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L’humain, image filiale de Dieu

Une anthropologie théologique en dialogue avec l’exégèse

Christof Betschart

Cet ouvrage est la publication du travail d’habilitation agréé par la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg (Suisse) de Christof Betschart, carme déchaux de la Province d’Avignon-Aquitaine, docteur en théologie à cette même université et licencié en philosophie à l’Université Grégorienne (Rome), actuellement doyen de la Faculté de théologie Teresianum (Rome) où il enseigne l’anthropologie théologique. Il est aussi fin connaisseur de la pensée d’Edith Stein.

L’A. nous livre sa recherche dense et pertinente – qui vient combler un manque dans la panoplie des recherches de la théologie française – sur l’humain qui est par création et devient par grâce l’image filiale du Père dans l’image filiale qu’est le Christ (p. 470). Ainsi s’énonce le parcours de cette étude à la fois complexe et très structurée, enrichie par quantité d’auteurs de diverses régions linguistiques et culturelles : preuve en est la bibliographie qui comporte une trentaine de pages. Le lecteur moins initié pourrait se décourager devant cet essai qui certes, demande concentration et réflexion, mais il peut se laisser guider par l’A. qui, en bon professeur et pédagogue, balise sa réflexion par des signaux clairs aux carrefours des diverses disciplines exégétique, théologique et anthropologique. Ces synthèses clairement formulées entre les différentes parties, comme en introduction et en finale de chapitres, retracent le chemin parcouru et indiquent ce qui sera à poursuivre.

En Introduction, l’A. précise sa démarche méthodologique et la structure tripartite de son travail qui s’insère dans la mouvance de l’anthropologie théologique et qui a été réalisé surtout pendant deux semestres au Boston College aux États-Unis en 2018 et 2020.

Dans la 1e partie, il analyse l’image de Dieu dans son contexte biblique de Gn 1,26 et extrabiblique en explorant les virtualités d’un texte qui dépassent son intention première (p. 58). L’A. nous mène ainsi vers deux modèles interprétatifs des dernières décennies, à savoir l’interprétation fonctionnelle qui découvre l’image dans une ressemblance de fonctions concernant Dieu et l’humain et l’interprétation relationnelle qui signifie, analogiquement parlant, être fils ou fille de Dieu. Piste qui fait le pont entre l’Ancien et le Nouveau Testament et qui ouvre la réflexion du théologien au-delà de ce qui est dit dans la Genèse.

En Intermezzo, cette image de Dieu est recontextualisée et explorée dans sa richesse par deux témoins deutérocanoniques (le Siracide et l’auteur du livre de la Sagesse), avant que l’A. n’interprète l’image de Dieu dans la relecture paulinienne. L’apôtre comprend l’image de Dieu à la fois en référence au Christ et aux croyants devenus conformes à cette Image. Le Christ n’est pas seulement l’Abbild (Image-copie) de son Père, il est en même temps Urbild (Image-prototype) et le Vorbild (Image-modèle d’action) pour les humains. Paul interprète la Genèse dans une nouvelle perspective christologique qui se déploie comme processus dynamique oscillant entre le déjà-là et le pas encore (p. 138). Il y introduit la perspective nouvelle de l’Incarnation et du mystère pascal.

En conclusion de ce parcours exégétique d’un théologien qui avoue ne pas être exégète lui-même (p. 467) – se montrant pourtant très pointu dans ses analyses exégétiques – le Bilan comme intermède reprend les acquis en forme d’ouverture.

Dans la 2e partie, l’A. analyse le Concile Vatican II comme moment charnière et surtout la Constitution pastorale Gaudium et Spes (GS 12-22) pour repenser le rapport entre les binômes christologie-anthropologie et nature-grâce avec toujours le concept-clé structurant de l’image de Dieu qui fonde la dignité de toute personne humaine. Les interlocuteurs principaux ici sont quelques grands théologiens du dernier siècle : Karl Barth sur le rôle créateur du Christ, Hans Urs von Balthasar, Karl Rahner, Wolfhart Pannenberg qui accueillent la thèse barthienne mais arrivent à des conséquences anthropologiques différentes ; et finalement Henri de Lubac, auteur incontournable de l’anthropologie théologique postconciliaire (p. 271) qui préfère le terme surnaturel à celui de grâce. Il affirme aussi que la gratuité de la communion trinitaire est la fin que l’humain désire naturellement (p. 311), mais qui est au-delà de ses seules forces.

