Éclairer et accompagner des engagements toujours plus évangéliques
dans toutes les formes de la vie consacrée

La révision de vie

Sœur Lucie de la Trinité

N°1966-2 Mars 1966

| P. 99-116 |

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À la faveur de contacts fréquents avec diverses communautés, nous avons entendu, à maintes reprises, formuler des demandes d’éclaircissement au sujet de la révision de vie.

Qu’est-ce, au juste, que la révision de vie ?

Comment la pratiquer dans les Communautés religieuses ?

Ne peut-elle, demande-t-on parfois, remplacer le chapitre des coulpes, pour lequel on constate une certaine désaffection ?

En plusieurs maisons, des essais de révision de vie, manquant de préparation et de maturation, ont échoué. On reste méfiant, un peu déconcerté.

Ailleurs, au contraire, – cela dépend souvent de l’entourage apostolique – un peu d’engouement pour cette forme de recherche évangélique, qui semble bien être un signe du temps, risque de lui donner trop de faveur, aux dépens d’autres exercices traditionnels.

On a déjà beaucoup et très bien écrit à propos de la révision de vie [1].

Tirant parti de ce que nous connaissons de ces études, nous n’avons d’autre but que de proposer ici quelques réflexions très simples, basées sur l’expérience, et mises à la portée du milieu communautaire féminin. Peut-être ces pages aideront-elles l’une ou l’autre Communauté à tenter un essai valable.

Nous nous appuyons sur une étude faite par M. le Chanoine Fauchet, Vicaire Général du diocèse de Saint-Brieuc (Côtes-du-Nord, France), lors d’une session de Supérieures.

Voyons d’abord ce qu’est la révision de vie.

Le terme peut désigner des réalités assez différentes, selon le milieu qui la pratique et le but qu’on lui assigne.

Le P. Bonduelle [2] étudie parallèlement, sous le titre : « Révision de vie et dénominations approchées » :

« La réflexion religieuse » (vocabulaire de la J.E.C.) – qui cherche à discerner la valeur religieuse d’un fait.
« La réflexion apostolique » (de l’UNCASH et de l’UREP) qui analyse surtout les faits de vie repérés dans l’activité apostolique.
« La réflexion chrétienne » (du Mouvement familial rural) – certainement très proche de la révision de vie – qui étudie en commun des faits de la vie rurale pour une découverte du Seigneur dans l’évangile des situations humaines.

Ces divers exposés, très nuancés, s’efforcent de nous éclairer sur les cheminements qui conduisent à la véritable « Révision de vie ». À les lire, une inquiétude nous vient. Peut-être avons-nous tort d’employer nous-mêmes l’expression consacrée : Révision de vie !

« On parle de plus en plus, parmi nous, de la ‘Réflexion apostolique en commun’... Certaines, qui travaillent avec des militants d’A. C. diraient volontiers comme eux : révision de vie. L’expression a été jugée ambiguë. Pour couper court, nous préférons qu’on ne l’utilise pas chez les religieuses [3]. »

Ceci est probablement une réserve très justifiable. Mais une difficulté surgit lorsqu’il s’agit de faire une « réflexion apostolique » proprement dite dans une Communauté. L’« équipe apostolique » ne coïncide pas toujours – et même pas souvent – avec toute l’« équipe communautaire ». L’ensemble de la communauté n’est pas concerné directement par le fait. Certaines Sœurs risquent de ne pas intervenir à part pleine dans le débat et de n’en pas retirer un fruit valable.

D’autre part, une révision de vie spécifiquement communautaire, est souvent d’une pratique fort délicate. Elle risque d’entraîner les participantes à des jugements moraux réciproques... exprimés ou non. Elle exige plus que nulle autre un climat très surnaturel, beaucoup d’humilité, d’abnégation, une charité délicate qui s’exprime avec gentillesse et courtoisie.

