Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Religieuses et exigences missionnaires

Armand-François Le Bourgeois

N°1968-3 Mai 1968

| P. 129-147 |

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Sous ce titre, le Secrétariat général de l’Épiscopat de France vient de publier le rapport présenté par Mgr Le Bourgeois, évêque d’Autun, Président la Commission des Religieuses, à l’assemblée plénière de la Conférence épiscopale, tenue à Lourdes du 8 au 15 novembre 1967 sur le thème : « Questions actuelles posées par les exigences missionnaires en France ».
Les constatations faites pour la France et les conclusions à en tirer, sans être parfaitement identiques ailleurs, sont de nature cependant à éclairer les religieuses de tout pays. Aussi, sommes-nous très reconnaissants à Mgr Le Bourgeois et à Mgr Echtegaray, secrétaire général de l’épiscopat français, de nous avoir autorisés à reproduire ces pages substantielles. Nous les donnons presque intégralement.

L’Église conciliaire se situe en plein monde (et non pas à côté de lui). Elle s’y veut totalement missionnaire, et dans cette avancée, chacun a sa place. Les religieuses s’interrogent avec une bonne volonté et une générosité dignes d’admiration, les pasteurs prennent conscience de leurs responsabilités en face des religieuses, tant pour les aider à se renouveler que pour leur faire place – et large place – dans l’Église missionnaire.

Cela ne veut pas dire qu’il soit aisé de situer les religieuses dans l’Église missionnaire. Si l’apostolat des laïcs a une relative souplesse, liée aux conditions de vie changeantes du laïcat lui-même, il n’en va pas de même de l’apostolat des religieuses. D’une part, il est tributaire de la conception même de la vie religieuse (assez nette dans sa définition, déjà plus discutée dès que l’on sort des principes) ; d’autre part, cet apostolat est lié à un passé, souvent à des institutions dont on ne peut d’un trait de plume changer l’être et diriger les orientations. Nous le sentons bien lorsqu’il s’agit de nos propres structures diocésaines et paroissiales !

Aussi les remarques qui suivent seront souvent à la frontière entre idéal et réalité, entre ce que l’on peut souhaiter et ce dont il faut prendre acte, en particulier dans une première partie où sera étudié le caractère missionnaire de la vie religieuse en elle-même. Une deuxième partie étudiera quelques formes de cette présence missionnaire ; et la troisième en indiquera les conditions nécessaires.

I. Mission de la vie religieuse en elle-même

La première mission de la vie religieuse, de toute vie religieuse, quelles qu’en soient les formes, est de faire prendre au sérieux par tous les chrétiens et les non-chrétiens la vie de baptisé. Je m’explique : le Concile a rappelé que

« la norme ultime de la vie religieuse étant de suivre le Christ (sequela Christi) selon l’enseignement de l’Évangile, cela doit être tenu par tous les instituts comme leur règle suprême ». (Perfectae Carilatis, 2.)

L’amour du Christ, la perfection de la charité, sont proposés à tous les chrétiens ; et en cela il n’y a pas de différence fondamentale entre les baptisés. Mais le religieux choisit, pour atteindre ce but, les moyens exceptionnels que sont les vœux. En outre, dans la vie religieuse au sens strict, ce chemin vers la perfection évangélique est parcouru en commun. C’est le groupe qui témoigne, qui annonce le Seigneur, qui est donc « missionnaire ».

Écoutons le Concile :

« La consécration religieuse s’enracine dans la consécration baptismale et l’ exprime avec plus de plénitude. » (P. C., 5).

Exprimer, c’est du même coup s’adresser aux autres. Et le message est d’importance :

« La profession des conseils évangéliques apparaît comme un signe qui peut et doit exercer une influence efficace sur tous les membres de l’Église dans l’accomplissement courageux des devoirs de leur vocation chrétienne. En effet, comme le peuple de Dieu n’a pas ici-bas de cité permanente, mais est en quête de la cité future, l’état religieux... manifeste aux yeux de tous les croyants les biens célestes déjà présents en ce temps, atteste l’existence d’un vie nouvelle et éternelle acquise par la rédemption du Christ, annonce enfin la résurrection à venir et la gloire du Royaume des Cieux. » (L. G., 44.)

Analysons de plus près ; et il nous faudra chaque fois énoncer l’idéal et passer à la réalité concrète diversement vécue.

Le signe le plus extérieur de la vie religieuse au sens strict, est son aspect communautaire. C’est en ceci qu’elle se distingue de toute consécration privée à Dieu, même de toute consécration officielle mais faite au sein d’un institut séculier. Les textes conciliaires ont fortement insisté sur ce témoignage collectif (voir entre autres, P. C., 15) ; ils mettent en relief la charité fraternelle et le partage des biens, en référence à la première communauté de Jérusalem.

L’histoire de l’Église prouve que rien n’a changé à cet égard : le témoignage des plus grands spirituels passe la plupart du temps à travers un groupe de disciples, voire d’une famille religieuse, fondée ou réformée. A l’inverse, le monde est plus sensible à la médiocrité d’un ensemble qu’aux déficiences individuelles, même graves.

Ces vérités, qui n’ont pas d’âge, étant rappelées, il est intéressant de noter quelques aspects nouveaux que doit revêtir en notre temps la vie commune, précisément pour porter témoignage :

  1. On souhaite moins les grosses collectivités très institutionnelles que les groupes restreints, aux dimensions d’une famille ; et bien des instituts s’orientent en ce sens, retrouvant souvent ainsi la forme originelle.
  2. La communauté n’exerce pas toujours un apostolat collectif (que l’on songe aux sœurs soignantes à domicile, catéchistes, etc.) mais ce que l’on attend c’est le témoignage de la vraie fraternité au sein de la maison qui les réunit, et d’une fraternité animée par une charité vraie, simple, unissant entre elles et rendant accueillantes aux autres ces femmes que l’on appelle joliment « ma Sœur ».

