expérience de Dieu qui fut et reste celle de Jésus.
Tout, dans la vie contemplative, doit être orienté vers cette humble expérience, subordonné à elle, jugé d’après l’aptitude à la rendre possible. Il ne s’agit donc pas d’une accumulation d’observances, fussent-elles des observances de prière : l’institution doit servir la fin personnelle. Il ne suffit pas non plus de conserver des pratiques qui ont fait leurs preuves en d’autres temps : de même que l’apostolat – c’est-à-dire toute l’organisation du praeconium – révise ses méthodes, utilise de nouvelles techniques, sans s’identifier avec elles et en les dépassant toujours, ainsi la contemplatio doit aujourd’hui tirer profit des progrès des études bibliques, liturgiques, patristiques, de la réflexion théologique contemporaine, des données de la psychologie et de la sociologie : la conscience moderne n’a plus, sur tous les points, les mêmes façons de se développer, de réagir, de se communiquer, qu’autrefois. Telles modalités d’expression qui correspondirent à une esthétique de jadis ne sont plus nécessairement accordées à l’oreille, au goût, aux possibilités et aux besoins actuels ; elles ne peuvent non plus être les mêmes en différents pays, en divers types de civilisation. Les contemplatifs ne sont pas appelés par l’Esprit à conserver dans l’Église les vestiges du temps passé.
Comme leurs prédécesseurs de l’antiquité et du moyen âge, ils vont devoir, après Vatican II, inventer, non sans tâtonnements, les formes de prière qui favoriseront l’expérience d’Église qui est inclue dans leur vocation. Elles ne devront pas copier celles des chrétiens qui mènent une vie différente, pas plus qu’elles ne devront imiter celles du passé, même récent. Leur prière commune ne sera pas l’occasion de chocs spirituels renouvelés, qui peuvent être bienfaisants pour certains, à un certain âge, lorsqu’ils ne sont pas trop fréquents. Elle ne sera pas non plus cette sorte de douce caresse qui occuperait leur temps, certes, en présence de Dieu, mais les laisserait plus passifs, moins personnellement engagés, que beaucoup ne le désirent aujourd’hui. Encore moins se ramènera-t-elle à une obligation strictement juridique, dont tous les détails soient fixés d’avance et reçoivent, par là, de l’importance.
De récents travaux sur l’histoire de l’eucharistie et de l’office ont rappelé la place qu’y tenaient, aux origines, les moments où l’on écoutait la parole de Dieu [22]. On ne se contentait pas alors de prononcer beaucoup de paroles, fussent-elles tirées de l’Écriture ou de textes pieux, comme chez ceux que critiquait Rabelais : « Ils marmonnent grand renfort de légendes et pseaulmes nullement par eux entendus ; ils content force patenostres, entrelardées de longs Ave Maria, sans y penser ni entendre, et ce je appelle mocquedieu, non oraison ». À ces sortes de moulins à prière, le sens catholique de Rabelais, satiriste et réformateur, opposait cette autre forme de piété, dont les contemplatifs n’auraient jamais dû s’éloigner : « Tous vrays christians, de tous estatz, en tous lieux, en tous temps, prient Dieu, et l’Esprit prie et interpelle sur iceulx, et Dieu les prend en grâce » [23].
Le problème n’est point tant celui de la quantité de temps voué à ce que d’aucuns appellent la « prière formelle », que celui de la qualité de ce temps, de la façon dont il est employé, autrement dit : de l’expérience qui l’emplit. « L’exercice de l’oraison » est vain si la prière du cœur n’informe pas toute la vie. Un long moment coulé calmement devant Dieu, conventuellement, en silence ou en récitant de nombreux psaumes, est-il l’expression adéquate d’une prière véritablement personnelle ? Comprenons l’aspiration, qui se fait jour maintenant parmi tant de contemplatifs, vers une prière et une vie moins « liturgiques », au sens que ce mot a parfois revêtu à des époques récentes : ce qu’ils désirent, c’est une prière et une liturgie moins formelles, c’est-à-dire comportant moins de « formes », ou du moins revêtues de formes renouvelées, mieux adaptées à leurs besoins profonds. Non que la liturgie ne soit pas une prière ! Mais on souhaite une liturgie encore plus priante : non un service de cour, une fonction extérieure, accomplie selon toutes les lois, les décrets, les rubriques, ou conformément à une esthétique raffinée, un perfectionnisme artistique ; mais un moyen d’aller à Dieu, de parvenir à une rencontre personnelle avec lui : moins de textes, moins de mots, moins de cérémonies, plus de silence, de vrai recueillement et de dialogue intérieur ; plus de continuité entre l’activité de base de toute contemplation chrétienne, qui consiste à écouter la parole de Dieu dans la lecture privée ou collective, et l’expression conventuelle de cette prière dans le culte. Il est réconfortant de savoir que la réforme de la liturgie, dans de nombreuses communautés, est orientée en ce sens, sous la vigilance de l’autorité de l’Église. Le Saint-Esprit qui appelle des chrétiens à l’expérience contemplative aide leur faiblesse ; il leur fera trouver le moyen de continuer à dire cet « Abba, Père » dans lequel se résume toute la prière de Jésus en ses membres.
III. Valeur ecclésiale de la vie contemplative
1. Le problème
C’est un fait que dans l’histoire, depuis l’antiquité, la vie de séparation du monde en vue de la prière et de la lutte ascétique est allée de pair avec l’implantation de l’Église par la prédication de l’Évangile : la contemplatio a accompagné le praeconium. On pourrait le montrer par des exemples empruntés aux premiers siècles ou à ceux du moyen âge : un évêque suppliait S. Pachôme de faire une fondation chez lui afin de l’aider, à sa façon, à vaincre la résistance qui s’oppose à la vérité [24] ; S. Boniface voulait que l’action des missionnaires fût complétée par celle des cloîtres [25]. De nos jours, Vatican II a affirmé la nécessité de maisons contemplatives dans toutes les églises [26], dans les nouvelles comme dans les anciennes : il a dispensé ceux qui mènent « la vie purement contemplative » de toute participation directe « aux différents ministères pastoraux », et ceci en dépit « des besoins urgents des âmes et de la pénurie de clergé diocésain » [27]. Cette prise de position courageuse équivaut à une affirmation doctrinale de grande importance : dans l’Église, la présence de chrétiens et de chrétiennes uniquement appliqués à la vie contemplative est si nécessaire qu’elle dépasse toutes les autres urgences, même les plus graves.
