Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Consécration dans le siècle

Germana Sommaruga

N°1967-2 Mars 1967

| P. 65-74 |

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L’on m’a demandé quelques réflexions sur la manière dont on peut vivre une consécration complète dans le siècle par l’appartenance à un Institut séculier. Le décret Perfectae caritatis (n° 11) a redit substantiellement la valeur de ce genre de vie, invitant ceux qui l’ont adopté à en garder les notes spécifiques, telles qu’elles furent fixées par l’Église, il y a une vingtaine d’années.

Je ne voudrais en aucune manière sembler me faire le porte-parole de tous les Instituts séculiers, notamment à cause de leur très grande variété. Mais je suis heureuse de partager fraternellement avec tous les consacrés le fruit de nos expériences, dans un institut voué à l’apostolat des malades.

La vérité m’oblige à dire en toute simplicité que la pleine consécration dans le siècle est une forme de vie difficile, qui requiert un effort de volonté toujours renouvelé, sous peine de rabaisser cette consécration à un don médiocre de soi et à un apostolat qui n’engage pas toute la personne. Ceci d’ailleurs vaut, je pense, de toute forme authentique de vie consacrée, donnée à l’apostolat. Mais en reprenant des formules employées par les documents de Pie XII concernant les Instituts séculiers, il faut dire qu’il s’agit dans leur cas :

  • d’une vie de perfection chrétienne basée solidement sur les conseils évangéliques, réalisée et professée dans le monde, adaptée à la vie séculière dans toutes les choses licites et compatibles avec les obligations et les œuvres de cette vocation particulière ;
  • d’une vie d’apostolat, inspirée par la pureté d’intention, l’union intime avec Dieu, une courageuse abnégation et un généreux oubli de soi-même ; apostolat exercé constamment et saintement, de telle sorte qu’il révèle l’esprit intérieur qui l’anime, autant qu’il le nourrit et le renouvelle sans cesse.

La chose n’est pas aisée pour des personnes vivant en plein monde : il ne suffit pas d’être une flamme, qu’un souffle éteint, il faut devenir incendie pour que le vent non seulement n’éteigne pas, mais attise continuellement le foyer.

Il s’agit donc de chercher et de trouver dans les réalités du siècle, dans ses circonstances, ses difficultés, ses intérêts, ses problèmes, ce « vent » capable de raviver la flamme d’une consécration apostolique, plutôt que d’y être un obstacle et une entrave ; il s’agit d’aimer notre forme de vie dans le siècle, d’aimer le siècle et ses réalités, d’y aller au nom du Christ et pour bâtir l’Église, le cœur ouvert dans la charité intensément vécue, mais d’autant plus insérées dans le Christ que notre vie est engagée et donnée. A l’avant-garde, mais dans la ligne de l’Église ; séculières, mais surnaturelles ; modernes, mais mortifiées ; jetées dans l’activité, mais enracinées dans l’oraison ; décidées à tout, mais ancrées dans l’espérance ; des personnalités formées, mais profondément humbles... et chastes, pauvres, obéissantes, d’une chasteté, d’une pauvreté, d’une obéissance consacrées, vivant les vertus les plus solides du christianisme de toujours, mais avec un élan continuellement renouvelé et un esprit nouveau.

Ce qui nous a toujours semblé indispensable, ce fut de recueillir la « substance » des moyens traditionnels de perfection offerts par l’Église depuis des siècles, la « substance » qui peut nous permettre de vivre en consacrées, même et surtout (oserais-je dire !) dans les milieux les plus déchristianisés ; de vivre en apôtres là où la vie et les activités débordantes, les soucis et les intérêts du siècle semblent étouffer toute action apostolique traditionnelle.

Nous nous sommes aperçues que dans le siècle une consécration apostolique ne se sauve et ne se perfectionne que si elle est vécue d’une manière intégrale, dans « un don plénier, libre de tout autre lien » : ainsi s’exprime Provida Mater Ecclesia.

Je viens de dire qu’il nous faut vivre d’une façon non traditionnelle les vertus traditionnelles, solides, dont aucune consécration ne peut se passer. Je pense en ce moment au recueillement qui est, ou devrait être, la caractéristique de toute vie consacrée. Voici que pour nous aussi le recueillement est indispensable, mais combien il est peu traditionnel notre recueillement ! Il nous faut apprendre à vivre le cœur silencieux ; à réserver la parole voulue au moment voulu : une parole qui pourra être frémissante, si notre action apostolique requiert une parole frémissante ; qui sera entraînante si notre vocation est d’entraîner les autres, mais qui naîtra du silence et qui sera féconde bien plus que la parole qui vient du bruit.

