La constitution sur les indulgences
Léon Renwart, s.j.
N°1967-2 • Mars 1967
| P. 110-116 |
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La Constitution apostolique Indulgentiarum doctrina et usus, portant révision de la discipline des indulgences, a été promulguée par S. S. Paul VI le 1er janvier 1967 [1]. Ce document, qui apporte de notables changements à la pratique actuelle, rappelle tout d’abord les données de notre foi sur lesquelles reposent les indulgences. Ce sont ces données qui montrent tout ensemble le bien-fondé et l’importance des indulgences, mais aussi leur place secondaire dans une vie chrétienne équilibrée.
Les principes doctrinaux
La première de ces affirmations doctrinales est qu’en règle habituelle l’absolution ne remet pas toute la peine « temporelle » due pour les péchés qui viennent d’être avoués et pardonnés quant à la faute (coulpe) et à la peine « éternelle » (pour les péchés mortels). Car, aux yeux de la foi, le péché apparaît, « même si ce n’est pas toujours de façon directe et évidente, comme un mépris ou une négligence de l’amitié personnelle entre Dieu et l’homme (2) » : cette offense personnelle d’un Dieu qui nous aime entraîne une perturbation de l’ordre universel, aux incalculables conséquences pour le pécheur lui-même et pour l’univers tout entier. Certes, la plus grave de celles-ci, la rupture avec Dieu qui se consomme dans l’éternité de l’enfer est toujours réparée par une bonne confession ; il n’en va habituellement pas de même pour la totalité des autres désordres : « il peut rester et, à vrai dire, il reste fréquemment des peines à expier ou des séquelles de péchés à purifier, même après que la faute a été remise (2). » C’est pourquoi, si le chrétien pardonné meurt avant d’être pleinement purifié, la foi nous enseigne (comme Paul VI nous le rappelle) qu’il subira dans l’au-delà les peines médicinales du purgatoire.
De même qu’il existe une solidarité dans le mal et que tous nos péchés, fussent-ils les plus secrets, ont une répercussion sociale, ainsi et à plus forte raison existe-t-il une solidarité dans le bien. Celle-ci joue de façon toute spéciale dans la restauration de l’ordre détruit par le péché. Notre Seigneur et Rédempteur, Agneau sans tache, n’est-il pas celui qui enlève le péché du monde ? En lui et par lui « tous ceux qui sont du Christ, pour avoir reçu son Esprit, sont unis en une seule Église et adhèrent les uns aux autres... (5) ».
Par là aussi se dessine le « trésor de l’Église » : on notera que le document pontifical met cette expression entre guillemets, pour nous prévenir que celle-ci, malgré son emploi fréquent, y compris dans les documents romains [2], ne doit pas être prise au pied de la lettre. Ce trésor en effet « n’a certes rien d’une somme de biens comparables aux richesses matérielles accumulées au cours des siècles, mais il est la valeur infinie et inépuisable qu’ont auprès de Dieu les expiations et les mérites du Christ Seigneur, offerts pour que l’humanité entière soit libérée du péché et parvienne à la communion avec le Père ; il n’est autre que le Christ rédempteur, en qui sont et persistent les satisfactions et les mérites de sa rédemption [3] ».
De ce trésor font aussi partie les mérites de la Sainte Vierge et des saints. Pour essayer de comprendre ce que peuvent « ajouter » aux mérites infinis du Christ ceux, nécessairement finis, des créatures même les plus saintes, et comment ils peuvent s’unir à ceux du Rédempteur sans faire nombre avec eux, il semble que l’on puisse légitimement prolonger la pensée du Pape dans la direction même qu’il nous suggère : le « trésor de l’Église » dans sa totalité, c’est le Christ total, Tête et membres, et la vie qui l’anime : si celle-ci vient tout entière du Verbe incarné, en qui « nous avons la vie, le mouvement et l’être » (cf. Ac 17,28), notre réponse personnelle est indispensable pour que cette vie devienne nôtre et, par le fait même, rayonne d’autant plus sur nos frères.