Pourquoi ? sinon parce que cette vie, comme l’apostolat, fait progresser l’Église, grandir en elle l’efficacité de la parole de Dieu, continuer en elle l’histoire du salut. Comme l’apostolat, elle exige, comporte, favorise un acte de foi qui est une participation à la contemplation du Père par Jésus dans l’Esprit. Dans les deux cas, il y a rayonnement de la lumière de Dieu et fécondité de sa grâce. Ceci se réalise d’abord dans l’église particulière – celle de la ville ou de la région, du diocèse ou du pays – dans laquelle les contemplatifs demeurent, selon les exigences de leur vocation [28]. De là découle pour eux la nécessité de se sentir en communion avec les besoins de cette église, de tenir compte de ses exigences pastorales : ainsi leurs formes d’organisation et leurs observances doivent-elles différer selon les divers types de civilisation, d’après le jugement des communautés elles-mêmes et de la hiérarchie de l’Église en chaque pays.
Mais la tradition a toujours reconnu à la vie contemplative une efficacité apostolique universelle, c’est-à-dire valable pour l’Église entière. Étant un moyen de tendre à la charité parfaite, cette vie suppose et entretient le zèle des âmes ; elle est moyen d’intercession et de satisfaction pour tous ; elle a toujours admis qu’en certains cas, le contemplatif, répondant à l’appel de Dieu et de l’Église, s’adresse au monde ou puisse même retourner vers lui afin de témoigner devant lui par l’exemple, l’écrit ou la parole.
Ces données de fait posent à la réflexion des problèmes délicats, dont les progrès de la théologie, aujourd’hui, préparent la solution. Sans doute le moment vient-il de dépasser le dilemme qu’a si bien formulé le P. Bouyer, entre « d’une part un christianisme radicalement théocentrique et contemplatif qui ne succombe pas un instant à la tentation de voir en Dieu simplement une source d’énergie à exploiter pour le bien de l’humanité », et, d’autre part, « un christianisme... où l’amour de Dieu exige qu’on le fasse aimer » [29]. Avant d’essayer de voir comment se concilient ces deux tendances apparemment divergentes, il n’est pas inutile de rappeler comment, au cours des siècles, cette conciliation a revêtu des formes et reçu des motivations qui ont beaucoup varié. Aussi peut-être ne faut-il pas prétendre trouver aujourd’hui une synthèse parfaite, définitive. Il s’agit d’un mystère de salut dont la conscience dans l’Église, elle aussi, se développe et, on peut le dire, progresse.
2. Les réponses de l’histoire
Le sentiment d’une solidarité entre les séparés en vue de la prière et tout l’ensemble de l’Église a été plus ou moins conscient et explicite selon les époques. On doit se réjouir de ce qu’il soit aujourd’hui très vif, plus vif peut-être que jamais. Il n’en a pas moins existé autrefois : quelques exemples, empruntés à différentes époques, suffiront ici à le rappeler.
Pour Origène, dans l’antiquité, la raison pour laquelle les chrétiens et, spécialement parmi eux, les ascètes, devaient être exemptés du service militaire auquel tous pouvaient être astreints, est qu’ils l’accomplissaient en eux-mêmes, en luttant, par les armes spirituelles, contre les démons : ceux-ci causent les guerres ; or les saints mènent le combat contre eux, c’est-à-dire contre la racine du mal [30]. Celui qui lutte contre le mal qui est en lui le fait au nom de tous, pour tous : avec tous, pour le bien de tous, il participe à la passion du Christ. De là l’efficacité collective de ce qu’Origène appelait le « martyre de la conscience » : plus il y a de chrétiens qui travaillent à se sanctifier, moins le mal peut agir dans le monde ; en enlevant au démon son venin, on l’empêche de nuire [31]. Ceci valait de la victoire sur l’hérésie, mais aussi sur toute forme de division et de péché.
Ainsi, des solitaires du désert, dira-t-on un jour que le monde subsiste grâce à leurs mérites [32]. Un évêque, S. Jean Chrysostome, après avoir fait l’éloge de cette universelle solidarité, concorde et amitié, qu’engendre la charité, ajoutera : « Qu’en est-il, diras-tu,... de ceux qui vivent dans les montagnes ? » entendant par là les solitaires dans le désert. « Eh bien, eux-mêmes ils ne manquent pas d’amis ; au contraire, tandis qu’ils évitent le tumulte de la place publique, ils ont beaucoup de compagnons, qui leur sont unis par le lien de la charité. C’est même afin de les avoir qu’ils se sont séparés... Bien plus, ils prient pour le monde tout entier, ce qui est la forme suprême de l’amitié » [33]. Et ailleurs, le même Père de l’Église écrit :
« Rien ne saurait caractériser le fidèle et celui qui aime le Christ comme d’être utile à ses frères et de s’occuper de son salut. Que les moines aussi, qui habitent sur les sommets des montagnes et par toutes sortes de moyens se sont crucifiés au monde, que tous écoutent ces paroles afin que, selon leur pouvoir, ils viennent en aide à ceux qui sont préposés aux Églises en les fortifiant de leurs prières, de leur union avec eux, de leur charité. Qu’ils sachent que, s’ils ne soutiennent pas, même de loin, de toutes manières, ceux qui, par la grâce de Dieu, ont été préposés à une fonction ecclésiastique et qui sont chargés du soin de tant de choses, leur vie manquera de valeur pour eux, et tout leur savoir n’aura été qu’une sagesse mutilée ».
