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Logos et synodes

Olivier Caignet

N°2019-3 Juillet 2019

| P. 71-79 |

Sur un autre ton

Infographiste et photographe, l’auteur s’est intéressé aux nombreux et récents synodes diocésains par le biais inattendu de leurs logos. Selon lui, comparés à ceux des JMJ, ces essais de « rendre visible l’invisible » n’épuisent pas toute la richesse de la synodalité qu’ils permettent pourtant d’entrevoir.

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Les synodes diocésains produisent une quantité de documents permettant de découvrir ce qu’est la synodalité. Parmi ceux-ci, il en est peut-être un type actuellement moins analysé que les autres et qui pourtant est porteur de sens et de communication : le logotype.

Le logo, loin de se réduire à un signe aléatoire, a la charge de condenser de façon graphique et visuelle un ensemble de valeurs et de croyances partagées par les acteurs d’une organisation.

Notre démarche n’aura pas ici pour objectif d’analyser l’esthétisme de tels logos (bien qu’il entre parfois en ligne de compte), mais d’observer ce à quoi chacun d’eux fait référence dans sa forme puis par sa symbolique. Cela nous permettra de découvrir la façon dont chacun appréhende la notion de synodalité puis d’en dégager une éventuelle évolution.

Sélection

Nous avons collecté une sélection de 28 logos [1] (ou de leurs ébauches) de synodes français depuis 1988 ainsi que celui du seul synode belge, dans le diocèse de Tournai, en 2011. Afin de donner un repère visuel de l’époque, nous les avons, de plus, croisés avec les logos des Journées Mondiales de la Jeunesse (JMJ), depuis Compostelle jusqu’à Panama [2]. Cela signifie 42 logos produits par l’Église catholique. Ce travail de recensement n’est donc pas exhaustif et il serait intéressant de confronter tout autre logo aux caractéristiques dégagées ci-après.

Nous observons, au tournant des années 1990, une transition entre illustration, dessin à la main et création de logos. La démocratisation de la publication assistée par ordinateur avec l’arrivée de l’informatique domestique conditionne indéniablement l’histoire des logos [3] et, par conséquent, notre sélection. Il y a aussi une question d’archivage auquel ce support échappe comme bien d’autres éléments de « littérature grise ». Enfin, tous les synodes ne produisent pas de logo. Certains choisissent de travailler à partir d’une illustration, ou d’une icône, ou ne développent tout simplement pas de partie visuelle. C’est d’autant plus vrai que nous remontons le temps. Dans le cadre d’un travail historique, il serait intéressant de trouver le premier logo de synode. Une autre question, ici laissée en suspens, est de savoir s’il faut un logo pour chaque synode. En effet, face à une saturation de logos, cette tendance récente pourrait à nouveau s’inverser.

Analyse formelle

Il y a indéniablement un style de logo JMJ. Un tel logo est composé d’un assemblage de plusieurs éléments et d’idées. Il y a minimum trois couleurs, vives et proches des couleurs primaires utilisées en peinture (rouge, bleu, jaune). La partie typographique du logo ajoute un grand nombre d’informations, bien que, depuis Sydney, elle se limite à l’abréviation JMJ accompagnée de l’année et du lieu. Force est de constater que, à l’exception des JMJ qui ont fait de ce style une marque de fabrique, l’ensemble de ces caractéristiques ne permet pourtant pas de créer un logo aisément perceptible. Pour les JMJ, leur récurrence crée une attente chez les participants qui sont à l’affut du logo et se l’approprient rapidement. Avec les années, certains éléments se justifient donc ou se stabilisent. Ce n’est jusqu’à présent pas le cas pour les synodes diocésains.

