Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Jean-Luc Vande Kerkhove, s.d.b.

Noëlle Hausman, s.c.m.

N°2020-1 Janvier 2020

| P. 3-10 |

Rencontre

La sagesse de l’Afrique et l’efficacité de l’Europe… Présent à la fin de notre dernier numéro de 2019, le salésien belge ouvre aussi notre nouvelle année. C’est l’itinéraire d’un chercheur et d’un pasteur tout ensemble, qu’une longue carrière d’enseignant n’a pas dispensé d’assumer des charges de direction et de formation dans son institut, tout en organisant des colloques pluridisciplinaires dans sa région d’adoption.

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Vs Cs • Père Jean-Luc, vous êtes salésien de Don Bosco depuis de longues années ; après votre formation sacerdotale en Belgique puis à Rome, vous avez rejoint vos confrères en poste à l’est de la République démocratique du Congo, dans un diocèse autrefois confié à la province flamande de votre institut. Comment un salésien peut-il ainsi devenir un intellectuel au service de la mission ?

J.-L. Vande Kerkhove • Quand on songe à un fils de Don Bosco, on l’imagine dans une cour de récréation au milieu des jeunes, dans un atelier, ou encore accompagnant des jeunes en rupture familiale. Et c’est bien là l’héritage précieux que nous a laissé notre fondateur. De ce point de vue, mon itinéraire est plutôt atypique. Après une année de volontariat au Rwanda et un noviciat d’une année en R.D. du Congo, mes supérieurs jugèrent bon de m’envoyer faire les études de philosophie à l’Institut Supérieur de Philosophie de l’U.C.L (Université catholique de Louvain), qui se trouvait encore à Leuven à l’époque. Chez nous, Salésiens, la philosophie est suivie d’un stage pratique de deux ans que je fis à Kambikila, près de Lubumbashi. Au contact des jeunes de l’internat, ce furent pour moi deux très belles années de ma vie salésienne. Le Recteur majeur de l’époque et son conseil souhaitaient rendre notre université de Rome plus internationale. C’est ainsi que je fus envoyé à Rome pour mon premier cycle de théologie. L’occasion m’était offerte de vivre au centre de l’Église et aussi de rencontrer des confrères de tous les pays. Après trois ans, j’ai sollicité la possibilité de faire le deuxième cycle en Belgique. Ce qui me fut accordé. Désireux de me préparer à ma prochaine mission, je choisis comme sujet de mémoire la doctrine du salut dans une église indépendante africaine, la Lumpa Church d’Alice Lenshina. Comme mes résultats de philosophie avaient été excellents, les supérieurs m’envoyèrent effectuer mon deuxième cycle à Louvain-la-Neuve. C’est là que l’Abbé Léonard (avant de devenir évêque de Namur puis archevêque de Malines-Bruxelles) me fit découvrir la pensée de Maurice Blondel à laquelle je consacrai mon mémoire de philosophie, appréciant le vigoureux effort du philosophe d’Aix pour concilier la raison et la foi. Les supérieurs décidèrent de m’envoyer à Kolwezi où nos étudiants fréquentaient les cours chez les franciscains du Theologicum Jean XXIII. Comme les vocations africaines devenaient de plus en plus nombreuses, la congrégation jugea bon d’ériger en Afrique deux instituts de théologie, un pour le monde anglophone, l’autre pour le monde francophone et lusophone. Dès le début, nous voulions que notre centre soit affilié à une faculté de théologie afin de garantir le sérieux des études.

C’est ainsi que je quittai Lubumbashi pour Rome afin de commencer mon doctorat en théologie, pour que nous ayons le nombre de doctorats requis. Après une année passée à Rome pour lancer la thèse, toujours consacrée à Blondel, je partis pour Lubumbashi en 1988, année de fondation de notre Institut de théologie Saint François de Sales. Tout en continuant les travaux de ma thèse, je montais la bibliothèque et m’efforçais d’organiser l’Institut. C’est dans cet institut que je passais les années les plus actives de ma vie salésienne, considérant que former des Salésiens au sacerdoce était un bel apostolat. Ce n’était pas ce que j’avais imaginé au départ, je me voyais bien comme missionnaire de brousse, m’intéressant à la langue et la culture des gens, mais mon itinéraire a été tout autre. Ce qui ne m’a pas empêché d’animer pendant plusieurs années le groupe Nsaka cherchant à valoriser la culture bemba du Sud-Est de la R.D. du Congo.