La recherche présente des instituts religieux les amène à mettre de plus en plus l’accent sur cette vie commune, à travers laquelle doit être vécue la consécration religieuse elle-même : la communauté idéale est l’image de la cité future, mais déjà ébauchée, où l’ordre des valeurs est autre que dans la cité terrestre, même aménagée, inspirée, par l’idéal chrétien :

– La pauvreté est avant tout un certain détachement des biens temporels ; on l’a parfois trop réduite au détachement affectif, facile quand on ne manque de rien, et qui n’aurait pas le sens d’un témoignage s’il n’était effectif. Le Concile l’a fortement rappelé :

« Il faut que les religieux soient pauvres effectivement et en esprit (re et spiritu), ayant leur trésor dans le ciel. » (P. C., 13.)

Il invite à chercher des « formes nouvelles de pauvreté »...

Voyons l’aspect positif de cette expression qui, autrement, paraîtrait presque étrange ! Les formes de la pauvreté réelle sont inscrites dans la vie de la masse qui nous entoure : cette pauvreté s’exprime par la nécessité absolue du travail pour vivre : « gagner son pain » ; elle est faite aussi d’insécurité.

Le Concile a rappelé l’un et l’autre aux religieux, et il a bien fait. Il leur a dit encore que les communautés en tant que telles collectivement, devaient porter le même témoignage, évitant

« tout luxe, tout gain immodéré, tout cumul de biens » (P. C., 13).

Voilà qui est plus difficile encore et nous déplorons certains contre-témoignages. Mais ne perdons pas de vue que l’effort de pauvreté doit s’inscrire dans celui du peuple de Dieu tout entier, et de cela nous sommes responsables. Nous aurons à revenir sur cette solidarité nécessaire entre tous ceux qui sont l’Église.

– S’agit-il de l’obéissance ? Sans parler de l’éternelle domination de l’homme sur l’homme et des rêves d’égalité qui secouent l’humanité, le drame de l’obéissance se pose à plus d’une conscience adulte, non seulement en certains cas exceptionnels mais dans les relations quotidiennes d’homme à homme.

L’obéissance religieuse devrait apporter une certaine réponse.

  1. Elle établit tout d’abord entre les membres de la communauté un état permanent de dialogue, d’ouverture aux autres ; et dans cette soumission réciproque (subditi invicem) il y a un acte de foi dans la présence de l’Esprit.
  2. Elle allie l’esprit d’initiative et le sens de la responsabilité, à la soumission réelle et volontaire.
  3. L’autorité elle-même est réglée par le jeu des conseils et des chapitres,subordonnée finalement à Dieu.
  4. Le Concile a fermement rappelé que l’obéissance ne régissait pas seulement le gouvernement intérieur des instituts, mais que leur apostolat extérieur, pour être vraiment d’Église, devrait s’exercer en esprit de soumission à la hiérarchie (cf. Christus Dominus, 3, 35, et Ecclesiae Sanctae).

Réalisée dans toutes ses dimensions, l’obéissance religieuse n’a plus d’autre référence que le Christ lui-même (P. C., 14). Ainsi sommes-nous introduits dans le mystère de la Croix : la suprême obéissance, jusqu’à la mort, apparaît comme le moteur de toute activité et comme l’expression d’une suprême liberté. Tel est l’idéal. Convenons que la réalité ne lui est pas toujours conforme ! Mais la recherche actuelle des instituts religieux va bien dans le sens demandé par le Concile. Une telle obéissance vécue au sein d’une famille religieuse est un témoignage dans un monde où les rapports inter-personnels sont chaque jour plus étroits et plus complexes, plus soucieux aussi de fraternité humaine.

– Le témoignage de la chasteté est sans doute le plus paradoxal que porte la vie consacrée. L’amour humain est un bien véritable et voulu par Dieu. Il répond à une aspiration inscrite dans la chair et dans le cœur de l’homme. C’est même le seul bien qui soit en quelque sorte à la portée des plus déshérités, le seul qui suffise à transformer une vie et à lui conférer une grandeur inattendue, une fécondité charnelle et spirituelle. Bien mieux, le Christ n’a pas craint de comparer cette union profonde de deux êtres à celle qu’il réalise avec l’Église ; et c’est à l’amour qu’il a confié le soin d’étendre les fruits de la Rédemption, de susciter des citoyens pour le Royaume futur. Mais voici que le religieux va plus loin : librement il renonce à ce bien véritable – et il faut que son renoncement prenne bien ce sens positif, qu’il assume son célibat – pour témoigner que le Royaume de Dieu est déjà mystérieusement présent puisque des hommes et des femmes s’y établissent dès maintenant.

Du même coup, s’instaure un style nouveau de relations inter-personnelles et nous retrouvons ici encore la « communauté » et son ouverture au monde. Ces relations nouvelles dépassent celles que fondent les liens naturels du sang et de la famille, pour revêtir un caractère de disponibilité, d’universalité, qui est encore un signe du Royaume de Dieu.

