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La clôture papale vécue

Michael Ph. Veling, o.s.b.

N°1967-3 Mai 1967

| P. 155-164 |

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La Constitution Apostolique Sponsa Christi, promulguée en 1950 par Pie XII, fit sensation, car elle était le premier document pontifical à toucher sinon à l’institution elle-même de la clôture, au moins aux lois devenues « trop strictes » qui la régissaient depuis des siècles. La grande innovation de ce document fut l’introduction d’une clôture papale « mineure », dont les prescriptions moins rigoureuses s’adaptaient mieux à l’exercice de l’apostolat que plusieurs monastères avaient adjoint à la pratique de la vie contemplative. La garde de cette clôture mineure et l’appréciation des cas de sortie légitime furent confiées à la Supérieure : c’était la première reconnaissance officielle, en ce qui concerne les moniales, de cette promotion de la femme, caractéristique de notre XXe siècle, surtout en Occident [1] Mais ce que l’Instruction Inter cetera (1956) concédait dans le cas de la clôture mineure, elle continuait, chose étrange, à le refuser aux monastères de vie strictement contemplative. De plus, un lecteur attentif comparant Sponsa Christi et ses deux décrets d’application, Inter praeclara (1950) et Inter cetera (1956), ne peut manquer d’être frappé par la différence de ton ; sans vouloir exagérer la signification de ce fait (car les Normes générales de Sponsa Christi ont, elles aussi, gardé une forme très stricte), on peut, ce semble, y voir un indice que les esprits étaient encore trop peu préparés, dans l’Église, pour que les semences jetées par le Pape puissent parvenir dès lors à leur plein épanouissement.

Mais, une quinzaine d’années plus tard, sous l’impulsion de Jean XXIII et grâce au Concile convoqué par lui, on peut espérer que l’heure est venue, où, sous la guidance de l’Esprit, la moisson est prête à être engrangée.

Rencontres et enquêtes préparatoires

Conformément aux directives données par le décret Perfectae caritatis, la plupart des Supérieures de monastères féminins ont eu l’occasion de s’exprimer sur le renouveau de leur vie et d’en discuter entre elles. Les Supérieurs Généraux de tous les grands Ordres ont en effet organisé des congrès et des rencontres régionales des Supérieures de la branche féminine de l’Ordre. Ces rencontres ont, la plupart du temps, été préparées par une enquête, qui permit de se rendre compte, dès avant la réunion, des vœux que les moniales souhaitaient présenter et de fixer en conséquence la matière des échanges de vues.

À l’occasion du Congrès des Abbés bénédictins, tenu à Rome en septembre 1966, et sous les auspices de la commission juridique de l’Ordre, une circulaire fut envoyée à toutes les Supérieures des Bénédictines, moniales et Sœurs. Ce questionnaire touchait entre autres la réforme du Code et les suggestions à présenter dans ce but. Ce point fit l’objet de nombreuses réponses, souvent accompagnées de commentaires détaillés. De ces documents se dégage une vue si pénétrante sur la situation réelle qu’il semble hautement souhaitable que des personnes d’une telle compétence soient étroitement associées à la refonte des canons qui fixeront la forme à donner à la vie des moniales. On peut toutefois se demander si c’est bien dans le Code de Droit Canon que ces textes devront se trouver, mais ceci est une autre question, que nous n’examinerons pas ici.

Nous donnerons ci-dessous un aperçu de cette consultation (le caractère confidentiel des réponses nous force à les présenter de façon anonyme) et nous y joindrons les réflexions personnelles qu’elle nous suggère.

