Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Nathalie Becquart, xav.

Noëlle Hausman, s.c.m.

N°2019-4 Octobre 2019

| P. 3-12 |

Rencontre

Déjà très connue en France par son itinéraire marin et spirituel (voir ses nombreuses publications), sœur Nathalie a été une auditrice active du récent Synode pour les jeunes. Nommée parmi les premières femmes consulteurs du secrétariat général du Synode des évêques, elle est particulièrement indiquée pour nous présenter, à partir de sa vocation de Xavière, les enjeux du Synode pour l’Amazonie maintenant en cours.

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Vs Cs • Nathalie Becquart, pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez fait le choix de devenir Xavière ?

N. Becquart • Quand j’ai rencontré les Xavières alors que je me posais la question de la vie religieuse, j’ai été touchée de sentir des femmes de foi, ancrées dans le Christ, et en même temps des femmes bien de leur temps, avec un rapport positif au monde, cherchant à comprendre et aimer sans crainte ce monde contemporain en étant « à la disposition de l’Esprit Saint » pour discerner comment travailler à rendre ce monde plus humain et permettre à chacun de faire la rencontre du Christ. Nous nous sentons proches du pape François et nous retrouvons bien dans la vision qu’il porte et déploie.

Vs Cs • Voulez-vous nous dire ce qu’est la Xavière ? Un institut religieux, vraiment ?

N. Becquart • La Xavière est un institut religieux de droit pontifical. Nous sommes des religieuses apostoliques de spiritualité ignatienne. Nous avons été fondées en 1921 à Marseille par une femme, Claire Monestès, qui a longtemps cherché sa voie et s’est inscrite dans le courant du christianisme social. À l’époque, elle a cherché à inventer un style de vie religieuse et missionnaire dans le plein vent du monde, à la fois souple et profondément enraciné dans les Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola. Reconnues officiellement par l’Église comme congrégation de droit diocésain en 1963 – puis de droit pontifical en 2010 –, nous sommes aujourd’hui cent-vingt Xavières réparties dans six pays : France, Allemagne, Canada, Côte d’Ivoire, Tchad et Cameroun. Nous sommes donc un petit institut, mais nous avons la chance d’avoir quasiment chaque année des jeunes qui entrent et une démographie assez équilibrée. Si nous restons encore majoritairement françaises, nous devenons de plus en plus internationales et, comme beaucoup de congrégations aujourd’hui, nous sommes au défi de vivre plus fortement l’interculturalité.

Vs Cs • Comment voyez-vous votre avenir ?

N. Becquart • Au regard de l’histoire de la vie religieuse, nous sommes encore jeunes et nous nous préparons à vivre notre centenaire en 2021 ! Occasion de rendre grâce pour ce mystère d’avoir été appelées ensemble à suivre le Christ en prononçant les vœux de chasteté, pauvreté et obéissance pour annoncer l’Évangile à la manière ignatienne dans les pas de Claire Monestès.

Notre nom complet est en fait : Xavière, Missionnaire du Christ-Jésus. Cela veut dire que la dimension missionnaire est forte. Celle-ci peut se vivre à travers toutes sortes d’apostolats, aussi bien dans un travail professionnel en milieu aconfessionnel que dans une responsabilité pastorale en Église. Un aspect fort de notre charisme est le désir de faire le lien entre l’Église et ceux qui en sont loin, d’aller à la rencontre de nos contemporains là où ils sont pour leur annoncer le Christ. Notre devise « Passionnées du Christ, passionnées du monde » résume bien l’esprit qui nous anime. Nous cherchons à travailler à l’unité et à la réconciliation là où nous sommes envoyées. Nous n’avons pas vraiment d’œuvres ni de spécialité précise.

Nous vivons notre mission dans l’élan missionnaire de saint François-Xavier de bien des manières en fonction des appels de l’Église et du monde, de nos compétences et formations. Nous rencontrons donc des personnes et milieux très divers et avons à cœur de rejoindre chacun là où il en est pour prendre soin, consoler, marcher avec lui dans un esprit d’hospitalité et de réciprocité. Nous aimons dire que « la mission est visitation ». Nous avons en même temps une vie communautaire forte donnant aussi une grande place à la prière et à la liturgie. Nous cherchons à être « contemplatives dans l’action » en écoutant et discernant comment l’Esprit travaille en nous et autour de nous.

Vs Cs • Votre parcours est déjà bien connu, après votre « Avancer au large » ; voulez-vous pourtant nous en dire un mot, notamment quant à votre travail au Service National pour l’Évangélisation des Jeunes et pour les Vocations de l’Église de France, qui s’est étendu à la coordination des services des vocations d’Europe ?

