Expériences communautaires : Préparation du Chapitre général spécial
Vies Consacrées
N°1968-1 • Janvier 1968
| P. 48-53 |
La lecture en ligne de l’article est en accès libre.
Pour pouvoir télécharger les fichiers pdf et ePub, merci de vous inscrire gratuitement en tant qu’utilisateur de notre site ou de vous connecter à votre profil.
« La collaboration de tous, supérieurs et religieux, est indispensable pour rénover, en eux-mêmes, leur vie religieuse, pour préparer spirituellement leurs chapitres, en inspirer les travaux et observer fidèlement les lois et les règles qu’ils auront décrétées » (Motu proprio Ecclesiae Sanctae, n. 2).
Cette directive de l’Église, à la fois ferme et libérale, s’appuie sur des principes de foi.
Tous les consacrés, étant enfants de Dieu, marqués par le sceau du baptême et l’onction de l’Esprit, sont fondamentalement égaux et un. Tous peuvent, sous l’influence de l’Esprit de Vérité et d’Amour, apporter de précieuses suggestions pour une plus parfaite réalisation du dessein de Dieu, par la famille religieuse à laquelle ils appartiennent. Tous ont le droit et le devoir de s’appliquer à découvrir, à travers les « signes des temps », les moyens les plus appropriés pour poursuivre l’idéal originel et la route la plus sûre vers le but de charité, dans le contexte de leur vocation particulière.
C’est cette attitude profonde de foi, de charité, d’humilité dans l’écoute des autres qui doit avant tout, semble-t-il, animer la préparation du Chapitre de « rénovation ». Tous les religieux sont unis dans une « co-responsabilité » effective pour la mise au point d’une loi de vie qui doit, au besoin, stimuler et animer l’élan collectif.
C’est pourquoi le Motu Proprio précise que « le Conseil Général, pour préparer le Chapitre, prévoira d’une manière opportune une ample et libre consultation des religieux et en donnera le résultat, afin que le travail du Chapitre en soit facilité et orienté » (n. 4).
Pour ce qui concerne la méthode de consultation et la façon d’user de ses résultats, chaque famille religieuse sans doute cherche sa route... ou l’a découverte.
Manifestement, une très grande bonne volonté anime tout le monde. Avec beaucoup d’ouverture et de simplicité, l’on se communique les diverses expériences déjà accomplies, leurs heureux fruits ou les lacunes qu’elles ont présentées.
C’est dans ce même esprit que nous avons accepté de consigner ici quelques étapes d’une préparation de Chapitre et quelques projets qui demeurent à expérimenter.
La première condition d’un fructueux travail d’ensemble est, sans doute, la sensibilisation de tous les membres de la Congrégation au Chapitre.
Trop souvent jusqu’ici, semble-t-il, on ne s’est pas assez préoccuppé de susciter un réel intérêt de la base pour les travaux capitulaires. L’élection des déléguées provoquait bien un mouvement d’attention. Mais une fois désignés les membres du Chapitre, on se contentait de leur confier le souci des questions à traiter ; on suivait de loin la marche des travaux et l’ensemble de la Congrégation – du moins pour ce qui concerne les congrégations féminines – ne se préoccupait guère des grandes orientations à prendre.
Vatican II a réveillé quelque peu cette passivité.
Le Chapitre, tel un petit concile, intéresse réellement l’ensemble et chacune se sent concernée par les décisions à prendre.
Pour intensifier encore cette sensibilisation, nous avons d’abord lancé un tout premier questionnaire. Premier coup de sonde destiné à éveiller l’attention générale. Il se réduisait à une seule question, très ouverte : « Quel est, à votre avis, le trait essentiel de la spiritualité voulue par le Fondateur, pour la Congrégation ? » Les réponses, très nombreuses, plus ou moins confuses, découvrirent déjà tout un éventail de suggestions fort intéressantes. Néanmoins, une éducation de l’ensemble s’avérait nécessaire pour une meilleure poursuite du dialogue. C’est pourquoi on organisa des journées de « sensibilisation », au cours desquelles des groupes d’environ 40 sœurs se succédèrent et apprirent, sous la direction d’un sociologue, à répondre correctement à diverses sortes de questions : fermées, semi-fermées, ouvertes [1]. Elles apprirent aussi (mais de façon très insuffisante encore !) à communiquer, à s’exprimer, à s’affronter sans que cet affrontement devienne conflictuel, à s’adapter sans abdiquer.
