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La promotion ecclésiale de la religieuse missionnaire

Grégoire-Pierre Agagianian

N°1968-2 Mars 1968

| P. 65-75 |

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N.D.L.R. Nous exprimons à Son Em. le Cardinal Agagianian notre respectueuse gratitude pour nous avoir autorisés à reproduire de larges extraits de son allocution à l’Assemblée de l’Union Internationale des Supérieures Générales (Rome, 9 mars 1967). Nous remercions également le Secrétariat de l’U.I.S.G. de nous avoir permis de recourir au texte publié in extenso (pp. 23-32) dans le fascicule : La pensée de l’Église sur la vie religieuse à la première Assemblée de l’U.I.S.G.

Révérendes Mères Générales,

Nous sommes parfaitement conscient du potentiel apostolique que représentent les religieuses dans les missions. Dans les territoires actuellement dépendant de la S. Congrégation de « Propaganda Fide », les religieuses missionnaires sont deux fois et demie plus nombreuses que les prêtres ; et cette proportion est sensiblement la même dans les autres territoires missionnaires, dont le Dicastère que nous représentons aura aussi à s’occuper de façon plus ou moins directe en vertu du remaniement territorial décrété par le Concile (Ad Gentes, 29, 2 ; Paul VI, Ecclesiae Sanctae, cap. III, 13, 1). Ce sont les Sœurs qui, pour une grande part, ont en mains le sort de l’Église missionnaire, non seulement par les activités qu’elles exercent dans les missions, mais aussi par le zèle généreux de toutes les religieuses pour promouvoir la coopération missionnaire à l’arrière.

L’engagement missionnaire des Congrégations religieuses a contribué pour une bonne part à situer la vie religieuse par rapport au développement de la vie de l’Église. Cette perspective est à la base du Décret conciliaire sur les Religieux, qui entrevoit la consécration religieuse sous l’angle des « fruits apportés à la vie de l’Église et à son apostolat » (1, 3). Le rapport de la vie religieuse à l’apostolat et plus largement au ministère ecclésial, est basé tout d’abord dans l’ordre juridique, du fait que la consécration religieuse, étant reçue par l’Église, doit être dédiée à son service (5, 2), ensuite dans l’ordre théologique en ce sens que la tendance plus poussée à la charité théologale, qui est aussi charité apostolique, entraîne d’un élan impérieux « l’effort de collaboration à l’œuvre de la Rédemption et à la dilatation du Royaume de Dieu » (5, 5 ; cf. Lumen Gentium, 44, 2 ; Ad Gentes, 40, 1).

Le ministère dans l’Église avait été considéré volontiers, depuis le Moyen Age, comme un secteur exclusif du clergé, dans lequel ni les laïcs, ni les religieuses ne pouvaient prétendre s’infiltrer. Pourtant dans l’antiquité, des laïcs, des femmes, des vierges consacrées, avaient joué dans le ministère un rôle très actif. Qu’il suffise de penser aux compagnes d’apostolat de St. Paul, spécialement à cette Marie qui, au témoignage de l’Apôtre des nations, « a beaucoup travaillé » pour la conversion des Gentils, ou à cette Junie dont St. Paul dit qu’elle était « très considérée parmi les apôtres » (Rm 16,6-7).

Le ministère, en effet, est largement ouvert au dévouement féminin ; sa direction, sans doute, est réservée à la Hiérarchie, et le clergé doit assumer dans le ministère pastoral certaines fonctions liturgiques qui lui sont propres, mais l’exercice du ministère apostolique, le travail de conversion de ceux du dehors, est totalement ouvert aux femmes, et celles-ci y participèrent brillamment dans toute l’antiquité.

Saint Jean Chrysostome avait dit à ce propos : « L’homme et la femme se diversifient dans les négoces extérieurs par leur comportement, leur activité, leurs préoccupations. C’est ainsi que l’on présente de coutume la femme se tenant dans sa maison, et l’homme prenant en charge les affaires du dehors. Mais dans les affaires divines, dans les travaux entrepris au service de l’Église, cette diversité n’a pas lieu ; il peut même se faire que dans ces travaux et ces combats magnifiques, la femme surpasse l’homme en ardeur. » (Epist. 170, p. 52, 709-710).