Clôture et maturité personnelle

Une abbesse analyse les inconvénients que présente, pour les moniales de vie uniquement contemplative, la législation actuelle sur la clôture. Telle que l’organise le décret Inter cetera, « cette clôture rigoureuse... constitue... en même temps une sauvegarde de la chasteté professée solennellement et un moyen très apte à disposer les âmes à une union plus intime avec Dieu [2] ». Tel est, du moins, le but que lui assigne le législateur. Notre moniale fait à ce sujet les réflexions suivantes :

« Si nous analysons la clôture en elle-même et dans ses conséquences, nous arrivons aux conclusions suivantes : la séparation du monde et les éléments qui concrétisent cette séparation ont pour but d’assurer la vie contemplative. Celle-ci exige une maturité psychologique et surnaturelle. Les dispositions actuelles et la législation sur la clôture empêchent ou entravent cette maturité, parce qu’elles placent les supérieures et les moniales dans un état de dépendance incompatible avec une saine promotion de la femme et avec sa pleine maturité. La clôture amène les membres de la communauté à une condition de sécurité matérielle semblable à celle des enfants ; mais en même temps elle provoque une vraie insécurité quant aux décisions à prendre dans les cas concrets, à cause de la législation rigoureuse, mais non toujours assez claire. Ces circonstances établissent dans les communautés cloîtrées un climat psychologique qui n’est pas du tout favorable à la vie contemplative. Il se crée une ambiance de sécurité qui s’identifie peu à peu avec une sécurité bourgeoise, et qui affaiblit graduellement les vertus humaines fondamentales au profit d’une dimension pseudo-spirituelle, pseudo-surnaturelle. Il se crée une ambiance d’irréalité ; le monde intra clausuram devient presque absolu, primordial, unique. On perd le sens de la fonction sociale et ecclésiale du monastère, ce qui mène généralement à des déformations. On commence à identifier les éléments matériels de la clôture avec la virginité et la contemplation, ce qui sclérotise la vertu de virginité et la prière contemplative. Ainsi ce qui est essentiel et vital est-il entravé par le légalisme et une interprétation trop matérielle.
 » Alors se montre fréquemment un nouvel inconvénient : une sorte de culte de la clôture, qui paralyse le dynamisme de la communauté à tel point que toute évolution est arrêtée et devient impossible. On considère la clôture, dans ses formes matérielles, comme essentielle. Ce qui s’oppose aux enseignements de Pie XII dans son premier radio-message. Cette confusion des valeurs ne favorise pas l’équilibre psychique ni le développement spirituel. Il est plutôt à craindre que cela devienne la cause d’une tension trop grande qui aboutit à la maladie nerveuse. Pour le traitement de pareilles malades, c’est encore la clôture qui crée le plus grand obstacle, parce qu’elle ne fournit aucune possibilité de changement ou de délassement. De plus, il y a les cas des sœurs qui, sans être malades, auraient besoin d’un changement de milieu et de la possibilité d’une plus grande activité pour un certain temps. »

Clôture et maladies nerveuses

Que ce dernier besoin soit passablement général ressort de plusieurs lettres, par exemple :

« Une adaptation moins rigide de la clôture aiderait aussi à résoudre un autre problème toujours pressant : la possibilité pour les supérieures d’accorder aux membres qui en auraient besoin un repos dans une autre maison, un changement opportun de milieu de travail. Les systèmes nerveux deviennent de plus en plus fragiles, vu le rythme trépidant de la vie avant l’entrée au monastère. La nécessité d’un indult pour pouvoir accorder ce changement et toutes les formalités qui l’accompagnent provoquent chez la moniale une certaine dépression. Elle se considère comme stigmatisée pour toujours comme une névrosée pour qui la vie de moniale cloîtrée est manifestement trop lourde et au-dessus de ses forces. Il est facile de comprendre qu’une telle préoccupation nuit au succès de la cure de repos. »

La vie dans un monastère cloîtré pose des exigences élevées d’équilibre psychique. La plupart des constitutions en font mention lorsqu’elles fixent les conditions requises pour l’admission au noviciat. Quelles que soient les précautions prises pour obtenir sur ce point une sécurité suffisante avant d’accepter une candidate, fût-ce au moyen d’une consultation psychiatrique ou d’un test psychologique, il se fait cependant parfois que ne se révèle qu’après la profession temporaire un affaissement nerveux inquiétant. Mais alors il est trop tard, selon la législation actuelle, pour écarter encore la sœur. Car le canon 647, § 2, 2°, détermine que la maladie n’est pas un motif valable de renvoi, à moins que l’on ne puisse établir que celle-ci existait dès avant la profession temporaire et que la religieuse a dissimulé son état [3].