Pour rester efficaces, les synodes ne peuvent donc pas se permettre de baser leur communication sur un logo qui nécessite une interprétation ou dont le code couleur est tellement vaste ou commun qu’il n’est pas identifiable. De plus, là où les JMJ réalisent un travail de création originale [4] à partir de formes simples, certains logos synodaux effectuent un « bricolage » au sens ou Claude Lévi-Strauss l’entend : une réalisation dont l’« univers instrumental est clos, et la règle de son enjeu est de toujours s’arranger avec les moyens du bord, c’est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d’outils et de matériaux, hétéroclites [5] ». Lors de cet assemblage, un logo sera de moins en moins lisible à mesure que les éléments individuels qui le composent se complexifient. Le logo de La Rochelle ① est un premier exemple d’un logo qui ne parvient pas à former une création originale unifiée. C’est une juxtaposition sans unité graphique de quatre groupes de personnes reliées par un cercle autour d’une carte. Nous trouvons la même dynamique pour le synode de Luçon, mais en outre il incorpore tel quel le blason de la Vendée, plaçant ainsi un logo dans un logo. De même, le logo du synode de Tournai ② mélange traits en pleins et déliés, tracés et couleurs en aplats. De plus, la courbe qui compose la colombe est une reprise d’un élément du logo du diocèse, mais l’allusion ne peut être comprise que par les initiés. Le synode de Lille-Arras-Cambrai (LAC) ③ assume ce « bricolage », ayant choisi de créer son logo essentiellement à partir des trois logos diocésains. Il reprend le bâtiment et les personnages du logo de Lille, la colombe d’Arras et le sillage de l’étoile de Cambrai. Si le bricolage est un mode de création parmi d’autres, la complexité des logos, elle, est un problème.

Ces difficultés de lisibilité de la partie iconographique des logos de synode sont souvent comblées par la tentation d’en mettre trop au niveau typographique. Ainsi, dans le cas le plus fourni, nous trouvons sur le logo le mot synode, le lieu, la date, le slogan voire même tout un verset biblique et enfin une mention de l’émetteur. Des logos que nous qualifierons de « génériques » se retrouvent dans la même situation. Eux aussi sont dans l’obligation de préciser leur objet, mais cette fois, pour pallier un manque plutôt qu’un problème de clarté. Il s’agit typiquement de logos esthétisants, mais qui n’apportent aucun élément repérable. Le « flux » du synode de Chalon en 2003 et la croix de celui de Versailles en 2010 ④ en sont deux exemples.

À côté des logos créés par assemblage, nous relevons plusieurs créations originales (au sens évoqué plus haut). Le logo du premier synode de Nanterre ⑤, celui du diocèse de Nice en 2007 et celui de Créteil en 2014 ⑥ ne sont interchangeables avec aucun autre synode. Le premier s’articule autour d’un élément architectural, le deuxième, d’un élément géographique, et le dernier, d’une composition artistique a priori connue dans le diocèse. Notons donc que la création d’une œuvre originale n’empêche en rien les références. Le logo de Nanterre ⑤, avec son arche, s’inspire clairement de l’œuvre de Folon pour styliser l’Esprit Saint. Cela permet de l’inscrire dans un lieu et dans un temps.

Enfin, plutôt que la création d’un logo, certains diocèses ont imaginé une autre solution, à savoir mentionner le synode sur leur logo diocésain. Le résultat peut être plus ou moins sobre en fonction de l’option choisie. Le diocèse d’Autun ⑦ a opté pour l’ajout de la baseline « synode diocésain », alors que le diocèse du Mans en 2018 ⑰ a choisi d’y apposer un cachet. Le diocèse de Besançon ⑧ a pris une voie intermédiaire en se basant sur la charte graphique et un élément de son logo diocésain pour créer celui du synode. Si le diocèse de Bordeaux a fait le choix en 1991 ⑨ de se baser sur son logo, en 2018 ⑩ il s’agit plutôt de deux logos rendus indissociables. Notons justement que le logo du diocèse de Bordeaux a une longévité remarquable, car un synode est aussi l’occasion de changer de logo diocésain. Celui qui le souhaite pourra se lancer dans l’analyse d’une possible corrélation entre synode et changement d’identité visuelle diocésaine.

Analyse symbolique

Quand nous observons les logos des JMJ, tous, à l’exception de celui de Compostelle, contiennent une croix. C’est, il faut le souligner, un des symboles forts des JMJ. Nous l’avons retrouvée dans vingt-et-un des vingt-neuf logos synodaux. Néanmoins, quand la croix est présente, elle semble de moins en moins matérialisée avec les années. Si nous observons de plus près les 14 logos référencés depuis 2010, six croix sur dix sont réalisées en pochoir ④ ⑦ ⑩ ⑪ ⑫ ⑰ et une autre n’est pas tangible ⑬. Les trois logos restants emploient, l’un la croix-colombe de Taizé ⑭, l’autre la proue d’une barque ② et le troisième, un élément porté par un personnage ⑮.

