Les Exercices de trente jours pour religieuses
Joseph Schaack, s.j.
N°1968-2 • Mars 1968
| P. 93-108 |
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Durant ces dernières années, les « Exercices spirituels » ignatiens de trente jours ont connu un succès étonnant. Non seulement chez les prêtres et les religieux, mais surtout chez les religieuses, voire chez des laïcs de valeur. Avant même que le Concile n’eût fait entendre son appel à un renouveau de l’Église, l’Esprit Saint menait bien des âmes vers la solitude et leur parlait dans ce cœur à cœur où prennent origine les saintes initiatives et les réformes fécondes.
Mais en toutes choses il faut agir avec discernement. Or, en maintes circonstances, l’engouement pour la Grande Retraite a pris des formes plutôt inquiétantes, surtout par suite d’une diffusion inconsidérée ou inadaptée. On risquerait ainsi de galvauder le trésor des Exercices et même de nuire à certaines âmes de bonne volonté, pour qui, par ailleurs, les « Exercices » ne sont pas indiqués. Tantôt il s’agissait d’un manque de sélection des retraitants ; ou bien le directeur de retraite n’était pas suffisamment qualifié ; souvent encore les conditions indispensables de cadre, de climat spirituel, de préparation avaient été négligées.
Bref, des hommes avertis déplorent actuellement cette multiplication trop facile ou cette direction moins exacte des Exercices ignatiens, qui en sortent passablement desservis. Car on n’improvise ni les aptitudes ni les conditions pour donner ou recevoir les Exercices authentiques, encore qu’il ne soit pas indispensable de recourir toujours à un spécialiste pour les diriger ni d’y admettre avec exclusivité les retraitants ou les retraitantes réunissant toutes les qualités idéales. Mais ne pas donner les Exercices en toute authenticité, ce serait tromper les âmes qui y aspirent et en même temps faire aux Exercices la plus regrettable des propagandes.
Il ne faut pas donner intégralement les Exercices spirituels à toute personne ; ils ne sont pas pour la grande masse ; à des âmes inaptes ils peuvent faire plus de tort que de bien. Encore que cela vaille aussi pour les membres d’instituts religieux masculins, dans les pages qui suivent on voudrait surtout éclairer certaines supérieures religieuses responsables, qui penseraient trouver dans l’envoi assez indistinct de leurs religieuses en Grande Retraite le moyen quasi-magique de renouveler leur Congrégation ou encore la panacée à tous les « cas difficiles ». Si déjà il est vrai que les Exercices ne peuvent être conçus comme des semaines d’études ni des cours de théologie ascétique ou pastorale, moins encore sont-ils une cure psychiatrique, des vacances spirituelles, une compensation...
Il faut que les supérieures responsables sachent de quoi il s’agit, quand elles envoient de leurs religieuses « FAIRE » les Grands Exercices de trente jours ou quand elles vont même jusqu’à proposer à leur Chapitre d’instaurer ceux-ci dans les Constitutions renouvelées comme un moyen habituel de formation de leurs religieuses.
Les pages que voici ont donc pour seul but d’attirer l’attention sur des principes élémentaires et des aspects concrets qu’il faut garder devant les yeux pour opérer la sélection des candidates à la Retraite de trente jours. En d’autres termes, il s’agit de cerner les exigences d’une retraite qui voudrait être authentiquement fidèle aux « Exercices spirituels » de saint Ignace. C’est ce qui excusera le caractère assez schématique de cet article.
Nature des Exercices
Mais tout d’abord, dans la pensée de saint Ignace, que sont les « Exercices spirituels » et à qui les destine-t-il ?
Sans entrer dans une explication détaillée de leur contenu et de leur structure, il suffira de rappeler que le saint les a conçus essentiellement en vue de préparer et d’aider les âmes à faire le mieux possible le choix d’un état de vie. Il écrivait encore le 4 juillet 1556, donc peu avant sa mort : « Il ne convient pas de donner les Exercices complets communément à des personnes inaptes à la vie religieuse » (Epist. XII, p. 77). Et, quinze jours plus tard : « mais seulement aux gens de grande espérance » (Epist. XII, p. 141). Pourtant, lui-même les a donnés et fait donner à bien d’autres, même à des laïcs qui n’avaient nullement à délibérer sur leur vocation, y étant déjà fixés définitivement. Ignace, par ailleurs, notait à cette même époque, à propos de l’Élection, « qu’on peut appliquer à quelques autres élections la méthode enseignée dans les Exercices, sans toucher la question de l’état de vie » (o.c., p. 77). Le texte même de son livret ne prévoit-il pas nommément, qu’à défaut d’élection nécessaire, on peut et on doit toujours se soucier de se réformer dans son état de vie, train de maison, emploi de revenus, etc., bref, être décidé à progresser dans un meilleur service du Seigneur.