Le Décret sur l’Apostolat des laïcs a engagé les chrétiennes à collaborer d’une façon beaucoup plus étroite au ministère apostolique, puisque la parenthèse de l’infériorité sociale de la femme est sur le point de se fermer dans les pays d’Occident (Apostolicam Actuositatem, 9).

Le Décret missionnaire n’hésite pas, pour sa part, à attribuer aux femmes, aux religieuses qui sont consacrées à l’apostolat missionnaire selon un plein engagement de vie, ne fût-ce que pour une période déterminée, la qualification de « missionnaire » au sens strict (Ad Gentes, 23, 2 ; 26, 2), au même titre que leurs compagnons prêtres ou religieux ; mais il demande en même temps que chaque Institut missionnaire, masculin ou féminin, se hausse aux exigences de ce titre : les Instituts doivent « se poser sincèrement devant Dieu la question de savoir s’ils peuvent étendre leur activité en vue de l’expansion du Règne de Dieu parmi les nations..., si leurs membres participent à l’action missionnaire dans la mesure des possibilités, si leur comportement de vie est un témoignage de l’Évangile adapté à la mentalité et au conditionnement du peuple » (40, 3). C’est donc toute une révision de vie corporative qui est demandée par le Concile à chaque groupement de religieuses, en vue d’une meilleure adaptation à leur finalité apostolique et missionnaire.

Tout d’abord, révision du comportement de vie pour un meilleur témoignage de l’Évangile. Faut-il le dire ? D’une façon encore trop générale, la mentalité, les coutumes, les observances, la façon de se présenter, voire les critères de la formation intellectuelle, sont restés en retard sur l’évolution moderne de la mentalité et des coutumes, sur ce qu’est actuellement la position de la femme dans le monde, sur la promotion de la femme laïque dans l’Église. Ces dernières années heureusement, certaines Congrégations de Sœurs ont effectué dans ce domaine un sérieux effort d’adaptation, d’« aggiornamento », et il faut espérer que toutes bientôt suivront l’exemple. C’est d’ailleurs pour les Congrégations une question de vie ou de mort à plus ou moins brève échéance. Le Décret sur les Religieux disait à ce sujet : « Le mode de vie, de prière, d’action, doit être adapté aux conditions physiques et psychiques des membres, ainsi qu’aux exigences de l’apostolat, du niveau culturel, du conditionnement social et économique partout, et spécialement dans les missions » (3, 1).

Au-delà du comportement extérieur, c’est la mentalité et la spiritualité qui doivent s’élargir et s’affermir, selon une tonalité plus ecclésiale et dans une ouverture plus attentive au souffle de l’Esprit sur le monde d’aujourd’hui. La spiritualité sera plus apostoliquement orientée, et l’on n’oubliera pas que l’action ecclésiale vécue pour le Christ constitue par elle-même une source privilégiée d’enrichissement spirituel.

Nécessité aussi de s’adapter dans le régime interne des Congrégations féminines à ce qu’est la femme d’aujourd’hui dans les pays chrétiens, car elle ne se trouve plus dans une situation d’infériorité sociale, de sous-développement intellectuel, dans un état de passivité qu’il était loisible autrefois d’ériger en vertu. On pourra s’inspirer aussi des méthodes des Instituts Séculiers modernes pour une plus grande liberté d’action dans un régime de confiance, pour une certaine autonomie dans les initiatives et les réalisations, pour un contact plus direct et plus humain avec ceux qu’il faut attirer au Christ, pour un sens plus personnaliste de la consécration au Christ et à l’Église. Bref, traitant les Sœurs, non en perpétuelles mineures, mais en femmes adultes et auto-responsables, leur permettant des modes personnels de comportement, d’expression et d’action, tablant sur une vie de foi personnellement approfondie dans la conscience plutôt que sur la multiplication des barrières ou un conformisme de surface.

Révision enfin – c’est là le grand point qui va retenir notre attention – de l’efficience missionnaire de nos Instituts. Il faut bien se persuader que les urgences sociales ou apostoliques d’il y a un siècle ou plus, ainsi que les méthodes indiquées pour y parer, ne sont plus guère les urgences de l’Église et du monde de notre temps, ni les méthodes qui peuvent conduire au meilleur résultat. On peut parfois se poser la question : est-ce que nos Sœurs missionnaires ne dépensent pas leurs énergies dans des secteurs devenus quasi stériles, non rentables du point de vue ecclésial, ou à des tâches devenues d’ordre tout à fait secondaire dans le conditionnement social actuel ?

