Décret conciliaire « Perfectæ caritatis ». Renouveau et adaptation de la vie religieuse
Pericle Felici
N°1966-1 • Janvier 1966
| P. 16-31 |
En attendant la parution aux Acta Apostolicae Sedis du texte officiel, nous avons utilisé le texte latin donné par L’Osservatore Romano, n° 251, du 30 octobre 1965, en nous aidant de deux traductions préparées à Rome, l’une publiée dans l’édition française de L’Osservatore Romano du 5 novembre 1965 (et reproduite dans La Documentation Catholique, n° 1459, du 21 novembre 1965, col. 1921-1934), l’autre encore inédite. Les titres et sous-titres ont été ajoutés par nous, en nous inspirant de ceux qui figuraient dans le schéma conciliaire.
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Introduction
I. La recherche de la charité parfaite par les conseils évangéliques a sa source dans l’enseignement et l’exemple du divin Maître et apparaît comme un signe éclatant du royaume de Dieu : c’est ce que le Concile a précédemment montré dans la Constitution Lumen gentium. Maintenant, il se propose de traiter de la vie et de la discipline des instituts dont les membres font profession de chasteté, de pauvreté et d’obéissance, et de pourvoir à leurs besoins, selon les exigences de l’époque actuelle.
Dès les origines de l’Église, il y eut des hommes et des femmes qui voulurent, par la pratique des conseils évangéliques, suivre le Christ avec une plus grande liberté et l’imiter de plus près, et qui, chacun à sa manière, menèrent une vie consacrée à Dieu. Beaucoup parmi eux, sous l’impulsion de l’Esprit Saint, ou bien vécurent dans la solitude, ou bien fondèrent des familles religieuses que l’Église accueillit volontiers et approuva de son autorité. A partir de là se développa, par un dessein de Dieu, une admirable variété de sociétés religieuses ; elle contribua beaucoup à ce que l’Église non seulement fût équipée pour toute bonne œuvre (cf. 2 Tm 3,17) et prête à remplir toute activité de son ministère, en vue de l’édification du Corps du Christ (cf. Ep 4,12), mais encore apparût embellie des dons variés de ses enfants comme une épouse parée pour son époux (cf. Ap 21,2), en vue de manifester les ressources multiples de la sagesse de Dieu (cf. Ep 3,10).
Dans une telle variété de dons, tous ceux que Dieu appelle à la pratique des conseils évangéliques et qui en font profession se vouent au Seigneur de façon spéciale, en suivant le Christ vierge et pauvre (cf. Mt 8,20 ; Lc 9,58) qui, par son obéissance jusqu’à la mort de la croix (cf. Ph 2,8), a racheté les hommes et les a sanctifiés. Poussés dans cette voie par la charité que l’Esprit Saint répand dans leurs cœurs (cf. Rm 5,5), ils vivent toujours davantage pour le Christ et pour son Corps qui est l’Église (cf. Col 1,24). Aussi, plus fervente est leur union au Christ par cette donation d’eux-mêmes qui embrasse toute leur existence, plus riche est la vie de l’Église et plus fécond son apostolat.
Mais pour que la vie consacrée par la profession des conseils évangéliques, dans son éminente valeur et dans son rôle nécessaire, concoure davantage, dans les circonstances présentes, au bien de l’Église, le Concile a statué ce qui suit ; il y considère seulement les principes généraux du renouveau et de l’adaptation dans la vie et dans la discipline des instituts religieux et, compte tenu de leur caractère propre, des sociétés de vie commune sans vœux et des instituts séculiers. Les normes particulières pour la juste interprétation et l’application de ces principes généraux devront être établies après le Concile par l’autorité compétente.
I. Le renouveau et l’adaptation
Principes généraux
2. Le renouveau et l’adaptation de la vie religieuse comprennent à la fois le retour continu aux sources de toute vie chrétienne ainsi qu’à l’inspiration originelle des instituts et, d’autre part, l’adaptation de ceux-ci aux conditions nouvelles d’existence. Cette rénovation doit s’accomplir, sous l’impulsion de l’Esprit Saint et la direction de l’Église, selon les principes suivants :
- La norme ultime de la vie religieuse étant l’appel à suivre le Christ proposé dans l’Évangile, cette marche à la suite du Christ doit être tenue par tous les instituts comme leur règle suprême.