N. Becquart • Depuis mon entrée à La Xavière en 1995, j’ai eu la chance d’être envoyée en mission auprès des jeunes de bien des manières : vers les jeunes défavorisés des banlieues comme responsable du programme Plein Vent (Scoutisme en quartiers populaires) à l’équipe nationale des Scouts de France, auprès des 18-30 ans à travers le Réseau Jeunesse Ignatien comme accompagnatrice spirituelle (camps-croisières Vie en mer...), auprès des jeunes professionnels dans le cadre de l’accompagnement d’un groupe JP, auprès des étudiants de l’Université de Créteil comme responsable de l’aumônerie et des jeunes du Diocèse de Créteil (déléguée JMJ Sydney) ; puis à travers une responsabilité nationale à la Conférence des Évêques de France où j’ai d’abord été directrice adjointe du Service national pour l’évangélisation des jeunes en charge de la pastorale étudiante, puis directrice du Service national pour l’évangélisation des jeunes et pour les vocations (SNEJV). J’ai aussi été vice-présidente du Service européen des Vocations et appelée par Mgr Aupetit – alors évêque de Nanterre (diocèse de la communauté Xavière où je résidais alors) – à faire partie de son conseil épiscopal.

Ces dix années passées à la Conférence des Évêques de France m’ont donné de collaborer de près avec les évêques et de nombreux acteurs pastoraux au sein de l’équipe du SNEJV composée d’une douzaine de personnes (laïcs, prêtres, religieux) ayant reçu une mission de formation des acteurs de la pastorale des jeunes et des vocations, et d’animation de réseaux concernant la pastorale des adolescents, la pastorale des étudiants, la pastorale des jeunes professionnels et la pastorale des vocations. Cette mission riche et passionnante, mais aussi complexe et parfois rude, m’a donc donné de rencontrer des jeunes et acteurs de la pastorale des jeunes très variés, de toutes sensibilités ecclésiales.

Vs Cs • Cela touchait-il aussi la vie consacrée ?

N. Becquart • Nous étions en effet en lien avec la diversité des diocèses de France, mouvements de jeunes et aussi congrégations religieuses, car nous avions aussi un partenariat étroit avec la CORREF (Conférence des Religieux et Religieuses de France) pour la pastorale des vocations. Cette responsabilité m’a aussi amenée à participer à de nombreuses rencontres européennes avec mes pairs des autres conférences épiscopales, ainsi qu’à un certain nombre de congrès romains et rencontres internationales, notamment pour la préparation des JMJ et du synode. À travers ces expériences marquantes à la fois locales, diocésaines, nationales et internationales, mon regard n’a cessé de s’élargir. Ces missions reçues comme un beau cadeau, très en résonance avec notre charisme Xavière de « faire le lien entre tous, surtout entre l’Église et ceux qui en sont loin » m’ont déplacée et fait avancer sur un chemin de conversion et de maturation. J’ai été particulièrement touchée par l’écoute et la rencontre de jeunes et acteurs pastoraux de tous pays et cultures, bouleversée par bien des situations de souffrance, fortifiée par le témoignage évangélique de beaucoup. Mais plus encore, j’ai été profondément émerveillée par le mystère de l’universalité de l’Église et la manière dont l’Évangile vient rejoindre et travailler les cœurs de personnes de toutes cultures, langues, origines. Toutes ces années ont fait grandir en moi un amour de l’Église au service de notre humanité plurielle. J’ai vécu des expériences très fortes de fraternité et de communion au-delà de et à travers les différences, touchant toujours davantage du doigt combien l’Église est vraiment Peuple de Dieu, Corps du Christ et Temple de l’Esprit.

Vs Cs • Vous avez été auditrice au synode sur « Les jeunes, la foi et le discernement vocationnel », et vous voilà parmi les nouveaux consulteurs du Secrétariat général du Synode des Évêques : ce niveau d’intervention ou de travail vous inspire-t-il quelques réflexions, sur le rapport entre la périphérie et le centre, par exemple ?

N. Becquart • J’ai eu l’immense grâce de vivre en octobre 2018 ce magnifique synode des jeunes après avoir été bien impliquée dans sa préparation tant en France qu’à Rome, avec notamment la mission de coordination du pré-synode qui fut une étape importante. Cette assemblée synodale avec des évêques et jeunes du monde entier autour du Pape fut une expérience humaine, spirituelle et ecclésiale extraordinaire. J’en suis ressortie profondément marquée et transformée. Nous étions 49 auditeurs, dont 35 jeunes et 6 religieuses. Nous avons eu la chance de participer de manière très active, comme les pères synodaux, en prenant la parole en plénière pendant 4’et en contribuant au travail des petits groupes linguistiques appelés Circuli minores. Cela m’a donné d’être plongée encore plus profondément dans le mystère de l’Église enraciné dans le mystère trinitaire, avec le sentiment d’être incorporée encore plus fortement dans le « nous » ecclésial.

Vs Cs • Et le Synode pour l’Amazonie ?