L’empereur Justinien se fera l’écho de cette tradition : « La vie solitaire et la contemplation à laquelle on s’y livre est une réalité d’ordre sacré : à cause de cela, elle élève les âmes vers Dieu : non seulement elle aide ceux qui la mènent, mais elle est d’une insigne utilité pour tous, en raison de la pureté qu’elle exige et de la supplication qu’elle comporte » [34]. Et Théodore Studite parlera de « celui qui n’a de regards que pour Dieu seul, de désirs que pour Dieu seul, d’application qu’à Dieu seul, et qui, ne voulant servir que Dieu seul, en paix avec Dieu, devient cause de paix pour les autres » [35]. Enfin, voici encore un témoin de la tradition orientale au Xe siècle. Un auteur écrira du contemplatif : « Il est comme Dieu : sa miséricorde et sa charité ne sont plus intéressées, mais s’étendent à tout et à tous, de même que Dieu aime tout et chérit tout l’univers sans motif de la part de celui-ci. L’homme s’offre lui-même à Dieu comme hostie volontaire en sacrifice de satisfaction. Par l’humilité qui est celle du Christ, il se livre lui-même à toutes les souffrances pour chacun, parce que sa charité s’étend à tous. Il souffre et supporte tout dans son amour divin. Et il n’est même pas difficile à ses yeux de se livrer lui-même au feu pour tous, à cause de son amour universel » [36].
Au moyen âge, en Occident, comme d’ailleurs en Orient, l’intérêt porté aux hommes, leurs frères, par ceux qui s’étaient séparés s’est manifesté de bien des façons : par l’intercession et les formes de don de soi qui viennent d’être évoquées, mais aussi par la bienfaisance, l’aide apportée à tous dans leurs nécessités matérielles et spirituelles. « Que s’attendait-on à trouver dans un grand monastère du XIe siècle ? » a demandé récemment un historien, à propos de l’Angleterre. Et il répondait : « Pour les gens d’alors, un monastère était l’expression des idéaux religieux collectifs et des besoins de toute la société... » Les laïques lorsqu’ils avaient « fondé des monastères, en avaient fait non pas tant des centres d’exercices religieux privés, que des centres d’intercession et de prière, accomplissant un service requis par le bien-être des fondateurs et de la société en général » [37]. Et un américain de notre temps, pour rappeler à quel point les moines du passé étaient partie intégrante de la vie de leurs contemporains, a cité l’exemple suivant : « Les cisterciens du nord de l’Angleterre, au XIIe siècle, ont joué un rôle semblable à celui de la General Motors Company aujourd’hui, aux États-Unis. La laine sortie des granges cisterciennes fut l’un des facteurs des plus importants de l’économie anglaise au moyen âge » [38].
Après cela, on pourrait citer bien des exemples particuliers de contemplatifs ayant conscience de leur responsabilité à l’égard de tous. Voici un ermite, S. Mauguille : « Demeuré seul, loin de tout, il s’appliqua au chant des psaumes, aux veilles, à l’oraison plus intime. Il cherchait à expier par ses larmes les maux partout répandus dans le monde comme s’ils eussent été les siens propres. Il souhaitait, en effet, que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » [39]. Un autre « prie, nous dit-on, pour que tout le peuple reçoive pardon et rémission de ses péchés » [40]. Parmi ceux qui vivent en commun, à Cluny, on rapporte de S. Maïeul : « Cet homme qui avait le culte de Dieu et l’amour de la bonté, qu’aurait-il pu considérer comme impossible à obtenir, en ce qui concernait son salut et celui des autres, lui qui, continuellement, sur l’autel de la céleste contemplation, faisait de lui-même, par la pratique de la mortification de chaque jour, une victime agréable à Dieu ? » [41]. Un de ses successeurs, Pierre le Vénérable, devait déclarer : « Bien qu’ils n’administrent pas les sacrements, les moines contribuent, pour une très grande part, au salut des fidèles » [42]. On trouverait des convictions semblables chez l’un des premiers chartreux [43], chez une moniale comme sainte Hildegarde [44] et bien d’autres témoins du moyen âge. Non qu’ils aient fait de cette intercession, de cette intervention dans le salut des autres, un motif, encore moins le motif, de leur vocation mais ils ont eu ce souci présent à l’esprit devant Dieu ; non que leur vie ait été, à leurs yeux, une vie pour le salut des autres, mais elle était une vie dans laquelle on s’y employait. Le but était l’union à Dieu, le résultat était l’union à tous : vivre pour Dieu, mais vivre avec tous ou, comme on le dit parfois, « vivre au pluriel ».
Cette conduite pratique a reçu son expression doctrinale de ces théoriciens de la charité que furent les auteurs cisterciens. Il suffira ici de citer, à titre d’exemples, deux passages de l’un d’eux, Isaac de Stella :
C’est dans la mesure où un genre de vie, quel qu’il soit, recherche plus sincèrement la charité envers Dieu et l’amour du prochain pour Dieu qu’il est plus agréable à Dieu ; et cela, quels que soient l’habit et les observances. La charité : c’est pour elle que tout doit se faire ou ne pas se faire, pour elle que tout doit être changé ou rester inchangé. La charité : c’est le principe pour lequel nous devons agir, la fin vers laquelle il importe de nous diriger. Rien n’est coupable de ce qui, en toute vérité, se fait pour elle et selon son esprit. La charité : sans elle nous ne pouvons rien....
Que ce soit donc pour vous, frères, une norme de vie ; telle est la règle véritable de la sainteté : vivre avec le Christ par la pensée et le désir dans cette patrie éternelle, mais au cours de ce laborieux pèlerinage ne refuser pour le Christ aucun exercice de charité ; suivre le Christ en montant vers le Père, s’affiner, se simplifier, s’unifier dans une paisible méditation ; suivre le Christ en descendant vers son frère, être distendu par l’action, se partager en mille morceaux, se faire tout à tous, ne rien sous-estimer de ce qui touche le Christ ; n’avoir soif que d’une chose, ne s’occuper que d’une chose, quand il s’agit du Christ unique ; vouloir être au service de tous, quand il s’agit du Christ multiple.
