La langue liturgique dans les communautés religieuses
L’Instruction du 23 novembre 1965
François Vandenbroucke, o.s.b.
N°1966-2 • Mars 1966
| P. 91-97 |
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La législation conciliaire sur la liturgie [1] s’occupe fréquemment des religieux et des religieuses. La réforme liturgique, décidée par les Pères et qui est déjà entrée dans la voie des réalisations, ne concerne pas seulement, en effet, la pastorale des paroisses et des autres lieux de culte où des fidèles s’assemblent. Elle concerne également les fidèles consacrés au service du Christ et de l’Église, dans les instituts approuvés de l’état religieux.
Pour rappeler ici uniquement ce qui a rapport au document que nous allons présenter, l’article 101 de la Constitution, qui maintenait pour les clercs l’obligation de réciter l’office en latin (avec possibilité de certaines dérogations), stipulait au § 2 :
Quant aux moniales et aux autres membres, hommes non clercs ou femmes, des instituts des états de perfection, le supérieur compétent peut leur accorder d’employer la langue du pays dans l’office divin, même pour la célébration chorale, pourvu que la traduction soit approuvée.
Le « supérieur compétent » est laissé ici dans un certain vague. Le paragraphe précédent du même article, toutefois, accordait « à l’Ordinaire » de concéder l’emploi de la langue vivante « pour les cas individuels », aux clercs qui rencontrent dans la langue latine un empêchement grave.
L’Instruction du 26 septembre 1964, donnant des normes pour une première exécution de la Constitution [2], déclarait que la langue latine est celle de l’office au chœur (art. 85), sans référence particulière au cas des religieux.
En ce qui regarde la messe, il semble que ni la Constitution ni l’Instruction n’aient voulu dissocier le cas de la célébration dans une assemblée de fidèles (« avec concours de peuple » ; Const., art. 49), de la célébration dans une assemblée composée de religieux ou de membres de sociétés de vie commune. Ainsi en allait-il en particulier de l’usage de la langue vivante pour les lectures, la prière des fidèles, les parties qui reviennent au peuple (art. 57). Si un emploi plus large de la langue vivante semble opportun, la Constitution renvoie à l’art. 40, qui donne les normes pour l’adaptation liturgique, surtout dans les missions.
L’Instruction du 26 septembre 1964 (art. 57-59) a déterminé de façon plus précise les parties de la messe que l’autorité territoriale pourrait permettre de dire en langue vivante ; ceci compte tenu du souhait de voir les fidèles, spécialement les membres des Instituts religieux laïcs, capables de dire ou de chanter en latin les parties de l’Ordinaire de la messe qui leur reviennent, surtout avec des mélodies simples (art. 59).
À ce dernier souhait fit écho l’allocution prononcée par S. S. Paul VI lors de la dédicace solennelle de la nouvelle église du Mont Cassin, le 24 octobre 1964 : il lui semble que les Bénédictins devront garder en très grand honneur la prière liturgique « dans sa langue traditionnelle, le noble latin, spécialement dans son esprit lyrique et mystique [3] ».
Ces normes n’ont pas semblé suffisantes. Bien des religieux ont adressé au Saint-Siège des requêtes tendant à élargir les cas d’emploi de la langue vivante, même s’il s’agit de communautés cléricales, et même pour l’office divin, et « cela en raison des conditions locales ou pastorales de leurs communautés ». Certaines demandes n’ont pas hésité à s’appuyer sur d’autres motifs : désir personnel des religieux, même s’ils n’exercent aucun ministère pastoral ; ou encore souci de ne pas décourager des postulants, à une époque de culture, non gréco-latine, mais technique.
C’est ce qui explique que, le 23 novembre 1965, une nouvelle Instruction a été publiée, émanant à la fois de la S. Congrégation des Rites, de la S. Congrégation des Religieux et du Consilium pour l’application de la Constitution sur la liturgie [4]. Cette instruction est entrée en vigueur le 6 février 1966.
Elle tend à établir une heureuse uniformité et à fournir des normes bien définies en matière de langue liturgique, dans le cas des religieux, là où des usages divergents s’étaient introduits. Toutefois, il est à remarquer qu’aucune des concessions faites antérieurement n’est révoquée, même si elles vont à l’encontre de l’Instruction nouvelle.
Ce document se signale d’emblée par la clarté. Il considère tour à tour la célébration de l’office divin et celle de la messe, en distinguant différentes catégories de religieux.
