Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Team céleste pour l’Europe. Six saints patrons

Chantal van der Plancke

N°2019-4 Octobre 2019

| P. 13-20 |

Kairos

Les trois copatronnes de l’Europe le sont depuis 20 ans ! Une occasion pour Chantal van der Plancke, qui anime de longue date l’Association internationale Catherine de Sienne, de mettre en évidence ces saintes et saints à qui Dieu a confié tout un continent. Car « les saints sont envoyés par Dieu dans l’histoire pour conduire notre histoire à Dieu ».

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En 2019, l’Église se rappelle avoir reçu six saints patrons pour l’Europe. Cette année, voici vingt ans (1999) que trois femmes ont complété le trio masculin. Cet anniversaire pose la lampe sur le lampadaire « pour qu’elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison », la maison de l’Europe. Dans ce « team » céleste, les « vies consacrées » à Dieu – religieux et religieuses, mais pas seulement – sont bien représentées...

Saints

Les saints au Ciel, c’est consolant. Mais le Christ mérite mieux. Le monde et l’Europe aussi. Au Moyen-Age, les phénomènes mystiques et les miracles étaient un critère très important de sainteté. Le lecteur de ces récits ne pouvait qu’en être édifié. Ou découragé... Une spiritualité sans théologie peut avoir des effets démobilisateurs. Vatican II a remis les saints dans le peuple de Dieu et non au-dessus. Ils ont été nourris comme nous de la grâce du baptême et de l’eucharistie. Le critère de sainteté n’est plus le degré d’exception de ces personnes, mais l’intensité de leur communion avec le Christ.

Tant que l’on regarde les saints comme des êtres d’exception, on pourra toujours se contenter de peu. « Prions-les pour qu’ils nous guérissent de tels maux. Des maux du pouvoir. Qu’ils nous apportent la paix »... Quoi ? Dans une vie médiocre ! C’est alors comme si on leur demandait de bénir notre médiocrité par des faveurs, sans qu’il soit question de revenir à l’Évangile. En ce sens, les saints sont inutiles. Mais s’ils attisent la flamme de l’Évangile, ils sont un puissant aiguillon. À nous d’actualiser notre union avec le Christ à travers nos talents. À Dieu de les distribuer dans leur diversité pour qu’ils contribuent à la beauté de l’Église, à la vie du monde et des peuples de l’Europe.

Patrons

Un patronus, dans l’antiquité romaine, est une personne qui a des sujets et qui leur assure sa protection. Au VIe siècle, lorsque les convertis se firent baptiser en masse, on éprouva le besoin de relier leurs nouvelles vies fragiles à celles de saints dans la nouvelle Jérusalem. Ces figures protectrices dans le ciel n’étaient plus des astres, mais des humains, unis au Christ. Puisque les saints ont partagé notre humanité, ils pouvaient nous comprendre. C’est ainsi que le rôle du patron s’est étendu aux membres d’une même profession (charpentiers, infirmiers, médecins...) ou d’un même lieu (ville, pays, continent). La compréhension de ce lien de protection s’est progressivement dévaluée, comme si le rôle des « saints patrons » était de nous accorder le bien-être ici-bas et la prospérité de nos affaires. Or la protection que ces saints veulent nous offrir est celle de notre intimité avec le Seigneur, intimité dans laquelle nous avons été introduits par le baptême. Ce qui nous attire auprès d’eux, c’est le désir d’avoir part à leur amour, qui a trouvé son achèvement dans le Christ. L’Europe des peuples « n’a pas besoin d’une bannière chrétienne », mais de chrétiens qui vivent en frères de tous les peuples.

● Des saints protecteurs à travers toute l’Europe

Les reliques des saints ont rapidement voyagé à travers toute l’Europe et c’est ainsi qu’elles ont marqué le paysage du continent. Celui-ci n’a pas un pôle unique de destination de pèlerinage (La Mecque, Jérusalem), mais tout un réseau de sanctuaires disséminés [1]. Cette multiplication des lieux de pèlerinage a opéré une véritable décentralisation du sacré et créé un tissu de relations, une amitié entre les peuples.