Devant la complexité du choix, nous nous résolvons à garder le terme « révision de vie ». Nous précisons toutefois que l’étiquette n’est pas absolument adéquate ; elle n’exprime pas une position élective. A propos d’une révision de vie communautaire faite à partir d’un fait apostolique, nous donnons simplement quelques suggestions pour essayer d’aider ceux et celles qui s’efforcent loyalement de comprendre le mystérieux langage de Dieu à travers l’événement quotidien. Encore faut-il souligner qu’aucune méthode ne suppléera jamais l’humble dépendance du Saint-Esprit, qui donne la limpidité du regard et les riches initiatives de la charité.

« Que personne, pas plus en révision de vie qu’ailleurs, ne croie en je ne sais quel mécanisme artificiel qui, à lui seul, emporterait automatiquement les paresses et les médiocrités » [4].

Beaucoup d’usagers de la révision de vie cherchent encore à tâtons une définition valable. Ici même, nous croyons utile d’évincer des significations erronées.

La révision de vie n’est pas un examen de conscience, ni une méditation en commun.

Elle n’est pas... ce que dans certaines Congrégations on désigne sous le nom d’« acte de charité » et qui consiste à se signaler mutuellement les imperfections ou les défauts.

Ce n’est pas un exercice de « coulpe », une accusation personnelle de manquements extérieurs à un règlement ou à la Règle. Il arrive qu’au cours d’une révision de vie, l’un ou l’autre membre reconnaisse spontanément une manière d’agir défectueuse et l’avoue en public. Mais c’est alors souvent en référence à l’Évangile ou à l’Écriture Sainte, et non précisément à la Règle. Nous ne pensons donc pas que la révision de vie puisse habituellement remplacer le chapitre des coulpes.

La révision de vie n’est pas davantage un examen des « activités » par un genre de « conseil » ou « équipe » de travail ou d’administration pour améliorer l’action et ses résultats. Cette révision des activités, pour louable qu’elle soit, reste en deçà du but poursuivi par l’authentique « révision de vie ». Le but positif de celle-ci est : l’éducation des vertus théologales.

C’est : « une recherche de la volonté de Dieu, qui parle par la vie et qui, par elle, nous dit ce qu’il attend de nous pour l’extension du Royaume ;

...un moyen de sanctification personnelle (et nous ajoutons communautaire) pour lier sa vie aux exigences découvertes et remercier le Seigneur de ce qu’il nous permet de voir toutes ces richesses et ces pauvretés [5] ».

« C’est une vue de foi qui nous fait saisir Dieu présent et agissant dans le monde, toujours au travail de Rédemption... [6] ».

« Il s’agit d’un acte de foi au Christ qui nous précède dans l’évangélisation du monde [7] ».

Pouvons-nous essayer de préciser qu’une révision de vie en communauté, à partir d’un fait d’apostolat, sera la recherche des appels du Seigneur à travers le fait étudié pour Lui donner une réponse communautaire. Regarder les personnes, les situations avec le regard même du Christ, regard de foi, d’espérance, – volonté de charité et cela, dans un témoignage communautaire.

Comment faire cette révision de vie en communauté ?

À partir des excellentes pages du P. Bonduelle, et en suivant le même plan, nous essaierons d’adapter au milieu communautaire :

1. Formation des équipes

Ces équipes devront être assez homogènes quant à l’âge et à la mentalité. L’équipe suppose une spiritualité de groupe, à dimension horizontale (Ga 6,1-4 ; Rm 12,3-6).

Ce groupe de recherche a pour but : la découverte de l’appel du Seigneur à travers un fait, une situation. Il faut donc une équipe peu nombreuse (7 à 10 membres) à la mesure d’une conversation autour d’une table. Si une communauté est plus nombreuse, il est préférable de répartir les membres en plusieurs équipes. La révision se fera plus efficacement si l’équipe est formée de « volontaires », qui entrent à fond dans l’étude. L’exercice porte des fruits « en marchant ». Il serait difficile de les transmettre après, par information.