Plus tard, l’intention d’efficacité dans l’ordre du salut deviendra parfois plus explicite. Au XVIe siècle, un chartreux, Landsberg, écrira : « Certains se séparent entièrement des autres afin d’être d’autant plus utiles à ceux dont ils sont séquestrés par leur absence corporelle qu’ils sont moins retardés dans le propos qu’ils ont embrassé pour eux-mêmes et pour leur prochain » [45]. Bientôt, chez sainte Thérèse d’Avila, on retrouvera une idée du combat pour Dieu qui est proche de celles qu’Origène avait énoncées : les carmels sont des bastions de prière aux avant-postes de l’Église [46] ; on doit « être utile aux âmes » en « méritant » pour elles et en faisant pénitence pour éviter qu’elles ne soient privées de la gloire de Dieu [47] ; on y veut parler des hommes à Dieu, « aider le divin Crucifié » [48]. On interprète alors, sur un mode psychologique, le mystère de la présence aux hommes auprès de Dieu dont toute la tradition avait témoigné. Enfin, tout près de nous, on se rappelle une réflexion de Claudel qui suggérait qu’on fondât un carmel dans un pays d’Asie. « Comment voulez-vous, lui dit-on, qu’il y ait un carmel, puisqu’il n’y a pas de chrétiens ? » À quoi il répondit : « Et comment voulez-vous qu’il y ait des chrétiens, s’il n’y a pas de carmel ? »
3. Conscience de membres
a. Avec Dieu. – Si l’on essaie de discerner quel élément commun se trouve inclus en ces manifestations successives et diverses de la solidarité des contemplatifs avec l’Église, il semble qu’on arrive à cette constatation : ils avaient conscience d’être membres du corps du Christ, par conséquent de vivre, de prier, de lutter, de se sanctifier et de se sacrifier avec lui tout entier, pour lui, même dans les moments où ils ne pensaient pas expressément à le faire ; même lorsqu’ils oubliaient les hommes pour penser à Dieu, ils les servaient. Comme le Christ est « avec le Père » avant d’être « pour les hommes » et « avec les hommes » [49], ainsi le contemplatif veut être continuellement, dans le Christ, avec le Père, en qui il se trouvera nécessairement en communion active avec tous les membres du Christ, tous ceux qui reçoivent du Père, dans l’Esprit, la grâce du salut accompli par le Christ. Le contemplatif est associé avec toute l’Église en sa participation à la Parole de Dieu, et toute l’Église partage le bienfait, la grâce, qu’il reçoit pour lui et pour tous.
Faut-il parler, à ce sujet, d’une « substitution vicaire », comme si le contemplatif se donnait à Dieu « pour » le monde et, en quelque sorte, à sa place ? Une telle considération n’est pas exclue ; elle motive même, aujourd’hui, la vocation contemplative de certains. Mais cette vocation est tout d’abord « pour Dieu », propter Deum, c’est-à-dire à cause de lui et en vue de lui, et le monde y trouvera son compte. Cette insistance actuelle sur le « pour le monde » est légitime, mais en un second temps, inséparable d’un premier : celui de la préférence totale accordée à Dieu et de l’orientation vers lui ; on se donne à lui en tant que membre d’un tout, non pas comme un individu qui s’offre à la place des autres, mais comme un membre désireux d’être vivant, et de plus en plus, en tant que membre, selon la vocation qu’il a reçue de faire grandir le mystère du salut par la contemplation plutôt que par l’annonce, le praeconium, et en parfaite cohésion avec tous ceux qui le font grandir autrement.
Plus l’appel se diversifie pour devenir, chez certains, le désir de « vaquer à Dieu seul », comme dit Vatican II [50], plus la solidarité qu’il engendre est universelle. Dans la Bible, on assiste d’abord au passage de la conscience du clan à celle de l’individu, par exemple dans le domaine de la rétribution : au début, la communauté tout entière pâtit des fautes d’un de ses membres, ou bien bénéficie de sa fidélité ; et le clan, le peuple de Dieu, en son ensemble, est considéré comme juste ou comme pécheur par comparaison aux autres nations qui ignorent Dieu [51]. Avec Ézéchiel et la parabole des raisins verts, il devient clair que Dieu a affaire avec chaque personne : à l’intérieur même d’Israël, on est juste ou pécheur. Avec le Nouveau Testament, on le sera aussi en dehors d’Israël. Mais on le sera en solidarité avec un Israël plus grand, le vrai, l’Église universelle : le même S. Paul qui proclamera qu’il n’importe plus qu’on soit juif ou gentil, affirmera que nous sommes tous membres les uns des autres. Et cette conciliation du salut personnel avec celui de tous s’est accomplie au maximum en Jésus-Christ : c’est tout d’abord en lui-même qu’il nous a sauvés, moins par substitution que par amour contagieux, rayonnant, communicatif, efficace.
Aussi les anciennes Règles de vie contemplative sont-elles, quant à l’intention de sauver les autres, d’une discrétion qui est une forme d’humilité. Elles évitent de poser l’institution dont elles s’occupent sur un candélabre ou sur une colonne élevée. La question reste celle de saint Antoine et de tant de Pères du désert : « Comment serai-je sauvé ? » C’est celle des juifs venant à Jean-Baptiste : « Maître, que nous faut-il faire ? » [52], celle du jeune homme riche : « Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? » [53], celle des premiers disciples à Pierre et aux Apôtres : « Frères, que devons-nous faire ? » [54]. Dans ce Prologue où l’on fait la psychologie de la vocation de ceux qui se mettent à son école, saint Benoît n’invoque aucun autre motif que celui du salut personnel.
b. Pour les hommes. – Cette question et cette réponse n’ont jamais exclu la considération d’autrui : toute la vie de saint Antoine l’a bien montré ; Pachôme accueillait ceux qui venaient chercher leur salut auprès de lui. Et il en fut toujours ainsi. Il est rare que des solitaires aient accepté d’être seuls, n’aient point désiré faire participer les autres aux bienfaits spirituels dont ils remerciaient Dieu pour eux-mêmes. Toutefois, cet amour d’autrui, ce désir de son salut, s’enracinaient dans leur désir d’union personnelle avec Dieu. Moïse, quand Dieu lui proposait de le sauver lui seul, n’accepta que si tout Israël y participait : c’est parce qu’il aimait Dieu qu’il aimait son peuple, en vue de Dieu. Le même S. Paul qui affirmait : « J’ai le désir de m’en aller et d’être avec le Christ... » [55], aurait aussi voulu être anathème pour ses frères, et s’écriait : « Malheur à moi si je n’évangélise pas ! » [56]. Le Christ n’a inséré, pour ainsi dire, tous les hommes dans son retour au Père que par sa propre résurrection.
