Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Edmond Michelet

La hantise des autres

Jacques Perrier

« OUF ! » tel est le premier mot qui ouvre le récit Rue de la liberté, relecture dix ans après son séjour au camp de concentration de Dachau. Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, Edmond Michelet, époux de Marie Vialle appelée « Mamé », à qui le liera un amour sans faille qui donnera ses preuves au sein de toute épreuve, et père de sept enfants, a presque 40 ans. « Épicier tu seras, mon fils », lui avait dit son père, épicier lui aussi. Edmond gardera fièrement ce statut professionnel de courtier en alimentation au niveau national, même étant devenu ministre. Il traverse les tribulations du 20e siècle en militant chrétien et en catholique convaincu avec des engagements sociaux multiples et une allergie prononcée pour tous les systèmes totalitaires, en particulier le nazisme. Né le 8 octobre 1899 à Paris au sein d’une famille peu ordinaire, il s’établit à Brive en Corrèze et s’engage dans l’Action française (AF), puis dans l’Action catholique de la jeunesse française (ACJF) durant 15 ans. Dès 1920 il crée les « Équipes sociales » non confessionnelles pour mettre en lien des jeunes professionnels tant ouvriers qu’intellectuels. Il fonde aussi les Cercles Joseph Duguet qui ont pour but de faire connaître et propager la doctrine sociale de l’Église. Organisateur-né, Michelet s’occupe des réfugiés qui viennent de l’Espagne et d’Allemagne juste avant que n’éclate la guerre. Résistant jusqu’au bout des ongles face à la propagande nazie, il est le premier à lancer un tract de résistance le jour qui suit l’appel du 18 juin de Charles de Gaulle, sans même l’avoir entendu. Jusqu’au 25 février 1943, il se lance dans la Résistance, aidant beaucoup d’autres à traverser peurs et frontières. Déjà fervent gaulliste, il est protégé à la fois par sa notoriété et son imprudence. Surveillé, il est finalement arrêté par la Gestapo en se rendant à la messe et incarcéré à la prison de Fresnes durant six mois. Il tient par sa foi et sa prière quotidienne. Il y rencontre l’abbé allemand Franz Stock, qui est à l’origine du Séminaire des barbelés à Chartres où 900 séminaristes prisonniers ont repris leur formation. Ils deviennent amis. Après quelques jours au camp de Neue Bremm, il débarque au camp de concentration de Dachau, véritable concentré de toute l’Europe, le 15 septembre 1943. Il y restera jusqu’au 27 mai 1945 comme responsable officiel des Français. Étape qui marquera la vie de Michelet sous tous les aspects, y compris religieux et même liturgique. Sa narration concentrationnaire Rue de la liberté, est accueillie largement comme « témoignage chrétien porté victorieusement sur les pires attentats du paganisme », ainsi le préface le général de Gaulle. Dans l’édition allemande, le chancelier Konrad Adenauer félicite Michelet de n’avoir pas « exclu l’Allemagne de sa géographie cordiale ». Cette méditation fait comprendre cet homme totalement tourné vers l’autre, défendant toujours la personne. Ce qu’il continuera à faire en tant que ministre des Armées après avoir franchi le portail du camp de Dachau vers la liberté. La politique ne le lâchera plus. Encore quatre autres ministères lui seront confiés : les Anciens Combattants, la Justice, la Fonction publique et enfin la Culture. En 1952, il entre au Conseil de la République, nouveau nom du Sénat sous la IVe République. Entre 1958 et sa mort en 1970, il sera alternativement ministre, sénateur, membre du Conseil constitutionnel et député. Dévoreur de livres, il s’inspire surtout d’une trilogie d’auteurs : Péguy le prophète – son cher Péguy qui se retrouve à toutes les étapes de sa vie –, François Mauriac le guide et Jacques Maritain le maître. Le typhus contracté à Dachau a laissé des traces indélébiles dans la santé de Michelet. À l’enterrement de Mauriac en septembre 1970, il prononce un éloge que d’aucuns reconnaissent comme son propre Nunc dimittis. Mi-septembre, en route vers Le Mans pour inaugurer une Maison de la Culture, Edmond Michelet est terrassé par une attaque cérébrale sur la route de Chartres. Encore un lien avec Péguy. Il perd la parole, mais non la conscience. « J’en ai trop fait », fut sa dernière parole. Il meurt le 9 octobre 1970. Gabriel Marcel dira de lui qu’« il nous aura montré comment l’esprit du Christ peut encore habiter un homme d’État. » Vingt-cinq ans plus tard, il sera reconnu « Juste parmi les nations » par l’État d’Israël.

Mots-clés Politique Histoire

Salvator, Paris, août 2020

426 pages · 24,00 EUR

Dimensions : 15 x 22 cm

ISBN : 9782706719868

9782706719868

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