Un autre élément récurrent, visible dans dix logos synodaux, est la colombe ou de manière plus générale, une référence à l’Esprit Saint. La colombe est l’élément central des logos du Mans 1988 ⑯ et de Nanterre 1990 ⑤. Cela ne se produit plus dans les logos suivants. Par après, l’Esprit Saint est davantage le souffle, l’élan qui entraîne ou influence d’autres éléments du logo. Cette logique est poussée au maximum avec le diocèse du Mans en 2018 ⑰. Comme nous l’avons vu, le logo du synode est identique à celui du diocèse et le cachet ajouté représente une colombe.

Le thème du chemin apparaît à partir des logos du début des années 2000 et prend des formes variées. Il peut être carrefour, flux, cours d’eau, peuple en marche, mise en route... Le « S » de synode est une accroche récurrente pour évoquer cette idée. Soulignons néanmoins une grande différence de signification entre ce que représente un carrefour, lieu de rassemblement et un chemin parcouru. Ces deux déplacements renvoient à des conceptions différentes de la synodalité.

Ce qui est dit de la synodalité

Le pape François a souligné que le chemin de la synodalité est celui que Dieu attend de l’Église du troisième millénaire [6]. Mais est-ce pour autant que la synodalité soit un chemin ? Visuellement comme dans la pratique, nous percevons que la synodalité est encore de l’ordre du processus ou de la mise en route. Néanmoins, ne peut-on pas espérer atteindre un état ecclésial synodal ? Étymologiquement, un synode invite à « se rassembler sur le seuil ». Il est donc autant un point de convergence qu’un point de départ. En cela, les logos qui représentent des carrefours disent quelque chose du rassemblement sans parvenir à montrer de quoi ils sont le seuil. L’accent est mis sur la convergence, le regroupement de personnes ou d’individualités. La dimension ecclésiale y est par conséquent difficilement visible. En effet, la maxime « le tout est plus que la somme des éléments séparés » vaut aussi pour les membres de l’Église. Comment dès lors traduire le tout qui les rassemble et les dépasse, la notion de communion ? Le logo du synode d’Amiens ⑮ parvient toutefois à respecter le sens du rassemblement tout en gardant l’idée d’Église. Nous y voyons un groupe qui, s’étant rassemblé, vraisemblablement autour du Christ, cherche son chemin. Le logo du synode de La Rochelle ① malgré son incohérence graphique met aussi en image un rassemblement qui permet de faire Église. Les personnages forment une croix. Il ajoute de plus une spécificité locale en représentant les contours géographiques du diocèse. En ce qui concerne les diocèses qui ont fait le choix de la reprise de leur logo, s’ils montrent l’Église, ils omettent de monter un extérieur. Il ne s’agit donc pas non plus d’un seuil.

Partant de la prière de l’Adsumus, une invocation à l’Esprit Saint en vue d’un synode, certains logos représentent un synode comme une relation particulière à l’Esprit Saint. Cette représentation est partagée par le pape François :

Une Église synodale est une Église de l’écoute, avec la conscience qu’écouter est plus qu’entendre. C’est une écoute réciproque dans laquelle chacun a quelque chose à apprendre. Le peuple fidèle, le Collège épiscopal, l’Évêque de Rome, chacun à l’écoute des autres ; et tous à l’écoute de l’Esprit Saint.

C’est le cas pour les deux logos du Mans ⑯ ⑰ et celui de Nanterre ⑤ auxquels nous pouvons joindre ceux de Nice ⑱, Tournai ② et Meaux ⑭. Le premier logo du Mans ⑯ représente une colombe qui, par étapes successives, change de sens. Peut-on dire qu’elle effectue une conversion ?

Dans la définition visuelle de ce qu’est un synode, nous pouvons nous demander si certains de ces logos ne correspondent pas davantage à différentes représentations de l’Église. Nous trouvons des peuples en chemin, deux ou trois personnes avec l’Esprit, une personne dans les bras du Christ ou encore des embarcations. Au-delà du caractère discutable de certaines représentations, faire synode et faire Église n’est a priori pas identique. On fait synode pour faire Église. Ajoutons à cela que faire Église peut prendre des colorations différentes en fonction des lieux. Peut-on dès lors imaginer un logo synodal générique ou faudrait-il que le logo synodal fasse au moins allusion à son lieu d’ancrage ?

