Repenser la question du diaconat féminin à partir de la vie consacrée
17/072020 Noëlle Hausman
L’histoire d’hier et d’aujourd’hui montre clairement que l’engagement dans la vie consacrée, surtout la vie religieuse, ouvre aux femmes un horizon complètement inattendu, où il s’agit d’inventer des manières nouvelles d’exister et d’agir ensemble pour Dieu dans le monde.
Femmes et hommes
Dans nos sociétés, l’émancipation des femmes, notamment par la reconnaissance du célibat (affiché ou réel) à l’instar du mariage et de la vie en couple, s’accompagne hélas d’une distance des femmes par rapport aux hommes sans lesquels néanmoins elles ne s’accompliront pas. Ce n’est pas dire que le mariage s’impose, c’est affirmer que l’homme et la femme sont, depuis l’origine, en alliance divine, et que chaque vie de femme, religieuse ou non, est en rapport profond avec cet autre, l’homme, que Dieu lui a donné, dans le Christ et dans les autres, comme compagnon de route. Aucune femme ne parle (n’enseigne, n’éduque, n’instruit), si un homme (son père, son frère, son ami) ne l’a écoutée ; et aucune ne soigne et ne guérit le corps d’autrui si elle ne peut y voir quelque chose de l’enfant qu’elle aurait pu porter par la rencontre de celui à qui, quel que soit son état de vie, elle a été confiée : « À la femme est confié l’homme ; à l’homme est confiée la femme », disait Jean-Paul II.
Ce qui est vrai des personnes est encore plus certain des communautés de religieuses. Elles ont toutes un lien d’origine, de compagnonnage, de spiritualité ou de reconnaissance, avec des communautés d’hommes – prêtres ou non. Leur manière de vivre toutes sortes de rapports (de travail, d’amitié, de prière aussi) avec des « frères » devrait être davantage réfléchie. C’est sans doute la seule nouveauté de notre temps d’avoir vu surgir des groupes et des mouvements « mixtes », qui sont comme le surgissement en mode non paroissial de communautés vraiment ecclésiales, où sont présentes toutes les vocations et tous les ministères. On constate que certains de ces surgissements secrètent en leur sein de nouveaux instituts religieux, souvent doubles, où le groupe des hommes et celui des femmes demeurent distincts et égaux dans l’unité. S’ils peuvent poursuivent leur chemin en mode fraternel (et non comme autrefois, hiérarchisé), il y aurait là pour la communauté des fidèles un modèle vraiment fécond. Et pour le sacerdoce catholique, commun et ministériel, s’ouvriraient les grandes ressources dont la marche synodale de nos Églises a le plus urgent besoin.
Comment, dans ce contexte, aborder et comprendre l’interrogation à nouveau portée par l’Église, au sujet d’un diaconat féminin ?
Vers un diaconat féminin ?
Depuis quarante ans au moins qu’elle traîne dans les facultés théologiques et dans les journaux, la question de l’ordination des femmes n’a jamais été vraiment traitée. Mais la femme a-t-elle besoin d’ordination pour exercer le sacerdoce ? N’est-elle est pas comme naturellement ordonnée à se trouver plus près du spirituel (depuis la Genèse au moins, puisque c’est elle qui a entendu le serpent…), à l’offrir avec le monde à Dieu, à entrer à sa manière insubstituable dans le sacrifice du Fils, etc ? On peut comprendre aussi que certains suggèrent que les diacres confèrent le sacrement des malades, puisqu’il met sous un autre mode en proximité eucharistique ; mais il est aussi l’autre face du sacrement de réconciliation, en tant qu’il remet par lui-même les péchés, si par exemple le malade ne peut plus, physiquement (et j’ajouterais psychiquement) se confesser. Finalement, c’est tout l’organisme sacramentel qu’il faut repenser avec une grande profondeur de vues, pour aboutir à quelque chose de sensé. Car qui peut, comme les femmes, entendre toutes les confessions qui ne se diront jamais ? N’est-ce pas déjà un dépassement, ou une fondation, du sacrement ?
Ce qui est à trouver, c’est une manière de conférer un ministère féminin qui corresponde à la grâce que les femmes manifestent si évidemment partout, mais en sortant du ministère ordonné, sous peine d’en rester aux compétitions anciennes. Je continue de croire que l’incarnation du Verbe en Jésus, homme et non pas femme, limite en quelque sorte le ministère ordonné aux hommes, les dons eucharistiques, au pain et au vin si caractéristiques de la culture méditerranéenne de son époque, l’Évangile à se situer comme héritier d’Israël, etc. N’y aurait-il pas à interroger la tradition monastique des abbesses portant l’étole diaconale jusqu’au XVIIe siècle dans nos pays (dans la région de Bruges notamment), et peut-être encore aujourd’hui dans quelques lieux du Moyen-Orient, pour penser quelque chose d’une posture de service spirituel des communautés qui ne s’embarrasserait pas d’ordination ? Bien entendu, la bénédiction des abbesses, dans le rituel postconciliaire, semble un décalque de l’ordination épiscopale, mais justement, cet écart pourrait être investigué. Après tout, la consécration d’une église, le plus fastueux des rituels, pourrait elle aussi être comprise comme le véritable archétype de toute consécration / ordination / bénédiction – mais là, c’est encore un tout autre chantier de réflexion que je n’ouvrirai pas.
Tout ceci demande un immense espace de liberté ; on se prend à rêver de cette disputatio médiévale que les médias peuvent représenter, du côté de l’audience ; mais où sont les champions qui pourraient relever le gant, pour en rester dans la métaphore – toute masculine, hélas. Les femmes de ce temps-là se livraient plutôt aux tournois de poésie, dit-on ; mais c’est ainsi qu’elles ont pu conduire leurs compagnons à plus d’urbanité et à plus de paix pour les pauvres.