Les femmes sont, par tempérament, à la fois gardiennes et novatrices ; elles ont le sens tant des continuités que des bondissements de la vie. Les Sœurs missionnaires seront conservatrices pour tout ce qui est de valeur réelle dans l’équipement apostolique traditionnel, mais elles seront rénovatrices pour bousculer les routines démodées et opérer les rajeunissements dans l’esprit du Concile.

Leur attention doit porter tout particulièrement sur une révision de l’institutionnalisme à but directement profane – organisations médicales, enseignement scolaire profane, institutions sociales et caritatives – dans lequel leur activité s’est concentrée de préférence depuis un siècle. L’emploi de ces techniques à but directement humanitaire était destiné à véhiculer un témoignage chrétien de nature à attirer vers l’Église ceux du dehors, peut-être même à créer un contexte institutionnel jugé indispensable où pourrait mûrir la jeune Église. Ces activités se sont parfois développées en organismes imposants, avec de nombreux établissements très coûteux, en personnel et en ressources, d’ailleurs en contraste, assez souvent, avec le niveau de vie de la population et les possibilités locales des jeunes Églises ; le contexte de la présence colonisatrice avait favorisé ces genres d’institutions, et les missionnaires ne purent pas toujours opérer les transpositions souhaitables : on se contentait assez souvent en mission de copier ce qui se faisait dans les anciens pays chrétiens, sans se demander si ce qui avait été bon, du moins à certaines époques, en vue de la préservation d’une foi chrétienne chancelante, devait nécessairement l’être aussi pour préparer les conversions dans les pays étrangers au Christianisme.

L’évolution a pu d’ailleurs changer considérablement la physionomie chrétienne et la valeur testimoniale des institutions de ce genre. Là où autrefois il y avait œuvre de charité pour une suppléance répondant à une urgence sociale criante, il y a maintenant socialisation statale ou nationalisation du secteur entier, sinon encore de fait, du moins dans l’intention des jeunes gouvernements et la planification des grandes organisations internationales officielles. Nos institutions, lancées au début avec beaucoup de générosité et répondant à d’authentiques urgences sociales, ne deviennent-elles pas anachroniques, techniquement dépassées, financièrement non viables, dépourvues de valeur testimoniale proprement chrétienne, depuis que d’autres organismes mieux équipés et de caractère officiel ont pris la charge du secteur ? Il faut alors éviter le double emploi, le gaspillage inutile, la concurrence inégale, et repenser son activité, qui doit être missionnaire au maximum, à la lumière d’une vision apostolique plus fraîchement évangélique. Il s’agit de déceler les urgences réelles de l’heure, établir les priorités et opérer sa propre « reconversion » en se portant sur des tâches socialement moins spectaculaires sans doute, mais qui sont plus spécifiquement des tâches d’Église, des tâches de portée et de caractère directement missionnaires.

On n’a pas suffisamment noté à ce sujet que le Décret Conciliaire sur les Missions ne mentionne guère ces entreprises d’ordre directement profane, sinon à propos des laïcs chrétiens situés par leur profession dans ces secteurs, qui sont laissés à la compétence de l’autorité civile (Ad Gentes, 12 ; 15, 7 ; 21, 2 ; 41). Cette perspective marque un tournant très significatif dans la méthodologie missionnaire.

Les religieuses missionnaires sont missionnaires au sens strict ; elles doivent s’insérer le plus étroitement possible dans le plein apostolat : c’est là que leur vocation les situe et les réclame, c’est pour la mission d’évangélisation et d’implantation d’Églises particulières nouvelles que l’Esprit Saint les a choisies, les a mises à part.

La Sœur missionnaire est, actuellement surtout, appelée à un apostolat de plein vent, à la participation directe dans la fonction évangélisatrice, à la présentation au-dehors du témoignage kérygmatique. Cette vie plus itinérante qui l’attend, moins guindée, plus aérée, réclamera certes des adaptations dans les façons de vivre, les horaires, les pratiques ; mais c’est précisément dans cet apostolat direct que la Sœur pourra se révéler apôtre au maximum, mettant au service de la Parole ses potentialités féminines de chaleur communicative et de rayonnement de vie.