● Des groupes de saints

Il y a des duos de saints, tels Pierre et Paul réunis dans une fraternité qui n’était pas donnée au départ – un bel exemple pour deux hommes d’Église – ; ils symbolisent la concorde à laquelle toute communauté potentiellement divisée aspire. Quantité d’églises et d’hôpitaux sont dédiés aux deux saints Jean : le Précurseur et « le disciple que Jésus aimait », unis dans le martyre [2]. Il y a des frères (Cyrille et Méthode) ; il y a des complémentarités hommes/femme (saint François et sainte Catherine, co-patrons d’Italie). Il y a des groupes de martyrs... Le regroupement des saints dans une même vénération augmente le sentiment de fraternité. Cette « collégialité » répond aux aspirations profondes de concordia entre les peuples.

Six : un échantillon d’une sainteté multiforme

Voilà pourquoi nous sommes progressivement passés d’un patron de l’Europe (saint Benoît, 1964) à un trio (masculin, 1980), et enfin à un « collège » (mixte, 1999), d’une demi-douzaine de saints et de saintes. Leur origine géographique et culturelle marque sur l’Europe un « signe de la croix » : l’axe ouest-est constitué par les trois hommes. Et l’axe nord-sud, par les trois femmes, dont une martyre, à la croisée des chemins. Cet élargissement suit celui de l’Europe et des esprits européens. Il est certain que l’arrivée d’un Pape slave à Rome devait changer nos points de vue. La venue de deux saints à la fois, « Cyrille et Méthode », s’accompagnait, de la part de Jean-Paul II, d’une grande insistance œcuménique sur nos communes racines entre Chrétiens d’orient et d’occident et sur l’Europe chrétienne de l’Atlantique à l’Oural, qui doit respirer de « ses deux poumons ». L’entrée des deux frères de l’Est dans le trio des saints patrons européens (au sens géographique, de l’Islande à la Russie), neuf ans avant la chute du rideau de fer, marque un élargissement considérable, un fort accent missionnaire et une ferme volonté d’inculturer l’Évangile dans la langue et la culture de chaque peuple.

Paul VI était bien conscient que la montée du féminisme était un vrai « signe des temps ». Ce fut d’ailleurs, avec l’œcuménisme, sa principale préoccupation lorsqu’il voulut mettre en œuvre la dévotion mariale dans l’esprit du Concile (Marialis Cultus, 1974). Il réalisait bien que l’Église avait une compréhension réduite de cette nouvelle Ève, rappelant toujours celle qui avait plongé l’humanité dans le malheur. Sous sa plume, Marie devint la femme forte qui croit, espère et aime, qui exalte un Dieu qui renverse les puissants et élève les humbles. C’est aussi en sens qu’il avait, quatre ans avant, relevé le charisme théologique des femmes en honorant Thérèse d’Avila et Catherine de Sienne du titre de « Docteurs de l’Église universelle » (1970).

Jean-Paul II prit le relai en exaltant la dignité des femmes et la force de leur engagement (Mulieris dignitatem, 1988). Mais il restait qu’être les saints protecteurs de l’Europe demeurait le privilège des hommes. À ce trio, il ajouta, non pas une patronne, mais un trio de femmes, diverses par leurs charismes et leurs vocations.

● La sainteté dans l’espace et le temps

Dans l’axe nord-sud, la préoccupation œcuménique était dominante, puisqu’avec Brigitte de Suède, on rejoignait tous les chrétiens des Pays scandinaves donc nos frères protestants. Avec Édith Stein, le pape voulait souligner les racines juives du christianisme et lever sur tout le continent « l’étendard de respect, de tolérance et d’accueil » entre frères, par-dessus toutes les distinctions de race, de culture et de religion.

Mais il n’y avait pas qu’une symbolique spatiale. On était à la veille du Jubilé de l’an 2000 et il fallait marquer la continuité de la sainteté dans le temps. Après les pionniers du premier millénaire, les femmes représentent « trois figures emblématiques des moments cruciaux du deuxième millénaire » : les déchirures successives entre chrétiens et la barbarie de l’intolérance raciale et religieuse. Jean-Paul II présente ces saintes comme « trois femmes qui, à des époques différentes [...] se sont signalées par l’amour actif de l’Église du Christ et le témoignage rendu à sa Croix ».