- Le bien même de l’Église demande que les instituts aient leur caractère et leur fonction propres. C’est pourquoi on mettra fidèlement en lumière et on maintiendra l’esprit des fondateurs et leurs intentions spécifiques de même que les saines traditions, l’ensemble constituant le patrimoine de chaque institut.
- Tous les instituts doivent prendre part à la vie de l’Église et, tenant compte de leur caractère propre, faire leurs et favoriser de leur mieux ses initiatives et ses intentions notamment dans le domaine biblique, liturgique, dogmatique, pastoral, œcuménique, missionnaire et social.
- Les instituts doivent promouvoir chez leurs membres une connaissance convenable des conditions de vie des hommes de leur temps ainsi que des besoins de l’Église ; de sorte que, discernant avec sagesse, à la lumière de la foi, les traits particuliers du monde d’aujourd’hui, et brûlant de zèle apostolique, ils soient à même de porter aux hommes un secours plus efficace.
- Puisque la vie religieuse a pour but premier que ses adeptes suivent le Christ et s’unissent à Dieu par la profession des conseils évangéliques, il faut peser sérieusement cette considération : les meilleures adaptations aux exigences de notre temps ne produiront leur effet que si elles sont animées par une rénovation spirituelle. A celle-ci, on doit toujours attribuer le rôle principal, même dans le développement des activités extérieures.
Critères pratiques
3. Le régime de vie, de prière et d’activité doit être convenablement adapté aux conditions physiques et psychiques actuelles des religieux et aussi, dans la mesure où le requiert le caractère de chaque institut, aux besoins de l’apostolat, aux exigences de la culture, aux circonstances sociales et économiques ; cela en tout lieu, mais particulièrement dans les pays de mission.
C’est selon les mêmes critères que le système de gouvernement des instituts doit faire l’objet d’un examen.
Il faut donc réviser convenablement les constitutions, les « directoires », les coutumiers, les livres de prières, de cérémonies et autres recueils du même genre, supprimant ce qui est désuet et se conformant aux documents du Concile.
Ceux qui doivent mener à bien ce renouveau
4. Une rénovation efficace et une juste adaptation ne peuvent s’obtenir qu’avec le concours de tous les membres de l’institut.
Mais fixer les normes et légiférer dans ce but, ou autoriser les expériences à la fois prudentes et valables, relève uniquement de l’autorité compétente, surtout des Chapitres généraux, avec l’approbation, dans la mesure où elle serait nécessaire, du Saint-Siège ou des Ordinaires locaux, aux termes du droit. De leur côté, les supérieurs devront, dans les questions qui intéressent tout l’institut, consulter les membres de manière appropriée et entendre leur avis.
Pour le renouveau et l’adaptation des monastères de moniales, on pourra recueillir également les vœux et les avis des assemblées de Fédérations ou d’autres réunions légitimement convoquées.
Cependant, tous se souviendront que l’espoir d’une rénovation des instituts doit être mis dans une observance plus consciencieuse de la règle et des constitutions, plutôt que dans la multiplication des lois.
II. La vie consacrée
Éléments communs à toutes ses formes
5. Les membres de tout institut se rappelleront avant tout que par la profession des conseils évangéliques ils ont répondu à une vocation divine, de sorte que, non seulement morts au péché (cf. Rm 6,11), mais encore renonçant au monde, ils ne vivent que pour Dieu seul. Ils ont, en effet, voué entièrement leur vie à son service ; et ceci constitue précisément une consécration particulière, qui s’enracine intimement dans la consécration du baptême et l’exprime avec plus de plénitude.
Comme cette donation d’eux-mêmes a été reçue par l’Église, qu’ils se sachent également engagés à son service.
Ce service de Dieu doit les pousser et les stimuler à l’exercice des vertus, surtout de l’humilité et de l’obéissance, de la force et de la chasteté, qui les rendent participants de l’anéantissement du Christ (cf. Ph 2,7-8), et en même temps de sa vie dans l’Esprit (cf. Rm 8,1-13).