Un groupe de supérieures de moniales a rédigé un vœu tendant à la modification de ce canon, de telle sorte que le renvoi pour maladie nerveuse devienne licite. Voici comment elles motivent cette demande :

« Très souvent, la maladie nerveuse ne se manifeste qu’après les vœux, quand n’existe plus l’attente de la profession. Pendant le noviciat, cette attente, jointe à la ferveur propre aux novices, cause une certaine euphorie qui soutient la constitution nerveuse et empêche la manifestation du déséquilibre. La connaissance médicale des maladies nerveuses s’est grandement approfondie depuis 1918 ; tous sont unanimes à affirmer que la maladie nerveuse s’aggrave dans le cercle fermé du cloître avec de très graves conséquences et pour la malade et pour la communauté. La professe de vœux temporaires atteinte d’une maladie nerveuse n’est plus en état de raisonner avec objectivité, comme elle le serait si elle avait une autre maladie, et ne pourra pas être bon juge de son cas particulier. L’admettre aux vœux définitifs serait une cruauté et presque l’occasion d’un suicide pour elle, et une ruine pour la communauté, surtout pour une communauté cloîtrée où la tension qui en résultera écrasera tous les membres. Permettre le renvoi d’une professe de vœux temporaires pour raison de maladie nerveuse, dûment attestée par des autorités compétentes, est une urgente nécessité et un acte de charité, aussi bien envers la professe de vœux temporaires qu’envers la famille religieuse à laquelle elle appartient. »

Que cette affaire demande une sérieuse attention ressort d’autres lettres encore :

« Il semblerait souhaitable que ce canon soit revu afin de permettre que l’on puisse renvoyer au cours des vœux temporaires pour motif de maladie nerveuse dûment constatée, ceci pour les raisons suivantes : la vie contemplative cloîtrée exige un équilibre solide ; l’expérience montre que les désordres nerveux ne se manifestent généralement pas durant le postulat ni le noviciat, mais qu’ils apparaissent souvent après les premiers vœux, et qu’alors ils s’aggravent rapidement. Permettre à de tels sujets d’émettre les vœux perpétuels serait leur imposer un fardeau trop lourd, risquerait de ruiner complètement leur équilibre nerveux et introduirait dans la communauté de graves causes de trouble. »

Le Supplément de la Vie Spirituelle, tome VIII (1954), a publié la traduction d’un article du P. William C. Bier, S. J., intitulé L’examen psychologique. Une enquête faite en 1935 aux États-Unis par le P. Moore avait amené celui-ci à conclure que le pourcentage des désordres mentaux chez les prêtres et les religieuses est inférieur à celui de l’ensemble de la population, mais que la proportion des cas chez les religieuses cloîtrées est double de celle de l’ensemble de la population. Le P. Bier avance, de ce fait troublant, l’explication suivante : « Il n’y a aucun doute qu’un nombre considérable de personnalités pré-schizophréniques sont attirées par la retraite et la solitude de la vie religieuse, et par la vie contemplative davantage que par la vie active [4]. » On peut sans doute discuter les chiffres avancés, mais il est hors de doute que se présentent aux portes des monastères un bon nombre de candidates dont l’équilibre mental apparaît fragile. Souvent une supérieure ou une maîtresse des novices expérimentées peuvent s’en rendre compte dès le premier contact, à l’opinion exagérée que ces candidates ont de leur vocation. À ce moment, il est encore aisé de les convaincre qu’elles seraient mieux à leur place dans un autre Ordre (si toutefois la fragilité de leur système nerveux n’est pas une contre-indication à toute vocation religieuse).