Tel nous apparaît bien le rôle fondamental de la vie religieuse dans l’Église : elle est signe d’une présence du Christ, elle oblige l’homme à s’interroger. Ce signe doit être compris et, pour cela, être mis à la portée des hommes de ce temps. Il faut dire ici l’immense effort accompli par les communautés religieuses. Sans doute quelques-unes ont-elles été si peu aux écoutes du monde qu’il leur est difficile de savoir quel langage lui convient. Mais la plupart posent maintenant sur lui un regard neuf où se lit la confiance, et sont à la recherche des signes qui exprimeront leur témoignage.

II. Diverses formes de présence missionnaire

À côté du témoignage, il y a l’action. Celle de la prière d’abord, et le décret conciliaire nous en rappelle l’excellence :

« Poussés dans cette voie par la charité que l’Esprit Saint répand dans leurs cœurs, les religieux et religieuses vivent toujours davantage pour le Christ et pour son Corps qui est l’Église. C’est pourquoi plus fervente est leur union au Christ par cette donation d’eux-mêmes qui embrasse toute leur existence, plus riche est la vie de l’Église et plus fécond son apostolat. » (P. G., 1.)

Ainsi s’explique en particulier la valeur irremplaçable de la vie contemplative ; ainsi sommes-nous certains que, par la prière des cloîtrées, une vie plus intense passe mystérieusement entre tous les membres du Corps du Christ, même à leur insu : « Ta grâce est ma grâce. »

Puisque nous mentionnons ici d’une manière très particulière les contemplatives, disons tout de suite le respect que nous devons avoir de leur vocation. Notre foi dans la prière comme premier moyen d’apostolat doit rejoindre la leur, et ce n’est pas en les sortant de leurs monastères que nous les rendrons plus missionnaires dans l’Église.

Un double souhait peut être exprimé : qu’une information précise des besoins de ce monde le leur rende plus présent encore et soutienne leur prière ; que leurs maisons s’efforcent d’être de véritables centres de prière ouverts aux autres : religieuses, chrétiennes de toutes conditions devraient trouver là un moyen de se ressourcer ; il appartient aux monastères eux-mêmes d’étudier les modalités de cet accueil, compte tenu des diverses formes de vie claustrale, mais il peut nous revenir de les aider dans cette recherche.

Il est arbitraire de séparer le groupe des moniales de celui des autres religieuses, comme si prière et exercice de l’apostolat pouvaient se concevoir disjoints. Mais nous ne le faisons ici que pour une commodité d’exposé, en songeant à l’armée des religieuses qui exercent un apostolat extérieur. Leurs fondateurs et fondatrices ont presque toujours été « en pointe », véritables missionnaires en quête d’âmes à sauver par des moyens neufs et adaptés... Parfois, hélas, le temps a fait son œuvre : ce qui était audacieux cesse de l’être pour devenir routine, ou même retard ; mais on peut déceler aujourd’hui dans l’ensemble des communautés religieuses ce souci de retrouver l’ardeur des origines.

L’esprit missionnaire de l’Église revêt des formes diverses : il a sa dimension horizontale et sa dimension verticale ; il s’exerce en étendue et en profondeur. Ainsi les instituts religieux doivent-ils répondre à ce double besoin : étendre le règne de Dieu sur la surface de ce monde et être toujours en éveil là où le Royaume semble annoncé. D’où les modes suivants de présence missionnaire :

1. - Présence missionnaire à l’Église Universelle

Les évêques ne doivent jamais perdre de vue cette mission universelle des instituts religieux et il est impossible de traiter l’Église missionnaire sans nous y référer. Spontanément d’ailleurs, les instituts consultés par l’enquête préalable à notre Assemblée ont souligné l’effort qu’ils accomplissaient, même dans ces années « creuses », en faveur des missions ad extra. Ainsi, par exemple, le rapport de la Région Apostolique du Nord insiste fortement sur cet élan général. Telle réponse de l’une ou l’autre communauté signale un effort considérable si l’on songe au nombre des religieuses (une congrégation qui ne compte pas 1000 membres réalise dix fondations missionnaires en douze ans). On ajoute d’ailleurs que, la plupart du temps, les supérieures font appel à des volontaires qui se présentent en nombre beaucoup plus important qu’il n’est nécessaire. Tous les instituts doivent rester ainsi aux avant-postes de l’Église. A la limite, l’existence de congrégations missionnaires devrait être considérée par les autres comme une anomalie, comme un dur rappel à leur rôle d’évangélisation !

Loin de contredire de sages départs en pays spirituellement sous-développés, nous devons avoir à cœur de les favoriser. Nous admettons le partage de nos biens matériels, nous le souhaitons... et nous refusons celui des biens spirituels, ou du moins il nous semble normal de jouir d’un certain confort – si relatif qu’il soit – quand d’autres meurent de faim et que personne n’est là pour rompre le pain. En d’autres cas, il semble que nous abandonnons... les restes ! Un évêque du tiers-monde me disait fermement : « Ne nous envoyez que des religieux qui soient indispensables » !

Je n’ai pas à faire ici une théologie de la mission ; il est clair que le but dernier de ceux qui partent est d’aider l’Église-sœur à penser et à réaliser elle-même ses propres institutions. À nous de le rappeler éventuellement lorsque des projets de départ nous sont soumis. Concrètement, ayons soin de mettre les candidats au départ en relation avec le Comité Épiscopal français qui en a la charge : ainsi apparaît mieux la mission confiée par l’Église elle-même ; ainsi assurerons-nous par ailleurs une préparation plus adéquate de ceux qui partent, et un choix meilleur de leur champ d’apostolat.