I. L’office divin
Cinq cas sont envisagés :
a) Les religions cléricales tenues à l’office choral
Il est rappelé que la Constitution (art. 101, § 1) et l’Instruction (n. 85) leur imposent le latin (n. 1). En pays de mission, si les religieux autochtones sont la majorité, la langue vivante peut être utilisée (n. 2 ; cf. Const., art. 40). Il est déclaré, ce qui est nouveau, que l’autorité compétente pour accorder de semblables facultés est la S. C. des Religieux (n. 3) [5].
b) Les religions cléricales non tenues au chœur
On pourra dire en langue vivante les parties de l’office divin auxquelles, en vertu des Constitutions, les religieux non clercs doivent participer eux aussi (n. 4). C’est au Chapitre général à en juger, ou au Conseil général après consultation des membres de l’Institut (n. 5) [6] Si cela entraîne une modification des constitutions, il faudra l’approbation de la S. C. des Religieux, s’il s’agit d’instituts de droit pontifical, ou des Ordinaires des lieux (cf. can. 495, § 2), s’il s’agit de religieux de droit diocésain (n. 6) [7].
c) Les communautés cléricales attachées à une paroisse, un sanctuaire ou une église très fréquentée
Même s’il s’agit de communauté obligée au chœur, la langue vivante pourra être utilisée pour les parties de l’office qui, pour des raisons pastorales, sont célébrées avec le peuple (n. 7) [8].
On pourra discuter pour savoir ce qu’est l’« église très fréquentée », dont il est question ici. Le texte évite la classification du Code (église, oratoire public, semi-public, privé) et adopte un critère de « fréquentation ». Il ne précise pas si cette « fréquentation » doit être une réalité « actuelle » ou s’il suffit qu’elle soit « possible », par exemple, dans une église ou oratoire ouvert au public, quel que soit le nombre de personnes présentes.
Cette faculté dépend, s’il s’agit de communautés obligées au chœur, de l’Ordinaire du lieu, avec le consentement du Supérieur majeur et l’approbation de la S. C. des Religieux ; dans le cas contraire, de l’Ordinaire du lieu avec le consentement du Supérieur majeur (n. 8).
d) Les moniales
En principe, la langue vivante peut être demandée pour le chœur. Toutefois, là où par tradition l’office est célébré solennellement et le chant grégorien est en honneur, on gardera le latin autant que possible (n. 9) [9]. La concession sera particulièrement indiquée en pays de mission, quand la majorité de la communauté est autochtone (n. 10). Partout cependant, les lectures (p. ex., celles de matines et les capitules des heures) peuvent être faites en langue vivante (sans permission spéciale ; n. 11).
L’autorité compétente pour la concession de la langue vivante est la S. C. des Religieux, sur demande du chapitre local et avec le consentement de l’Ordinaire du lieu ou du Supérieur religieux (selon la juridiction dont dépend le monastère ; n. 12) [10].
En privé, les moniales peuvent toujours suppléer en langue vivante (n. 13), ce qui élargit notablement les facultés prévues à l’art. 101, § 2, de la Constitution.
e) Les religions laïques
L’usage de la langue vivante peut être accordé par le supérieur compétent (n. 14 ; cf. Const., art. 101, § 2), qui est le Chapitre, ou le Conseil général après consultation des membres de l’Institut (n. 15). Si cette concession entraîne une modification des constitutions, il faudra recourir à la S. C. des Religieux ou aux Ordinaires des lieux (cf. can. 495, § 2), selon qu’il s’agit de religion de droit pontifical ou diocésain (n. 16).
II. La messe
1. Messe conventuelle
Dans les religions cléricales tenues au chœur, pour cette messe (et non une autre célébrée dans la maison, p. ex., dans une chapelle d’hôtellerie, de pensionnat, etc., distincte de l’église de la communauté religieuse), on s’en tiendra au latin, comme pour l’office divin (cf. nn. 1-2). Les lectures toutefois peuvent être faites en langue vivante (n. 17, a) [11].
S’il s’agit d’une communauté attachée au service d’une paroisse, d’un sanctuaire ou d’une église très fréquentée et que la messe conventuelle est célébrée pour l’utilité des fidèles, la langue vivante sera admise dans les limites où elle est autorisée par l’autorité territoriale compétente (n. 17, b). Cette disposition est à interpréter comme plus haut (nn. 7-8. Cf. I, c).
Chez les moniales, en conformité avec ce qui a été dit ci-dessus pour l’office (I, d), ou bien l’on gardera le latin, ou bien l’on pourra utiliser la langue vivante dans les limites fixées par l’autorité compétente (n. 18).