Vie cloîtrée et monde moderne

La forme sous laquelle nous présentons notre idéal est souvent, en cette seconde moitié du XXe siècle, difficilement assimilable par une jeune fille moderne, équilibrée et bien de son temps. Beaucoup de supérieures de monastères de stricte observance où l’on mène une vie uniquement contemplative s’en rendent parfaitement compte :

« Une jeune fille qui se présente comme postulante vient du milieu qui est celui de son époque. Elle est non seulement le produit de son milieu familial, mais aussi de l’ambiance sociale, économique, industrielle et politique à laquelle elle a participé et par laquelle elle est formée depuis sa naissance. Ce qu’elle vient chercher dans un monastère, c’est un climat de prière, de travail, une réalisation vécue de l’unité des races, des conditions sociales, en un mot de toutes les créatures humaines réunies dans le Christ. »

L’étonnant, pour une telle jeune fille, c’est que l’Église, par sa législation, exige de la moniale une séparation totale et fasse de cette réclusion radicale une condition indispensable du témoignage de l’influx bienfaisant qui découle pour le monde d’une vie consacrée à Dieu seul. Les besoins pour lesquels la moniale prie et qui doivent stimuler son amour pour Dieu et pour les hommes, elle ne les connaît pas et n’est pas autorisée à en prendre connaissance. Tout ceci apparaît fort irréel.

La jeunesse d’aujourd’hui recherche avant tout la sincérité, l’authenticité. Pour elle, la vie religieuse n’est digne de foi que lorsqu’elle peut y reconnaître le pur témoignage d’une vie conforme au message de l’Évangile, une vie de pauvreté évangélique, de détachement, de renoncement, tout entière orientée vers Dieu et le prochain.

« On ne comprend plus la survivance d’un cadre médiéval ou bourgeois, où des éléments anachroniques voilent cette authenticité, même si l’on peut reconnaître que cette authenticité existe néanmoins. Les vocations actuelles sont souvent déroutées par le décor médiéval ou bourgeois. Ce ne sont que des éléments extérieurs, quelques usages anachroniques, certaines cérémonies extérieures d’une étiquette de cour, mais qui donnent aux relations mutuelles une apparence artificielle. Les jeunes se sentent aussi rebutées par un train de vie souvent extérieurement trop bourgeois, qui accentue les différences entre classes sociales, etc., et voilent l’authenticité réellement présente dans la vie monastique féminine. »

Les grilles : signe ou contre-signe ?

Le Motu proprio Ecclesiae sanctae décrit la clôture papale des moniales « comme une institution ascétique qui correspond singulièrement à la vocation spéciale des moniales, puisqu’elle est un signe, une protection et une forme particulière de la séparation du monde [5] ».

Pour vraie que soit cette affirmation dans son ensemble, on est en droit de se demander si les manières concrètes dont cette séparation du monde se traduit gardent toutes cette valeur de signe pour nos contemporains. Nous pensons spécialement aux grilles, qui apparaissent à beaucoup comme le symbole même de cette forme de clôture rigide.

Dans les pays catholiques du sud de l’Europe, on rencontrera sans doute peu d’opposition à celles-ci, surtout dans les pays où les cloîtrées et leur vie austère sont encore en grande estime. C’est ce dont témoignent un certain nombre de réponses à l’enquête dont nous avons parlé. Il y a même des monastères qui ne souhaitent absolument aucun changement profond à leur genre de vie actuel. La législation future devrait aussi respecter ces désirs, sans en faire la norme pour toutes les moniales.

Car on peut se demander si la réglementation actuelle de la clôture papale apparaît encore comme un signe dans nos pays nordiques et dans les contrées d’outre-mer. Oui, peut-être, mais, chez beaucoup, dans le sens d’un contre-signe : ils y voient une preuve de plus que l’Église catholique en serait encore restée au Moyen Âge. Un signe qui fonctionne à rebours ne devrait-il pas être changé, d’autant plus que la réalité dont il était porteur – le primat de la contemplation – garde plus que jamais toute sa valeur ?

