Lire l’Écriture pour en être transformé : tel est le propos de la nouvelle collection des Éditions Emmanuel, « J’ai lu la Bible », dont le petit livre d’Alain de Boudemange est la première contribution. On n’est pas dans l’ordre du commentaire exégétique mais plutôt dans quelque chose qui s’apparente à une proposition de chemin spirituel fondé dans l’Écriture. L’« objectif essentiel de ce livre », dit l’A. qui tutoie son lecteur en introduction : « que tu puisses vivre une expérience de rencontre avec Dieu et de transformation à travers cet évangile (...) que tu te laisses transformer par Dieu en un “disciple-missionnaire” » (p. 7).
Pourquoi l’évangile de Matthieu ? L’auteur, qui en est un bon connaisseur en train d’achever une thèse de doctorat sur le sujet, s’en explique d’emblée par le bout de l’évangile, là où surgit ce qu’il reconnaît être la figure du « disciple-missionnaire », proposée par le Pape François comme chemin pour toute l’Église dans la première exhortation apostolique de son pontificat, Evangelii Gaudium : « Allez, de toutes les nations, faites des disciples ! » (Mt 28,19). Le présupposé est qu’un évangile est d’abord le récit d’une expérience : « Le but de l’évangile de Matthieu est de nous faire vivre cette expérience, de nous intégrer dans l’Église, la communauté des disciples-missionnaires » (p. 8). L’évangéliste a lui-même ordonné le matériau traditionnel qui était à sa disposition pour en faire une expérience partageable, réitérable à l’intérieur de la démarche libre et singulière de chaque lecteur désireux de tenter l’aventure.
Sur ce chemin partagé, il s’agit de suivre et non de devancer : de fait, c’est une lectio continua que le prêtre de l’Emmanuel propose à son lecteur dans ce petit ouvrage qui se présente comme un manuel, avec « des exercices, des pistes de réflexion, qui te permettront d’approfondir ton dialogue intérieur avec celui dont il est question dans l’évangile de Matthieu, Jésus, qui, par ces mots, te parle et te forme comme disciple » (p. 8).
La Tradition s’invite dans la méthode mise au point par l’A. : les « quatre sens de l’Écriture », très brièvement présentés en tête d’ouvrage, voisinent avec les neuf étapes de la prière dont certaines ne sont pas sans rappeler la méthode ignatienne, dans la manière d’utiliser l’imagination pour « entrer dans la scène » (étape 4, p. 13), ou le processus de répétition (étape 6, après un temps d’approfondissement grâce à des « clés » proposées par l’A.). À l’étape 7, la liberté du lecteur est sollicitée de façon à prendre « des petites décisions » en réponse aux « Questions pour avancer ». La Parole ne reste pas dans le livre : elle déborde dans la vie. C’est tout le but du processus !
On saura gré à l’A. d’avoir résolument pris le parti de la lettre, en intégrant tout le texte de l’évangile, en l’agrémentant de notes marginales (qui donnent à l’ouvrage un petit air de manuscrit médiéval glosé). Le choix des péricopes à méditer est au service du parcours spirituel : ainsi avance-t-on, en dix étapes réparties à l’intérieur de six chapitres, de l’appel (étapes 1 à 3), à l’épanouissement de la figure du disciple missionnaire appelé à demeurer avec Jésus jusqu’à la croix (étape 9) et, finalement, à se laisser envoyer dans le monde (étape 10). On regrettera peut-être que la trajectoire accomplie entre les péricopes méditées – ainsi se lit l’expérience – ne soit pas davantage explicitée ; mais l’ouvrage en aurait peut-être été alourdi.
Tout le monde ne se sentira pas à l’aise avec le style, très didactique, mobilisant le lecteur à la première personne du singulier (dans les « portes d’entrée » ou les « questions »), mais sans doute certains, néophytes de fait ou de cœur, qui, peut-être, se sont jusqu’ici sentis intimidés par la Parole de Dieu, seront bien contents de trouver un compagnon de route patient et pédagogue, qui a tout préparé avec soin pour que nul ne s’égare en chemin. La démarche doit en tous les cas être saluée : en un temps où l’Église est massivement et parfois dramatiquement confrontée à ses pauvretés et où de nombreux croyants aspirent à dépasser des fonctionnements trop souvent marqués par le cléricalisme, la fréquentation intelligente et priante des Écritures est un point clé. Pour parvenir à écouter l’autre, pas de meilleure école que l’Écriture où nous apprenons non seulement à écouter Dieu mais encore que Dieu lui-même nous écoute.
Collection J'ai lu la Bible
Éditions Emmanuel, Paris, mai 2021
160 pages · 14,00 EUR
Dimensions : 14,5 x 19,5 cm
ISBN : 9782353899043