Maintenant que les Sœurs autochtones, mieux indiquées pour cet apostolat direct itinérant de contact et de présentation du message, sont disponibles un peu partout, ne pourrait-on pas envisager la constitution d’équipes apostoliques, avec des prêtres, des Sœurs et peut-être les laïcs, spécialement chargées de l’apostolat direct dans la masse non chrétienne ? Aux États-Unis, par exemple, il existe une branche féminine de la « Catholic Evidence Guild » : des jeunes filles particulièrement préparées prennent la parole en plein air pour l’annonce du Christ. Dans les missions, certains Instituts Séculiers féminins ont mis sur pied des équipes itinérantes pour l’évangélisation des milieux non encore touchés par la pénétration missionnaire ; certaines Congrégations féminines ont aussi, à l’exemple des Sœurs de Maryknoll en Chine depuis 1936 et plus tard à Taiwan, fait de beaux efforts de pénétration évangélique itinérante (Sister Mary-Marcelline, Sisters Carry the Gospel,, World Horizon Reports, n. 15, Maryknoll Publications, N. Y. 1956, 127 pp.) Le mouvement pourrait être généralisé parmi les Sœurs missionnaires, puisque c’est le désir ardent du Christ « que tous les hommes parviennent à la connaissance de la vérité » (1 Tm 2, 4). La constitution d’équipes mobiles de missionnaires avait déjà été recommandée dans l’Encyclique « Fidei Donum » de Pie XII : il faut un nouveau développement des forces apostoliques pour la pénétration évangélique au milieu de la population non-chrétienne, par la mise sur pied de nombreuses équipes missionnaires mobiles, telles qu’elles existaient dans les débuts du Christianisme (A.A.S., 1957, 227).

Les fruits récoltés par cet apostolat direct, ceux et celles qui auront été convertis par le kérygme, devront être initiés à la vie chrétienne. Tant le catéchuménat, surtout féminin, que la catéchèse post-baptismale des néophytes, dont les bonnes dispositions de conversion sincère n’exigent guère de délai dans l’accès au Baptême, constituent un secteur de choix, fort peu exploité jusqu’ici, pour l’activité apostolique des Sœurs missionnaires. C’est d’ailleurs la préparation catéchétique qui est signalée par le Décret Missionnaire du Concile comme unique point particulier de formation spécialement recommandé pour les religieuses, ainsi que pour les religieux non prêtres (Ad Gentes, 26, 4) : ceci souligne le désir du Concile de voir les Sœurs et les Frères s’engager de façon très compacte dans ce ministère catéchétique. Nous ne voyons d’ailleurs aucune difficulté à ce que des religieuses bien préparées assument l’entière direction, sous la responsabilité directe de l’évêque, de catéchuménats féminins ou de centres d’initiation chrétienne de néophytes.

Non seulement le secteur proprement apostolique est totalement ouvert aux religieuses, mais le secteur pastoral, pour le soin spirituel des fidèles, est lui aussi largement accessible aux Sœurs missionnaires.

Il suffit pour elles de s’insérer plus étroitement dans la vie de nos jeunes communautés paroissiales et de ne pas s’enfermer dans leurs couvents. Une collaboration active des Sœurs à la communauté paroissiale pourra donner à celle-ci le caractère de vivant foyer de la grande famille du peuple de Dieu : le prêtre en restera, certes, l’animateur dans le sens masculin de l’organisation et de l’efficience, mais la religieuse en sera l’animatrice dans le sens féminin du cœur bienfaisant au niveau de la vie.

On sait que dans certains pays, soit des religieuses, soit des femmes laïques se sont insérées dans l’animation paroissiale selon une forme de diaconie féminine de plein droit : l’assistante pastorale ou paroissiale...

Il y a... toute une gamme de diaconies largement ouvertes aux religieuses : catéchèse, enseignement religieux dans les écoles gouvernementales, prise en charge de la jeunesse non-scolaire ou post-scolaire, surtout féminine, préparation des fiancées au mariage, groupes catéchétiques pour futures ou jeunes mamans à l’occasion de la présentation de l’enfant au Baptême, animation spirituelle des postes secondaires ou stations sans prêtres, avec la prise en charge des réunions de culte, animation spirituelle des œuvres féminines de la paroisse. Ce sont là toutes fonctions d’Église, où les religieuses peuvent fournir un travail extrêmement important et fécond, et mettre en valeur, tant dans l’apostolat que clans la pastorale, leurs qualités proprement féminines qui contribueront beaucoup à donner à l’Église missionnaire la figure qui lui revient : celle d’une mère universelle, « Sancta Mater Ecclesia »...