2. - Présence missionnaire à l’Église de France

Pour rendre compte de l’effort déjà réalisé, le rapport se base ici sur une Note du 7 octobre 1967, émanant de la Commission du Monde Ouvrier créée par l’Union des Supérieures Majeures de France. À travers l’objectif limité du monde ouvrier, passe tout un élan missionnaire qui revêt une double forme :
a) Un premier courant recherche une présence au monde ouvrier sous un mode totalement nouveau, caractérisé par la condition de salariées, afin de marquer un partage de la vie ouvrière. Exemples : religieuses rattachées à une association non confessionnelle ; religieuses au travail en usine ; filles de salle en milieu hospitalier ; ouvrière agricoles. Cet « envoi en mission » exige des motivations sérieuses, une sélection attentive à tous les impératifs impliqués. Il doit émaner d’une prise de position collective de la Congrégation et de l’Église et non pas d’une pression individuelle. Il est difficile de mesurer les répercussions apostoliques de cette forme de présence encore trop neuve, mais on peut se réjouir de la pensée qui l’inspire et du dévouement qui s’y manifeste.
b) Le second courant tend à imprégner d’un aspect nouveau les activités habituelles des religieuses, enseignantes, éducatrices, soignantes... et à en découvrir de nouvelles expressions ; ce qui ne va pas parfois sans une profonde transformation des mentalités et du style de vie. Exemples : religieuses faisant le catéchisme dans des lycées ; changement d’implantation des quartiers résidentiels vers des banlieues démunies ; hospitalières embauchées comme le personnel laïc dans l’établissement que naguère elles dirigeaient ; participation à part entière des religieuses assistantes sociales dans les services de coordination des mairies ; exercice de la profession de travailleuse familiale, etc.

Reprenons le texte du rapport.

À cette analyse, il faut ajouter les commentaires suivants :

1. Il est très important que la communauté entière se sente responsable des fondations qui revêtent un caractère moins habituel, apparemment plus audacieux. Il ne s’agit pas d’envoyer travailler en usine une religieuse parce qu’elle s’y croit appelée par une vocation spéciale, ou pour que sa famille religieuse puisse se flatter d’être d’avant-garde... Il faut que dans l’humilité, la charité, le partage, la communauté se sente solidaire de celles qui sont déléguées pour ces tâches.

Cette solidarité doit être ressentie par les autres familles religieuses dans la prière, l’amitié active. Il existe entre toutes une complémentarité voulue par l’Église, et les divers apostolats s’appellent les uns les autres.

Enfin, il va de soi que des fondations de caractère un peu spécial exigent, plus encore que d’autres, un lien avec les responsables de la pastorale.

2. Les formes nouvelles de présence de la religieuse ne veulent en aucune manière apparaître comme la condamnation des institutions. Que celles-ci posent un problème, c’est certain, et les supérieurs religieux le savent autant que nous, mais leur condamnation globale serait parfaitement injuste.

Certaines d’entre elles s’adressent aux plus déshérités de ce monde, aux préférés du Seigneur, grands infirmes, débiles mentaux, victimes d’une vie de malheur ou de débauche. Tous ceux-là sont plus ou moins rejetés et même si l’État crée pour quelques-uns des œuvres d’assistance, il lui sera difficile de donner à ces malheureux, à travers d’honnêtes fonctionnaires, cette affection attentive, j’allais dire respectueuse, dont ils ont besoin, cette espérance en un monde de lumière, de joie, dont la religieuse est le signe. Sans aucun doute, de telles institutions sont d’elles-mêmes missionnaires.

D’autres, moins missionnaires en apparence, peuvent l’être si un certain esprit les anime ; le rapport de la Commission du Monde Ouvrier y faisait allusion.

Au risque de répéter ce qui a été dit plus haut sur la « mission de la vie religieuse en elle-même », il faut souligner les points suivants :

a) On souhaite vivement la présence de petites communautés, insérées dans un quartier ou dans un milieu, soit qu’il s’agisse de l’œuvre apostolique elle-même lorsqu’elle n’exige pas de grands bâtiments (dispensaire, maison paroissiale), soit qu’il s’agisse de la résidence des religieuses qui exercent précisément un apostolat « de quartier ». On souhaiterait que ces dernières ne soient pas obligées chaque jour – et parfois deux fois par jour – de regagner un grand couvent central, mais s’établissent en petits groupes au milieu même de ceux qui leur sont confiés.

b) Ainsi serait rendu plus lisible à son tour le témoignage de la pauvreté, si sensible à nos contemporains et parfois si difficile à discerner. Il faut convenir que le premier coup d’œil, celui dont se contentent la plupart de ceux qui nous regardent, porte sur le mode d’habitat, le style de vie, etc. Sans doute, notre pauvreté est d’abord un hommage à Dieu, mais elle a aussi une valeur de signe.

La réforme liturgique nous fournit, à cet égard, un exemple qui mérite d’être médité : notre prière a la même valeur lorsqu’elle s’exprime en latin et à travers des gestes et des formules riches de signification... mais trop subtils pour le peuple. C’est pourquoi l’Église a voulu la rendre plus accessible. Ainsi notre pauvreté doit s’efforcer de prendre un sens visible pour qu’à travers elle les hommes découvrent l’Évangile.

c) On note, ici ou là, la difficulté éprouvée par certaines enseignantes à bien situer les exigences professionnelles, toujours croissantes, dans le cadre de la mission de l’Église. Si la compétence technique est indispensable, elle reste un « moyen ». C’est souvent aux supérieures qu’il appartiendra de fournir à leurs sœurs l’occasion de s’ouvrir toujours plus aux grandes perspectives d’Église.