N. Becquart • Dans la suite du synode sur les Jeunes et de ma fin de mandat à la CEF, j’ai eu la chance de bénéficier d’un temps sabbatique en Amérique du Nord ; d’abord dans notre communauté Xavière de Toronto, puis à Chicago pour suivre le « Hesburgh Sabbatical program », un excellent programme avec des religieux et religieuses de tous les continents au sein d’une faculté de théologie appelée Catholic Theological Union. Cela m’a permis de « souffler », de relire toutes ces riches années d’expériences ecclésiales, d’écrire pour discerner la suite avec ma supérieure générale. Alors que la décision venait d’être prise d’aller reprendre des études de théologie à Boston College pour creuser une recherche en ecclésiologie sur la question de la synodalité, j’ai reçu avec beaucoup de surprise et de joie cette nomination du pape François comme un beau cadeau et une confirmation de cet appel à contribuer à ma petite échelle à faire avancer la synodalité au cœur de la réforme actuelle de l’Église portée par le pape François. Chemin qui vise la transformation missionnaire de l’Église et passe par le développement à tous les niveaux (tant local que diocésain, national ou universel) de ce que l’on peut appeler, pour reprendre les mots du Document final du synode des jeunes, « la synodalité missionnaire ». Cela va de pair avec une forme de décentralisation et surtout une prise en compte toujours plus forte de ce défimajeur pour aujourd’hui qu’est l’inculturation. C’est-à-dire la recherche d’une manière d’évangéliser et d’organiser l’Église qui soit réellement incarnée dans les différentes cultures.

Prendre au sérieux l’inculturation de la foi dans une culture et un peuple donnés avec ses codes, langages et fonctionnements, demande de discerner avec audace et sagesse les formes locales adaptées tout en s’inscrivant dans une fidélité à la Tradition et une recherche de communion avec l’Église universelle. L’inculturation est un processus créatif qui demande d’exercer un discernement pour dessiner des voies nouvelles non tracées d’avance. Le christianisme, religion de l’Incarnation, se dit toujours dans une culture et en même temps il propose un salut universel qui n’a pas de frontières. Cela nécessite d’envisager la communion ecclésiale, c’est-à-dire une manière de penser et vivre l’unité dans la diversité, non comme une homogénéité réductrice, mais sous la figure du polyèdre chère au pape François. Il s’agit donc de trouver la manière d’articuler le global et le local, les périphéries et le centre, dans un monde à la fois très globalisé et en même temps extrêmement pluriel et fragmenté. Au dernier synode, j’ai été vraiment frappée de voir combien les prises de parole des évêques étaient très incarnées et enracinées dans leurs réalités locales, donnant à entendre les problématiques d’un contexte socio-politique précis. Et en même temps nous avons encore plus pris conscience de nombreux défis communs – comme la question des migrants, du changement climatique, de la culture digitale... – qui dépassent les frontières et requièrent d’être abordés ensemble avec plus de synergie, parce qu’aucun territoire ne peut les résoudre seul.

Vs Cs • Le Synode pour l’Amazonie est maintenant en cours : concerne-t-il d’une manière particulière les consacrés ?

N. Becquart • Ce synode sur l’Amazonie, s’il met le focus sur une région spécifique, stratégique pour l’avenir de la planète, est paradigmatique de cette articulation-clé entre le local et le global. Par ce mouvement caractéristique du pape François qui invite à regarder le centre à partir de la périphérie, ce synode régional nous concerne donc tous, car il touche in fine à des enjeux globaux et vitaux pour la sauvegarde de notre « maison commune ». Il concentre aussi des questions-clés et des chantiers majeurs pour l’Église dans le monde d’aujourd’hui : l’inculturation, l’écologie intégrale, les migrations, l’évangélisation urbaine, les nouveaux ministères... Territoire particulièrement menacé, en tension entre des forces de vie et des forces de mort, l’Amazonie, par sa situation et ses défis, est, je crois, une forme de laboratoire pour nos sociétés et pour l’Église. Ce synode « enfant de Laudato Si » est présenté par le pape François comme le « synode de l’urgence ». Nous sommes donc invités à prier spécialement pour ce synode, à approfondir et relayer ses réflexions pour trouver « de nouvelles voies pour l’Église et pour une écologie intégrale ». La vie consacrée, en particulier, ne peut rester sourde à la clameur des peuples et à la clameur de la terre. Elle est appelée à jouer un rôle prophétique dans ce nécessaire chemin de conversion à l’écologie intégrale et de promotion d’une Église plus synodale, missionnaire et inculturée. Comme religieux et religieuses, nous sommes donc invités à nous mobiliser largement pour suivre et accompagner ce synode. Nous pouvons aussi rendre grâce pour les nombreux religieux et religieuses en mission en Amazonie, engagés au plus près des populations qui œuvrent sans relâche pour la justice et la défense des plus pauvres, jusqu’au péril de leur vie. Ils nous montrent le témoignage prophétique d’une vie religieuse créative et audacieuse, qui ose prendre des risques pour lutter contre la « culture du déchet » qui détruit la terre et la population...

Propos recueillis par Noëlle Hausman, s.c.m.

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