Que les religieux, donc, fidèles à leur profession, abandonnant tout pour le Christ (cf. Mc 10,28), le suivent lui, comme l’unique nécessaire (cf. Lc 10,42 ; Mt 19,21), écoutant ses paroles (cf. Lc 10,39), pleins de sollicitude pour ses intérêts (cf. 1 Co 7,32).
C’est pourquoi, il faut que les membres de tout institut, ne cherchant avant tout que Dieu seul, unissent la contemplation par laquelle ils adhèrent à lui de cœur et d’esprit, et l’amour apostolique qui s’efforce de s’associer à l’œuvre de la Rédemption et d’étendre le royaume de Dieu.
Primauté de la vie spirituelle
6. Ceux qui professent les conseils évangéliques chercheront Dieu et l’aimeront avant tout, lui qui nous a aimés le premier (1 Jn 4,10) ; en toutes circonstances ils s’appliqueront à intensifier en eux la vie cachée avec le Christ en Dieu (cf. Col 3,3), d’où jaillit avec force l’amour du prochain pour le salut du monde et l’édification de l’Église. C’est d’ailleurs cet amour qui anime et dirige la pratique même des conseils évangéliques.
En conséquence, les membres des instituts cultiveront avec un soin constant l’esprit d’oraison et l’oraison elle-même, puisant aux sources authentiques de la spiritualité chrétienne. Tout d’abord, que chaque jour la Sainte Écriture soit en leurs mains, pour qu’ils retirent de sa lecture et de sa méditation « la sublime connaissance de Jésus-Christ » (Ph 3,8). Ils célébreront la Sainte Liturgie, surtout le mystère de la Très Sainte Eucharistie, y participant par leur prière mentale et vocale, selon l’esprit de l’Église, et ils alimenteront leur vie spirituelle à cette source très riche.
Restaurés ainsi à la table de la loi divine et du saint autel, ils aimeront fraternellement les membres du Christ, ils auront pour les pasteurs respect et affection, en esprit filial ; de plus en plus, ils s’uniront à la vie et à la pensée de l’Église et se dévoueront totalement à sa mission.
III. Formes de vie consacrée
Les instituts purement contemplatifs
7. Les instituts entièrement ordonnés à la contemplation font en sorte que leurs membres, dans la solitude et le silence, dans la prière assidue et une pénitence joyeuse, puissent vaquer à Dieu seul. Ils conservent toujours, si urgente que soit la nécessité d’un apostolat actif, une place éminente dans le Corps mystique du Christ, dont « les membres n’ont pas tous la même fonction » (Rm 12,4). À Dieu ils offrent, en effet, un remarquable sacrifice de louange ; sur le peuple de Dieu ils répandent la lumière d’une sainteté aux fruits abondants ; ils l’entraînent de leur exemple et par une mystérieuse fécondité apostolique le font grandir. Ils sont ainsi l’honneur de l’Église et une source de grâces célestes.
Cependant, leur genre de vie doit être revu d’après les principes et les critères de rénovation et d’adaptation indiqués plus haut ; mais on conservera religieusement leur séparation du monde et les exercices propres à la vie contemplative.
Les instituts voués à la vie apostolique
8. Très nombreux sont dans l’Église les instituts cléricaux ou laïcs voués aux diverses œuvres d’apostolat. Ils possèdent des dons différents selon la grâce qui leur a été donnée : dans le ministère, la grâce de servir ; dans l’enseignement, celle d’instruire ; dans l’exhortation, le don d’encourager ; en celui qui donne, la simplicité sans calcul ; en celui qui exerce la miséricorde, la joie rayonnante (cf. Rm 12,5-8). « Il y a diversité de dons spirituels, mais c’est le même esprit » (1 Co 12,4).
Dans ces instituts, c’est à la nature même de la vie religieuse qu’appartient l’action apostolique et bienfaisante, et cela à titre de saint ministère et d’œuvre spécifique de charité, qui leur sont confiés par l’Église pour être exercés en son nom. Dès lors toute la vie religieuse de leurs membres doit être pénétrée d’esprit apostolique, et toute l’action apostolique doit être animée par l’esprit religieux. Si donc les sujets veulent répondre avant tout à leur vocation de suivre le Christ et servir le Christ lui-même dans ses membres, il faut que leur activité apostolique dérive de leur union intime avec lui. De là résulte un accroissement de la charité elle-même envers Dieu et le prochain.