Il leur faut aussi garder présent le souci de former les militants et les militantes de demain. D’où la liaison indispensable avec les divers mouvements de formation chrétienne, spécialement l’Action Catholique.

3. Une troisième remarque semble capitale : à travers la recherche missionnaire des instituts eux-mêmes, comme à travers la réflexion sur l’institution charitable, il apparaît que l’apostolat de la religieuse trouve un terrain de choix dans les milieux socio-professionnels, dont l’évangélisation nous préoccupe de plus en plus. Prenons en exemple le monde sanitaire. La religieuse y a sa place à tous les échelons : elle peut être fille de salle, infirmière diplômée, soigneuse à domicile, mais aussi médecin, au besoin même membre de l’administration. Elle a contact avec les malades, mais également avec toutes les catégories si complexes de ce monde hospitalier qui prend chaque jour plus d’importance.

Dans le monde scolaire, elle est également polyvalente. Sa place peut être dans l’enseignement d’État et dans l’enseignement privé. Son action peut s’étendre aux parents, aux maîtres, comme aux enfants.

À cet égard, les religieuses ont, d’instinct, pris une certaine avance par la création déjà ancienne de leurs « Unions spécialisées » auxquelles les évêques attachent une grande importance. Elles répondent effectivement à des milieux socio-professionnels où leur action se fait largement sentir. C’est donc à ces Unions que reviendrait le soin d’approfondir encore leur recherche en vue d’une présence active dans toutes les catégories intéressées.

Bien entendu, on n’entend pas limiter l’action de la religieuse aux milieux socio-professionnels, mais cette constatation de fait permettra peut-être de mieux situer son apostolat. La religieuse n’est pas une sacristine ; elle n’est pas non plus une sorte de « vicaire pour femmes et enfants ». D’un autre côté, si elle est théologiquement une « laïque », la place qu’elle occupe est tout de même particulière. Par exemple, elle n’est pas la « première militante d’Action Catholique », même si elle soutient tel ou tel groupe. Si le Concile a bien rappelé l’essentiel de la vie religieuse en elle-même, s’il a mis en lumière le lien étroit entre baptême et profession religieuse, il reste à analyser l’apostolat plus caractéristique de la religieuse au sein du peuple de Dieu.

4. Un bon nombre d’évêques ont souligné l’importance que prend aujourd’hui, dans les exigences missionnaires de l’Église, la tâche des catéchistes, tant auprès des jeunes qu’auprès des adultes. Le nombre diminué des prêtres, l’augmentation de la population d’âge scolaire, sa mobilité, etc., rendent singulièrement difficile une tâche que la plupart des paroisses pouvaient naguère accomplir normalement. C’est pourquoi les évêques de France, se réjouissant de voir augmenter le nombre des religieuses catéchistes, attirent l’attention de toutes les communautés sur l’urgence de prendre part à ce travail apostolique. Ils voient dans cet appel la mise en œuvre des décrets conciliaires, en particulier du décret Christus Dominus, 35, et de son commentaire dans le Motu proprio Ecclesiae Sanctae, 36. L’un et l’autre vont fort loin, prévoyant que, pour répondre à un légitime appel des évêques en face de besoins apostoliques urgents, les instituts pourront aller jusqu’à modifier leurs Constitutions (Christus Dominus, 35).

Il semble d’ailleurs que point n’en est besoin, dans le contexte français, si chaque institut s’interroge sur la manière d’exercer cette évangélisation directe. Certains instituts ont été créés à cette fin ; les autres s’y trouvent naturellement amenés et doivent en conséquence veiller à y préparer les religieuses. Les enseignantes peuvent et doivent assurer, en accord avec l’évêque, une large part de la catéchèse de leurs élèves et dépasser éventuellement le cadre de leurs écoles. Les hospitalières ont l’occasion unique d’une catéchèse d’adultes, qui doit rentrer dans leurs préoccupations apostoliques.

Un effort supplémentaire est nécessaire pour que les religieuses soient formées dans ces perspectives, prennent leur part de l’évangélisation des scolaires dans l’enseignement non confessionnel, et soient initiées à la catéchèse des adultes, car elles ont le privilège d’en atteindre un grand nombre que le prêtre ne rencontrera pas.

Il semble d’ailleurs que cette annonce directe de Jésus-Christ réponde au désir de la plupart des religieuses, conscientes de cette absence de Dieu dans le monde d’aujourd’hui.

Ayant passé en revue quelques-unes des formes que peut revêtir l’action apostolique des religieuses de France, il nous faut maintenant en indiquer certaines conditions fondamentales. Ce sera l’objet de la troisième partie.

III. Quelques conditions nécessaires

1. - Choix des implantations

Une Église n’est missionnaire que si elle a choisi. Ce choix commande l’action des religieuses puisqu’elles ne peuvent, hélas ! Être présentes partout et que la diminution relative de leurs effectifs les oblige à envisager certaines fermetures, alors qu’en même temps des fondations nouvelles s’imposent.

Principes généraux
La difficulté est d’autant plus grande que ces choix ne sauraient être faits au gré de chaque communauté : il leur faut tenir compte des nécessités pastorales dont les évêques sont les premiers juges, et aussi d’une collaboration indispensable entre instituts : il n’est pas possible, après le Concile, qu’un institut règle seul ses problèmes sans tenir compte des congrégations appartenant à une même Union ou situées sur le même territoire. Or, il est clair que cette double dépendance rend malaisées les solutions, surtout dans cette première période d’une collaboration encore récente où demeure vive la tentation des solutions personnelles, qu’il s’agisse des diocèses ou des instituts, par accoutumance d’une part, par insuffisance d’études prospectives d’autre part.