Bref, quelques notions fondamentales de psychologie et de dynamique de groupe leur furent données. Il est bien évident que ceci en demeurait au stade assez élémentaire.
Toutefois, le climat semblait désormais propice au lancement d’un questionnaire plus complet et plus différencié. Ce questionnaire devrait aborder les divers aspects de la vie religieuse, apostolique.
Qui serait chargé de bâtir ce questionnaire ?
Il nous sembla que ce devait être le travail de commissions. Il fallait donc les constituer au plus tôt. Elles furent formées en partie de membres élus par les Sœurs, en partie de membres nommés par la Supérieure Générale et des membres du Conseil Général lui-même.
Six commissions furent ainsi chargées d’étudier :
- Finalité – Vie de prière.
- Vocations – Formation – Perfectionnement.
- Pauvreté – Partage des biens.
- Chasteté – Obéissance – Vie communautaire.
- Vie apostolique – Missions.
- Organisation – Gouvernement.
Chaque commission ayant élaboré un questionnaire propre au sujet fixé, on procéda à une mise au point en commun. Le dossier complet et coordonné fut adressé à chaque sœur. Les conseillères générales et certains membres des commissions furent chargés de présenter et d’expliquer les questionnaires aux diverses communautés. La suite démontra cependant qu’un certain nombre de questions furent ou mal posées ou insuffisamment comprises. Il semble souhaitable que les commissions sachent elles-mêmes répondre et dépouiller les questionnaires avant de les lancer. Quantité de détails sont à préciser et à mettre au point pour éviter des réponses ambiguës, contradictoires ou nulles.
La presque totalité des réponses parvint à la Maison-Mère à la date prévue.
Le dépouillement représente un très gros travail.
Pour s’assurer les chances de succès, on consacra une première session à former les responsables et secrétaires des commissions, sous la direction d’un technicien. Elles apprirent aussi à classer, lire et dépouiller très objectivement, consigner clairement par des pourcentages et des graphiques significatifs une minime partie des volumineux dossiers qui s’amoncelaient au secrétariat. Ces cadres étant initiés, les commissions au complet purent aborder le travail d’ensemble du dépouillement. La tâche est ardue ; elle suppose une méthode rationnelle, beaucoup d’ordre et une rigoureuse objectivité. La totalité des réponses constitue une moisson riche, originale, mais difficilement utilisable si l’on n’en fait une synthèse. Cette phase de travail s’avère extrêmement délicate, car il s’agit de respecter la pensée des sœurs, de ne jamais interpréter ni porter des jugements de valeur. Il faut cependant coordonner suffisamment les diverses réponses pour pouvoir les présenter en un document lisible par toutes. Ce fut encore le travail des commissions mais elles changèrent de secteur. C’est-à-dire par ex. : qu’une commission qui avait élaboré et dépouillé le questionnaire sur la vie apostolique fit la synthèse des réponses au questionnaire : Finalité - Vie de prière. Si cette mutation présente de réelles difficultés pour les « travailleuses », elle garantit pourtant un « regard neuf » et assure une plus grande objectivité.
On parvint ainsi à établir, pour chaque chapitre du questionnaire, une synthèse graphique, dont un exemplaire fut adressé à chaque communauté. Chaque sœur reçut une synthèse chiffrée et une synthèse d’interprétation dont le but est d’aider à prendre conscience des problèmes qui se posent et qui transparaissent à travers les réponses [2]. Nous avons été aidées, pour l’élaboration de ces synthèses, par un religieux canoniste et un sociologue.
L’étape suivante, que nous allons désormais aborder, est celle de l’élection des capitulantes. Il semble que, dans le climat créé, climat de sérieux et d’attention, cette élection se fera dans de bonnes conditions. Chacune a compris, mieux que jamais, que le travail demandé aux capitulantes – travail important pour l’avenir de la Congrégation – requiert de grandes qualités : intelligence, compétence, ouverture, équilibre et bon sens, esprit religieux sûr. Dès que les capitulantes seront élues, on procédera à la constitution de commissions précapitulaires dont le rôle est très important. Ces commissions comprendront : des capitulantes, des sœurs ayant fait partie des premières commissions – des sœurs nommées et quelques membres du Conseil général. Chaque commission comptera 5 ou 6 religieuses. Les commissions seront initiées à leur méthode de travail durant une session de 2 ou 3 jours, dirigée par le sociologue déjà consulté.
Les commissions précapitulaires prévues jusqu’ici sont :
- Commission de coordination ; spécificité.
