Dans cet ouvrage, Jean Staune, philosophe des sciences, nous livre les fruits de son enquête sur Jésus. L’A. bien conscient de n’être ni exégète ni théologien et de ne connaître ni l’hébreu ni le grec, pense cependant pouvoir utiliser la même méthodologie que celle qu’il a employée dans d’autres domaines, aussi différents que l’origine du réchauffement climatique et les causes de la crise financière de 2008. L’ouvrage comprend deux parties. La première est historique et critique et expose la thèse selon laquelle l’auteur du quatrième évangile, le disciple bien-aimé (DBA), est quelqu’un qui a connu Jésus, mais qui n’est pas et ne peut absolument pas être l’apôtre Jean fils de Zébédée (JFZ). La deuxième partie veut montrer que, si l’on prend au sérieux les propos de Jésus rapportés par l’évangile de Jean, cela nous amène à une vision du monde étonnante.
En ce qui concerne la première partie, disons d’emblée que l’identité de l’auteur humain du quatrième évangile ne relève pas, au sens strict, de la foi. Par ailleurs, la thèse que le DBA ne serait pas JFZ n’a absolument rien de nouveau, car cela fait longtemps qu’elle a été soutenue par divers exégètes. On reconnaîtra que Jean Staune, qui travaille cette question depuis longtemps et a participé à des débats publics sur le sujet, a une bonne connaissance du dossier historique. Il a saisi les difficultés objectives de certaines hypothèses en faveur de l’identité entre le DBA et JFZ, par exemple l’hypothèse de JFZ venant à Jérusalem pour y vendre son poisson pêché en Galilée, ou encore le fait qu’Irénée ne dit pas explicitement que l’auteur du quatrième évangile est JFZ, mais seulement qu’il est un apôtre (titre que le Nouveau Testament utilise parfois pour des personnages en dehors du cercle des Douze, par exemple pour Barnabé). Toutefois, bien des limites de l’A. apparaissent rapidement. Certaines des objections qu’il oppose à l’identité entre le DBA et JFZ sont bien faibles : par exemple, JFZ aurait les qualités inverses de celles qu’il faudrait pour être le DBA ; ou encore : JFZ ne pourrait pas être le DBA, car sa mère était présente à la croix. Quant à Irénée, il convient de ne pas se tromper sur la raison pour laquelle il ne dit pas que l’auteur du quatrième évangile n’est pas JFZ ; en effet, sa préoccupation n’était pas de résoudre un problème historique d’identité, mais de montrer l’enracinement du quatrième évangile dans la tradition apostolique. On relèvera aussi l’absence totale de prise en compte par l’A. de la stratégie narrative à l’œuvre dans les évangiles, comme si l’évangile de Jean devait reproduire le schéma des synoptiques. Pour Staune, par exemple, si l’auteur du quatrième évangile ne décrit pas l’agonie à Gethsémani, c’est parce qu’il n’y a pas assisté ; s’il n’a pas raconté la résurrection de la fille de Jaïre, c’est qu’il n’était pas présent. Il est piquant de constater que l’A., qui critique l’emploi de l’argument du silence chez ses opposants, l’utilise lui-même à plusieurs reprises…
Ensuite, on ne peut que déplorer le ton déplaisant du livre : manques de nuances, emploi d’un langage à la limite de la vulgarité (JFZ, « ce type-là » ; Pierre « à la ramasse » dans Jn), présentation constamment péjorative de ceux qui pensent autrement (y compris Benoît XVI, qui serait coupable de « malhonnêteté inconsciente » dans son Jésus de Nazareth), simplifications outrancières, abus du point d’exclamation, etc. On l’aura compris : Jean Staune, qui accuse les tenants de l’identité entre le DBA et JFZ d’être prisonniers d’une idéologie, n’est pas sans préjugé lui non plus. La discussion sur l’identité historique de l’auteur du quatrième évangile est difficile, mais a besoin de plus de sérieux et de sérénité pour être fructueuse.
En commençant la deuxième partie du livre, le lecteur a du mal à comprendre son lien avec la première partie. Si l’A. insiste avec raison sur la fiabilité historique du quatrième évangile et pense qu’il rapporte fidèlement les propos et la pensée du Christ, quelle est donc l’importance de l’identité de son auteur ? Jean Staune n’est pas suffisamment explicite à cet égard, mais on finit par comprendre la nécessité de la première partie : Staune prétend qu’il existe une Église intérieure, distincte de l’Église extérieure (celle-ci serait l’Église catholique avec son « package » : sa hiérarchie, ses dogmes, ses rites, etc.). Cette Église intérieure aurait existé dès avant la venue du Christ sur la terre. Du reste, pour l’A., un « concept » comme le Christ doit exister et a pu s’incarner sur toutes les planètes de l’univers accueillant de la vie intelligente. Ainsi, pour appuyer sa thèse d’une Église intérieure différente de l’Église extérieure, il est capital pour Staune de montrer que le quatrième évangile a été écrit par quelqu’un qui n’est pas l’un des Douze (alors qu’il n’a aucun problème à attribuer l’épître aux Hébreux à saint Paul). En effet, si le DBA était JFZ, alors Staune ne pourrait pas l’utiliser pour sa thèse. Ainsi, le DBA serait un exemple éminent de l’Église intérieure. Malheureusement (du point de vue de l’A.), l’Église catholique par sa Tradition, son magistère et ses saints, a fait disparaître un des apôtres du Christ en l’identifiant à JFZ, donc en le récupérant pour le groupe des Douze.
Si le lecteur catholique peut trouver des éléments valables dans la première partie (mais présentés de manière polémique et parfois caricaturale), il ne trouvera rien de bien intéressant dans la deuxième partie où l’on a l’impression de voir Jean Staune s’égarer dans des dérives gnostiques, dans lesquelles sont utilisées de manière acritique la mécanique quantique, les hologrammes et le film Matrix.
Finalement, Jésus, l’enquête aurait dû plutôt s’appeler Jean, l’enquête, étant donné que la première partie occupe presque les deux tiers du livre. En outre, il ne s’agit pas tant d’une enquête sur Jésus qu’une tentative de justification historique d’une théorie proche de la gnose, qui convaincra fort peu de lecteurs.
Plon, Paris, octobre 2022
368 pages · 22,00 EUR
Dimensions : 14 x 22,5 cm
ISBN : 9782259314060