Pour cette raison ces instituts doivent assurer un juste accord entre leurs observances et usages et les exigences de l’apostolat qui leur incombe. Mais comme la vie religieuse adonnée aux œuvres apostoliques revêt des formes multiples, il faut tenir compte de cette diversité dans son renouvellement et son adaptation ; il faut aussi, dans les différents instituts, soutenir, par des moyens conformes et propres à chacun d’eux, la vie des membres au service du Christ.
Maintien de la vie monastique et conventuelle
9. Que l’on conserve fidèlement et que l’on mette toujours mieux en lumière, dans son véritable esprit, tant en Orient qu’en Occident, la vénérable institution monastique qui, tout au long des siècles, s’est acquis, dans l’Église et dans la société, de glorieux mérites. Le principal office des moines est d’offrir à la Divine Majesté dans l’enceinte du monastère leur humble et noble service, soit qu’ils se consacrent entièrement au culte divin dans une vie cachée, soit que légitimement ils prennent en charge quelques œuvres d’apostolat ou de charité chrétienne. Tout en sauvegardant la physionomie caractéristique de leur institution particulière, les moines devront rajeunir leurs antiques et bienfaisantes traditions et les adapter aux besoins actuels des âmes, de manière que les monastères soient comme des foyers d’édification du peuple chrétien.
De même, les sociétés religieuses qui, en vertu de leur règle ou de leur institut, associent intimement la vie apostolique à l’office choral et aux observances monastiques, harmoniseront leurs conditions de vie avec les exigences de l’apostolat qui leur convient, de façon à conserver fidèlement leur genre de vie puisqu’il est de nature à procurer à l’Église un bien considérable.
La vie religieuse laïque
10. La vie religieuse laïque, qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes, constitue un état, en soi complet, de profession des conseils évangéliques. Cette vie si utile à la charge pastorale de l’Église dans l’éducation de la jeunesse, le soin des malades et d’autres formes d’apostolat, le Concile la tient en grande estime ; il confirme ses sujets dans leur vocation et les exhorte à adapter leur manière de vivre aux exigences de notre temps.
Le Concile déclare que rien ne s’oppose à ce que, dans les instituts de Frères, tout en maintenant fermement leur caractère laïc, quelques membres, par une disposition du Chapitre général, reçoivent les ordres sacrés pour subvenir aux besoins du ministère sacerdotal dans leurs maisons.
Les instituts séculiers
II. Bien qu’ils ne soient pas des instituts religieux, les instituts séculiers comportent cependant une profession véritable et complète des conseils évangéliques dans le monde, reconnue comme telle par l’Église. Cette profession confère une consécration à des personnes vivant dans le monde, hommes et femmes, laïcs et clercs. Par conséquent, il faut qu’ils tendent avant tout à se donner entièrement à Dieu dans une parfaite charité et que leurs instituts gardent le caractère séculier qui leur est propre et spécifique, afin de pouvoir exercer partout et efficacement, dans le monde et comme du sein du monde, l’apostolat pour lequel ils ont été créés.
Qu’ils le sachent bien cependant : ils ne pourront accomplir une tâche de cette importance que si les membres reçoivent, dans le domaine des choses de Dieu ainsi qu’au plan humain, une formation qui les rende capables d’être vraiment dans le monde un levain, pour la vigueur et l’accroissement du Corps du Christ. Que les supérieurs aient donc grand soin de la formation, surtout spirituelle, de leurs sujets et veillent à sa poursuite ultérieure.
V. Éléments propres de la vie consacrée
La chasteté
12. La chasteté « en vue du royaume des cieux » (cf. Mt 19,12), dont les religieux font profession, doit être estimée comme un don précieux de la grâce. Elle libère singulièrement le cœur humain (cf. 1 Co 7,32-35) pour qu’il brûle d’un plus grand amour pour Dieu et pour tous les hommes ; c’est pourquoi elle est un signe particulier des biens célestes, ainsi qu’un moyen très efficace pour les religieux de se donner dans la joie au service divin et aux œuvres de l’apostolat. Ils évoquent ainsi aux yeux de tous les fidèles cette admirable union établie par Dieu, destinée à une pleine manifestation dans le siècle futur, par laquelle l’Église possède le Christ comme unique Époux.