Pour nous, le recueillement nous a toujours paru indispensable : notre mission apostolique spécifique auprès des malades réclame la discrétion, la parole ou le silence devant la souffrance humaine, le respect silencieux de la mort et des larmes. Nous devons être disponibles au service des hommes, sans discours inopportuns. Le silence nous apprend à parler avec Dieu et à parler de Dieu, de même qu’à nous taire. Mais ce Dieu doit être silencieusement présent dans nos conversations humaines, même les plus profanes.

Il ne s’agit pas de nous isoler, mais de vivre à l’intérieur, sans que cela puisse rendre une fausse note dans notre vie avec les autres, mais afin que nous soyons surtout une présence silencieuse du Christ parmi nos frères. Mais quel exercice de vertus traditionnelles (prudence, humilité, discrétion, respect d’autrui, charité...) ce recueillement ne requiert-il pas ?

Cela peut être possible - penseraient certains - seulement dans une forme de vie équilibrée et ordonnée ; mais quelle vie de laïque en plein monde peut être ordonnée, quand les événements se précipitent, les imprévus sont à l’ordre du jour, nos frères ont le droit de profiter de notre temps et de nos énergies ? Par ailleurs, notre vie de laïques consacrées n’est pas différente de la vie des autres laïques : elle ne se libère pas de son milieu avec tous ses soucis, de sa profession avec tous ses problèmes, de sa famille avec toutes ses exigences... Et nous, qui ajoutons à nos devoirs apostoliques professionnels de laïques en plein siècle l’apostolat spécifique auprès des souffrants, apostolat qui dévore le peu de temps que la vie quotidienne laisserait à nos loisirs et même à notre repos, nous devons reconnaître le danger que ces engagements finissent par consommer nos énergies les meilleures et par dévorer une vie devenue agitée et inquiète.

Voici qu’il faut alors une réelle force de volonté pour tenir, même aux jours inévitables de détresse, de fatigue, de manque d’enthousiasme ; une grande droiture pour chercher toujours et en tout l’ordre des valeurs établi par Dieu, le renoncement à tout caprice, la prudence pour accueillir en tout la volonté divine, et ce bon sens commun qui est cependant si rare !

Cela requiert à tout prix une vie intérieure. Il est vrai qu’il nous faut souvent laisser Dieu pour Dieu, vu et servi dans notre prochain ; mais il faut aussi avoir conscience de ce que nous ne sommes pas, ne savons pas, ne pouvons pas, et reconnaître que reste réel pour nous ce qui a été clair pour les saints de toujours : « Celui qui donne la croissance, c’est Dieu » (1 Co 3,7) ; « Qui n’amasse pas avec moi, dissipe » (Lc 11,23) ; « Sans moi vous ne pouvez rien faire » (Jn 15,5).

Notre vie de prière doit savoir donner à Dieu, coûte que coûte, notre temps et notre application la meilleure, nous dérobant parfois à l’apostolat lui-même, quand il risquerait de devenir « hérésie de l’action », de nous transformer en « machines apostoliques », de nous absorber par des intérêts exclusivement terrestres, ou parfois même charitables, au-delà de ce que Dieu veut de nous, consacrées à son service dans le siècle.

Il nous faut une conscience bien claire de notre insuffisance, de nos limites, de notre besoin intime de la grâce, que Dieu nous communique dans la prière et qui seule peut nous permettre de le faire connaître aux hommes. Il nous faut admettre notre impuissance foncière à comprendre et soulager nos frères dans leur douleur, si Dieu ne nous suggère la parole ou le silence voulus. C’est par cette profonde humilité qui nous est indispensable pour aimer notre vie de service, pour être disponibles aux autres dans leurs misères, que doit être soutenue notre volonté de donner à Dieu ce qui est de Dieu (Mt 22,21), par la prière non moins que par l’action ; celle-ci d’ailleurs devra encore être appuyée par la prière.

Et franchement, il faut avouer qu’il est si facile de désirer prier sans réussir à trouver, ou à vouloir trouver, le temps nécessaire pour la prière ! Il nous semble avoir tant de choses importantes à faire, tant de choses urgentes, indispensables : on priera après... On se prépare à la prière le cœur encore absorbé par beaucoup d’autres problèmes : la profession, la famille, la politique, les luttes sociales, les besoins des âmes, les nécessités de l’apostolat... Certes, tous ces soucis nous pouvons les présenter à Dieu dans la prière, nous pouvons et souvent nous devons les résoudre devant lui, mais notre âme maintient dans le siècle son droit à un contact personnel et silencieux avec le Seigneur, persuadées que nous sommes qu’il n’y a que deux issues : ou que nous, par l’union avec Dieu dans le Christ, puissions lui consacrer les réalités humaines et aider nos frères à lui consacrer leurs souffrances, leurs joies, leurs problèmes ; ou que l’esprit mondain finisse par nous absorber et nous trahir : petite flamme qu’un pauvre souffle éteint.