Déjà en 1536, à Venise, Ignace s’était rendu compte que les Exercices peuvent merveilleusement contribuer à gagner maintes âmes de valeur à la pensée d’une profonde réforme de leur vie et les faire sortir d’une vie chrétienne ou religieuse quelconque, menée jusqu’alors, pour les pousser dans la voie d’une vie surnaturelle excellente. Dans ce cas, il ne s’agit plus seulement d’un choix de vie à préparer ou à préciser, mais d’une véritable introduction à la vie intérieure de grand style, d’une pleine mise en train de l’œuvre de sanctification à des niveaux divers, dans toutes ses parties essentielles de purification, de réforme et d’union à Dieu. Cette perspective et cette pratique des Exercices spirituels ne feront que se développer avec le temps. Pourtant, ce qui préoccupera toujours Ignace, comme aussi tout directeur qualifié des Exercices, c’est la pensée de la volonté de Dieu à faire découvrir et accepter en vue d’un service insigne et enthousiaste du souverain Seigneur.
On le voit donc, dans les Exercices ignatiens il ne s’agit à aucun titre de chercher à recevoir un enseignement systématique et complet de spiritualité chrétienne, ni même seulement d’y être introduit par des méthodes spirituelles à l’art de l’oraison, ni enfin directement d’être préparé au ministère pastoral ou à un apostolat particulier quelconque...
Il faut le redire toujours à nouveau, les Exercices sont un manuel pratique, destiné à guider le retraitant dans la recherche toute personnelle de la volonté de Dieu, soit en vue de l’élection d’un état de vie, soit pour un plan de réforme de l’état déjà embrassé. Bien sûr, les Exercices furent toujours et sont encore une incomparable école d’oraison et d’ascèse, ainsi qu’une formation idéale à l’apostolat ; mais là n’est pas ce qu’ils visent principalement ni directement. Au fond, Ignace a cristallisé dans les Exercices les étapes de son expérience spirituelle, en les traduisant en formules générales, adaptables à d’autres âmes, désireuses de passer avec une générosité semblable vers tout ce que Dieu leur demandera. Il est d’ailleurs à noter, que cette préparation à la disponibilité parfaite envers le bon plaisir divin sur l’âme ne s’obtient point, comme certains risquent de le penser, par la seule force logique et contraignante du développement interne des Exercices se poursuivant comme un implacable raisonnement, mais surtout, une fois l’âme dégagée de ses attaches désordonnées, par une docilité simple, aimante, généreuse aux initiatives et aux conduites de la grâce ; oui, très particulièrement par une osmose progressive, par l’assimilation au Verbe incarné, dont les mystères, contemplés en détail trois semaines durant, « ne sont pas seulement saints mais sanctifiants », selon le mot du P. Rigoleuc, au point que l’imitation de Jésus-Christ dans son humanité devient désormais pour l’âme la norme souveraine de son service de Dieu.
Il faut bien retenir ce caractère tout concret des Exercices. Non seulement il est une des raisons de leur singulière efficacité, mais il entraîne aussi comme conséquence une méthodologie très poussée et qui peut sembler minutieuse à l’excès, quand on se contente de lire les Exercices sans les faire. Mais qu’on ne s’y trompe point ! Jamais saint Ignace ne se laisse asservir par le souci du détail ; jamais non plus il ne substitue son action à celle du retraitant, et moins encore à celle de la grâce. L’affirmation est générale chez eux qui ont suivi d’authentiques Exercices ignatiens sous la conduite d’un guide expérimenté : ils en rapportent une impression de large et bienfaisante liberté d’âme et le souvenir de l’expérience d’une véritable intimité avec le Christ.
Toujours est-il que, pour faire ainsi les Exercices, il faut accepter de passer par « un certain chemin » et respecter un certain code de la route. Dans l’Évangile le Seigneur appelle sans doute toutes les âmes à le suivre, car il est la seule vraie voie vers la vie ; mais il ne demande pas à tous ici-bas le même degré de détachement et d’attachement ; ils n’ont pas reçu les mêmes talents. De même, si les Exercices, méthode fort classique, peuvent être adaptés, du moins en partie, à toute âme de bonne volonté, ils exigent, pour être faits intégralement, des aptitudes d’âme et aussi des conditions de milieu qu’il importe de préciser et de respecter.