Que les grilles et autres séparations rigoureuses ne constituent pas un élément essentiel de la vie purement contemplative pourrait encore se déduire, si besoin en était, de la suite du texte que nous citions ci-dessus ; il y est prescrit « que, dans le même esprit, les moniales des rites orientaux observent leur clôture propre [6] ». Or celles-ci, à notre connaissance du moins, n’ont jamais connu les grilles de nos monastères occidentaux. Et cependant cette forme de séparation matérielle s’est introduite chez nous après les Croisades, à l’imitation des treillis des gynécées de l’Orient. Si donc les moniales orientales mènent, sans grilles, une authentique vie de pure contemplation, alors que la femme orientale est, aujourd’hui encore, sous la tutelle d’un parent masculin ou de son mari, on ne voit pas pourquoi leurs consœurs occidentales auraient besoin de cette forme de protection. Ecclesiae sanctae ne prescrit d’ailleurs plus qu’une séparation matérielle [7] en laissant aux diverses familles le soin de préciser dans leurs constitutions les normes particulières de celle-ci. C’est sagesse, vu la diversité des pays, des coutumes et les stades variés qu’y connaît la promotion de la femme.

Clôture papale et promotion de la femme

Par suite de la suppression de la clôture papale mineure, les moniales de vie purement contemplative sont aujourd’hui les seules, dans l’Église de Dieu, à rester sous une tutelle ecclésiastique aussi stricte [8]. Les moniales adonnées à des œuvres apostoliques pourront en effet, sans perdre leur qualité de moniales, définir dans leurs constitutions leur clôture propre [9] et en assurer elles-mêmes la garde. Une abbesse se demande à ce propos :

« Pourquoi cette discrimination de la moniale de vie purement contemplative ? Pourquoi l’Église tient-elle à garder ces moniales sous une si rigoureuse tutelle ? Quelle est la raison théologique de cette attitude ? Embrasser la vie contemplative canonique est-ce donc sacrifier la liberté que tout adulte est en droit de réclamer ? N’est-ce pas là une aliénation de la liberté ? Aux yeux du monde, ces moniales semblent être enfermées contre leur gré. Ceci ne peut que nuire au témoignage qu’elles doivent porter, surtout lorsque cette ‘incarcération’ est assortie de censures. Il faudrait éliminer tout ce qui pourrait faire croire que nous ne sommes pas libres. »

Pareille tutelle était plus facilement acceptée à une époque où toute femme était, sa vie durant, considérée comme une faible créature ayant besoin d’être soutenue et protégée. Le droit la considérait en tous domaines comme une mineure, qui passait de l’autorité de ses parents à celle de son mari. Cette situation, que reflète la législation canonique sur les moniales, ne s’est modifiée que depuis peu pour les femmes vivant dans le monde. Mais, en presque tous les domaines, la femme du XXe siècle est devenue l’égale de l’homme : elle reçoit la même éducation scolaire et la même formation sociale que lui, elle accède de plus en plus – et avec succès – à la plupart des professions jadis réservées aux hommes. Jean XXIII le constatait dans sa dernière encyclique, Pacem in terris :

« Une seconde constatation s’impose à tout observateur : l’entrée de la femme dans la vie publique, plus rapide peut-être dans les peuples de civilisation chrétienne ; plus lente, mais de façon toujours ample, au sein des autres traditions ou cultures. De plus en plus consciente de sa dignité humaine, la femme n’admet plus d’être considérée comme un instrument ; elle exige qu’on la traite comme une personne aussi bien au foyer que dans la vie publique. »

Il reste à tirer, pour la vie cloîtrée féminine, les conséquences de ces prémisses dont Jean XXIII lui-même disait :

« À mesure qu’un être humain devient conscient de ses droits, germe comme nécessairement en lui la conscience d’obligations correspondantes : ses propres droits, c’est avant tout comme autant d’expressions de sa dignité qu’il devra les faire valoir, et à tous les autres incombera l’obligation de reconnaître ces droits et de les respecter. »

Le décret Perfectae caritatis et le Motu proprio Ecclesiae sanctae s’opposeraient-ils à l’application aux moniales de vie strictement contemplative de ce principe général énoncé par Jean XXIII ? La chose serait a priori étonnante.