- " : connaissance des milieux d’insertion.
- " : modes de présence et d’insertion apostolique et missionnaire.
- " : d’étude de la personne.
- " : formation des jeunes ; formation permanente.
- " : structures.
Comment préciser la tâche de ces commissions ?
Un mot d’explication aidera à orienter leur action. Dans la première phase du travail (questionnaire de dépouillement), les commissions avaient pour ainsi dire découpé la vie religieuse en tranches verticales, étudiant séparément les vœux, la prière, la vie apostolique, etc. Si le travail se poursuivait selon la même méthode, il y aurait cloisonnement entre les divers sujets, manque d’équilibre, de coordination. La prière, par ex., ne doit pas seulement être étudiée en soi, mais aussi dans ses rapports avec la formation (formation à la prière), avec l’apostolat, etc.
Et ainsi de suite, pour chaque sujet.
Il faut donc compléter le travail des commissions de dépouillement par celui des commissions nouvelles, qui étudieront la vie religieuse « horizontalement », en recoupant, chacune, le travail des premières commissions.
Par ex. : La commission « coordination et spécificité », la plus importante de ces commissions nouvelles (elle devra comprendre la Mère Générale, quelques autres Mères du gouvernement et des sœurs dont une ayant fait partie de la commission « finalité ») veillera notamment à ce que la prière, les vœux, l’apostolat, etc. soient bien conçus en rapport avec la finalité spécifique de la Congrégation.
2. La commission « connaissance des milieux d’insertion » devra étudier les milieux où les œuvres de la Congrégation sont implantées. Elle devra donc faire des recherches sociologiques, établir des cartes, etc. Elle pourra bien entendu bénéficier des travaux antérieures faits par la Congrégation ou par d’autres Instituts ou organismes. Le résultat de ces enquêtes sera précieux pour les archives.
3. Étant donné ces milieux, comment concevoir la constitution de nos communautés, le choix de notre apostolat, le témoignage que nous avons à porter, etc.
4. Incidence des vœux sur la personne. Relations « personne et communauté », etc.
Et ainsi de suite. Nous nous bornons à esquisser quelques pistes. Mais c’est aux commissions elles-mêmes à orienter et délimiter leurs tâches.
L’une des plus impérieuses sera, après étude objective et réflexion, d’élaborer des textes qui devront être discutés par le chapitre et qui seront la base de la nouvelle loi de vie qu’il aura à déterminer.
On voit sans peine l’importance d’un tel travail de préparation qui doit aboutir à des options fondamentales pour le rôle à venir des familles religieuses et leur service dans l’Église.
Sans doute, les mesures adoptées, les modifications décidées le seront « à titre d’expérience » et ces expériences pourront se poursuivre jusqu’à un prochain chapitre général ordinaire qui aura la faculté de les proroger encore jusqu’à un chapitre suivant. Mais il n’en demeure pas moins vrai que l’aggiornamento demande, à la fois, la hardiesse et la sage prudence.
« Il faut savoir que beaucoup d’innovations seront irréversibles. Les barrières disciplinaires que l’on fait tomber ne pourront être relevées ; les fenêtres ouvertes ne se refermeront plus. Ces mesures sont peut-être nécessaires et il ne faut pas en avoir peur, mais ne pas espérer revenir en arrière quelques années plus tard ».
Il s’agit donc de bien choisir celles qui décideront... quelles fenêtres ouvrir... et à quel moment les ouvrir !
C’est sans doute, pour toutes nos congrégations, une invitation à une dépendance toujours plus intime et continue de l’Esprit Saint.
Une Assistante générale
[1] Une question fermée est celle qui appelle comme réponse un simple « oui » ou « non ». Par ex. Votre prière se nourrit-elle de l’Écriture ? Les retraites répondent-elles à ce que vous attendez ? On demande donc un choix précis, éliminatoire.Une question semi-fermée appelle un choix ou un classement entre diverses solutions. Par ex. Soulignez, parmi les traits énumérés ci-dessous (1-2-3-4...), ceux qui définissent le mieux la spiritualité que notre Fondateur a voulue pour nous ?Les questions ouvertes laissent libre cours aux réponses les plus variées. Par ex. Que cherchez-vous essentiellement dans la vie religieuse ?
[2] La synthèse graphique « illustre », sous une forme aussi parlante que possible, la synthèse chiffrée, qui exprime le pourcentage. La synthèse d’interprétation introduit à la réflexion sur les résultats de l’enquête.