C’est la volonté formelle du Rédempteur que son Corps Mystique, qui est l’Église, soit structuré par le ministère de la hiérarchie ; aussi « la conviction, existant dans l’Église, que les Pasteurs du troupeau du Seigneur peuvent, au moyen de l’application des mérites du Christ et des Saints, libérer chacun des fidèles des restes de leurs péchés, introduisit peu à peu au cours des siècles, par le souffle de l’Esprit Saint qui anime toujours le peuple de Dieu, l’usage des indulgences (7) ». Dans celles-ci, « l’Église, usant de son pouvoir de ministre de la rédemption du Christ Seigneur, ne se contente pas de prier, mais de par son autorité elle ouvre au fidèle convenablement disposé le trésor des satisfactions du Christ et des Saints pour la rémission de la peine temporelle (8) ». Son but, en le faisant, est non seulement d’aider les fidèles dans leur lutte contre les suites du péché, mais encore de les inciter à des actions salutaires, en particulier à celles qui conduisent au progrès de la foi et au bien général [4].
Néanmoins, pour éviter une estime exagérée des indulgences [5], le Pape rappelle explicitement le primat de la charité, que confirme d’ailleurs une saine doctrine des indulgences, et l’existence d’autres moyens de sanctification et de purification, Saint Sacrifice de la Messe, sacrements (pénitence surtout) et sacramentaux, œuvres de piété, de pénitence et de charité. Face à cette riche variété de moyens, le fidèle jouit de « la sainte et juste liberté des fils de Dieu (11) », tout en se rappelant que « ce qui doit être placé au premier rang dans les moyens ordonnés au salut... (ce sont) ceux qui sont nécessaires, ou les meilleurs, ou les plus efficaces [6] ».
Et pour qu’apparaisse bien le rôle primordial de la charité, le Pape, qui avait rappelé récemment que l’indulgence n’est pas une voie de facilité, qui nous permettrait d’éviter la nécessaire pénitence de nos péchés [7], précise que l’indulgence ne peut être acquise « sans une sincère metanoia [8] et sans union à Dieu, à quoi vise l’accomplissement des œuvres (11) ». C’est pourquoi non seulement doit être accompli ce qui est prescrit, mais encore « le fidèle doit présenter les dispositions demandées, c’est-à-dire qu’il aime Dieu, qu’il déteste les péchés, qu’il ait confiance dans les mérites du Christ et qu’il croie fermement à la grande utilité que présente pour lui-même la communion des Saints (10) ». Aussi les Normes marquent-elles que, pour gagner l’indulgence plénière dans toute son extension, « il est requis... que soit rejetée toute attache au péché, quel qu’il soit, même véniel [9] ».
De même, en une innovation fort heureuse, le Pape, ayant supprimé pour les indulgences partielles toute détermination par jours et années, remplace celle-ci par la règle suivante : « la rémission de la peine temporelle que le fidèle acquiert par son action donnera la mesure de la rémission de peine que l’autorité ecclésiastique ajoute avec libéralité moyennant l’indulgence partielle (12). » Or ce que le fidèle acquiert par son acte vertueux dépend certes de l’importance de l’œuvre accomplie, mais non moins de l’intensité de charité avec laquelle celle-ci est accomplie (ibid.).
Puisque le but même de ce changement est d’écarter, autant que faire se peut, une conception quantitative des indulgences, il faudra se garder de comprendre de façon mathématique la mesure ici établie (et reprise au n° 5 des Normes). Nous sommes dans l’ordre de la charité : l’Église, aux vues d’ensemble de laquelle nous nous unissons par les œuvres indulgenciées, nous soutient, nous « étaie [10] », nous « double », s’il est permis de dire, de telle sorte que nous sommes mis en état d’obtenir, par notre fidélité à cet appoint, une rémission de peine d’autant plus grande. La comparaison avec le dicton « qui chante bien, prie deux fois » peut sans doute nous aider à comprendre dans son vrai sens une expression que la pauvreté de notre vocabulaire humain nous oblige à traduire en termes quantitatifs.