Il semble donc que les conditions préalables à tout remaniement soient :

  1. Un inventaire précis des institutions existantes, selon leur spécificité et selon leur localisation. Cet inventaire doit être dressé par les instituts eux-mêmes, en liaison avec les diocèses, avec l’aide éventuelle de spécialistes.
  2. La détermination des besoins apostoliques, qui incombe avant tout aux évêques aidés par ceux (prêtres, religieuses, laïcs) qui sont en contact avec tous les éléments du « peuple de Dieu ».
  3. Une liaison étroite entre les instituts qui soit animée d’une volonté de collaboration allant jusqu’à la prise en charge en commun de certaines tâches apostoliques auxquelles un institut ne peut faire face tout seul. De nombreuses expériences existent déjà en ce sens, qui démontrent la possibilité de cette responsabilité commune. Cette liaison doit s’établir surtout à travers les Unions ou Comités de religieuses qui groupent à la fois des supérieures de communautés en tant que telles et des représentantes des Unions spécialisées. L’U.S.M.F. en est le sommet, et des bureaux analogues existent dans la plupart des diocèses.

Critères pratiques
Ils sont malheureusement difficiles à déterminer. On croit pouvoir en indiquer quelques-uns ; ils doivent en général être pris simultanément.

1. Répartition géographique. Il est des zones de France où la vie religieuse est nettement moins représentée qu’en d’autres ; et malheureusement, ces zones comptent généralement moins de prêtres et de chrétiens agissants. Il est bien dans la vocation propre des religieux et des religieuses, en raison même de leur mobilité, de leur indépendance des limites territoriales, de donner une préférence à ces secteurs abandonnés.

2. Urgence d’une présence d’Église en certains secteurs « pauvres » : monde ouvrier d’où l’Église de France a pris conscience d’être bien absente – zones rurales déchristianisées ou déshéritées. L’abandon des campagnes, la pénurie de centres chrétiens vivants, les difficultés économiques font de ceux qui appartiennent au monde rural des « pauvres de Jésus-Christ ». Ils sentent vivement ce qu’ils appellent « l’abandon de l’Église », même si l’image qu’ils se font d’elle demande à être totalement révisée.

Dans le même temps, l’Église de France prend conscience que bien des éléments chrétiens du monde dit indépendant se détachent d’elle, avec le sentiment d’être « mal aimés ». La présence à tout le peuple de Dieu demande ainsi le maintien ou la création d’institutions hospitalières, éducatives et autres, animées par cette volonté d’en faire des lieux de rencontre et de dialogue avec ces hommes et ces femmes qui ont d’autant plus besoin de penser leur vie à la lumière de l’Évangile qu’ils portent souvent d’importantes responsabilités.

Il est, hélas ! impossible d’énumérer tous les secteurs où est désirée la présence des religieuses. Ceux qu’on vient d’énumérer ont été particulièrement mentionnés par les évêques de France à Lourdes. Pour bien les comprendre, il ne faut jamais perdre de vue qu’ils sont applicables à toute forme de vie religieuse et à tout apostolat : à sa manière, un monastère de contemplatives peut aider le monde rural ou le monde ouvrier, et ainsi d’une enseignante, d’une éducatrice paroissiale.

Il a d’ailleurs été dit que cette présence de la vie religieuse pouvait – et devait – revêtir de multiples formes (cf. plus haut, rapport de la Commission du Monde Ouvrier, facilement transposable à d’autres mondes).

3. Juste appréciation des exigences de la vie religieuse. Ce critère doit s’entendre dans toute son ampleur.

  • Par rapport aux religieuses elles-mêmes, qui ont opté pour un mode de vie approuvé par l’Église, et en ont reçu la promesse d’un soutien spirituel, d’une vie commune précise.
  • Par rapport aux instituts, dont les supérieures portent le souci des nécessités matérielles aussi bien que des besoins spirituels, et dont elles doivent assurer le soutien normal et la continuité.
  • Par rapport au peuple chrétien tout entier : il faut que les religieuses puissent réellement être ces « témoins » qu’elles ont résolu d’être en embrassant la vie religieuse. Si on les place – ou si elles se placent – dans des conditions qui rendent définitivement impossible ce signe, un sérieux examen s’impose.

Cette juste appréciation des exigences de la vie religieuse n’est certes pas facile. Elle suppose la réflexion de la communauté, beaucoup de loyauté et dans l’examen des problèmes et dans leur exposé éventuel aux autorités compétentes, ecclésiastiques ou civiles ; mais aussi une fermeté qui ne soit pas arrêtée par un regard timoré sur le monde ou par le respect littéral de constitutions non encore adaptées. La vie religieuse doit rester dans l’Église le type même de l’audace évangélique.

4. L’examen lucide de la situation peut – et doit – conduire certains instituts à mettre en cause leur existence même, ou du moins leur indépendance et à envisager de s’unir à d’autres sous les formes variées que prévoit le décret Perfectae Caritatis. L’Église seule a les promesses de la vie éternelle ; l’impératif de la mission peut exiger certains sacrifices. Ce n’est pas ici le lieu de traiter des divers modes d’union mais il est nécessaire qu’évêques et supérieures majeures prennent conscience du problème posé et que ceux-ci aident celles-là à le résoudre dans la paix et la charité. Cette action commune, toujours utile, devient indispensable lorsqu’il s’agit d’instituts de droit diocésain.