Il est toujours préférable que l’équipe soit :

  • spécifiée par un but commun : apostolat à exercer ensemble ;
  • située sociologiquement, par rapport à un monde donné ; apostolat auprès de certaines catégories sociales ;
  • située ecclésialement, membres d’une même Communauté qui a une mission précise dans l’Église.

L’équipe de révision de vie doit constituer une communauté vraie [8] Il y a, pour cela, quatre étapes à franchir :

Il faut passer :

1° de l’ordre de l’agir ensemble, qui se rencontre dans une Communauté où l’on en reste à une répartition des tâches et où chacune est presque uniquement centrée sur les choses à faire et peu attentive aux autres en tant que personnes. Dans une telle Communauté, une révision de vie risque de paraître un ensemble de « parlottes » inutiles, où l’on perd son temps !

Il faut passer, disons-nous, à :

2° l’ordre de penser ensemble. Ceci est déjà plus difficile et plus rare. On est « dévoré » par l’activité, emporté par l’agitation. Il faut combattre ensemble pour se dégager. Mais à ce stade même, une mise au point s’impose : on peut penser ensemble à partir d’un livre, d’un article, et, dans cet échange, on en reste encore à une simple discussion d’idées, sans s’engager tellement soi-même, en tant que personne. Dans un tel exercice, les intellectuelles prennent le pas sur les autres... qui se taisent.

La « révision » doit nous conduire plus profondément à :

3° l’ordre d’être ensemble. Il ne s’agit plus ici de choses à faire ensemble, ou d’idées à échanger ; mais on est ici au niveau même des personnes. Une Communauté religieuse est bien une communauté de personnes. L’être ensemble suppose l’attention spirituelle les unes aux autres. Il s’agit de retrouver le regard du Christ sur chacune. À cette étape se situe la vraie réflexion apostolique. Elle doit s’effectuer dans un climat de pleine liberté.

Il n’est pas du tout nécessaire – et même pas toujours souhaitable – que la Supérieure anime la réflexion. Elle cherche, comme les autres, le regard du Seigneur, sa présence, son appel. Ce n’est pas un exercice de Supérieure, mais un exercice de membre de l’équipe : la Supérieure est membre comme les autres. Il est bien à désirer que toutes les Sœurs, à tour de rôle – si elles le peuvent – soient animatrices. Les Sœurs humbles, simples, fraternelles sont souvent des éléments de choix. Elles réussissent parfois mieux que les intellectuelles à s’adapter et à provoquer les échanges fructueux. « L’Évangile est révélé aux tout petits » (Lc 10,21).

Enfin, la révision de vie doit normalement faire passer de l’être ensemble à :

l’être ensemble d’Église.

Cette quatrième étape récapitule toutes les autres.

Nous nous trouvons devant une communauté de personnes consacrées au Seigneur, qui s’efforcent d’être attentives les unes aux autres, de réfléchir et rechercher ensemble pour agir ensemble, dans le sens d’une vraie mission d’Église, à accomplir dans un secteur donné.

Notons en passant que lorsqu’il s’agit d’une révision de vie communautaire qui doit logiquement entraîner une transformation de vie communautaire, il semble prudent de laisser mûrir les idées et de prendre un peu de recul avant les décisions.

2. Choix des faits

C’est l’expérience qui sert de point de départ. On commence, non par des lectures et des exposés, mais par un fait de vie. Fait qui vient de la vie et est transmis par des vivants. Fait quotidien tout simple et non extraordinaire. Mais fait tout pétri de vie, présenté par un témoin direct. Non une simple réflexion entendue, mais une véritable « tranche de vie », révélatrice d’un esprit, où plusieurs personnes entrent en jeu ; personnes reliées entre elles et à travers lesquelles se bâtit le Royaume de Dieu. Il s’agit de considérer le fait avec un regard surnaturel, le regard du Christ qui pénètre les personnes, les institutions, l’histoire pour y découvrir Dieu à l’œuvre aujourd’hui.