Les « Normes » d’application
Après avoir défini l’indulgence (1), les Normes rappellent la différence entre l’indulgence partielle et plénière (libération partielle ou totale de la peine temporelle) (2), puis décrètent que, désormais, toutes les indulgences pourront être appliquées aux défunts (3). Il n’y aura plus de catégories d’indulgences partielles (4) : leur mesure sera donnée par la valeur de l’action posée par chacun (5). Même s’il s’agit d’indulgences munies de la clause « toties quoties » (= autant de fois qu’on réalise les conditions prescrites) (19), on ne pourra désormais plus gagner qu’une indulgence plénière par jour (6). Une seule exception est prévue, celle de l’indulgence plénière à l’article de la mort attachée à la bénédiction apostolique, indulgence dont le bénéfice est de plus étendu aux fidèles qui ne peuvent avoir recours à un prêtre, pourvu qu’ils soient bien disposés et aient habituellement récité quelques prières durant leur vie ; l’emploi d’un crucifix ou d’une croix est louable, mais non requis (18).
Outre l’accomplissement de l’œuvre à laquelle elle est attachée, l’indulgence plénière n’est plus soumise qu’à trois conditions : confession sacramentelle (une même confession permettant de gagner plusieurs indulgences –n° 9) ; communion eucharistique (une pour chaque indulgence plénière –n° 9), de préférence le jour même où l’on accomplit l’œuvre indulgenciée (8), et prière aux intentions du Souverain Pontife : un Pater et un Ave suffisent, ou toute autre prière, suivant la dévotion de chacun (10). Aux fidèles qui demeurent en des endroits où il leur est très difficile de se confesser ou de communier, les Ordinaires des lieux peuvent accorder la possibilité de gagner ces indulgences moyennant la contrition et le ferme propos de s’approcher de ces sacrements aussitôt que possible (11). Dans les cas particuliers, les confesseurs gardent le pouvoir, accordé par le canon 935, de commuer l’œuvre prescrite ou les conditions requises, si leur pénitent est légitimement empêché de les remplir (ibid.).
Puisque ce sont les actions des fidèles qui sont enrichies d’indulgences, la distinction entre indulgences personnelles, réelles et locales est abolie (12). L’Enchiridion Indulgentiarum sera revu (13). Feront la même révision et la proposeront au Saint-Siège avant la fin de 1967 toutes les institutions auxquelles ont été accordées des indulgences : on soumettra notamment des dates précises pour les indulgences plénières. Tout ce qui n’aura pas été confirmé perdra toute valeur le ier janvier 1969.
Pour gagner une indulgence plénière à l’occasion de la visite d’une église ou d’un oratoire, il faut y réciter le Pater et le Credo (16). On peut gagner une telle indulgence le 2 novembre, en faveur des seuls défunts, dans toutes les églises, oratoires publics ou (pour ceux qui en usent légitimement) semi-publics. Dans les seules églises paroissiales, on le peut de plus le jour de la fête du Titulaire et le 2 août (« Portioncule ») ou à une autre date jugée plus opportune par l’Ordinaire du lieu. Celui-ci peut de plus, pour ces trois indulgences plénières, les déplacer soit au dimanche précédent, soit au dimanche suivant (15). Les autres indulgences attachées à ces lieux seront revues dans le même délai que ci-dessus (15-16).