Dieu sait bien que nous sommes solidaires. Il n’aime personne, il ne se complaît en aucun saint autrement que comme membre de l’humanité. Toute complaisance qu’il prend en l’un des membres de celle-ci rejaillit sur tout le corps. Sa pluie ne peut descendre sur une seule belle fleur : elle tombe sur justes et injustes. Ainsi le contemplatif qui demande le salut pour lui-même, parce qu’il sait tout le besoin que sa misère en a, fait que les autres le reçoivent aussi. Lorsqu’il prie pour le pardon et !a grâce, il pense à soi, parce qu’il se sent pécheur. Mais c’est toute l’humanité dont il confesse, en sa personne, la pauvreté ; tout entière elle tire profit de son aveu, de son désir et du don qui le comble. Il sert le prochain en priant, mais pas nécessairement ou, du moins, continuellement, en priant à son intention. La prière possède une valeur en elle-même, indépendamment de son objet ou de son occasion. Son efficacité lui vient de ce qu’elle s’adresse à Dieu. On l’a dit, « la grande affaire n’est pas de savoir pour qui l’on prie, mais qui l’on prie » [57]. Préciser des intentions peut être un procédé psychologique apte à soutenir la ferveur ; mais cette ferveur doit d’abord procéder de la conviction que le Seigneur est tout-puissant et digne qu’on l’adore, qu’il est Amour et qu’il veut être aimé. Fixer à la prière des objets, si nombreux soient-ils, mais toujours limités, c’est en restreindre la portée universelle. Dieu est le Père commun de tous les hommes ; en le priant, c’est nécessairement à tous les hommes qu’on fait du bien.
Certes, beaucoup, en dehors de la vie contemplative, considèrent celle-ci sous l’angle de son utilité pour les hommes. Ce motif est légitime. Il n’est pas nécessairement une raison de vivre ou l’élément déterminant d’une vocation. « Rien ne vit ni n’agit plus intensément au monde, écrivait Teilhard, que la pureté et la prière, suspendues comme une lumière impassible entre l’Univers et Dieu » [58]. Même si le contemplatif ne pense pas à se situer entre l’Univers et Dieu, Dieu l’y voit : c’est lui qui reconnaît et utilise sa médiation. Souvent on a dit que les communautés de prière « sont les paratonnerres de la société qui oublie Dieu ». Elles le sont, en effet, au regard de Dieu, mais elles ne se mettent pas en tant que telles sous le regard de Dieu ; elles le sont sans le chercher, et peut-être d’autant mieux qu’elles le cherchent moins.
Ce qui est vrai dans le domaine de l’intercession l’est aussi en celui du témoignage ou de toute autre forme d’efficacité. Récemment, cette profonde solidarité a été soulignée dans le Message des contemplatifs au Synode des évêques [59] : il y était montré qu’à la racine de toute forme de fécondité d’une telle vie – que ce soit dans la prière ou le sacrifice – se trouve une participation aux souffrances et aux tentations que comporte, aujourd’hui plus que jamais, la difficulté de garder la foi, malgré son obscurité, et de vivre en conformité avec elle. En cette lutte, même si elle demeure silencieuse et cachée, les contemplatifs, comme tous, avec tous et pour tous, rendent présent et actuel en eux le mystère de la tentation et de la victoire du Christ, de sa mort et de sa résurrection [60].
Après cela, il n’est pas besoin que tous les hommes, ni même tous les chrétiens, comprennent la valeur de toutes les vocations, ni que les contemplatifs donnent de la leur une explication qui soit saisie de tous. À leur propos, le P. Lœw a écrit : « Le signe de l’absolu de Dieu a à être, plus qu’à ’être signe’. Ce n’est pas pour que les hommes comprennent la transcendance de Dieu, mais d’abord parce que cette transcendance est » [61]. Et le P. de Lubac dit des « meilleurs chrétiens » : « La plupart ne se demandent guère, aujourd’hui même, si leur foi est adaptée, ni si elle est efficace. Il leur suffit d’en vivre comme de la réalité même, la plus actuelle toujours, et les fruits qui en découlent, fruits eux-mêmes souvent cachés, n’en sont pas moins beaux, ni moins nourissants » [62]. Lorsqu’un chrétien intensifie sa participation à la parole de Dieu, au mystère du salut, il ne le fait pas seulement pour lui, mais pour tous. Lorsqu’un contemplatif approfondit son être en présence de Dieu, fait de l’expérience de sa misère une occasion de grandir dans l’humilité, la confiance, l’action de grâces pour le pardon reçu, il devient capable de partager avec d’autres son expérience ; mais il ne l’a ni cherchée, ni acquise dans cette intention. S’il en témoigne et s’il la communique, cet échange ne sera point pour lui une distraction, mais un prolongement de sa propre expérience, l’aliment et l’occasion d’une plus intense union à Dieu. Mais s’il ne lui est pas donné d’en parler, l’important, pour lui et pour les autres, est qu’il l’ait éprouvée, que le niveau de participation à l’œuvre du salut se soit élevé dans le monde.
On comprend que l’on ait pu dire des contemplatifs qu’ils « doivent coopérer au salut du monde, non pas par l’action, ni par l’intention, mais par leur perfection. Non pas activement, ni intentionnellement, mais existentiellement » [63].