Il est bon de choisir un fait parmi d’autres. La préparation du choix peut déjà constituer un travail fructueux pour les Sœurs. Il serait bien à souhaiter qu’elles eussent toutes « un carnet de faits ». Chacune peut noter, au vol, ce qu’elle juge susceptible d’intéresser, de servir en quelque sorte de « rampe de lancement » pour une révision de vie. Au cours d’une petite réunion préliminaire, ou tout simplement à la fin d’un repas de communauté, on propose divers faits ainsi recueillis. On retient celui qui semble susciter le plus d’intérêt. On peut en transcrire le récit et l’afficher ou en remettre un exemplaire à chacune avec un petit questionnaire, selon la grille en usage à l’A. C. O. : VOIR-JUGER-AGIR. Chacune peut ainsi réfléchir avant la réunion de l’équipe.

Il est souvent à conseiller de choisir un fait qui concerne la vie apostolique. Dans certaines régions, il existe des commissions pastorales : c’est-à-dire, que des religieuses (infirmières, enseignantes, éducatrices paroissiales, etc.) s’occupent spécialement de certaines catégories sociales, par ex. : les femmes de marins, les mineurs, les ouvriers, les scolaires, etc. Il est assez indiqué alors que le fait de vie soit choisi dans la catégorie sociale où s’exerce habituellement l’apostolat. Et que toute la communauté soit intéressée par le fait.

Il est cependant possible de choisir des faits en dehors de ces catégories et plus proches de la vie communautaire. Mais il semble utile d’insister sur ceci : plus on démarre directement du milieu communautaire, plus la révision de vie est délicate à guider sans heurts.

Nous permettrait-on de citer ici l’exemple d’un « mauvais fait », si l’on peut ainsi s’exprimer. Nous entendons par là : un fait qui risque d’ériger un tribunal et de dégénérer en procès.

Voici un exemple de tel fait :

« Un exercice de Communauté sonne. Les Sœurs se lèvent aussitôt pour s’y rendre. L’une d’elles pourtant continue de travailler et dit : ‘Mère Supérieure n’est pas là...’ Dix minutes plus tard, on entend la Supérieure qui arrive. La retardataire se précipite... bouscule ses compagnes et les distrait dans l’exercice commencé... »

On comprend aisément que l’examen d’un tel fait provoque purement et simplement le blâme de la coupable et n’offre pas matière à révision de vie constructive.

Il est bon de se souvenir que la révision de vie doit permettre un dialogue entre pauvres pécheurs et non un examen de conscience collectif ou un tribunal. Que personne donc ne se mette en attitude de jugement. On risquerait d’en rester là et ce n’est pas le but. La révision de vie doit rendre chaque membre plus communautaire, plus fraternel.

Dans une révision de vie entre religieuses, on peut envisager d’ajouter aux références à l’Écriture Sainte, des applications communautaires, – le retour à un point de Règle, qui serait ainsi appliqué « à vif » dans la vie quotidienne.

Dans ce sens, on peut présumer qu’une révision de vie communautaire serait parfois efficace pour bien préparer et rendre plus vivant un chapitre des coulpes qui aurait lieu, par exemple, la semaine suivante.

En général, la révision de vie ne doit pas amener à une solution moralisante. On n’a pas tant à chercher une solution pratique qu’une éducation théologale : une découverte de l’appel de Dieu à travers l’événement.

3. Référence évangélique

a) Chacun sait que la révision de vie est née dans l’Action Catholique et spécialement dans l’Action Catholique Ouvrière. C’est ensuite progressivement qu’elle s’est répandue à travers divers groupements : équipes sacerdotales, communautés religieuses, etc., et qu’elle tend, de plus en plus, à être adoptée dans les milieux fort variés.