À l’usage d’objets de piété (crucifix, croix, chapelets, scapulaires, médailles) régulièrement bénis par un prêtre [11], est attachée une indulgence partielle. Si ces mêmes objets sont bénis par le Pape ou par un Évêque, les fidèles pourront en plus obtenir l’indulgence plénière en la fête des SS. Pierre et Paul, moyennant une profession de foi selon une forme légitime [12]. Ajoutons ici que, pour les membres des pieuses associations, l’usage de leurs insignes n’est plus requis pour pouvoir gagner les indulgences propres à leur association (Const. Ap., n° 12, à la fin).
Le bénéfice de « l’autel privilégié » a été étendu à la célébration de toute Messe (20).
Enfin, les normes transitoires prévoient l’entrée en vigueur des dispositions ci-dessus trois mois après leur publication aux A. A. S. ; à ce moment, cesseront notamment toutes les indulgences liées à des objets de piété et non reprises au n° 17 des Normes.
[1] Le texte a paru dans L’Osservatore Romano, édition quotidienne, n° 7 (9-10 janvier 1967) et dans l’édition hebdomadaire en langue française, n° 3 (20 janvier 1967). Nous citons cette dernière, en y renvoyant par la simple indication des numéros du document lui-même ou des Normes, suivant les cas. On trouvera aussi la traduction de ce document, avec la même numérotation, dans La Documentation Catholique, 1967, col. 193-218 (5 février).
[2] La Constitution renvoie à Clément VI, Bulle Unigenitus Dei Filius, Sixte IV, Encyclique Romani Pontificis, et Léon X, Décret Cum postquam.
[3] N. 5 ; il est significatif que les deux textes bibliques donnés en référence (He 7,23-25 et 9,11-28) sont précisément ceux qui nous présentent le Grand Prêtre éternel, entré une fois pour toutes dans le sanctuaire (9, 12), et toujours vivant pour intercéder en notre faveur (7, 25).
[4] N. 8 ; cf. n° 10. Dans une intervention publiée dans L’Église éducatrice des consciences par le Sacrement de Pénitence, Paris, 1952, p. 52, l’Abbé (maintenant Mgr) Sauvage notait déjà que, par les indulgences, « l’Église nous demande d’entrer dans sa stratégie ».
[5] Parmi les abus auxquels a donné lieu une pratique indiscrète des indulgences, c’est sans doute le seul qui garde une certaine actualité.
[6] N. 11 ; le document renvoie en note à saint Thomas d’Aquin : « ...bien que de telles indulgences soient très efficaces pour la rémission de la peine, cependant les autres œuvres satisfactoires sont plus méritoires en ce qui regarde la récompense essentielle, ce qui vaut infiniment mieux que la remise de la peine temporelle » (S. Th. Suppl. 25, 2, ad 2).
[7] Dans sa lettre Sacrosancta Portiunculae (A.A.S., 58, 1966, p. 632).
[8] Texte latin et traduction française ont conservé le terme scripturaire, dont le renouveau des études bibliques nous a aidés à retrouver le sens profond de conversion du cœur.
[9] Normes, n° 7. En précisant le motif qui peut empêcher (et empêchera souvent) de gagner totalement l’indulgence plénière, le Pape ne fait qu’expliciter ce qui pouvait déjà se déduire du C. I. C., canon 911, définissant l’indulgence comme « la rémission devant Dieu de la peine temporelle due pour les péchés déjà pardonnés quant à la coulpe... » (nous soulignons). Or aucun péché ne peut être pardonné tant que le coupable y reste attaché. Ne peut donc non plus être remise la peine correspondante, ce qui empêche évidemment la remise totale que tend à procurer l’indulgence plénière, mais limite aussi le fruit des indulgences partielles.
[10] Dans la lettre citée à la p. 113 ci-dessus, le Pape emploie le mot « fulcimen », que les lexiques traduisent : soutien, appui, étai.
[11] Tout prêtre a désormais ce pouvoir.
[12] Normes, n° 17. Le document ne précise pas quelles sont ces formes légitimes ; nous pensons que le Credo, un Acte de foi selon une formule approuvée, etc. satisfont à cette exigence.