4. Trois contemplatives témoins
Il n’y a pas ici à illustrer, comme on pourrait le faire, ces considérations à la lumière des fécondes réflexions auxquelles on se livre aujourd’hui sur l’homme en tant qu’« être de relations », sur la communication, la réciprocité, l’amour, qui font partie de sa nature, et de celle de l’Homme-Dieu [64]. Il ne s’agit ici que d’une brève mise au point sur le sujet si actuel qu’est l’intentionnalité de la vie contemplative. Plutôt qu’à des théories, appelons-en au témoignage de trois de celles qui ont mené cette vie et joué un rôle dans le développement de ce problème.
De Ste Thérèse d’Avila, Jean XXIII déclarait qu’elle était « persuadée que la prière et l’amour du sacrifice sont d’une extrême importance pour le salut des âmes et qu’ils constituent même une forme éminente d’apostolat » [65]. Mais a-t-elle fait de cette efficacité un motif d’entrée au Carmel ?
Ste Thérèse de Lisieux écrivait, de son côté : « Jésus attend la prière d’une pauvre petite âme pour sauver les autres âmes » [66], et encore : « Jésus nous demande de désaltérer sa soif en lui donnant des âmes » [67]. Et pourtant elle a réagi contre l’idée d’une substitution voulue, celle que l’on entretenait dans son milieu et que l’on justifiait par une théorie des mérites ; elle a préféré s’appuyer sur la théorie de l’amour : il ne s’agit pas de se mettre à la place des autres, mais d’attirer tellement le Christ à soi qu’on l’attire à tous les autres [68]. Un seul cheveu de l’épouse est suffisant pour fasciner l’Époux, sans qu’il y ait proportion entre ce qu’on lui présente et ce qu’on obtient de lui. « Être votre épouse, dit-elle, être, par mon union avec vous, la mère des âmes, tout cela devrait me suffire » [69]. Et encore :
Jésus m’a fait comprendre cette parole du Cantique : « Attirez-moi, nous courrons à l’odeur de vos parfums... » Ô Jésus, il n’est donc même pas nécessaire de dire « En m’attirant, attirez les âmes que j’aime ». Cette simple parole « Attirez-moi » suffit, Seigneur, je le comprends. Lorsqu’une âme s’est laissé captiver par l’odeur enivrante de vos parfums, elle ne saurait courir seule : toutes les âmes qu’elle aime sont entraînées à sa suite. Cela se fait sans contrainte, sans effort. C’est une conséquence naturelle de son attraction vers vous.
Enfin, à propos d’Elisabeth de la Trinité, on a écrit :
Cet amour, qui est Dieu et que Dieu dispense, est par sa seule présence une puissance purifiante, rédemptrice. Rien d’autre n’est nécessaire que cette présence et son contact pour sanctifier ce qui n’est pas saint. Tels sont la force, le rayonnement, l’apostolat de l’amour divin. Et participant à cette puissance d’amour, l’âme purifiée, sanctifiée, est aussi dotée de la même puissance. Dans la présence réciproque non seulement elle est touchée par un rayon de la lumière divine, mais celle-ci lui est communiquée : « Vous êtes la lumière du monde ». Quand Élisabeth, tout aussi fortement que la petite Thérèse, loue le caractère apostolique de l’amour, de la vie toute donnée et immolée au service de Dieu, elle s’inscrit dans l’évidente tradition carmélitaine. « Je voudrais être toute silencieuse, toute adorante, afin de pénétrer toujours plus en lui, et d’en être si pleine que je puisse le donner par la prière à ces pauvres âmes ignorantes du don de Dieu ! »
Elle écrit à un prêtre : « Je veux être apôtre avec vous du fond de ma chère solitude du Carmel, je veux travailler pour la gloire de Dieu, et pour cela il faut que je sois toute pleine de lui. Alors j’aurai toute puissance : un regard, un désir, deviennent une prière irrésistible qui peut tout obtenir puisque c’est, pour ainsi dire, Dieu que l’on offre à Dieu ». Elle veut être « comme un petit vase à la source, à la fontaine de vie, afin de pouvoir ensuite la communiquer aux âmes, en laissant déborder ses flots de charité infinie ».
Cette conception de l’apostolat contemplatif a appelé le commentaire suivant :
« La vie est service, mais la théologie également est service, la mystique est service. Ce qui était encore évident à la fin de la première patristique, de l’évangile répandu à travers une vision néo-platonicienne du monde, doit, après de longs siècles d’ascèse égocentrique et en pleine époque de psychologie, être redécouvert comme l’attitude catholique conforme à la Révélation.
Elisabeth insiste donc sur le caractère de fonction, d’office. L’office et le charisme sont si peu en opposition que leurs contenus se recouvrent. Chaque charisme dans l’Église est un office, et l’office par excellence, l’ordre sacerdotal et la hiérarchie, sont aussi une forme de la grâce charismatique. Malgré tout le respect d’Élisabeth pour l’office du prêtre, on est assez surpris de la voir si indépendante dans ses amitiés sacerdotales, de constater qu’elle place l’office de la carmélite à côté de celui du prêtre, l’un et l’autre se complétant et se pénétrant. Elle comprend « l’apostolat » pour la carmélite comme pour le prêtre. Alors l’un et l’autre peuvent rayonner Dieu, le donner aux âmes, s’ils se tiennent à ces sources divines ».
Conclusion
Présence et conscience
Vivre pour l’Église, c’est d’abord vivre avec elle ; avant de partager, il faut participer, c’est-à-dire prendre part. Et cette réalité pourra devenir plus ou moins consciente, voulue, intentionnelle et explicite. Les contemplatifs ne pensent pas toujours à leur prochain. Et cependant, dès qu’une occasion se présente de le faire, ils doivent être prêts : leur continuelle communion n’a plus qu’à être actualisée. Le témoignage, l’exemple, les contacts n’ont pas été cherchés, mais ils ne sont pas refusés. L’homme qui s’oublie et se vide de soi peut ensuite attirer, consoler, éclairer, élever de toute façon ; celui qui prie habituellement révèle une présence de Dieu. Son action ne lui vient ni d’une prétention à l’influence, ni d’une volonté expresse ; elle résulte d’une conviction profonde qui est en lui, d’un intérêt porté une fois pour toutes au salut de tout l’univers, et qui n’attend, pour ainsi dire, qu’une ouverture pour émerger, pour se manifester.