Certains se posent la question :

S’agit-il « d’une recherche spirituelle originale, liée à la vie même de la communauté chrétienne, enracinée dans les réalités profondes de la vie chrétienne, qui est appelée à durer, en s’adaptant, parce qu’elle appartient aux exigences évangéliques ? [9] »

Ou est-ce une innovation passagère et convient-il vraiment d’en favoriser la diffusion ?

Pour répondre à cette question, il est bon de remonter aux sources bibliques et évangéliques. C’est ce que nous indique excellemment M. l’Abbé L. Lochet.

« Dès l’Évangile et déjà dans l’Ancien Testament, il apparaît qu’une attitude fondamentale du croyant est la réflexion sur les événements, tels que Dieu les mène... »

« ...Le modèle achevé d’une telle réflexion méditative – qui s’achève en louange... » reste toujours la Vierge Marie.

« Marie conservait avec soin tous ces souvenirs et les méditait en son cœur » (Lc 2,19).

On voudrait citer en entier ces pages si profondes. Nous ne pouvons qu’en recommander la lecture.

« La vie du Peuple de Dieu exige cette ‘mémoire spirituelle’, dont la Vierge Marie nous donne le modèle. Cette ‘révision’ de la vie, dans la lumière de l’Esprit, découvre dans les événements le dessein de Dieu en action, Histoire Sainte qui leur donne leur sens dernier et permet d’y consentir pleinement [10] ».

Il est surtout éclairant de découvrir la pédagogie de Notre Seigneur lorsqu’il formait ses Apôtres. On constate ainsi – et cette constatation est fort rassurante – que la « révision de vie » s’enracine profondément dans l’Évangile.

Le Seigneur envoie ses Apôtres en mission, puis à leur retour, il les rassemble et revoit avec eux l’action missionnaire.

« Et les Apôtres se rassemblèrent auprès de Jésus et Lui racontèrent tout ce qu’ils avaient fait et tout ce qu’ils avaient enseigné » (Mc 6,30 ; cf. Lc 9,10).

L’évangéliste ne nous dit pas, ici, quelle fut la réponse du Christ et comment, à partir des faits, il amena ses Apôtres à réfléchir et à découvrir le déroulement du dessein de Dieu.

Mais plus manifeste est son procédé pédagogique lors du retour des soixante-douze disciples, après leur mission accomplie.

« Les soixante-douze revinrent, tout joyeux, disant : Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom » (Lc 10, 17).

Et ici, le Christ, à partir de l’événement, appelle au dépassement, à la conversion.

Il leur dit : « Je voyais Satan tomber du ciel comme l’éclair » (Lc 10,16).

...« Cependant, ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis ; réjouissez-vous de ce que vos noms se trouvent inscrits dans les deux » (Lc 10,20).

Il veut les entraîner jusqu’au cœur même du dessein de Dieu qui les associe à son œuvre.

« Et Jésus entre en contemplation. A travers les faits, Il découvre l’infinie bonté de Dieu qui se sert de la faiblesse des hommes et des plus petits parmi les hommes, pour accomplir de si grandes choses » [11].

Ainsi, le Seigneur nous apprend à regarder le déroulement du dessein divin à travers l’humble événement quotidien et à entrer à fond, sous l’éclairage de la foi, avec l’élan de l’espérance et de la charité surnaturelles, dans l’accomplissement de cette œuvre immense de vie divine : l’avènement de la gloire de Dieu, le salut du monde.

b) Découlant de la pédagogie même du Christ dans l’Évangile, la révision de vie doit s’effectuer pratiquement dans une référence évangélique.

Les membres de l’équipe se réunissent au nom du Seigneur, pour une révision de vie qui part des faits et en réfère à l’Évangile.