Critères de sélection
Saint Ignace destine « les Exercices spirituels dans leur intégrité à peu de personnes, et à des personnes telles, que de leur progrès on puisse espérer un fruit important pour la gloire de Dieu » (Constitutions, VII, 7, F.). Il les réserve donc à une élite restreinte, ce qui ne signifie pas à une sorte d’aristocratie, en contraste marqué avec les autres fidèles ; car, pour le saint, cette élite peut venir des milieux les plus divers, la sélection devant s’opérer verticalement. S’il s’agissait par conséquent d’âmes, dont l’ambition spirituelle ne dépasse pas une moyenne assez médiocre, dont les capacités humaines sont quelconques et dont le rendement probable ne pourra être que fort limité, on les orienterait vers des Exercices partiels, limités ; manifestement, pour elles, l’appel de Dieu veut qu’on prenne d’autres voies. Ce n’est pas mépriser ces âmes, que de leur épargner un effort spirituel et peut-être physique au-dessus de leurs forces et de leur offrir au contraire ce qui, étant à leur portée, les aidera plus efficacement. Par contre, pour Ignace, le retraitant selon son cœur est celui qui « désire progresser le plus possible » et qui « entreprend les Exercices avec un cœur large et une grande générosité » (Annotations 2e et 5e). Il eût, certes, fait sienne la formule très nette de Pie XII pour la sélection des membres des Congrégations mariales : « Celles-ci s’adressent aux chrétiens qui, non contents de faire un peu plus que le nécessaire, sont décidés à répondre généreusement aux attraits de la grâce, à chercher et pratiquer selon leur état de vie toute la volonté divine. C’est pourquoi, nul ne pourrait y être admis en vertu de quelque tradition (ou pour quelque motif intéressé) ; seul entre en ligne de compte le désir d’une plus grande perfection, d’une vie rayonnante et de ferveur personnelle et apostolique » (Allocution du 8 sept. 1954).
Cet idéal une fois fixé, il convient de ne pas oublier que, souvent à travers les Exercices, il est rappelé au Directeur de veiller soigneusement à l’équilibre de santé du retraitant, de tenir compte de son âge, de ses forces actuelles, de ses capacités intellectuelles, spirituelles, de son degré de culture, mais aussi et surtout de la mouvance du climat intérieur de l’âme.
Soucieux de respecter ces conseils à la fois idéalistes et réalistes de saint Ignace, on suggère aux responsables de la sélection des retraitantes d’envisager les quelques points suivants :
L’âge
Sauf le cas de Congrégations religieuses à spiritualité et à formation proprement ignatiennes (qui basent sur la Grande Retraite la saisie et la pratique de l’esprit de leur Institut, et qui prévoient dans leurs Constitutions les Exercices de trente jours comme un expériment pour leurs novices et leurs tertiaires), il semble qu’une certaine maturité d’âge et un certain nombre d’années de vie religieuse soient requis pour aborder fructueusement les Grands Exercices.
Pourtant, il est bien délicat de fixer une limite d’âge dans un sens comme dans un autre. Néanmoins, il devrait aller de soi que ce n’est pas d’abord aux quinquagénaires, aux plus dignes et aux plus méritantes que doivent être réservés les Exercices. Ce sont les forces jeunes qui feront la Congrégation de demain et qu’il importe donc de former excellemment. Ne pourrait-on fixer idéalement la Grande Retraite vers les dix ans après l’entrée en religion, p. ex. au « troisième an », quand il s’en fait un (ne fût-ce que de quelques mois) ? Certains prônent comme le moment idéal celui de la préparation immédiate aux derniers vœux, qui n’en seraient prononcés qu’avec une conscience plus mûre, plus adulte et plus définitivement engagée.
Ceci n’exclut d’ailleurs pas que des religieuses d’un âge plus avancé fassent la retraite d’un mois, si besoin en est, p. ex. pour se préparer à une charge importante ou à quelque décision grave.