Vs Cs • Depuis que vous êtes à Lubumbashi, vous avez occupé de nombreuses charges : professeur en philosophie et en théologie, directeur de votre « Salesianum » qui forme au sacerdoce ministériel des dizaines de jeunes confrères issus de plusieurs pays d’Afrique, initiateur et directeur d’une bibliothèque qui a la réputation méritée d’être la meilleure de la République démocratique du Congo, conseiller et maintenant vicaire provincial... Vous décririez-vous comme formateur ou administrateur ? Autrement encore ?

J.-L. Vande Kerkhove • Sans doute, et par nécessité, les deux, mais la fonction de formateur est la plus importante. En vue d’assurer une bonne formation, une bonne organisation est nécessaire. J’ai été pendant 26 ans président de l’Institut, et bibliothécaire depuis ses débuts. Surtout dans les premières années, jusqu’à la création du centre de Yaoundé, nos étudiants venaient de plusieurs pays d’Afrique : Togo, Bénin, Mali, Sénégal, Rwanda, Burundi, Guinée équatoriale, Cameroun, Angola, Mozambique et Madagascar. Même si les confrères de notre province ont toujours été majoritaires dans le corps professoral, nous avons accueilli des enseignants d’Espagne, de Pologne, de Belgique, du Cameroun. Je me souviens avec gratitude de ces années de fraternité interculturelle et nous gardons des contacts avec plusieurs de nos anciens étudiants. Une raison de fierté est de voir parmi nos anciens un évêque, deux conseillers généraux de la congrégation, des supérieurs provinciaux et des professeurs en différentes institutions. Aujourd’hui, bien que je conserve quelques cours, ma tâche principale est celle de vicaire du supérieur provincial en charge de la formation et de la discipline religieuse. Alors que je m’étais surtout investi dans notre théologat, je suis maintenant chargé de suivre toutes les étapes du prénoviciat jusqu’à la théologie, ce qui nous fait quelque 180 jeunes environ. Il importe de veiller à la continuité du processus de formation, aux formes d’accompagnement personnalisé et au respect des critères de discernement à chacune des étapes. Je dois accorder un soin particulier aux équipes de formation, car il ne s’agit pas d’un travail facile.

Ensuite, le respect de la discipline religieuse est un domaine délicat de mon travail. La discipline religieuse fait partie de la condition de disciple du Christ. La devise de Don Bosco, « da mihi animas, caetera tolle », met en avant l’élan apostolique–« donne-moi les âmes »–, mais la déclare inséparable du « prends, toi, le reste », qui exprime le nécessaire renoncement qui accompagne le travail apostolique. Nous savons que la vie consacrée aujourd’hui est confrontée à des situations scandaleuses. Peut-être, après Vatican II, l’ascèse est-elle passée au second plan. Pour nous, Salésiens, éducateurs des jeunes, la crédibilité est fondamentale pour la transmission des valeurs humaines et chrétiennes.

Vs Cs • Avec des religieux et religieuses de divers instituts, vous organisez tous les deux ans une session thématique sur la vie consacrée qui débouche la plupart du temps sur une publication (notre revue y a souvent fait écho dans ses recensions d’ouvrages). Vous initiez aussi d’autres colloques bibliques ou théologiques, au niveau de votre région ou à Kinshasa. Quels bienfaits voyez-vous à ces rencontres ?

J.-L. Vande Kerkhove • Depuis mon arrivée à Lubumbashi, la vie consacrée a connu une croissance très forte. C’est la raison pour laquelle ont été créés l’Institut Maria Malkia, avec une section de pédagogie religieuse, et les colloques sur la formation à la vie consacrée en collaboration avec l’USUMA [1] et l’ASUMA [2]. Il était impératif de former les formateurs et formatrices africains, appelés à prendre la relève des missionnaires. Nous avons organisé six colloques sur des thèmes plutôt classiques : intégration dans l’institut, vœux, vie fraternelle et dialogue interreligieux dans le contexte africain, sans compter le colloque national sur les 50 ans de Perfectae caritatis. À chaque fois, la préparation et le suivi ont été de beaux moments de fraternité entre membres de différentes congrégations, alors que dans le quotidien chacun est souvent pris par les activités de sa congrégation.