2. - L’apostolat missionnaire des religieuses suppose l’existence de liens à la fois précis et souples avec la hiérarchie

C’est là une conséquence directe de ce qui a été dit plus haut. Ces liens existent ; certains sont dûment indiqués par le Droit Canon. D’autres sont énoncés dans les textes conciliaires et ils le sont d’une manière très ferme, bien que la formulation en soit assez différente de celle du Droit Canon (cf. Lumen Gentium, 45 - P. C., 2, 23 - Christus Dominus, 34, 35 - Motu proprio Ecclesiae Sanctae, spécialement 36).

Mais il s’agit moins ici de rappeler les principes que de montrer comment ces liens, sans être un fardeau ou une limitation indue des droits des uns et des autres, peuvent contribuer à l’avancée missionnaire de l’Église. Je ne puis entrer dans le détail... Les dominantes communes paraissent être les suivantes :

1. Que les religieuses participent à l’élaboration même de la pastorale. Au niveau national si des options s’imposent, nous ne saurions les faire sans les intéressées elles-mêmes. Cela veut dire qu’à certains stades de nos recherches les religieuses doivent être présentes, fût-ce à tel moment d’une réunion épiscopale.

Il en va de même au plan diocésain, etc. L’essentiel est que soient trouvés les points de rencontre.

Peut-être la composition des conseils pastoraux – dont les religieuses sont, par définition, partie prenante – aidera-t-elle dans cette recherche. Peut-être aussi les expériences déjà vécues pourront-elles aider celles qui s’organisent. S’il le fallait la Commission des Religieuses et l’Union des Supérieures Majeures pourraient se livrer à une enquête à ce sujet.

2. Si le conseil pastoral est le lieu de rencontre par excellence il est nécessaire que des contacts plus habituels et à une moindre échelle existent entre religieuses et laïcs engagés dans l’apostolat.

On a dit déjà que la religieuse, en tant que telle, n’était pas la première militante de l’Action Catholique ; mais elle se doit de connaître à fond les divers mouvements apostoliques afin de susciter des militants et de soutenir leurs efforts. Pour cette raison même, il peut être utile qu’une religieuse participe occasionnellement à telle ou telle réunion de laïcs. Faut-il ajouter que bien des communautés gagneraient à ce contact, en s’initiant à la pratique de l’analyse de la situation, de la révision de vie, etc., très souhaitables pour un apostolat qui aille aux vrais problèmes et sache se renouveler en s’adaptant.

3. L’insertion des religieuses dans la pastorale doit garder une grande souplesse. Nous regrettons nous-mêmes une certaine rigidité des cadres traditionnels diocésains ou paroissiaux. Or la vie religieuse est, dans sa définition même, indépendante de ces cadres. Il semble donc tout naturel que l’action des religieuses soit plus mobile, même si en pratique leur résidence se trouve – par force ! – dans tel territoire donné.

En contre-partie, nous pouvons souhaiter et demander que la vie communautaire (dont j’ai dit plus haut le rôle fondamental et aussi les adaptations) soit assouplie dans ses formes extérieures.

Il semble qu’ainsi l’apostolat des religieuses puisse atteindre à cette souplesse dans l’action qui est le propre des « corps francs ».

3. - Les religieuses doivent être aidées et notre responsabilité d’évêques est engagée dans ce domaine

Les problèmes sont graves. J’énumère les principaux, posés simultanément aux supérieures majeures et aux évêques, chacun pour sa part :

a) Faire connaître et estimer la vie religieuse : laïcs et prêtres doivent être dûment informés de ce qu’est la vocation religieuse. L’enseignement de nos séminaires, nos journées sacerdotales, nos réunions de laïcs doivent faire leur place à cette étude.

On peut espérer qu’alors un plus grand nombre de jeunes filles feront leur cet idéal et que les prêtres qui les guident, loin de les en détourner (ce qui s’est vu), les aideront à l’atteindre.

b) Assurer aux jeunes religieuses la formation nécessaire, soit au noviciat, soit au juniorat. Seuls des prêtres – religieux ou séculiers – dûment informés de la vie religieuse et aussi des besoins de l’Église, peuvent donner l’impulsion nécessaire à ces maisons où la bonne volonté des jeunes et des supérieures reste souvent sans guide. Là où existent des regroupements, toujours souhaitables, surtout pour le juniorat, notre vigilance doit être plus grande encore.

c) Guider les religieuses adultes. Certaines peuvent connaître des périodes de crise intérieure allant jusqu’à l’abandon total de leur vie religieuse (on en parle peu car l’opinion publique s’en émeut moins qu’elle ne le fait pour un prêtre, parce que « canoniquement » la situation se règle aisément ; mais que de détresses matérielles et spirituelles !). D’autres ont besoin de mieux comprendre les exigences de l’apostolat moderne. Toutes enfin, et les meilleures d’abord, sont capables d’une vie intérieure profonde, enrichissante pour toute l’Église... mais qui suppose un guide.

d) Mener à bien l’« aggiornamento » demandé par le Concile. Les années présentes sont capitales tant pour l’étude préalable que pour la mise en action des directives conciliaires que chaque institut doit revoir à la lumière de son histoire et de sa spiritualité. Si les grands instituts sont aptes à mener seuls à bien cette tâche, s’ils trouvent facilement l’aide qu’ils souhaitent, il reste que d’autres ne savent comment s’y prendre ; et bien des communautés locales de grandes familles religieuses sont un peu dans le même état.

Parfois, ce souci d’obéir au Concile conduira à envisager des regroupements (fédérations - unions - fusions) dont on a parlé plus haut et qui ne s’opèrent jamais sans guides éclairés et pleins de tact.