La santé
Les Exercices de trente jours ne sont, pas, est-il besoin de le dire, une partie de repos. Quand on les fait sérieusement, il y faut soutenir un effort continu : rien que les quatre heures d’oraison personnelle par jour, le souci de recueillement constant, et bien davantage la crise d’âme à traverser, comme c’est souvent le cas lorsqu’on s’applique loyalement à chercher et à trouver la volonté divine, pour l’accepter ensuite, quelle qu’elle puisse être... tout cela suppose un équilibre physique, nerveux et psychique au moins normal. Ignace a voulu intituler sa retraite : « Exercices spirituels ». D’après lui, le retraitant, seul à seul avec son Dieu, doit écouter et scruter à fond le dessein divin à son sujet ; il doit avoir le courage de vivre l’expérience des esprits contraires, mettre le temps nécessaire et une lucidité aiguë à discerner, à décider et à vivre déjà cela qui désormais fera de sa vie un service selon la volonté du Père et à l’exemple de Jésus, le serviteur parfait. Il se peut que l’âme, à certain moment, se trouve littéralement engagée dans un combat entre l’appel supérieur et les tendances naturelles moins bonnes, oui, qu’elle ait à vivre des jours de lutte intense. Malgré l’aide du Directeur de retraite, c’est à l’âme qu’il revient de se décider sous le seul regard de Dieu et dans une orientation vitale qui engage peut-être de gros enjeux.
Comment, en ce cas, songer à faire aborder la Grande Retraite par des tempéraments tendus, portés à l’anxiété, sujets à des maux de tête fréquents ? Il ne faudrait pas non plus entrer dans ces Exercices au sortir même d’une année scolaire très chargée, au lendemain de veilles nocturnes fréquentes en service de clinique, ou simplement avec une fatigue profonde refoulée à coup de volonté parce qu’à tout prix on voulait participer à cette retraite. De vraies vacances ne sont rien de trop comme préparation immédiate. En aucun cas on ne devrait entrer en retraite au débarqué du train ou de l’avion et dans l’essoufflement des derniers préparatifs ; un ou deux jours sur place pour s’acclimater au milieu et au cadre ne sont point dépense de luxe.
Au risque d’être importun, il faudrait insister auprès des supérieures pour qu’elles excluent résolument d’une Grande Retraite les « têtes à ménager » et « les cas à surveiller », si elles ne veulent pas exposer ces retraitantes à des accidents regrettables, sans parler du cas trop fréquent de découragement profond après une ou deux semaines de retraite.
Jugement et degré de culture
Rien ne peut compenser un manque notable de jugement : si celui-ci s’avérait simplement médiocre, qu’au moins une grande ouverture et docilité rachètent ce défaut, ainsi que l’attachement à la vocation et aux choses spirituelles. En tout cas, l’on attend de la retraitante qu’elle soit capable de porter un jugement personnel sur sa vie, son caractère, ses attraits et difficultés, ses états d’âme, son oraison... On n’imagine guère en Grande Retraite des âmes sans réaction personnelle, incapables de dire ce qui les a frappées même après une ou deux semaines de retraite, habituées qu’elles sont à vivre en laisse ou en remorque, parfois même sans avoir jamais fait d’oraison vraiment personnelle ni de véritable examen de conscience ; de même, des sentimentales toujours à « regonfler », des scrupuleuses incapables de se décider et de s’apaiser, et, bien pire encore, les intelligences faibles qui seraient doublées de suffisance, habituellement butées dans leur jugement propre dans la mesure même où il est limité. De pareils cas ne peuvent qu’alourdir la marche de toute la retraite, même si extérieurement rien ne devait s’en manifester dans le groupe des retraitantes.
Il doit d’ailleurs être entendu, que le Directeur de retraite garde la liberté de conseiller à telle ou telle retraitante trop fatiguée ou inadaptée d’interrompre les Exercices et de rentrer chez elle, sans que ni elle ni ses supérieures n’en fassent un drame, puisqu’il y va du bien même de l’intéressée.
Mais, que l’on se s’y méprenne pas ! S’il est souhaitable que les retraitantes possèdent un certain niveau de culture humaine et spirituelle pour que, en général, avec deux ou trois instructions ou « points d’oraison » donnés par l’Instructeur, elles puissent s’en tirer elles-mêmes dans le cadre d’une journée et faire œuvre personnelle en retraite, cependant il ne s’agit pas ici tellement du niveau proprement intellectuel que d’une ouverture et sensibilité aux choses spirituelles ainsi que d’une vie intérieure déjà relativement mûre. Dieu n’a-t-il pas une prédilection pour les humbles, les cœurs purs et les assoiffés de perfection ? C’est notre cœur qu’il demande, bien plus que nos belles pensées, dont il n’a que faire.