Dans certains autres exercices, c’est l’inverse qui se produit : on lit d’abord l’Évangile et ensuite on le médite en commun. Ici, au contraire, la révision de vie observe les faits et, à partir de l’analyse, retourne à l’Évangile, qui est la référence essentielle. Il est si important que toute la vie soit centrée sur le Christ dans l’Évangile ! Trop souvent, ne risque-t-il pas de n’être pour nous qu’un fantôme ? La réflexion apostolique nous aidera à en retrouver la réalité vivante dans les situations quotidiennes. Mais il faut prendre garde à ne pas « enliser » l’Évangile, à ne pas le livrer à nos fantaisies et lui faire bénir nos petites idées personnelles [12].

Ce n’est pas non plus la quantité de textes évangéliques qui importe, mais la qualité du choix, la possibilité d’intégration des valeurs évangéliques dans la vie.

Trop souvent, les citations ne font appel qu’à la mémoire et n’entraînent pas dans une véritable conversion du cœur et de toute la personne. Or, l’essentiel est précisément que le Christ informe réellement notre pensée et notre comportement.

C’est pourquoi la révision de vie doit se faire dans un grand esprit surnaturel et une grande docilité au Saint-Esprit. Il s’agit de découvrir, non seulement ce que le Christ a fait autrefois, mais ce qu’il est aujourd’hui pour chacun de nous. Il est bon que les âmes consacrées se souviennent que leur consécration est le don total à quelqu’un, à un Vivant : le Christ toujours à l’œuvre pour la Rédemption.

c) Qu’il soit permis de souligner ici les sens divers que peut revêtir le terme : « révision ». On peut revoir ou réviser [13].

Revoir signifie ici : voir avec une nouvelle lumière, avec le regard du Christ. Par le revoir, on est amené à voir par l’intérieur le Christ qui bâtit son Royaume en nous et dans la vie.

Nous sommes dans un climat théologal.

Il faut poser sur les personnes et les événements un regard de croyant et respecter l’objectivité des faits. Si l’on manque de lumière... il ne s’agit pas d’en inventer et de falsifier les faits. A travers eux, à travers leurs causes, on s’efforce de découvrir l’action de Dieu, ses appels, et la foi, l’espérance et l’amour en sont vivifiés.

Réviser se situe plutôt au niveau de la rectification, de la réforme de vie. Il semble que, spontanément, les communautés s’appliquent plutôt à réviser les comportements qu’à revoir à partir des faits l’appel de Dieu.

Il peut y avoir un sérieux écueil à s’empresser de réviser sans avoir suffisamment « revu », c’est-à-dire, avoir repensé loyalement les obligations de notre vie à la lumière de l’appel du Seigneur qui parle aujourd’hui.

Nous retrouvons ici le problème posé dans le sens d’une véritable insertion des religieuses dans le monde.

C’est ce problème capital qu’évoquait la Révérende Mère Guillemin, Supérieure Générale des Filles de la Charité, au Congrès de l’UNCAHS, 1964 :

« Dans l’état actuel, le premier devoir qui nous incombe personnellement est la valorisation. Il faut restreindre pour valoriser. Une religieuse médiocre, ou simplement peu ouverte, n’est pas signe de Dieu. Notre époque exige une qualité de vie religieuse qui dépasse l’ordinaire ; elle repousse tout formalisme, toute routine, toute inutilité. L’obligation où nous sommes de revoir, de repenser, la forme et l’expression extérieure de notre vie religieuse, nous force à approfondir l’essentiel.

Une connaissance doctrinale et une pénétration spirituelle de la valeur des vœux et de leur signification apostolique sont nécessaires pour arriver à les vivre en profondeur, et à les découvrir comme notre apport spécifique dans le plan rédempteur de Dieu et dans l’œuvre missionnaire. Ainsi tendra à se réduire la dualité : vie religieuse-apostolat.