Nous convions... les Congrégations religieuses qui se veulent missionnaires, à s’insérer plus à fond dans les tâches proprement missionnaires, celles que l’Église réclame avant tout dans la conjoncture actuelle. Certes, les transformations qui s’imposent ne viendront que progressivement ; les services à but directement profane qui avaient été entrepris avec grande générosité et à grands frais, ne peuvent être abandonnés du jour au lendemain : ils peuvent d’ailleurs se maintenir dans une certaine mesure là où les situations le permettent et être menés de front avec les nouvelles tâches typiquement ecclésiales, tout en s’ordonnant progressivement à une finalité plus directement religieuse, particulièrement à la formation chrétienne et apostolique d’un laïcat féminin autochtone engagé. Mais il reste que, pour le grand nombre des Congrégations religieuses missionnaires, exclusivement ou non, ces orientations nouvelles doivent être sérieusement prises en considération ; car il s’agit d’une question d’importance vitale pour l’Église missionnaire et, peut-on ajouter, également pour les Congrégations de Sœurs : celles-ci doivent gagner en disponibilité et en flexibilité au service de la mission, sinon les évêques missionnaires feront fond de préférence sur le potentiel féminin des Instituts Séculiers ou du laïcat missionnaire.

Cette perspective plus étroitement ecclésiale où se situe actuellement la fonction de la religieuse missionnaire réclame aussi une préparation appropriée des jeunes Sœurs : celles natives des régions missionnaires comme celles qui se destinent à aller dans les missions.

Ce n’est plus le moment de se contenter pour les futures missionnaires d’une formation spirituelle et intellectuelle de seconde zone, sinon nettement déficiente : il faut éviter le gaspillage des frivolités et jouer franc jeu les règles de l’amour, ne rien négliger pour épanouir harmonieusement les possibilités apostoliques des jeunes Sœurs, faire même de certaines d’entre elles de véritables spécialistes. Un gros effort a été déjà accompli par certaines Congrégations pour permettre à de jeunes Sœurs de suivre des cours d’initiation théologique, à l’Institut Regina Mundi par exemple, mais nous n’avons guère encore de femmes catholiques dotées d’un doctorat en théologie : carence qui fut spécialement notée naguère par des Protestantes, lors de la rencontre œcuménique féminine de Viracello, en octobre 1965, tenue sous l’égide du Conseil Œcuménique des Églises et du Secrétariat romain pour l’Unité (Istina, 1965-66, p. 281). Dans le domaine de la préparation missionnaire, quelques Sœurs ont suivi des cours spécialisés de catéchèse, certaines aussi ont fait des études missiologiques au niveau universitaire. À notre Université de « Propaganda Fide », six religieuses se sont inscrites cette année à l’Institut missiologique : exemple qui mérite d’être signalé, et surtout, d’être suivi par toutes les Congrégations missionnaires féminines. Les normes données par le décret Ad Gentes sur la préparation technique (des missionnaires, valent aussi pour les religieuses selon leur condition propre (n. 26).

Les orientations missionnaires modernes engagent enfin les Congrégations missionnaires féminines à une plus étroite collaboration entre elles et avec le clergé. On assiste heureusement dans ce domaine, surtout depuis quelques années – et votre nouvelle Union Internationale des Supérieures Générales en est un exemple éclatant – à des rencontres multipliées entre représentantes de Congrégations diverses, à des échanges fraternels, à la collaboration sur le plan des activités. Les Instituts ne peuvent plus, en effet, dans les conjonctures actuelles, rester cloisonnés, jalousement fermés sur eux-mêmes : il faut la collaboration dans tous les secteurs où celle-ci peut être fructueuse.

Collaboration aussi plus étroite des religieuses avec le clergé. Certes, dans les missions, où tant de barrières conformistes perdent heureusement de leur emprise, les rapports entre les Sœurs et le clergé sont généralement beaucoup plus simples, plus francs, moins étriqués qu’en d’autres lieux, offrant aussi de meilleures chances pour une collaboration efficace. Déjà, au niveau des stations missionnaires ou à l’échelle paroissiale, les Sœurs doivent assumer un rôle de réflexion et de consultation dans l’organisation de l’action pastorale auprès des fidèles et de la pénétration apostolique du milieu non chrétien ; et les prêtres doivent entendre leurs collaboratrices dans la préparation des décisions, voir en elles des co-responsables. L’institution de Conseils Paroissiaux avec une représentation de religieuses, a été recommandés par le Décret sur l’Apostolat des Laïcs (n. 26, 2). Sur le plan diocésain, des Conseils Pastoraux devront être partout établis, avec des représentantes religieuses parmi les autres conseillers clercs et laïcs (Christus Dominus, 27 ; Ad Gentes, 30). Sur le plan, enfin, des Conférences épiscopales, la collaboration active des Congrégations féminines est prévue par le Concile, par l’intermédiaire des Unions Nationales de Supérieures Majeures (Christus Dominus, 35 ; Perfectae Caritatis, 23 ; Ad Gentes, 33).