Niveau spirituel
Déjà on en a parlé. Qu’il reste bien entendu que saint Ignace espère plus d’une âme douée spirituellement, humble, ouverte et docile au Saint-Esprit et au Directeur, avide des choses de Dieu et soucieuse de sa sainte volonté,... que d’un esprit même fort cultivé mais sans résonances religieuses profondes. Déjà aussi on a insinué qu’une préparation à la retraite s’impose : « Il comble de biens les affamés ».
C’est rappeler cette évidence, que seules des volontaires peuvent être admises à faire les Grands Exercices ; entendons des volontaires décidées à faire les Exercices spirituels authentiques de saint Ignace, ce qui est tout autre chose que chercher un complément de formation théologique, pédagogique, catéchétique ou pastorale.
D’autre part, il serait inexact de ne vouloir admettre que des âmes ayant un penchant prononcé pour l’oraison ou ignorant toute crise et tout problème spirituel. La Grande Retraite, surtout si elle a été préparée par une particulière fidélité de plusieurs mois à l’oraison quotidienne de règle, ainsi que par un vrai désir de la volonté de Dieu, s’indique même davantage pour des âmes riches, personnelles et « travaillées » par les esprits contraires. Qu’on songe au cas de saint François Xavier ou de Nadal ! Mais il faut que ces âmes y viennent avec cette attitude fondamentale de vouloir chercher la solution selon la volonté de Dieu.
Pour Ignace, le cas privilégié est manifestement celui d’une âme douée richement, encore libre de disposer de sa vie, et qui précisément se pose un problème dont elle recherche la meilleure solution, surtout concernant sa vocation ; ou encore, le cas d’une âme acculée à une véritable élection avant une grave décision à prendre (p. ex. faut-il rompre telle relation ? Demandera-t-on l’envoi en mission ? Fera-t-on tel vœu privé ou tel aveu ? Répondra-t-on et comment à l’appel vers la seconde conversion clairement entendu ?...) ; enfin le cas aussi de quelqu’un qui va devoir assumer une charge nouvelle et importante, et qui cherche à la voir davantage dans la lumière des préférences divines. En un mot, pour saint Ignace, il faut qu’en retraite il se passe quelque chose (Annotation 6e). Il ne conçoit pas, qu’on demeure dans le calme plat. Car il ne s’agit pas de loisirs, même très pieux, mais d’un véritable travail spirituel, parfois d’un combat à la recherche du meilleur service du Seigneur, dans lequel on veut désormais engager sa vie, sans réserve et sans reprise, selon que lui voudra bien user de nous. Engagement adulte, personnel, conscient et libre, mûrement pesé et dûment contrôlé par le Directeur, mais seulement après cette fameuse « Élection » ou « Réforme de vie » qui est au centre des Exercices et qui suppose qu’on ait appris à prendre soi-même en charge sa vie spirituelle.
Pour aller au plus sûr, on peut se demander s’il ne serait pas sage pour des religieuses, désireuses et probablement aptes à faire les Exercices de trente jours, qu’elles aient fait d’abord avec fruit l’expérience de la retraite de huit jours, selon ces mêmes Exercices, bien entendu. Par ailleurs, si dès lors elles se sentent appelées à faire la Grande Retraite, pourquoi ne leur donner à toutes qu’une retraite de quinze ou de vingt-et-un jours, comme cela se fait parfois à présent ? La durée ignatienne paraît être nécessaire pour faire l’expérience en plénitude.
Le cadre de la retraite
Il pourrait sembler, qu’au temps de saint Ignace, on ait parfois donné la retraite de trente jours à des groupes ; en réalité, c’était à plusieurs retraitants, dirigés isolément par un même Instructeur. Normalement les Exercices se donnent le mieux à un seul retraitant. De là, à propos du cadre, la question de l’entourage immédiat, c’est-à-dire du nombre des retraitantes admissibles dans une retraite de groupe.