La rareté des activités scientifiques au niveau de la ville m’a également poussé à initier des journées bibliques sur des sujets d’actualité, en recourant à des exégètes de l’étranger et du pays. Ainsi nous avons accueilli des professeurs de la Catho de Paris, de Lille, du Biblicum, de notre université de Rome ainsi que de la K.U.L. (Université Catholique de Leuven). Les actes ont été publiés dans la collection de l’Institut et certains ont reçu un bon accueil dans les revues. Pour l’organisation de ces journées, nous avons voulu collaborer avec le Grand-Séminaire interdiocésain Saint-Paul. Personnellement je déplore que la tradition de ces journées bibliques ait été interrompue, mais mes successeurs ont souhaité les remplacer par des journées théologiques.

Vs Cs • Comment en particulier voyez-vous dans votre région le dialogue interreligieux qui a fait l’objet de votre colloque d’avril dernier (2019) ?

J.-L. Vande Kerkhove • L’idée du colloque a surgi d’une rencontre des formateurs et formatrices de l’USUMA/ASUMA du Katanga. Après une conférence consacrée au dialogue interreligieux, nous nous étions rendu compte de notre ignorance au sujet des autres grandes traditions religieuses. Nous avions décidé d’organiser un colloque sur le sujet. Après une introduction théologique de sœur José Ngalula, différents intervenants nous ont présenté ces grandes traditions : le père Mpayi, jésuite, les religions traditionnelles africaines ; le père Fadi Daou, prêtre maronite, l’Islam ; le père Jacques Scheuer, jésuite, les religions asiatiques ; et l’abbé Bernard Numbi, le judaïsme. L’abbé Paul Kalola a donné un état des lieux du dialogue œcuménique et le frère Luc, de Taizé, nous a partagé son expérience. Nous étions une centaine de participants. Nous sommes conscients que beaucoup de chemin doit encore être parcouru, surtout dans notre contexte où les affirmations identitaires sont fortement mises en avant, même à l’égard des autres communautés chrétiennes. Comme Église catholique nous subissons des critiques souvent acerbes d’autres communautés, et il n’est pas certain que nos fidèles soient ouverts à un tel dialogue. Nous espérons toutefois que la prise de connaissance pourrait constituer un premier pas dans la bonne direction.

Vs Cs • Qu’aimeriez-vous dire, aujourd’hui, à ceux et celles qui sont religieux depuis longtemps ? Et à ceux qui commencent ?

J.-L. Vande Kerkhove • D’abord merci à nos aînés qui sont encore fidèlement au poste, dans une dimension plus contemplative désormais. Ils nous soutiennent par leur prière après avoir construit ce sur quoi nous pouvons continuer aujourd’hui. Je les invite aussi à ne pas se laisser porter uniquement par la trajectoire de leur vie, mais à revenir sans cesse à leur premier amour, dans la perspective de la rencontre définitive avec Celui à qui ils ont consacré leur vie. Le danger de la médiocrité spirituelle nous guette à tous les âges.

À ceux qui s’engagent aujourd’hui, je voudrais dire que la vie consacrée peut être un chemin de bonheur à condition de ne pas y chercher autre chose que la suite du Christ, ce qui dénaturerait notre vocation et la ferait entrer dans des schémas purement humains. Dans une société de plus en plus sécularisée comme celle de l’Occident, avec tout ce qu’elle nous propose, il faut s’engager dans la vie consacrée en connaissance de cause, construire sur le roc. Je crois qu’il est aussi essentiel de se trouver un bon accompagnateur spirituel, car nous ne sommes plus dans une société qui porte notre projet. Il faut sans doute sortir d’un certain embourgeoisement qu’ont connu certaines congrégations et revenir aux fondamentaux : la vie fraternelle, les vœux et la mission selon le charisme de l’Institut.

Propos recueillis par Noëlle Hausman, s.c.m.

[1Union des Supérieures majeures de la R.D. du Congo.

[2Assemblée (masculine) des Supérieurs majeurs de la R.D. du Congo.

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