Il faut donc que les religieux, soucieux de rester fidèles à leur engagement, fassent crédit aux paroles du Seigneur et que, confiants dans le secours de Dieu, ils ne présument pas de leurs propres forces et pratiquent la mortification et la garde des sens. Qu’ils ne négligent pas non plus les moyens naturels propices à la santé de l’âme et du corps. De la sorte, ils ne se laisseront pas émouvoir par les fausses doctrines qui présentent la continence parfaite comme impossible ou nuisible à l’épanouissement humain, et ils sauront repousser, comme par un instinct spirituel, tout ce qui met en péril la chasteté. En outre, tous, et spécialement les supérieurs, se rappelleront que la garde de cette vertu est mieux assurée lorsque règne, dans la vie de communauté, un véritable amour fraternel.
Étant donné que l’observance de la continence parfaite touche intimement des inclinations fort profondes de la nature humaine, les candidats ne doivent se décider ou être admis à la profession de la chasteté qu’après une probation vraiment suffisante et s’ils ont atteint la maturité psychologique et affective nécessaires. On ne se contentera pas de les prévenir des dangers qui menacent cette vertu, mais on leur apprendra aussi à assumer le célibat consacré à Dieu comme un enrichissement de toute la personne.
La pauvreté
13. La pauvreté volontaire, embrassée dans le but de suivre le Christ, est un signe fort apprécié, surtout aujourd’hui, de cet attachement au Seigneur. Elle doit être cultivée avec soin par les religieux et même, au besoin, s’exprimer sous des formes nouvelles. Par elle, on participe à la pauvreté du Christ qui, de riche qu’il était, s’est fait pauvre pour nous, afin de nous enrichir par sa pauvreté (cf. 2 Co 8,9 ; Mt 8,20).
Pour ce qui est de la pauvreté religieuse, il ne suffit pas seulement de dépendre des supérieurs dans l’usage des biens, mais il faut que les religieux soient pauvres effectivement et en esprit, ayant leur trésor dans le ciel (Mt 6,20).
Qu’ils se sentent astreints, chacun dans sa tâche, à la loi commune du travail et, tandis qu’ils assurent ainsi le nécessaire pour leur entretien et leurs œuvres, qu’ils rejettent tout souci excessif et se confient à la Providence du Père des deux (cf. Mt 6,25).
Les congrégations religieuses peuvent, dans leurs constitutions, permettre à leurs membres de renoncer à leurs biens patrimoniaux présents ou à venir.
Les instituts eux-mêmes s’efforceront, compte tenu de la diversité des lieux, de fournir un témoignage en quelque sorte collectif de pauvreté ; volontiers ils prélèveront sur leur avoir pour subvenir aux autres besoins de l’Église et soutenir les indigents, que tous les religieux doivent aimer dans le cœur du Christ (cf. Mt 19,21 ; 25,34-46 ; Jc 2,15-16 ; 1 Jn 3,17). A l’intérieur des instituts se pratiquera entre provinces et maisons une communication des biens temporels, les plus aisées secourant les plus démunies.
Bien que les instituts, sauf dispositions contraires des règles et constitutions, aient le droit de posséder tout ce qui est nécessaire à la vie matérielle et aux œuvres, ils doivent néanmoins éviter toute apparence de luxe, de gain immodéré et d’accumulation de richesses.
