Pour qui lui arrive depuis le XXIe siècle et a en arrière fond le récent Sodoma et les affaires du temps, la lecture du texte de l’ermite de Fonte Avellana, qui a de fait inventé le terme « sodomites », est éprouvante et éclairante à souhait, puisque Pierre Damien y condamne sans circonlocutions des turpitudes cléricales qu’on ne savait pas si inviscérées. Le Livre de Gomorrhe s’attaque en effet violemment au mal qui ronge l’Église « de son temps », les pratiques sexuelles entre prêtres ou moines qui ont promis de servir Dieu dans l’ascèse et la pureté, ou entre personnes en charge d’autorité fautant avec leurs fils, voire leurs filles spirituelles (35). Les sources invoquées seront, comme dans toute démonstration de l’École, tout d’abord bibliques (Genèse, Lévitique, Psaumes, Lamentations, et bien entendu les écrits pauliniens) ; elles sont aussi canoniques (Burchard) et s’accordent à l’argumentation rationnelle, développée en une puissante « rhétorique de combat » fondée sur le blâme. Le Pape de l’époque en sera impressionné, sans pourtant épouser immédiatement toute la sévérité de son correspondant – il le fera un peu plus tard. On peut cependant se demander s’il fallait éditer sous une couverture aussi provocante (l’Hercule et Antée de Lucas Cranach le Vieux, renvoyant à une légende berbère sans rapport avec le sujet) cette première traduction française de la Lettre-traité de Pierre Damien au Pape Léon IX (vers 1051) dénonçant dans la sodomie des clercs le « symbole de la rébellion contre Dieu et l’ordre établi ».
Que vise ce Livre de Gomorrhe dont la version latine nous est proposée face à la traduction française, au fil de ses 26 chapitres suivis de la réponse pontificale ? Certainement la punition des coupables, dont la responsabilité s’établit selon « les quatre variétés de cette débauche criminelle », « chaque étape étant jugée plus grave que la précédente » : les uns « se salissent seuls », les autres à plusieurs, « et l’on juge avec plus de sévérité ceux qui pervertissent les autres par derrière » que ceux qui le font par devant. La gravité du forfait se prend aussi d’autres circonstances, qui ne nous sont pas épargnées : certains clercs confessent leurs crimes à leurs partenaires de débauche, abusent d’un moine, copulent avec des animaux, harcèlent des hommes… Or « un prêtre indigne qui officie est la ruine du peuple », et « Dieu refuse d’accepter le sacrifice accompli par de telles mains » (ici, affleure une certaine ecclésiologie eucharistique). Pierre Damien exhorte celui qui est tombé dans le péché pour qu’il se relève, et les autres à « dompter le désir », mais il préconise la dégradation définitive des clercs coupables. Le Pape suivra ses préconisations pour les accusés d’actes répétés dans le temps ou commis à plusieurs ou commis « par derrière », mais réservera, note l’éditeur avec l’auteur, la possibilité de réintégrer les autres à condition qu’ils aient renoncé à leur pratique et fait pénitence (253).
Un traité jugé scandaleux à l’époque et qui ne peut être lu sans être versé au dossier des combats d’aujourd’hui.
Éditions du Cerf, Paris, février 2021
264 pages · 20,00 EUR
Dimensions : 11 x 13,5 cm
ISBN : 9782204139151