Ceux qui ont été les porte-parole de l’expérience commune aux contemplatifs l’ont bien dit : ceux-ci ne désiraient que s’unir à leur Époux ; mais ils lisaient dans son regard l’amour de tous les hommes ; ils se sentaient alors appelés à devenir les hérauts de cet amour, à le proclamer, à le communiquer. Parfois, comme le confie saint Bernard, ils eussent préféré demeurer occupés de lui seul ; mais ils entendaient le commandement de se lever pour aller partager ce qu’ils avaient reçu [70]. De leur rassasiement de Dieu sortait, comme un débordement, leur service d’autrui. L’amour qu’ils éprouvaient en eux comme exclusif, ils découvraient qu’il est aussi universel, qu’il tend à se répandre sans diminuer. Tandis que les actifs voient dans leur service d’autrui le chemin de leur rassasiement de Dieu, les contemplatifs n’ont pas d’autre intentionnalité que leur adhésion à Dieu, qui a le droit de les renvoyer vers leurs frères à cause de lui.
En un monde où presque personne ne vit exclusivement pour lui, Dieu s’est réservé quelques êtres à qui il demande cette sorte de folie qui consiste à ne chercher que lui. Alors il sait les mettre au service de tous. Mais leur communion avec tous dépend d’abord de leur communion avec lui : présents à Dieu, ils rendent, en eux-mêmes, les autres également présents à Dieu. Il leur suffit d’appeler le souvenir de leur prochain au seuil de leur mémoire pour que cette présence devienne prière : Memento, Domine. Prier, c’est consentir au dessein de salut accompli dans le Christ, demander qu’il se réalise de plus en plus pleinement, et, par là, y contribuer. Plus on prie, plus on participe au salut, c’est-à-dire plus on est sauvé, mais aussi, d’une façon mystérieusement efficace, plus on sauve.
N’est-ce point cette réalité qui justifie le vocabulaire, si en vogue aujourd’hui, de « l’incarnation » et son application aux relations des hommes entre eux ? Car ni pour Dieu dans le Christ, ni pour le chrétien dans le monde, l’incarnation n’est seulement ni d’abord une insertion dans une réalité dans laquelle on entre, à laquelle on se mêle pour agir sur elle. La tradition théologique parle de l’ homo assumptus : assumer, c’est, non se mettre au niveau de ce à quoi on s’unit, mais l’élever au-dessus de lui, jusqu’au niveau de celui qui s’unit à lui, et, en ce sens, l’enlever au monde qui est naturellement sien, en respectant, cependant, sa nature, qui n’est pas détruite, mais transformée. Ainsi le chrétien – et de ce devoir le contemplatif n’est nullement dispensé – doit-il comprendre le monde, l’embrasser, pour élever de façon consciente, le plus possible, l’existence humaine au niveau de Dieu dans le Christ et l’introduire dans l’eschatologie. Cette « assomption » qui rend, en nous, le monde davantage présent à Dieu se réalise de bien des façons, qui sont autant de formes de la charité répandue dans nos cœurs par l’Esprit de Jésus ressuscité : exemple, témoignage, annonce, service, intercession, mais d’abord, et pour tous – singulièrement pour ceux qui se livrent moins à des activités d’entraide immédiate – prise en charge, expérience de solidarité, intense, consciente, avec la profondeur de la misère humaine, par la tentation, la souffrance, avec la condition sociale difficile des plus pauvres, avec l’aspiration des hommes vers Dieu que, bien souvent, ils ignorent, mais qui les cherche et vient à leur rencontre. Ainsi la contemplation chrétienne n’est pas seulement prière, mais purification ; elle exige le sacrifice de tout amour de soi, elle ouvre le cœur à cette forme de présence à Dieu qui est l’amour-responsabilité.
Abbaye S.-Maurice
Clervaux
(G.-D. de Luxembourg)
[1] n. 2.
[2] n. 41.
[3] n. 13.
[4] nn. 8, 56, 57, 59.
[5] n. 7-8.
[6] n. 7.
[7] Sous le titre « La vie contemplative et le monachisme d’après le Concile Vatican II », dans Gregorianum, 47 (1966), pp. 513-516, j’ai indiqué des textes.
[8] Des textes sont cités dans H. de Lubac, Exégèse médiévale, I, Paris 1959, p. 569.
[9] Ibid., pp. 569-570.
[10] Ibid., pp. 558-568.
[11] « Erigens nos ad sublimiorem profectum », Cassien, Conf. 1, 19, Sources chrétiennes, 42, p. 100.
[12] « Agitur ut et sensus crescat, et elatio decrescat..., quaedam intelliguntur melius..., aliquando ad sublimiora contemplanda rapitur, et in eorum desiderio suavi fletu cruciatur », S. Grégoire le Grand, In Ez., II, II, 2, P.L., 76, 948.
[13] Ps. 84, 9, cité par Cassien, Conf., 1, 19, Sources chrétiennes, 42, p. 100.
[14] Cf. « La vie contemplative et le monachisme », loc. cit., p. 500-506.
[15] La Documentation catholique, 64 (1967), col. 1169-1171.
[16] Gaudium et spes, n. 38.
[17] Ch. A. Bernard, S. J., La prière chrétienne, Desclée De Brouwer 1967, p. 12.
[18] 2 Co 6,14-17 ; cf. 1 Co 5,13.
[19] Sup. Cantica, 9, 3, éd. S. Bernardi opera, I Rome 1957, pp. 43-44.
[20] Une évocation de l’expérience de l’apôtre aiderait à mieux saisir, par contraste, ce qu’est l’expérience contemplative, avec laquelle celle de l’apôtre offre d’ailleurs des points communs ; on peut voir, par exemple, ce qu’en écrit P. Fisch, S.J., « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie », dans Revue diocésaine de Tournai, 22 (1967), pp. 421-434, en particulier p. 432 : La prière de l’apôtre.
[21] J. M. Burucoa, Tours de cloître, La Pierre-qui-Vire, 1967, p. 2.