Ce n’est pas dans un effort d’organisation et dans un aménagement des horaires (encore que ceux-ci soient nécessaires) que la religieuse trouve son point d’équilibre, mais dans l’unité accomplie en la personne du Christ que la Foi lui rend présent en toute personne et en tout événement [14]. »

Lorsqu’on parle d’adaptation pour une meilleure insertion dans le monde d’aujourd’hui, on n’a pas de gabarit préétabli, ni dans l’Évangile, ni dans les Constitutions des Congrégations, ni dans ce qu’attend le monde. Mais cette manière de réfléchir à partir de la vie, en allant jusqu’aux inspirations profondes de l’Évangile, semble venir à son heure pour aider à résoudre le grave problème posé aux Congrégations religieuses aujourd’hui. Car c’est toute la Communauté qui doit se situer dans le monde et y être signe d’Église.

4. Esprit de prière permanent

Il n’y a pas d’authentique réflexion apostolique ni de révision de vie sans recours fervent à la prière. Mais ce n’est généralement pas au démarrage de l’exercice que l’on se trouve mieux en « état de prière ». Il semble plus propice au vrai recueillement de lire à l’intérieur de la réflexion – et lorsque le fait appelle la référence, – un passage de l’Évangile qui s’y rapporte. Il convient de faire suivre cette lecture d’un temps de silence et de prière. C’est le moment de contempler Dieu au travail dans le monde d’aujourd’hui. Il faut essayer de maintenir ce climat de prière durant tout l’exercice et terminer par une prière spécialement formulée de façon spontanée :

Prière d’adoration. Adoration de l’action de Dieu que l’on vient de découvrir dans cette « tranche de vie » quotidienne.

Remerciement pour les valeurs vécues et affirmées.

Demande de pardon pour les fautes : les miennes et celles des autres.

Demande de grâces. Offrande des fruits de cette réflexion et de l’élan nouveau pris ensemble.

Une réflexion apostolique ainsi conçue peut aider à joindre l’action à la contemplation. Elle unit une belle action à une belle prière. Elle peut équilibrer une vie en fortifiant la certitude qu’à travers tout, on peut rencontrer le Seigneur, et qu’au fond, notre humble existence quotidienne est une incessante recherche de Dieu.

Mais pour que la réflexion apostolique produise ces fruits excellents, il faut que le dialogue y conserve une résonance foncièrement évangélique et que les membres aient une réelle qualité d’attitude intérieure. Abordée dans ces conditions, elle constitue un véritable exercice religieux. Ce qui donne toute sa valeur à la révision de vie, c’est la pénétration réelle de l’Évangile dans les âmes par la vie observée.

Qui regarde le Seigneur, resplendit de sa beauté...

L’habitude de poser un regard limpide sur les personnes et les événements et d’y rejoindre Dieu à l’œuvre peut donner à toute notre vie la paix et la joie rayonnante d’une contemplation ininterrompue.

Divine Providence Créhen
(C.-du-N.).

Nous nous permettons de donner, ci-après, un exemple de réflexion apostolique pratiqué d’abord dans une communauté hospitalière et reprise ensuite au cours d’une session de Supérieures.

Sans doute, la méthode et l’usage « de la grille » peuvent sembler trop systématiques. On a pu dire que ces méthodes sont « inutiles pour les expérimentés et insuffisantes pour les débutantes [15] ». Nous pensons que ce compte rendu d’une expérience peut cependant éclairer quelque peu.

Un fait pour la réflexion apostolique

Un jeune homme (24 ans) arrive en clinique en état d’ivresse, accompagné de deux lycéens qui l’ont trouvé sur la route. Ils ne le connaissent pas... et l’ont amené. Le jeune homme souffrait beaucoup. Il avait reçu un coup de poing du chef de chantier pour une affaire d’heures supplémentaires. Chauffeur, il disait son inquiétude : « Est-ce que je verrai encore assez pour conduire ? »...

Les lycéens sont montés dans la chambre, ont aidé à mettre le malade au lit. L’un a téléphoné au frère du malade et à d’autres personnes qu’il leur signalait. L’heure avance. Les lycéens restent jusqu’au bout, aussi longtemps qu’ils peuvent et s’en vont disant leur regret de devoir partir. Ils demandent s’ils peuvent revenir et semblent tout heureux.