La 3e partie, se voulant une contribution à l’anthropologie théologique contemporaine, aborde l’image filiale de Dieu à travers d’autres ressources bibliques comme à travers l’expérience humaine de la filiation. L’A. analyse l’interprétation ontologique et l’interprétation relationnelle de l’image en se basant sur les trois éléments constitutifs de la filiation humaine autant que divine qui sont la relation d’origine, la ressemblance et la singularité du fils ou de la fille. C’est avec Edith Stein (1891-1942), d’origine juive, philosophe, éducatrice, devenue carmélite en 1933, martyre du Christ à Auschwitz en 1942 que l’A. connaît bien pour avoir fait sa thèse de doctorat en théologie en 2012 sur le thème : Unwiederholbares Gottessiegel (Sceau divin unique), qu’il explore l’individualité de la personne humaine. Pour Stein, la différence fondamentale entre les individus se situe au niveau de leur singularité qualitative. L’image de Dieu se révèle dans ce que nous avons de propre et d’unique (l’esprit subjectif dans sa singularité) et non seulement en ce que nous avons en commun (c.-à-d. le patrimoine génétique et les circonstances de la vie). Chaque cœur sort de la main de Dieu en portant un sceau particulier, écrit-elle dans Être fini et être éternel (p. 349). Pour elle, le Christ est à la fois le fondement de la singularité des personnes et de l’unité entre elles.

L’A. reprend le dialogue avec l’exégèse pour scruter la filiation créationnelle et la filiation adoptive dans les deux Testaments et dans le corpus paulinien (chapitre 7 de la 3e partie) avec en Intermezzo, une ouverture conciliaire et une synthèse théologique (chapitre 8). Relevons ici l’analogie de Jésus comme fils prodigue dans la perspective théologique de la solidarité du Fils qui nous rejoint dans un pays lointain, qui est notre humanité et notre situation de rupture avec le Père. Celui qui est toujours dans le Père et en qui le Père est toujours peut faire une telle expérience, parce que sa conscience humaine ne reflète pas à tout moment la totalité de sa réalité d’être le Fils éternel incarné (p. 432). Pour enrichir la théologie de l’image filiale, l’A. se penche sur les dimensions trinitaire et pneumatologique de cette image filiale, ainsi que sur la protologie (doctrine qui traite des origines de l’humanité) et sur l’eschatologie.

Dans la conclusion intitulée Synthèse et perspectives, l’A. retrace clairement le chemin parcouru en formulant sa contribution à l’anthropologie théologique d’en haut en vue de dialoguer avec d’autres disciplines anthropologiques. Penser l’origine, le sens et la destination de l’humain et chemin faisant, aborder cet humain en tant que personne dans son unité, dans sa liberté ou dans sa singularité, (p. 466) en vue de quelles perspectives ? L’interprétation filiale ne s’oppose pas à la dimension écologique théologiquement assumée. Cette étude, antidote à l’exploitation de la création (p. 476), se résume en deux champs de réflexion : l’interdépendance entre les hommes et avec la création ainsi que le lien entre la croissance de l’image filiale de Dieu et le soin pour la création.

Le lecteur qui s’aventure dans cette analyse majestueuse et lumineuse de l’humain au regard de l’image de Dieu en retire – tant pour la pensée que pour l’expression – beaucoup de fruits.

Collection Cogitatio Fidei

Éditions du Cerf, Paris, janvier 2022

528 pages · 29,00 EUR

Dimensions : 13,5 x 21 cm

ISBN : 9782204147309

9782204147309

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