[22] Cf. L. Bouyer, Eucharistie. Théologie et spiritualité de la prière eucharistique, Tournai 1966, en particulier les premiers chapitres et les conclusions, pp. 429-440, et A. de Vogué, « Le sens de l’office divin d’après la Règle de S. Benoit », dans Revue d’ascét. et de myst., 42 (1966), pp. 389-404, 43 (1967), pp. 21-33.
[23] Gargantua, I, 40, cité par J. Krailsheimer, Rabelais, coll. « Les écrivains devant Dieu », Desclée De Brouwer 1967, p. 107.
[24] L. Th. Lefort, Les vies coptes de S. Pachôme, Louvain 1943, p. 248.
[25] Dans Témoins de la spiritualité occidentale, Paris 1965, pp. 36-38, j’ai cité des textes.
[26] Décret sur l’activité missionnaire de l’Église, 18 et 40.
[27] Décret sur la charge pastorale des évêques, n. 35.
[28] Ibid., n. 28.
[29] La spiritualité de Cîteaux, Paris 1955, p. 247.
[30] Des textes sont cités par S. Tavares Bettencourt, Doctrina ascetica Origenis, Cité du Vatican, 1945 (Studia Anselmiana, 16), p. 54 et 85.
[31] Ibid., pp. 120-123.
[32] Pseudo-Rufin, Vitae patrum, III, Prol., P.L., 73, 739.
[33] In Io., hom. 78, 4, P.G., 59, 426.
[34] Novell., 133, praef., éd. Schœll-Kroll, Corpus iuris civilis, III, Berlin 1912, p. 666, cité en exergue dans Millénaire du Mont-Athos, Chevetogne, 1963, I, p. 12.
[35] Petites catéchèses, 39, éd. Auvray, pp. 142-143, cité dans L’Évangile au désert, p. 104.
[36] Ed. J.B. Chabot, « Vie du moine Raban Youssef Bousnaya », dans Revue de l’Orient chrétien, 3 (1898), p. 79.
[37] W. Urry, Canterbury under the Angevin Kings, Londres 1967, p. 155.
[38] Th. Merton, « Openness and Cloister », dans Cistercian Studies, 2 (1967), p. 316.
[39] Vita S. Maldegesili, P.L., 74, 1444-1445.
[40] Vita S. Victoris, Acta SS. Boll., Febr. III, 671.
[41] Vita brevior, 26, dans Bibliotheca Cluniacensis, Paris 1654, 1779.
[42] Epist., 1, 28, P.L., 189, 142 ; éd. G. Constable, Cambridge (Mass.) 1967, p. 82.
[43] Guigues l’ancien, Consuetudines, 20, 2, P.L., 153, 675.
[44] Scivias, II, 5, P.L., 197, 488 ; texte que j’ai traduit dans La vie parfaite, Paris 1948, pp. 54-55.
[45] De vera religione et monasteriis, 15, dans Opera omnia, t. IV, Montreuil, 1910, p. 19.
[46] Chemin de la perfection, ch. 1 et 3, dans Œuvres complètes de Ste Thérèse, trad. du P. Grégoire de St.-Joseph, Paris, Ed. du Seuil, 1949, p. 584 et 594-596.
[47] Vie écrite par elle-même, ch. 32, ibid., pp. 347-349.
[48] Septièmes demeures, ch. 10, ibid., p. 1044.
[49] Cf. H. U. von Balthasar, « Relation immédiate avec Dieu », dans Concilium, 29 (1967), pp. 39-45.
[50] Perfectae caritatis, n. 7.
[51] Cf. par exemple, A. Cause, Du groupe ethnique à la communauté. Le problème sociologique de la religion d’Israël, Paris 1937.
[52] Lc 3,12.
[53] Mt 10,17.
[54] Ac 2,37.
[55] Ph 1,23.
[56] 1 Co 9,16.
[57] L. Bouyer, Le sens de la vie monastique, Paris 1950, p. 219.
[58] Hymne de l’univers, Paris 1961, p. 167.
[59] Texte dans La Documentation catholique, 64 (1967), 1907-1910.
[60] Sous le titre « Chronique de l’actualité contemplative. I. Contemplation et athéisme », dans Nouvelle Revue théologique, 100 (1968), pp. 67-72, j’ai commenté ce Message.
[61] « Le monastère, signe et témoignage », dans Collectanea Cisterciensia, 27 (1965), p. 166. On pourrait citer, dans le même sens, A. Stolz, L’ascèse chrétienne, Chevetogne 1948, p. 46 ; T. Merton, Semences de contemplation, Paris 1952, p. 158, et bien d’autres spirituels de notre temps.
[62] Nouveaux paradoxes, Paris, 1954, p. 95. Toute cette page et tout son contexte sont une mise en garde contre la tentation de l’« efficacité » immédiate.
[63] I. Hausherr, SJ., « La théologie du monachisme chez S. Jean Climaque », dans Théologie de la vie monastique, Paris, 1961, p. 406.
[64] Ces vues ont été développées, par exemple, par S. Moore, God is a New Language, Londres, 1967.
[65] Lettre du 16 juillet 1962 à l’occasion du IVe centenaire de la réforme du Carmel, dans La Documentation catholique, 59 (1962), 1162.
[66] Lettre 114, éd. Lettres, Paris, 1948, p. 205.
[67] Lettre 74, p. 135. Toute cette lettre illustre la conciliation du « désir » de « sauver les âmes » avec l’unicité du regard vers Jésus : « Il ne veut qu’un regard, un soupir, mais un regard et un soupir qui soient pour lui seul ! »
[68] En témoignent, par exemple, – et quoi qu’il en soit des interprétations qui accompagnent là les citations –, les textes rassemblés par M. Moré, « La table des pécheurs », dans Dieu vivant, 24 (1953), pp. 15-103.
[69] Histoire d’une âme, ch. XI.
[70] Sup. Cant., 57, 911, éd. S. Bernardi opera, II, Rome 1958, pp. 124-126. Dans le même sens, ibid., 18, 3, t. I, Rome 1957, p. 105, etc...