L’obéissance
14. Par la profession d’obéissance, les religieux font l’offrande totale de leur propre volonté, comme un sacrifice d’eux-mêmes à Dieu, et par là ils s’unissent plus fermement et plus sûrement à la volonté divine de salut. A l’exemple du Christ qui est venu pour faire la volonté du Père (cf. Jn 4,34 ; 5,30 ; He 10,7 ; Ps 39,9) et, « prenant la forme d’esclave » (Ph 2,7), a appris en souffrant l’obéissance (cf. He 5,8), les religieux, sous la motion de l’Esprit Saint, se soumettent dans la foi à leurs supérieurs, représentants de Dieu, et sont guidés par eux au service de tous leurs frères dans le Christ, comme le Christ lui-même qui, en raison de sa soumission au Père, s’est fait serviteur de ses frères et a donné sa vie pour la rédemption de la multitude (cf. Mt 20,28 ; Jn 10,14-18). Ils sont liés ainsi plus étroitement au service de l’Église et tendent à parvenir à la mesure de la stature parfaite du Christ (cf. Ep 4,13).
Que les religieux, en esprit de foi et d’amour à l’égard de la volonté divine et dans le cadre de la règle et des constitutions, se soumettent donc avec respect et humilité à leurs supérieurs, appliquant leurs ressources d’intelligence et de volonté, leurs talents naturels et les dons de la grâce à l’accomplissement des ordres et à l’exécution des tâches qui leur sont confiées, dans la certitude qu’ils travaillent à l’édification du Corps du Christ selon le dessein de Dieu. Ainsi l’obéissance religieuse, source d’un élargissement de la liberté des enfants de Dieu, loin de diminuer la dignité de la personne humaine, mène celle-ci à la maturité.
Quant aux supérieurs, qui auront à rendre compte des âmes confiées à leur soin (cf. He 13,17), ils seront dociles à la volonté divine dans l’accomplissement de leur charge, et ils exerceront l’autorité dans un esprit de service pour leurs frères, de manière à exprimer l’amour que Dieu a pour eux. Dans leur gouvernement, qu’ils traitent comme des fils de Dieu ceux qui leur sont soumis, avec le respect dû à la personne humaine et le souci de promouvoir en eux une soumission volontaire. Aussi leur laisseront-ils, spécialement en ce qui regarde le sacrement de pénitence et la direction spirituelle, une juste liberté. Ils engageront ceux qui sont leurs compagnons à la collaboration, par une obéissance active et responsable dans les tâches à accomplir et les initiatives à prendre. Ils les écouteront donc volontiers, ils stimuleront leur coopération au bien de l’institut et de l’Église, sans détriment toutefois du droit qu’ils ont de décider et de commander ce qui est à faire.
Les chapitres et les conseils rempliront fidèlement la fonction qui leur est dévolue dans le gouvernement ; que ces organes, chacun à sa manière, expriment la participation et l’intérêt de tous les membres au bien de toute la communauté.
La vie commune
15. A l’exemple de la primitive Église, où la multitude des croyants n’avait qu’un cœur et qu’une âme (cf. Ac 4,32), la vie de communauté, nourrie de l’enseignement de l’Évangile, de la sainte Liturgie, de l’Eucharistie surtout (cf. Ac 2,42), doit persévérer dans la prière et la communion d’un même esprit. Membres du Christ, les religieux se préviendront d’égards mutuels, dans une vie de fraternité (cf. Rm 12,10), portant les fardeaux les uns des autres (cf. Ga 6,2). Dès là en effet que la charité de Dieu est répandue dans les cœurs par l’Esprit Saint (cf. Rm 5,5), la communauté, telle une vraie famille réunie au nom du Seigneur, jouit de sa présence (cf. Mt 18,20). La charité est la plénitude de la loi (cf. Rm 13,10) et le lien de la perfection (cf Col 3,14), et par elle nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie (cf. 1 Jn 3,14). En outre, l’unité des frères manifeste la venue du Christ (cf. Jn 13,35 ; 17,21), et il s’en dégage une grande force apostolique.
Afin de resserrer les liens de fraternité entre les membres, on associera étroitement à la vie et aux œuvres de la communauté ceux que l’on désigne du nom de « convers », « coadjuteurs » ou de termes similaires. À moins que les circonstances ne réclament une autre solution, il faut veiller à ce que dans les instituts féminins on en arrive à une seule catégorie de Sœurs. En ce cas, l’on ne maintiendra entre les personnes que la diversité exigée par les œuvres différentes auxquelles les religieuses sont destinées soit par une vocation spéciale de Dieu, soit par des aptitudes particulières.