Ces diverses décisions conciliaires marqueront un profond changement dans la position de la femme et de la religieuse dans l’Église. Les Sœurs missionnaires, en tout cas, auront dorénavant une co-responsabilité de plein droit aux divers échelons des structures hiérarchiques ; elles n’auront plus, dès lors, la triste impression qu’elles avaient peut-être autrefois, d’être simplement utilisées par la Hiérarchie, sans être réellement utiles au niveau hiérarchique. Cette place beaucoup plus responsable de la femme dans les structures ecclésiales de direction et de gouvernement, permettra aux initiatives ecclésiales d’être beaucoup plus adaptées au réel humain, qui n’est pas seulement masculin.

Mais il est temps de terminer. Nous le ferons par cette réflexion au sujet de toutes les considérations qui précèdent, que j’ai eu l’honneur et la satisfaction de porter à votre aimable attention.

Certains se sont plaints que le Concile ne s’était guère occupé des femmes. Nous pensons au contraire que le Concile, par ses décisions et par son esprit rénovateur, a posé les bases d’une pleine promotion féminine au sein de l’Église, dans la vie de l’Église comme dans son plein ministère, dans l’ordre des fonctions comme sur le plan du gouvernement ; et tout cela dans l’entier respect de la personnalité féminine.

L’Église n’a pas eu besoin de suffragettes survoltées pour s’engager dans cette émancipation. L’Église, épouse du Christ, sait que sa fonction dans le monde est celle de sa maternité pour le Christ ; et c’est tout naturellement que le désir de faire la lumière sur elle-même, joint aux complicités de son amour, l’a engagée dans cette promotion que les répercussions de l’histoire sociale avaient pu offusquer pour un temps. C’est maintenant aux femmes, aux religieuses, à nos chères Sœurs missionnaires tout spécialement, à se montrer capables et dignes de cette promotion ecclésiale.

Celle-ci, toutefois, ne se réalisera pas sans un renouveau intérieur, un approfondissement de l’esprit de Foi, un engagement plus poussé dans la vivante espérance du règne de Dieu, une imprégnation plus humainement sentie de charité apostolique. L’apostolat, en effet, comme l’a souligné le Décret sur l’Apostolat des Laïcs, « doit s’exercer dans la Foi, l’Espérance et la Charité que l’Esprit Saint répand dans les cœurs de tous les membres de l’Église » (Apost. Act. n. 3, 2) ; ce qui vaut d’une façon plus impérative pour les religieux et religieuses puisque, comme l’a souligné Paul VI à l’assemblée de l’Union des Supérieures Majeures d’Italie, « la vie religieuse se définit en fonction d’une exigence de base, celle de la plénitude de l’amour : amour envers Dieu et donc envers le Christ, amour envers l’Église, amour envers le prochain, envers toute créature » (Vita Religiosa, 1967, p. 87). C’est d’ailleurs à tous les fidèles que le Pape Paul VI demande que cette année, qui commémore l’anniversaire du martyre des Apôtres Pierre et Paul, soit « une année de la Foi », d’un renouveau de Foi vivante dans toute l’Église. Ainsi donc, en union avec tout le peuple de Dieu, qui « doit profiter de l’occurrence pour reprendre conscience de sa Foi, la raviver, la purifier, la consolider, la témoigner » (Exhort. Apost. 22 févr. 1967), les religieuses et spécialement nos chères religieuses missionnaires, se prépareront ainsi à mieux répondre à l’appel de l’Église en nos temps présents, se haussant à la promotion ecclésiale à laquelle l’Église les invite pour une plus féconde collaboration à l’œuvre du Christ dans le monde.

Palazzo di Propaganda Fide
Piazza di Spagna
Rome (106)

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