Le chiffre maximum semble devoir être limité à trente ; un chiffre raisonnable est celui qui gravite autour de la vingtaine. Comment, sinon, suivre chaque âme individuellement ? Le Directeur doit pouvoir s’entretenir au moins tous les trois jours avec toutes ses retraitantes, quitte à ce que celles-ci aient en outre la possibilité de l’atteindre toujours en cas d’urgence. Quant au groupe, plus il est homogène, mieux cela vaudra : p. ex. rien que des religieuses d’une même Congrégation, ou du moins d’une même spiritualité, de degré de formation à peu près semblable (et non pas des novices en même temps que des professes âgées), et encore, si possible, ayant le même centre d’intérêt (charges, but apostolique etc.)... Il faut également que, si des âmes ont besoin d’une direction spéciale ou de points d’oraison particuliers, le Directeur ait la possibilité matérielle de les prendre à part.
Ce qui suppose les conditions d’un cadre favorable, on le comprend aisément.
Ce cadre de retraite est de fort grande importance. On sait à quel point saint Ignace, existentialiste avant la lettre, a toujours eu le souci d’assurer l’atmosphère appropriée au but qu’il poursuivait.
Ne retenons pour le moment que sa volonté expresse de procurer au retraitant l’isolement et le silence les plus absolus.
L’isolement
Les Exercices prévoient explicitement « la séparation la plus totale de toute personne connue et de toute préoccupation terrestre, et que l’on quitte la maison où l’on habite, pour se rendre dans une autre maison et y vivre le plus tranquillement qu’il est possible » (Annotation 20e).
Encore faut-il que cette nouvelle maison offre les conditions requises en ce sens : site vraiment calme et agréable, cellules individuelles pour les retraitantes (et non des alcôves de dortoir, doublées de salles de classe pour la journée !) ; chapelle recueillie qui ne soit pas troublée par les offices et les allées et venues d’une communauté étrangère à celle des retraitantes ; vaste jardin (non pas un légumier sans ombre, sans allées spacieuses et sans possibilités de s’isoler) ; préau couvert ou cloîtré pour les jours de pluie ; salle d’instructions avec des tables permettant de prendre des notes ; bureau d’accueil, discret et accessible, où les retraitantes atteindront facilement le Directeur ; si la maison devait loger certaines retraitantes à des étages supérieurs, possibilité d’user de l’ascenseur ; services ménagers et d’hygiène assurés selon le nombre des retraitantes ; possibilité de régime spécial pour les santés qui le nécessitent...
S’il est normal que les retraitantes assurent leur service de table, de vaisselle, etc., il ne faudrait pas que, par suite des repas d’autres communautés, on doive accommoder l’ordre du jour des retraitantes d’une manière peu favorable ; celui-ci doit pouvoir s’établir en toute indépendance, tant pour l’heure de la sainte messe que pour les parties de l’office divin que les retraitantes voudraient réciter en commun. Un tableau d’affichage bien en vue et accessible reste chose utile, lors même que les retraitantes reçoivent chacune au jour le jour, une feuille cyclostylée avec les indications de lecture et d’examen. Utile encore, une boîte aux lettres destinée au Directeur, pour des demandes d’entretien urgent ou pour des questions d’intérêt général ou privé. Enfin, il sera bon de prévoir des possibilités de travail manuel à l’air pour les tempéraments nerveux qui auraient besoin de ce dérivatif et de cette saine détente.
Détails multiples et mesquins, semblerait-il, que tout cela ! Mais, de quoi se compose une « atmosphère favorable », sinon d’impondérables. À l’expérience, on s’aperçoit que l’isolement n’est qu’à ce prix. Tout comme d’ailleurs le silence.
Le silence
Sur ce point capital il ne faut pas transiger.
Ce serait une erreur grave que de vouloir faire des compromis avec ce qu’on appelle les nécessités du monde d’aujourd’hui. Pas d’Exercices spirituels ignatiens authentiques, sans vrai silence ! Et le silence n’existe que lorsqu’il est total.
Cela implique également la cessation de toute correspondance. Il faudrait donc prévoir avant de quitter sa maison et au besoin demander à sa supérieure locale de ne faire suivre en retraite que le courrier urgent ; un courrier normal ne serait d’ailleurs remis qu’aux jours de « quies », chaque retraitante jugeant s’il s’impose de le lire et d’y répondre avant la fin de la retraite.