Devant l’ampleur de cette tâche (à peine évoquée ici), la nécessité apparaît de plus en plus pour chacun d’entre nous d’avoir auprès de lui un prêtre, séculier ou religieux, particulièrement compétent, qui soit parfaitement au courant de la vie religieuse actuelle, et des besoins pastoraux du diocèse et de l’Église.

Ainsi se dessine la silhouette du délégué diocésain auprès des religieuses, que le Congrès de juillet dernier à Versailles a tenté de préciser. Il doit s’efforcer de répondre à tous les besoins que j’énumérais plus haut. Sans doute il n’est pas question qu’il le fasse seul. Mais, chargé de ce souci constant, il saura découvrir et mettre en place les collaborateurs nécessaires tant pour assurer la vie intérieure des communautés (aumôniers, confesseurs, visiteurs, prédicateurs) que pour aider à leur insertion dans le travail missionnaire de l’Église.

Le délégué sera normalement chargé des liaisons nécessaires entre le diocèse et les diverses autorités dont dépendent les communautés et particulièrement les monastères.

Il apparaît bien normal qu’un prêtre de valeur soit entièrement consacré à cette tâche. Nous faisons tous nos efforts pour dégager certains prêtres en vue de ministères particuliers au bénéfice des laïcs. Nos religieuses méritent le même soin. Il arrive encore que la responsabilité en soit confiée, sans coordination véritable, à des prêtres vénérables mais retirés de la vie pastorale et parfois peu au fait de la vie religieuse elle-même.

En résumé, le souhait formulé par beaucoup est celui d’un vicaire épiscopal particulièrement bien choisi, et dont la présence au conseil épiscopal assure un premier lien avec la pastorale diocésaine.

*

En terminant, je ferai volontiers mienne la suggestion d’un des évêques de notre Commission : que chaque Région Apostolique entreprenne, déjà à son niveau, l’effort nécessaire pour que nos communautés soient vraiment missionnaires. Si l’idéal demeure que les options de l’Épiscopat soient faites sur le plan national, l’expérience prouve qu’elles sont parfois plus faciles dans le cadre plus limité d’une Région.

L’essentiel est que soit employée, pour le plus grand bien de l’Église, cette force apostolique absolument unique que constituent nos religieuses. Elles sont sans doute la portion du peuple de Dieu la plus soucieuse de fidélité à l’Église et de docilité au souffle missionnaire de l’Esprit.

*

Nous trouvons un résumé substantiel de ce rapport et la confirmation la plus autorisée des suggestions qu’il contient dans les Orientations et Résolutions de l’Assemblée plénière : Les évêques tiennent à dire aux 115.000 religieuses de France, spécialement à celles qui mènent la vie contemplative, qu’ils reconnaissent une authentique valeur missionnaire à leur consécration totale à Dieu. Ils constatent avec joie que les religieuses partagent ainsi leur tâche pastorale. Ils les encouragent à continuer cet effort missionnaire :

  • en animant d’un esprit toujours plus apostolique les institutions existantes,
  • en cherchant des formes nouvelles de présence au monde,
  • en aidant les Églises du tiers monde.

Pour que cet apostolat soit toujours plus efficace, les évêques invitent les religieuses, et spécialement les Supérieures Majeures, à étudier avec eux quelques problèmes actuels :

A. Implantation des maisons
en tenant compte à la fois des caractères spécifiques de l’institut et des besoins de la mission. Cet examen difficile peut être guidé, entre autres, par les critères suivants :

  • Répartition géographique qui tienne compte des zones où les instituts religieux sont très peu représentés.
  • Urgence d’une présence d’Église dans certains secteurs : monde ouvrier, zones rurales déchristianisées ou déshéritées, milieu hospitalier, monde scolaire, le tout en liaison avec les laïcs chrétiens et les organismes officiels intéressés.
  • Juste appréciation des exigences de la vie religieuse elle-même (vie commune, moyens matériels indispensables), sans oublier qu’elle est avant tout audace évangélique.

B. Recherche des signes
qui permettent à la vie religieuse de porter un témoignage compréhensible pour le monde d’aujourd’hui, particulièrement en ce qui concerne les modes de vie commune et la pauvreté.

C. Participation plus grande des religieuses à l’élaboration même de la pastorale
diocésaine, régionale et nationale. Là où elles n’existent pas encore, on cherchera à créer les structures nécessaires pour cela, en liaison avec l’Union des Supérieures Majeures et avec les Unions spécialisées, qui aident les religieuses à informer d’esprit missionnaire l’accomplissement même de leurs tâches.

D. Développement de la vie religieuse.
– Par une pastorale des vocations appropriée, faisant appel au clergé certes, mais aussi à l’ensemble du peuple chrétien.

– Par le choix des conseillers et des guides dont les communautés ont besoin, particulièrement dans les maisons de formation.

– Par la désignation, là où l’évêque le juge opportun, d’un prêtre plus spécialement chargé du soin des communautés (« délégué diocésain pour les religieuses »).

E. Rayonnement de la vie contemplative
L’Assemblée souhaite que les monastères soient des centres de reprise spirituelle pour les religieuses vouées à l’apostolat extérieur et pour les laïcs dans la mesure compatible avec la vie claustrale.

N. B. L’Assemblée souhaite vivement que la réflexion déjà amorcée entre les religieux – prêtres et non-prêtres – et les évêques permette bientôt de dégager à leur intention des orientations apostoliques analogues, bien que, de toute évidence, certaines indications données ici à propos des laïcs, des religieuses et des prêtres les concernent déjà eux aussi.

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