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Après la pandémie : quelle conversion ecclésiale ?

Claude Robinet, s.j.

N°2020-4 Octobre 2020

| P. 23-26 |

Kairos

Le confinement et ses suites n’ont pas muselé toutes les pensées ; c’est un concert à trois voix que nous fait entendre le père Claude Robinet, s.j., archimandrite, responsable de l’église russe catholique, au Collège Pontifical Russicum de Rome, et des programmes russe et biélorusse de Radio Vatican ; aujourd’hui au service, à Bruxelles, de la Fraternité des Douze Apôtres. La conversion ecclésiale est bien devant nous !

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En marge d’un petit ouvrage récemment publié en italien, sous la forme d’un e-book [1], nous pourrions revenir un instant à la question de savoir comment l’Église vit, après l’événement inattendu de l’apparition d’un ennemi invisible qui n’a épargné personne. Beaucoup ont connu une période de confinement, puis un déconfinement progressif. N’est-ce pas le lieu d’une vocation à reconsidérer l’évolution de notre rapport à Dieu, aux autres, et aussi à nous-mêmes ? Pour certains, comme Mgr Erio Castellucci, archevêque de Modène [2], c’est à partir du tombeau vide que les pasteurs de l’Église, à voix basse, peuvent aujourd’hui prononcer le Credo, selon lequel nous avons un Père qui guide notre histoire. Oui, le virus a enlevé le voile universel qui couvre et cache les violences, les guerres, la pauvreté et les misères, les maladies et les deuils ; or, l’examen final de notre vie portera sur l’assistance à celui qui a faim et soif, au pauvre, au malade, à l’étranger, au prisonnier. Notre Credo nous invite aussi à confesser que le Fils n’a pas fait semblant d’être un homme. La solidarité avec les frères et l’obéissance au Père, c’est cela la croix de Jésus. Pendant les mois de la pandémie, le monde s’est transformé en un grand Calvaire, et l’ombre de la Croix continuera à s’étendre sur la terre, avec des souffrances généralisées et profondément enracinées. Mais dans la croix se cache toujours un germe de vie, d’amour, de solidarité. Nous avons été témoins pendant le Coronavirus du dévouement des soignants aux malades, aux mourants et aux proches des défunts. Il s’agit à présent de réfléchir au sens de ce qui s’est passé et d’entamer un processus de conversion. Si nous ne laissons pas se désinfecter notre cœur, nous aurons souffert pour rien. Si nous en sortons convertis, le vide du Sépulcre ne sera plus de mort, mais de résurrection. Le temps entre la Pâque et le retour en gloire du Fils de Dieu à la fin des temps sera le temps de l’Esprit-Saint qui remplit le monde de son fruit. C’est le temps opportun, le temps de l’Église. Pendant tous ces mois, l’Église a parfois montré une belle créativité ; l’Esprit s’est manifesté dans les familles, « églises domestiques ». Il faudra conserver tout cela précieusement, sans oublier que c’est dans la célébration eucharistique que se trouve la source.

Le Père Tomas Halik [3], penseur vigoureux, s’il en est, se demande s’il faut revenir à la condition de la société avant la pandémie. Était-ce bien l’état normal ? Il est probable que de nombreux pays passeront de la prospérité à la pauvreté et d’autres, de la pauvreté à la misère. Les analyses de ces situations et les solutions proposées seront bien sûr différentes. En Occident, nous verrons les populistes prêcher un « catholicisme sans christianisme » pour défendre la « civilisation chrétienne » contre les libéraux, les migrants et le monde islamique. Par contre, dans le monde arabe, les islamistes se serviront de la rhétorique et des symboles de l’Islam pour entretenir la haine de l’Occident libéral. Quant à la Russie et à la Chine, elles utilisent la crise de la Covid-19 et la désorientation qui en dérive, pour affaiblir l’Occident, et en particulier l’Union européenne, et renforcer leur position dans les pays post-communistes. Dans le monde post-communiste, avec l’apport des fake-news de la propagande russe, un grand effort est fourni pour prolonger les mesures exceptionnelles et l’état d’urgence de la pandémie, afin de limiter les libertés. Durant cette crise, le monde a fait l’expérience de sa vulnérabilité et de ses limites. Les églises vides, le jour de Pâques, sont un signe prophétique et un avertissement. L’Église doit apprendre à lire les signes des temps et à porter à maturité un rapport prophétique et critique avec le pouvoir civil. Les chrétiens devront habiter ce monde avec leur foi vécue : ce monde est bien celui qui nous a été confié comme un don et une tâche.

Du côté de « l’Église qui viendra », le Père Ghislain Lafont, o.s.b. [4], voit l’Église entraînée à s’engager dans le concert des efforts que les religions font pour sauver l’homme. La fraternité face au mystère de la mort est une expérience commune. Or, l’autre doit maintenant mourir à une certaine distance de nous, et nous ne pourrons avoir recours pour les funérailles aux rituels auxquels nous étions habitués. Mais la fraternité se manifeste aussi dans le fait que nous nous protégeons le mieux possible pour ne pas contaminer les autres, et dans le dévouement exemplaire des soignants. Après la pandémie, il conviendra d’établir ou de rétablir cette fraternité, pour reconstruire la société. L’Église et les religions devront revoir leur échelle de valeurs pour collaborer avec les institutions civiles, comme le fait la Déclaration d’Abou-Dabi sur la fraternité humaine, signée par le Pape François et le Grand Imam Ahmad-al-Tayyeb. Parce qu’ils croient en Dieu, ces deux hommes désirent la fraternité universelle qui peut déraciner ces pandémies sociales, politiques et culturelles qui contrarient la vie et diffusent des cultures de mort. Le salut est universel, accompli dans le mystère de mort et de la Résurrection du Christ, et le don de l’Esprit Saint à la communauté chrétienne. Celle-ci vivra de sa prière et dans l’amour du prochain, surtout des plus pauvres. C’est ainsi que se construira une fraternité humaine concrète.

La conversion ecclésiale attendue du pasteur passe donc, selon le théologien, par un rapport prophétique, notamment avec le pouvoir civil, insiste le moine. Désormais, la perspective d’une fraternité universelle, telle que vient de la proposer le pape François dans sa nouvelle encyclique Fratelli tutti..., signée à Assise le 3 octobre, est devant nous.

[1E. CASTELLUCCI, Th. HALIK, Gh. LAFONT, Cambiamenti d’epoca. La Chiesa nell’abbraccio dello Spirito (« Changements d’époque. L’Église dans l’embrassement de l’Esprit »), Edizioni Dehoniane, Bologna, 2020, ebook, 47 pages.

[2Pendant le confinement, il avait déjà écrit un message pascal espérant que « dans un temps qui n’est sans doute pas proche, nous puissions chanter un alleluia différent d’avant, ayant appris à être moins superficiels, plus conscients de ce qui compte vraiment dans la vie, attentifs aux frères ».

[3Professeur de psychologie à l’Université de Prague, ordonné prêtre par le cardinal Tomasek dans la clandestinité et remarqué déjà par Jean-Paul II.

[4Moine de la Pierre-qui-Vire, ancien professeur à la Grégorienne et à Saint-Anselme.

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