Il faudra nous affirmer à nous-mêmes ; il faudra que nous nous imposions aussi aux autres par notre personnalité, par une physionomie nette : tout en partageant leur vie, nous ne pouvons accepter de compromis qui voleraient à Dieu ce qui est de Dieu et finiraient par éteindre en nous le sens de la consécration apostolique.

J’estime que cette droiture nous est indispensable, qui seule peut nous amener à chercher en tout Dieu seul, sans jamais nous rechercher, ni dans notre famille, ni dans notre milieu social et professionnel, ni dans notre apostolat générique ou spécifique.

Chercher Dieu, vouloir Dieu, voir Dieu en tout et en tous, résoudre en Dieu tout problème : et cela dans une solitude de vie souvent très douloureuse, parfois dans l’isolement, la plupart du temps sans l’aide fraternelle d’une Responsable lointaine.

Combien nous faut-il, alors, interroger Dieu, surtout afin qu’il nous soit possible de vivre dans le siècle une chasteté consacrée, une pauvreté consacrée, une obéissance consacrée : les conseils évangéliques vécus dans le monde, auxquels nous ajoutons la charité consacrée, pour communiquer aux autres la Vérité par la charité : « Veritatem facientes in caritate » (Ep 4,15).

C’est un dessein qui accapare une vie, qui l’envahit. Et il ne s’agit pas de paroles, de beaux sentiments, d’un idéal aussi fragile que spontané, mais d’une volonté absolue de don de soi au Christ, contemplé dans sa vie en plein siècle : lui et sa Mère les premiers consacrés à Dieu dans le monde.

La chasteté consacrée est possible à qui va aux hommes par amour des hommes, mais en vue du Christ qui s’est fait homme par amour des hommes, le Cœur tourné vers son Père.

Il est bien vrai qu’il y a des réalités humaines qui ne peuvent pas être consacrées : la réalité-péché, par exemple. Il y a des milieux qui ne sont pas compatibles avec un engagement consacré, non plus qu’avec un engagement chrétien quelconque ou même seulement humain, si ce n’est soutenu par une vocation toute spéciale et exceptionnelle, par une personnalité très forte, enracinée dans l’humilité et l’oraison. Mais nous avons tant de valeurs humaines à consacrer à Dieu ! Nous pouvons donner un ton à la mode, un ton aux conversations humaines, un ton à nos rapports avec les autres : rapports d’amour pur d’un cœur chaste ouvert à tout le monde. La chasteté consacrée n’est pas mesquinerie, fausse pudeur, crainte, fuite ; elle est sensible à tout problème humain, mais le Christ en reste le centre et le sens : sans compromis, sans légèreté, sans faiblesses du cœur – notre cœur si sensible de femmes – dont le besoin de compréhension, de tendresse, d’appui reste bien vif malgré la consécration, malgré même la maternité spirituelle requise et offerte par notre mission apostolique auprès des pauvres, des faibles, des malades, de tous nos frères.

L’ascétisme chrétien viendra nous offrir ses moyens traditionnels : l’oraison, la mortification, une conduite digne et discrète, des convictions solides, le sens de la pénitence, l’espérance, l’exercice de la prudence, la maîtrise de notre imagination et de notre cœur : ces moyens mêmes que Pie XII nous présente dans l’article II du Motu proprio Primo féliciter.

Notre obéissance consacrée dans le siècle demande une attention non moins délicate. La recherche de la volonté de Dieu à tout instant, accueillie en toute circonstance, voulue, aimée, acceptée dans toutes ses conséquences ; l’attention continuelle à la voix de notre conscience, devenue toujours plus sensible et plus pure ; la fidélité aux devoirs de notre état, dans notre milieu et profession ; l’observance active, exacte, généreuse d’un programme de vie librement accepté et voulu ; l’attention aux volontés et aussi aux désirs des Responsables, qui peuvent nous confirmer le dessein de Dieu sur nous : et tout cela sans que notre personnalité en soit amoindrie, sans que nous renoncions à nos responsabilités personnelles et entamions notre sens d’initiative...