2. Messe « de communauté »
Si la communauté est cléricale et n’est pas tenue au chœur, la langue vivante à la messe de communauté est autorisée dans les limites établies par l’autorité territoriale compétente, et cela « quelques fois par semaine, p. ex. deux ou trois fois » (n. 19) [12] Il est permis de penser que bien des communautés regretteront cette restriction [13] Si la communauté est laïque, masculine ou féminine, l’usage de la langue vivante est à régler selon les normes établies par l’autorité territoriale compétente (n. 20). Ici, aucune restriction n’est à faire quant au nombre de jours par semaine. On veillera toutefois à ce que les membres de l’Institut puissent dire ou chanter ensemble en latin les parties de l’ordinaire ou du propre qui leur reviennent (n. 20 ; cf. Const., art. 54).
*
On voit les précisions apportées par le texte nouveau. Il reste cependant des doutes, on l’aura remarqué. Il serait contre-indiqué, croyons-nous, à l’époque où entre en vigueur une réforme liturgique tendant à la simplification des rites et à leur « fonctionnalité » pastorale, d’opter pour des solutions rigoristes. Si des restrictions ont été maintenues, c’est, sans doute, en vue d’une certaine unité dans la diversité, et par désir de conserver, dans certains milieux, des traditions liturgiques qui ont leur valeur. L’on remarquera en tout cas le souci de faire accéder plus aisément aux richesses de la liturgie les religieux laïcs, ceux des pays de mission et le peuple fidèle qui fréquente les églises des religieux.
Si certains estiment trop strictes les normes actuelles, qu’ils considèrent le pas immense franchi depuis le Concile. Un jour viendra sans doute où les communautés religieuses comme telles se verront appliquer le bénéfice pastoral des nouvelles lois liturgiques, sans plus aucune restriction et sans considération spéciale des fidèles qui seraient présents dans leurs églises ou oratoires. Elles estiment être le premier « populus » bénéficiant de la liturgie. Sur ce point, la discipline pourra évoluer encore, comme elle a évolué déjà. Mais il n’y a pas de progrès authentique sans obéissance à l’Église.
Abbaye de Mont-César,
Louvain.
[1] Constitution du 4 décembre 1963 (R. C. R., 1964, 11-22) et Instruction du 26 septembre 1964 (R. C. R., 1965, 13-17).
[2] Cf. P. Jounel, L’Instruction du 26 septembre 1964. Traduction officielle et commentaire. Paris, Desclée, 1965, p. 128-133.
[3] La Document, cathol., 1964, n. 1436, col. 1445 ; Questions liturg. et paroiss., 1965, 36.
[4] Texte dans A. A. S., 1965, 1010-1013.
[5] Ceci montre que l’obligation chorale est retenue comme caractéristique de certaines formes de vie religieuse, puisque c’est à la S. Congrégation des Religieux qu’est réservée la faculté d’accorder ces permissions.
[6] Cette consultation générale est chose neuve. Elle a déjà été suggérée par le décret Perfectae Caritatis (n. 14). Ses modalités varieront sans doute assez notablement.
[7] Il est rare sans doute que des religions non tenues au chœur aient prévu dans leurs Constitutions la récitation de l’office en latin.
[8] Ce sera surtout le cas pour vêpres et compiles.
[9] Ici pourrait intervenir la question de la présence de nombreuses converses ou anciennes converses, de nombreuses moniales qui n’ont pas reçu de formation classique latine. Les mots « autant que possible » doivent évidemment s’entendre de la situation réelle du monastère, non seulement aujourd’hui, mais dans l’avenir : son recrutement ne sera pas sans doute amélioré si le latin continue à être imposé aux postulantes.
[10] N. d. l. R. Dans ses commentaires précédents, la R. C. R., 1964, p. 19, et 1965, p. 16 avait noté l’imprécision du terme « Supérieur compétent ». L’interprétation proposée à cette occasion devra donc être modifiée en fonction de ce n. 12 de l’Instruction.
[11] Ceci peut être obligatoire là où l’autorité territoriale l’a imposé pour les messes avec concours de peuple.
[12] Évidemment et a fortiori, les lectures pourront être faites tous les jours en langue vivante, par analogie avec le n. 17, a (voir n. 1 ci-dessus).
[13] Certes, ces regrets, pour fondés qu’ils puissent être (que l’on songe, par exemple, aux convers assistants à ces messes), n’autorisent personne à se dispenser d’obéir en toute loyauté. Mais rien n’empêche, bien au contraire, de faire connaître respectueusement ces regrets à l’autorité compétente, voire de lui demander les dispenses qu’elle peut accorder. Mieux éclairée (et comment pourrait-elle l’être autrement) sur les situations réelles et les motifs qui provoquent ces regrets, l’autorité sera mieux à même de juger si un élargissement général des normes actuelles s’indique ou si des induits particuliers y suffisent. L’histoire de la récente évolution du jeûne eucharistique est très éclairante à ce propos.