Bien moins encore les visites devraient-elles être admises ; pas même, sauf pour motif grave, celle du Père spirituel ordinaire ou de la Supérieure majeure ; ne sont-ils pas censés avoir confié l’âme à qui de droit pour tout le temps de la retraite ? Aux fameux jours de détente (on en prévoit habituellement trois), les retraitantes éviteront, dans leur sortie, de parler à des personnes qui ne seraient pas de la retraite, tout comme de traverser la localité en s’attardant à des choses qui pourraient leur causer ensuite des distractions parfois obsédantes. Les jours de « quies » doivent détendre physiquement et psychiquement ; l’expérience prouve qu’il n’est pas si facile de garder en cela le juste milieu. Durant les repas principaux (dîner et souper), après une brève lecture d’Écriture sainte adaptée à la journée, la lecture d’une biographie facile s’indique pour midi, tout comme pour le soir, plutôt de la musique religieuse ou classique, pour créer ou maintenir l’atmosphère appropriée.
Une règlementaire se tiendra à heures fixes à la disposition des retraitantes et leur fournira le nécessaire. Les signaux de sonnerie se réduiront au minimum. L’horaire, tout en maintenant les quatre exercices quotidiens prévus par saint Ignace, sera fort souple, laissant aux retraitantes de larges tranches de temps libre ainsi que la possibilité de s’absenter de certains points d’oraison, selon l’appel intérieur et les besoins de l’âme. La sainte messe se place peut-être le mieux après la première heure d’oraison, laquelle est elle-même précédée au lever par les Laudes en commun, le petit déjeuner et un certain temps libre pour ranger sa chambre.
On n’apportera pas en retraite d’autres livres que la Bible (au complet), le Missel, les Exercices (édition « Christus » ou « Orante », Doncœur), l’Imitation de Jésus-Christ, les Constitutions de la Congrégation, une vie de saint ou autre biographie. Un souhait : pouvoir réciter ensemble Laudes et Complies, en se mettant d’accord pour utiliser un même Livre d’heures. La maison de retraites aura sans doute les livres nécessaires pour d’éventuelles célébrations avec chant ; non qu’il s’agisse d’organiser, durant la retraite, des offices liturgiques réclamant des répétitions distrayantes ; mais au moins les dimanches et jours de fête, la liturgie doit pouvoir être rehaussée du chant sacré ; des préparations, réduites au nécessaire, en seront prévues au jour de « quies » par une sœur compétente.
Ce qu’il faut assurer à tout prix, c’est que l’âme puisse rester aisément recueillie et toute libre à la fois, détendue mais nullement distraite. Or dans cette caisse de résonance qu’est le recueillement de trente jours de retraite, il est incroyable à quel point, si l’on n’y prend garde, des nouvelles du dehors introduites subrepticement ou aussi le souci impatient de finir telle ou telle chose nullement indispensable peuvent troubler profondément et même tourner à l’obsession. Le Seigneur aime à visiter l’âme, non seulement aux heures d’oraison formelle, mais souvent aux moments les plus inattendus, surtout quand elle se tient dans un cadre et une atmosphère tels que rien ne l’empêche de rester aux écoutes de Dieu la journée durant. Le grand mystique Henri Suso n’a-t-il pas commencé sa vie d’oraison merveilleuse au réfectoire pendant qu’on y lisait le début du livre de la Sagesse ?
On a beaucoup parlé en ces derniers temps de la retraite ignatienne comme constituée essentiellement d’un dialogue. Le mot est à la mode, bien sûr. Encore convient-il de s’entendre et de ne point fausser l’esprit des Exercices de saint Ignace, lequel comprenait ce dialogue avant tout comme se faisant avec Dieu – toute prière n’est-elle pas présence, attitude aux écoutes et acquiescement ? – et ensuite aussi avec le Directeur de retraite. Il ne semble pas qu’Ignace ait jamais songé à étendre le dialogue au-delà. Si, comme on le dit parfois, telle ou telle retraite (d’ailleurs seulement de huit jours, et d’une communauté jésuite homogène) se fit exceptionnellement avec des espèces de carrefours et de révisions de vie, et cela peu d’années après la mort du saint, ce cas d’exception n’infirme en rien la règle d’isolement et de silence absolus voulus par Ignace durant les Exercices de trente jours ; et rien ne nous dit, qu’il eût approuvé la pratique susdite, si elle s’était produite de son vivant.