Ce n’est pas facile, et cela peut être parfois très dur. Mais c’est l’obéissance consacrée qui nous est demandée : une obéissance intelligente, loyale, forte, sereine, ouverte, décidée, cohérente : obéissance active, non passive comme celle des mineurs. Il faut que nous sachions prendre sur nous le poids d’une responsabilité, les conséquences pour nous et pour des tiers de nos actions, sans que cela nous empêche de présenter et même de soumettre à l’autorité, voulue par Dieu au sein de l’Institut, notre programme de vie. Liberté des enfants de Dieu, mais qui ne devienne jamais esprit d’indépendance né de l’orgueil.

Encore ici l’ascétisme chrétien nous offre ses moyens traditionnels d’abnégation et de renoncement, mais aussi la joie d’une volonté qui se maîtrise, qui se sent libre, et dans la liberté offre à Dieu son obéissance consacrée. Telle fut l’obéissance du Christ jusqu’à sa mort sur la croix : une obéissance qui vient d’un amour pur, qui n’est pas un « oui » triste dit à une volonté qui nous écrase, mais un don joyeux de nous-mêmes, qui accepte et embrasse la volonté de Dieu, telle qu’elle aime se manifester, sans lui opposer le moindre refus.

La pauvreté consacrée reste aussi pour nous un moyen de liberté spirituelle. Elle nous permet de saisir la priorité des biens de l’esprit sur les biens matériels, alors que notre forme de vie en plein siècle nous fait partager les soucis et les problèmes de tout genre des femmes laïques de notre milieu. Une pauvreté, cependant, qui ne se borne pas à un sens social plus aigu, selon les directives de l’Église en cette matière : c’est le Christ pauvre que nous voulons imiter dans sa vie au milieu des hommes, le Christ capable de se servir des moyens du siècle tout en restant détaché des biens matériels, mêlé aux gens pauvres et riches de son milieu.

Il s’agit d’une pauvreté bien différente de celle de la vie religieuse. Tout en ayant comme modèle le même Christ, on part de points différents : la vie religieuse demande au départ un détachement effectif des biens, en vue d’un détachement affectif ; la vie consacrée dans le siècle nous demande d’abord un détachement affectif, duquel jaillira un besoin intime toujours plus vif d’atteindre au moins à un certain degré de détachement effectif, degré déterminé par les circonstances, le milieu familial et professionnel, les nécessités apostoliques, qui requièrent que nous vivions une vie qui ne nous distingue pas de la vie des autres : un détachement non subi, mais voulu, cherché, aimé, consacré.

Ce n’est pas facile. J’avoue, après bien des années d’expérience, que le danger d’illusions est fréquent : le danger de nous croire affectivement détachées des biens matériels dont effectivement nous jouissons et dont nous ne cherchons peut-être pas à limiter la jouissance, comme si elle était requise par notre forme de vie ; l’illusion d’être dégagées de ces biens, qui en réalité nous intéressent trop, tellement que nous craignons de les perdre, de les diminuer, de les partager avec les autres ; l’illusion de chercher Dieu dans notre profession, de voir dans notre carrière un moyen de rayonnement plus grand, tandis que ce qui nous intéresse davantage ce sont les commodités que la carrière nous offre, les avantages d’une vie moins effectivement pauvre... Et l’illusion aussi d’être réellement abandonnées à la Providence de Dieu notre Père, tandis que nous nous soucions d’épargner – ce qui est bien séculier – pour notre avenir, mais oubliant les nécessités immédiates de nos frères, qui peuvent et doivent bien limiter nos épargnes. Et encore l’illusion qui nous pousserait à parler avec élan de la justice sociale, sans partager notre pain avec les affamés, ou peut-être leur donnant seulement un reste qui n’est que du superflu...

La pauvreté consacrée est avant tout sensible aux nécessités des plus pauvres, pas seulement aux caprices et aux désirs de la famille, mais aux grandes nécessités de l’Église et de l’apostolat, afin que les biens reçus des mains de Dieu lui reviennent à travers les pauvres nos frères.

La pauvreté consacrée a aussi besoin des moyens traditionnels de l’ascèse chrétienne : la mortification n’est pas une vertu dépassée, le détachement non plus, qui nous pousse à renoncer généreusement par amour du Christ pauvre à ce qui est plus riche, plus aisé, plus commode, à ce qui nous permet d’émerger... car émerger reste, hélas, l’attrait de tous les hommes, malgré les exemples du Christ qui, par amour de son Père, voulut partager la pauvreté humaine.

Il est ardu de rester dans le siècle, d’aimer les hommes, d’en partager la vie, et en même temps d’être dégagé de tout ce qui, licite en soi (une vie plus commode, un avenir sans soucis, les honneurs légitimes qui accompagnent la richesse...), n’est cependant pas selon la voie de pauvreté où le Christ nous invite à le suivre : une nourriture moins capricieuse, une maison un peu moins aisée – quoique digne de notre milieu et profession-, moins de désirs, moins de soucis matériels, moins de craintes pour l’avenir, moins d’indépendance dans nos dépenses personnelles...