Quant aux monastères ou instituts masculins, s’il ne s’agit pas d’instituts purement laïcs, ils peuvent, selon leur caractère propre et suivant les dispositions de leurs constitutions, accepter des clercs et des laïcs à parité de condition, de droits et de devoirs, en dehors de ceux qui découlent du sacrement de l’Ordre.
VI. Points particuliers
La clôture des moniales
16. La clôture papale pour les moniales de vie uniquement contemplative sera fermement maintenue, mais on l’adaptera suivant les circonstances de temps et de lieux, en supprimant les usages périmés, après avoir pris l’avis des monastères eux-mêmes.
Quant aux autres moniales qui s’adonnent en vertu de leur institut à des œuvres extérieures d’apostolat, elles seront exemptées de la clôture papale pour qu’elles puissent mieux accomplir les tâches apostoliques qui leur sont confiées ; elles garderont cependant une clôture fixée par leurs constitutions.
L’habit religieux
17. L’habit religieux, signe de la consécration à Dieu, doit être simple et modeste, à la fois pauvre et décent, conforme aux exigences de la santé et adapté aux circonstances de temps et de lieux, ainsi qu’aux besoins de l’apostolat. L’habit des religieux ou des religieuses qui ne correspond pas à ces normes doit être modifié.
La formation des sujets
18. Le renouveau et l’adaptation des instituts dépendent surtout de la formation de leurs membres. C’est pourquoi on ne pourra affecter immédiatement aux œuvres apostoliques, dès leur sortie du noviciat, les sujets non clercs et les religieuses, mais on poursuivra, dans des maisons bien équipées à cet effet, leur formation religieuse et apostolique, doctrinale et technique, en prévoyant aussi l’obtention de diplômes appropriés.
Mais pour que l’adaptation de la vie religieuse aux besoins de notre temps ne soit pas purement extérieure et pour que ceux qui s’adonnent par état à un apostolat externe ne soient pas inférieurs à leur tâche, il faut leur donner, selon la capacité intellectuelle de chacun et ses dispositions personnelles, une connaissance suffisante des mentalités et des mœurs qu’on rencontre dans la société actuelle. Il faut faire un tout harmonieux des éléments qui entrent dans la formation, de manière à favoriser l’unification de la vie personnelle.
Tout au long de leur existence, les sujets devront chercher à parfaire soigneusement cette culture spirituelle, doctrinale et technique et, dans la mesure du possible, les supérieurs leur en procureront l’occasion, les moyens et le temps nécessaires.
C’est aussi le devoir des supérieurs de veiller à très bien choisir et à préparer soigneusement directeurs, maîtres spirituels et professeurs.
La fondation de nouveaux instituts
19. Quand il s’agit de la fondation d’instituts nouveaux, il faut considérer sérieusement si l’institut projeté est nécessaire, ou du moins répond à une grande utilité et s’il trouvera la possibilité de se développer ; on évitera ainsi de voir surgir imprudemment des institutions inutiles ou dépourvues de la vigueur indispensable. Il y a une raison particulière dans les nouvelles chrétientés de promouvoir et développer les formes de vie religieuse qui correspondent au caractère et aux mœurs des habitants, aux conditions de vie et aux coutumes locales.
Le maintien, l’adaptation ou l’abandon des œuvres propres à l’institut
20. Les instituts doivent conserver fidèlement et poursuivre leurs œuvres spécifiques, et, attentifs à l’utilité de l’Église universelle et des diocèses, ils les adapteront aux nécessités des temps et des lieux par l’emploi de moyens opportuns ou même nouveaux et en abandonnant les œuvres aujourd’hui moins conformes à l’esprit et à la nature véritable de l’institut.
Il faut absolument conserver dans les instituts religieux l’esprit missionnaire et, compte tenu du caractère de chacun d’eux, l’adapter aux conditions actuelles pour assurer une plus grande efficacité à la prédication de l’Évangile parmi tous les peuples.
Les instituts et monastères qui dépérissent
21. Aux instituts et monastères qui, de l’avis des Ordinaires des lieux dont c’est la compétence et au jugement du Saint-Siège, ne présentent pas d’espoir fondé d’une reprise de vitalité, on devra interdire de recevoir à l’avenir des novices et, si c’est possible, on les unira à un autre institut ou monastère plus florissant, dont le but et l’esprit se rapprochent des leurs.