Ce qui reste essentiel à la retraite ignatienne, c’est qu’elle se fasse à deux : l’un donne et l’autre reçoit les Exercices ; et ne peut les donner valablement que celui qui lui-même les a bien faits de cette manière. Dans le cas d’une retraite groupée l’entretien avec le Directeur n’a donc rien du bavardage d’évasion qui pourrait tenter une âme superficielle aux heures de sécheresse et de désolation. Il s’agit d’une authentique « direction spirituelle », aussi importante, sinon bien davantage, que les points d’oraison proposés au groupe et même que les heures de prière personnelle. En effet, ces dernières, quelque indispensables qu’elles soient, ne serviraient de rien ou pourraient même mener à des illusions dangereuses et à des aberrations, si le travail intérieur de l’âme en retraite n’était contrôlé, guidé, assuré par le jugement d’un Directeur sage et respectueux des mouvements du bon Esprit. Comme le note cependant clairement saint Ignace, cet Instructeur et Guide ou Directeur ne doit pas nécessairement recevoir la confession des retraitantes (Annotations 17e). Mais on ne conçoit guère, qu’en Grande Retraite, une âme se soustraie à cet entretien essentiel et régulier avec le Directeur. D’autre part, celui-ci ne peut pas s’imposer, il lui faut bien des qualités humaines et spirituelles, sans parler de l’irremplaçable expérience de Dieu et des âmes. Toujours il évitera de se substituer à l’âme qu’il dirige, l’éclairant seulement, l’aidant, la contrôlant, la stimulant, l’empêchant de somnoler mais aussi de se hâter témérairement et au-delà de ses forces, obtenant d’elle par-dessus tout qu’elle reste intérieurement libre, ouverte et docile envers l’Esprit de Dieu. Même aux jours pénibles, où l’âme aurait à lutter comme Jacob avec l’ange, ce n’est toujours pas au Directeur à rien décider ; la décision ne peut être vitale et durablement utile que si elle est personnelle.
On voudrait que tout Directeur fût semblable à François de Sales, dont Jeanne de Chantal disait : « Il laissait volontiers agir l’Esprit de Dieu dans les âmes, suivant lui-même l’attrait de cet Esprit divin, les conduisant selon la conduite de Dieu, les laissant agir selon les inspirations divines plutôt que par ses inspirations particulières. J’ai reconnu cela en moi-même ». Il n’est que de se reporter aux nombreuses Annotations et conseils qui, dans les Exercices, sont destinés au Directeur de retraite, pour saisir à la fois tout ce que peut produire en retraite un entretien spirituel suivi et pour se persuader que celui-ci n’est nullement conçu par saint Ignace comme un dérivatif au silence devenu trop pesant pour certaines âmes. Si les Exercices authentiquement ignatiens visent avant tout, comme cela est hors de conteste, à obtenir du retraitant qu’il cherche et trouve la volonté divine à son sujet et qu’il se décide à l’accepter comme norme de vie définitive, cependant ce mois de retraite, nous l’avons dit, éduque aussi à l’oraison, à la vie spirituelle profonde, à un « apostolat à la grande manière », parce qu’il en pose les conditions indispensables. Mais ces résultats s’obtiennent pour ainsi dire concurremment à celui qu’il s’agit d’atteindre à tout prix.
Face à un objectif aussi grave, rien ne sera de trop pour assurer sinon son obtention, qui ne dépend pas de nos seuls efforts, du moins les conditions les meilleures en vue du succès.
Dans le louable souci de procurer à pas mal de leurs religieuses l’expérience de la retraite d’un mois, plusieurs Congrégations ont pris l’initiative d’organiser les Grands Exercices dans une de leurs maisons. Hélas, ces maisons ne réunissent pas toujours les exigences voulues ; et parfois la sélection des retraitantes a pu laisser aussi à désirer. Des fruits furent certes obtenus par de pareilles retraites ; pourtant, ils ne sont pas ceux de ces conversions marquantes, de ces renouveaux durables, de ces initiatives apostoliques si fructueuses qui devraient être le résultat, sinon normal, du moins plus fréquent des retraites pleinement ignatiennes.
La conclusion s’impose : Ne devrait-on pas d’une part tâcher de faire faire les Grands Exercices dans des maisons de retraites, puisqu’elles sont spécialement aménagées et organisés à cette fin, ou du moins ne les faire que dans des maisons religieuses vraiment appropriées, plutôt que d’en improviser plus ou moins heureusement le cadre (encore que cela puisse constituer une économie financière). D’autre part, les supérieures compétentes auront avantage à s’entendre très clairement avec le Directeur des Grands Exercices, tant sur la sélection et le nombre des candidates que sur la préparation des retraitantes et le cadre dans lequel on songe à réaliser cette expérience.
Il semble que rien ne doive être épargné pour favoriser au maximum le succès de l’entreprise, lequel, évidemment, relève surtout de la grâce du Seigneur.
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Luxembourg