Tout ceci bâti sur une base d’humilité qui cherche à ne pas attirer l’attention d’autrui et à rester caché, même quand les circonstances nous demandent de manifester ce que nous sommes, ce que nous savons, pouvons, faisons... Et à ce programme d’humilité foncière s’opposent toutes les tentations qui viennent de notre forme de vie dans le siècle : réussir dans notre profession en vue de l’estime qui nous en vient plus que du témoignage chrétien que la profession nous permet de rendre..., nous complaire de ce que notre esprit d’initiative sait organiser, sait vouloir..., frémir à se voir mis de côté, oublié, méconnu...

Pour nous, l’humilité est condition « sine qua non » pour que nous puissions accomplir notre mission, qui est un humble service envers nos frères les infirmes et les malades, un service non glorieux, mais silencieux, demandant simplicité et humilité. Car en effet toute notre vie doit se traduire en apostolat et disponibilité aux autres. Le souci des autres, de leurs problèmes humains, de leurs pauvres réalités quotidiennes, doit nous rapprocher de tous les hommes, et, au-delà de notre famille, nous tenir ouvertes aux immenses besoins de la grande famille des hommes, chrétiens ou non, en cet esprit de fraternité universelle que le Concile a tellement inculqué. Et tout cela parmi les hommes, les malades, les agonisants, les infirmes, les vieillards, pour susciter un dialogue entre nous et ces frères, entre ces frères et l’Église et le Christ.

La charité consacrée vécue dans notre Institut – objet d’un quatrième vœu [1] – s’inspire de la charité qui a poussé le Verbe à se faire homme, à partager toute réalité humaine, à connaître et à éclairer toute souffrance, à lui donner un sens et une valeur, en lui assurant par sa résurrection la victoire sur la douleur et sur la mort, pour le triomphe définitif du Règne de Dieu : spiritualité eschatologique, qui nous porte aussi à nous insérer dans les réalités des hommes, à en partager les problèmes, à en comprendre et soulager la souffrance, pour leur ouvrir les incomparables richesses de l’amour du Christ (Ep 3,8).

Si nous avons reconnu la difficulté de la consécration complète dans le siècle, reconnaissons aussi, avec humilité et gratitude, la possibilité de cette vocation. Dans la ligne de la consécration de Marie à l’œuvre rédemptrice, plus d’une chrétienne a entendu, comme elle, et beaucoup d’autres entendront à l’avenir, la réconfortante assurance d’en haut : « Rien n’est impossible à Dieu » (Lc 1,37). L’Église du Concile d’ailleurs en est garante, elle qui confirme les Instituts séculiers dans leur orientation originale, de « tendre avant tout à se donner entièrement à Dieu dans une parfaite charité et à garder le caractère séculier qui leur est propre et spécifique, afin de pouvoir exercer partout et efficacement, dans le monde et comme du sein du monde, l’apostolat pour lequel ils ont été créés » (Perfectae caritatis, n° 11).

Il y a dans ce genre de vie de quoi enthousiasmer une jeune femme ouverte à l’appel du Christ. Les difficultés peuvent décourager les plus faibles et les instables, qui s’arrêtent avant d’atteindre la fin de longues années de formation. Mais les jeunes d’aujourd’hui savent désirer et vouloir fidèlement une forme de consécration apostolique intégrale, l’esprit ouvert sur toutes les réalités humaines, le cœur ouvert à toutes les misères humaines, prêtes à un dialogue fraternel avec tous les frères. La femme sait aimer une forme de vie sans compromis.

La recommandation que le Concile fait aux Responsables d’assurer aux membres une formation solide et incessante « dans le domaine des choses de Dieu ainsi qu’au plan humain » (Perfectae caritatis, n° 11) a été illustrée par ce que nous venons de dire des exigences d’une vie de recueillement et d’union à Dieu, dans la pratique des conseils évangéliques et de l’apostolat en plein monde.

Ainsi, le genre de vie des Instituts séculiers, sanctionné par l’Église, les rendra-t-il « capables d’être vraiment dans le monde un levain pour la vigueur et l’accroissement du Corps du Christ ».

Via Paolo Rotta, 10
Niguarda-M ilano

[1Ce vœu engage au service matériel ou spirituel des malades, selon les Constitutions, le règlement personnel de vie, et notamment si la Responsable le commande « en vertu du vœu de charité ».

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