L’union entre instituts religieux
22. Selon l’opportunité et avec l’approbation du Saint-Siège, les instituts et monastères autonomes amont à promouvoir entre eux des fédérations, si de quelque manière ils appartiennent à la même famille religieuse ; ou des unions, s’ils ont des constitutions et des usages presque identiques et sont animés du même esprit, surtout lorsqu’il s’agit d’instituts aux dimensions trop faibles ; ou encore des associations, s’ils s’occupent d’œuvres extérieures identiques ou similaires.
Les conférences de supérieurs majeurs
23. On favorisera les conférences ou conseils de supérieurs majeurs érigés par le Saint-Siège, qui sont de grande utilité pour atteindre plus parfaitement le but de chaque institut, pour susciter une plus efficace collaboration en vue du bien de l’Église, pour répartir plus équitablement les ouvriers de l’Évangile dans un territoire déterminé et pour traiter les affaires communes aux religieux. On instaurera la coordination et la collaboration qui convient avec les conférences épiscopales en ce qui regarde l’exercice de l’apostolat.
De telles conférences peuvent s’établir également pour les instituts séculiers.
Les vocations religieuses
24. Pour répondre pleinement aux besoins de l’Église, prêtres et éducateurs consacreront de sérieux efforts à un nouvel accroissement des vocations religieuses, qui doivent faire l’objet d’une sélection attentive et judicieuse. Même dans la prédication ordinaire, on traitera plus souvent des conseils évangéliques et du choix de l’état religieux. Dans l’éducation chrétienne de leurs enfants, les parents doivent s’efforcer de cultiver et de protéger en leurs cœurs la vocation religieuse.
Il est permis aux instituts de se faire connaître pour favoriser les vocations et de chercher des candidats, pourvu qu’ils le fassent avec la prudence requise et en observant les normes établies par le Saint-Siège et l’Ordinaire du lieu.
Cependant, que leurs membres se rappellent que l’exemple de leur propre vie constitue la meilleure recommandation de leur institut et la plus efficace invitation à embrasser la vie religieuse.
Conclusion
25. Les instituts auxquels s’adressent ces directives de renouveau et d’adaptation auront vivement à cœur de répondre à leur divine vocation et à leur mission dans l’Église à l’époque actuelle. Car le Concile tient en grande estime leur genre de vie, chaste, pauvre et obéissant, dont lui-même le Christ Seigneur est le modèle, et il met un ferme espoir dans la si grande fécondité de leurs œuvres, obscures ou connues de tous. Que tous les religieux, donc, par l’intégrité de la foi, la charité envers Dieu et le prochain, l’amour de la croix et l’espérance de la gloire future, répandent dans l’univers entier la bonne nouvelle du Christ, pour que leur témoignage apparaisse à tous et que soit glorifié notre Père qui est aux cieux (cf. Mt 5,16). Ainsi, par l’intercession de la très douce Vierge Marie, Mère de Dieu, « dont la vie est pour tous une règle de conduite » (saint Ambroise, Des Vierges, liv. II, chap. II, n° 15), ils progresseront chaque jour davantage et porteront des fruits de salut plus abondants.
Toutes et chacune des choses qui sont édictées dans ce décret ont plu aux Pères du Concile. Et Nous, en vertu du pouvoir apostolique que Nous tenons du Christ, en union avec les vénérables Pères, Nous les approuvons, arrêtons et décrétons dans le Saint-Esprit, et Nous ordonnons que, pour la gloire de Dieu, ce qui a été ainsi établi conciliairement soit promulgué.
À Rome, auprès de Saint-Pierre, le 28 octobre 1965.
Moi, Paul, évêque de l’Église catholique.
Suivent les signatures des Pères.
Le Saint-Père a décidé que l’application des nouvelles lois contenues dans ce décret promulgué sera suspendue jusqu’au 29 juin 1966, fête des saints apôtres Pierre et Paul.
Entre-temps, le Souverain Pontife publiera les décrets d’application de ces lois.
À Rome, le 28 octobre 1965.