Vers quelle synodalité ?

Sans doute en raison de leurs moyens techniques plus restreints, les créateurs des cinq premiers logos ont proposé des représentations plus élémentaires. Elles ne sont pas pour autant moins justes ou dépourvues de signification. Au contraire, il en ressort une certaine accessibilité. Et il y a là un enjeu de taille. Après les années 2000, nous observons un glissement de sens récurrent vers l’idée du chemin et qui se traduit par des logos complexes. Chacun tente de s’approprier la notion de synode et dessine de ce fait les contours d’une Église synodale. Si nous n’avons pas jugé de l’aspect esthétique de ces logos, soulignons néanmoins qu’il y a une « grammaire visuelle » à respecter sous peine de ne pas être vu ou compris. Nous le disions, l’Église doit rester accessible, compréhensible. Les logos synodaux, contrairement à ceux des JMJ, ne peuvent pas se permettre d’avoir besoin d’une mystagogie, sous peine de faire de la synodalité un processus clos. Aussi, à la différence d’une marque, sans doute ne doivent-ils pas tenter d’être intemporels ou non localisés. Comme en témoignent les logos qui sont une modification temporaire d’un logo diocésain, la synodalité n’est pas un état permanent de ces Églises locales. Elle se vit lors d’événements particuliers. C’est encore plus évident avec la création de logos occasionnels. L’Église tout entière n’est pas encore synodale. Cependant, le diocèse du Mans ⑰ est maintenant visuellement prêt à multiplier ses démarches synodales. Il lui suffit de changer l’année du synode et peut-être un jour le cachet de la colombe restera-t-il définitivement fixé au logo du diocèse.

*

L’exercice périlleux de la conceptualisation d’un logo est de rendre visible l’invisible. Marques, valeurs et sentiments sont immatériels. De même, la synodalité est un concept théologique qui demande à être vécu, affiné, approfondi. L’écueil que démontrent les logos actuels est sans doute de vouloir représenter trop précisément ce qu’est la synodalité au risque de l’enfermer dans une compréhension souvent réductrice. La plupart de ces logos fonctionnent dès lors plus comme des illustrations, peinant à saisir la substance. Néanmoins leur ensemble peut, en fin de compte, nous rapprocher d’une représentation du Royaume. Nous sommes cependant loin d’une saturation des données. Sur ce chemin de l’Église du troisième millénaire, plusieurs thèmes synodaux restent à explorer de manière graphique : l’écoute, la place de la Bible, la gouvernance, le rôle de l’évêque, la sacramentalité... Même si les synodes se cherchent encore, notamment visuellement, leur multiplication est une bonne nouvelle.

[1Le Mans 1988, Bourges 1990, Nanterre 1990, Bordeaux 1991, Marseille 1991, Paris 1993, La Rochelle 2001, Quimper 2001, Chalon 2003, Carcassonne 2005, Luçon 2005, Versailles 2004, Nice 2007, Verdun 2008, Rouen 2009, Versailles 2010, Saint-Flour 2011, LAC 2013, Créteil 2014, Rodez 2015, Autun 2015, Bordeaux 2016, Saint-Brieuc 2015, Poitiers 2015, Amiens 2017, Besançon 2018, Meaux 2018, Mans 2018.

[2Ces visuels ne sont pas présents dans l’article (NDLR).

[3J.-M. Floch, Identités visuelles, Paris, PUF, 2006, p. 56-58.

[4Le mot « original » est ici à comprendre dans le sens « qui émane directement de son auteur ou de sa source », synonyme de « initial », plutôt que « qui se distingue du commun, qui sort de l’ordinaire », exceptionnel, spécial.

[5C. Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Paris, Plon, 1960, p. 27.

[6François, Commémoration du 50e anniversaire de l’institution du synode des évêques, Rome, 2015, en ligne sur le site internet du Vatican : w2.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2015/october/documents/papafrancesco_20151017_50-anniversario-sinodo.html.

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