Il nous semble même qu’une affirmation de Perfectae caritatis contient une ouverture très nette en ce sens. Car ce décret, tout en rappelant que « la clôture papale pour les moniales de vie uniquement contemplative sera fermement maintenue », ajoute immédiatement : « mais on l’adaptera suivant les circonstances de temps et de lieux, en supprimant les usages périmés, après avoir pris l’avis des monastères eux-mêmes [10] ». Dans les pays où l’entrée de la femme dans la vie publique, à égalité de droits et de devoirs avec l’homme, est chose accomplie, ne pourrait-on pas légitimement considérer comme usage périmé pour les religieuses ce qui l’est devenu pour les femmes restées dans le monde, surtout lorsque l’on se rappelle que la tutelle masculine a été imposée aux moniales à l’exemple de ce qui était la règle pour leurs sœurs vivant dans le monde ?

On ne voit pas, dans ces conditions, de motifs doctrinaux qui puissent empêcher l’Église d’accorder aux supérieures des monastères féminins non seulement le titre de Supérieures majeures, qu’elle leur reconnaît [11], mais encore le plein exercice de cette fonction à l’égal de leurs homologues masculins et des Supérieures de nombreuses grandes Congrégations actives.

L’abbesse ou la prieure deviendrait ainsi la « gardienne de la clôture », titre que l’Instruction Inter cetera, n° 36, ne lui accordait guère que nominalement. Ce serait en même temps une preuve de réalisme que de laisser juge de l’opportunité des sorties et des entrées dans la clôture la personne que sa situation met à même, mieux que personne, d’en juger en parfaite connaissance de cause.

Conclusion

Le vrai problème pour nous, c’est d’aimer notre clôture. Il nous faudrait faire, chacune pour nous et toutes ensemble, l’expérience vécue par cette moniale dont le couvent avait été la proie des flammes et qui déclarait : « Depuis que nous logeons dans des baraquements, nous avons perdu les grilles, mais nous avons retrouvé la clôture. » Cet amour doit être cultivé et trouver son point d’appui dans une théologie équilibrée de la séparation du monde. La vie purement contemplative, plus dure et plus exigeante que la vie dans un Institut actif, demande de vraies personnalités, des femmes sages et équilibrées, donc parfaitement à même de se régir elles-mêmes. Ceci ne signifie nullement, bien au contraire, qu’il faille éliminer toute influence de la branche masculine de l’Ordre. L’esprit masculin et l’esprit féminin se complètent harmonieusement et le dialogue entre eux, comme l’ont prouvé tant de grands saints, se révèle extrêmement fructueux. Mais il suppose, comme tout vrai dialogue, le respect de la personnalité d’autrui et la reconnaissance de ses droits.

Le nouveau Code de Droit Canonique aura, nous l’espérons, le privilège unique dans l’histoire de réaliser dans ses textes cette reconnaissance et de répondre ainsi au vœu du bon Pape Jean.

Huize Mirjam
Amersfoortse Weg 38
Maarn (Nederland)

[1Cf. Jean XXIII, dans Pacem in terris (N. R. Th., 1963, p. 511), cité ci-dessous, p. 162.

[2Inter cetera, n. 1 (R. C. R., 1956, p. 204).

[3On sera heureux d’apprendre que, durant ces dernières années, la S. C. des Religieux a atténué en pratique la rigueur de cette interdiction. On peut donc espérer que les nouveaux textes juridiques traduiront cet assouplissement de la jurisprudence, comme le souhaitent les vœux que nous reproduisons ici.

[4Art. cité, p. 127.

[6Ibid.

[8Sponsa Christi, VI, § 2, 2 (R. C. R., 1951, p. 62).

[9Perfectae caritatis, n. 16 (Vie consacrée, 1966, p. 28) ; Ecclesiae sanctae, n. 32 (ibid., p. 263).

[11Cf., par exemple, Sponsa Christi, VI, § 1, 2° (R. C. R., 1951, p. 62).

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