● Le « trésor de la sainteté », moteur de l’histoire

« Les chrétiens », insiste-t-il, « ont le devoir d’apporter à la construction de l’Europe une contribution spécifique, qui aura d’autant plus de valeur et d’efficacité qu’ils sauront se renouveler à la lumière de l’Évangile. Ils se feront alors les continuateurs de cette longue histoire de sainteté qui a traversé les diverses régions de l’Europe [...]. L’Église ne doute pas que ce trésor de sainteté soit précisément le secret de son passé et l’espérance de son avenir. C’est en lui que s’exprime le mieux le don de la Rédemption [...]. C’est en lui que le peuple de Dieu en marche dans l’histoire trouve un soutien incomparable... » (Motu proprio, 1er déc. 1999).

Les saints « nous prennent en charge dans leur intercession permanente devant le trône de Dieu ». En invoquant les saints patrons « de manière plus intense et en nous référant plus assidûment et plus attentivement à leurs paroles et à leurs exemples, nous ne pouvons pas ne pas réveiller en nous une conscience plus aiguë de notre vocation commune à la sainteté, qui nous pousse à prendre la résolution d’un engagement plus généreux ». C’est donc bien la sainteté qui sera le moteur de notre engagement dans l’histoire.

Des intercesseurs et des témoins

Nous nous adressons aux saints de diverses manières, mais toutes sont centrées sur le cœur de la foi.

  • La forme la plus fondamentale est la louange de Dieu « avec tous les saints » (canonisés ou non). La liturgie est une symphonie céleste et terrestre. N’est-ce pas « avec les anges et tous les saints » que nous chantons et proclamons leSanctus et toute la louange eucharistique ?
  • Nous prions Dieu en recourant à l’intercession des saints. « Nous ne prions pas les saints, mais nous leur demandons de prier pour nous ». Nous ne prions pas Marie quand nous lui disons : « Prie pour nous ». La prière d’ouverture pour la messe du 29 avril dit profondément : « Seigneur, tu as enflammé de ton amour sainte Catherine [...] ; par son intercession accorde à ton peuple d’être uni au mystère du Christ... »
  • Parfois nous prions les saints : dans la dévotion populaire ou personnelle, dans les sanctuaires ou en privé, devant une représentation ou une relique de saint. L’Église reste prudente devant cette attitude qui risque d’occulter le Sauveur. Aussi évangélise-t-elle cette relation par la proclamation liturgique du mystère pascal en ces témoins qui ont souffert avec le Christ et sont glorifiés en Lui. Les saints sont les fleurons sur la vigne du Christ, les fruits de l’action de l’Esprit dans l’histoire.
  • Reste la question de leur exemple à imiter. Souvent, c’est impossible, surtout quand on se trouve devant des témoins exceptionnels. Mais tous les saints sont une illustration de l’Évangile : avec eux, c’est l’Évangile qu’il nous faut concrétiser. L’impact du pouvoir de saints Benoît, Cyrille, Catherine, Édith et les autres, dans l’espace public européen, ne pourra se réaliser que par la médiation de ceux qui « illustrent l’Évangile », partout où ils sont : à tous les échelons de la société européenne.
  • Les saints sont envoyés par Dieu dans l’histoire pour conduire notre histoire à Dieu. C’est pour cela que nous faisons appel à l’intercession des « saints patrons » à qui ce continent a été confié par l’Église. Dans ce patronage, proposé à l’initiative de fidèles et de pasteurs, l’Église reconnaît le murmure de l’Esprit Saint au cœur de notre histoire.
  • Mais si Dieu est pour toute l’humanité, pourquoi certains saints se voient-ils confier un pays, un continent ? Cette spécialisation, loin d’être une restriction, est l’expression de relations privilégiées avec les témoins que Dieu a suscités « chez nous ». Leur présence demeure « parmi nous » de multiples manières. Pour que cette alliance soit réciproque, véritable, il faut évidemment que cela passe par notre vie.

[1P. Brown, Le culte des saints. Son essor et sa fonction dans la chrétienté latine, Paris, Cerf, 1984, p. 116 s

[2Ils sont célébrés d’un bout à l’autre de l’année : aux solstices d’été (24 juin) et d’hiver (27 décembre).

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