Le docteur vient et dit : « Il a l’air d’avoir bu un petit coup ! »... Le malade souffrait beaucoup et s’agitait, mais le docteur (c’était un jeune remplaçant) trouvait qu’il jouait la comédie et demandait qu’on essaie d’envoyer le malade tout de suite à l’hôpital avant que le frère n’arrive. « Ce n’est pas mon boulot de calmer un agité ! »

Les Sœurs y pensaient aussi, car elles avaient peur que le malade se jette par la fenêtre. D’un autre côté, elles auraient souhaité attendre l’arrivée du frère. C’est plus humain... Puis, le malade s’est calmé. Il n’était plus agité... et on l’a gardé là. Il ne voulait d’ailleurs pas aller à l’hôpital.

PPetit guide pour la réflexion

1. VOIR Les personnes et les institutions intéressées.Les causes.Les conséquences.
2. JUGER Comment le Christ voit-il ce fait ? : valeurs affirmées, valeurs méprisées.
3. AGIR Quels appels y a-t-il dans ce fait ?

Bibliographie

J. Bonduelle, O. P. La révision de vie. Situation actuelle, Paris, Éd. du Cerf, 1964.

J. Bonduelle, O. P. Révision de vie et dénominations approchées, dans le Supplément de la Vie spirituelle, 1964, n° 71, 430-454.

A. Maréchal. La révision de vie (Toute notre vie dans l’Évangile). Lausanne, Action catholique romande, 3e édit. 1962.

P. Barrau et G. Matagrin. Agir en vérité. Préliminaires de la révision de vie, Paris, Éd. Ouvrières, 1960.

La révision de vie sacerdotale, dans la Revue des Fils de la Charité, 3e trim. 1965.

W. De Broucker, S. T. La révision de vie, dans Christus, 1964, n° 42, 263-279.

L. Lochet. AUX sources de la révision de vie, dans Masses Ouvrières, n° 22, octobre 1965.

Spécialement pour les religieuses :

Dans Religieuses d’Action Hospitalière et Sociale :

1964, 3-11 : Rôle de la réflexion apostolique dans l’évangélisation, par M. l’abbé Matignon, Aumônier Général d’A. C. O. et M. l’abbé Rideau, Aumônier de secteur d’A. C. O.

1964, 163-174 : La réflexion apostolique, par S. Exc. Mgr Michon, Év. de Chartres.

1965, 335-346 : Bases théologales de la réflexion apostolique, par le R. P. Cortade, O. P., Aumônier diocésain d’A. C. O.

Dans Éducatrices paroissiales :

Sept.-oct. 1963 : La réflexion apostolique.

[1Voir quelques indications bibliographiques en fin d’article.

[2Supplément de la Vie spirituelle, 1964, n° 71, 430-447.

[3Éducatrices paroissiales, sept.-octobre 1963.

[4J. Bonduelle, O. P., art. cité, p. 435.

[5J. Bonduelle, O. P., La Révision de vie. Situation actuelle, p. 19.

[6Cf. W. De Broucker, S. J., Christus, 1964, n° 42, p. 266.

[7P. Hitz, « Le mystère de l’évangélisation dans la vie des hommes », Masses Ouvrières, novembre 1962, p. 37.

[8Cf. W. De Broucker, art. cité, p. 270.

[9L. Lochet, « Aux sources de la révision de vie », Masses Ouvrières, octobre 1965, n° 222, p. 32.

[10L. Lochet, ibid., p. 32-34.

[11Cf. ibid. p. 36.

[12Cf. W. De Broucker, art. cité p. 277.

[13Cf. J. Bonduelle, O. P., La révision de vie. Situation actuelle, p. 112.

[14Tensions de la vie religieuse. – Valeurs apostoliques.

[15W. De Broucker, art. cité., p. 274.

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