Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Chronique sur la Vie consacrée

« Réjouissons-nous »

Noëlle Hausman, s.c.m.

N°2015-1 Janvier 2015

| P. 64-72 |

Dans les ouvrages portant sur la vie consacrée reçus depuis une année, nous avons retenu les publications suivantes. Nous présenterons d’abord quelques figures typiques d’engagements divers (I), puis des recherches sur certains points de la théologie (II), quelques ouvrages plus historiques (III) et finalement, des travaux relevant d’autres vocations ou questions ecclésiales (IV).

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Dans les ouvrages portant sur la vie consacrée reçus depuis une année, nous avons retenu les publications suivantes. Nous présenterons d’abord quelques figures typiques d’engagements divers (I), puis des recherches sur certains points de la théologie (II), quelques ouvrages plus historiques (III) et finalement, des travaux relevant d’autres vocations ou questions ecclésiales (IV).

I. Des visages

Comment une sœur converse, excellente cuisinière et infirmière compétente, mais illettrée, put-elle devenir secrétaire, compagne et confidente de l’illustre Madre d’Avila, qui mourut entre ses bras [1] ? Comment, ensuite, apprit-elle à « vivre de Thérèse sans voir Thérèse », des années durant ? Comment fut-elle de l’expédition qui devait fonder le Carmel en France, puis en Belgique, ce qui lui imposa de renoncer à sa vocation de converse pour devenir prieure de nouvelles fondations, à Pontoise, Paris et Tours, puis à Anvers où elle mourut, vénérée pour sa délivrance de la ville, parmi tant de bienfaits ? Comment surtout « ce maillon essentiel de la transmission de l’œuvre thérésienne » – selon la préface du P. Marie-Laurent Huet – dut-elle attendre cet ouvrage, rehaussé d’un cahier central d’illustrations et parsemé de vignettes, pour trouver une biographie digne de ce nom ? Passionnante de bout en bout, la vie de la bienheureuse Anne de Saint-Barthélemy (à ne pas confondre avec l’autre compagne de Thérèse, Anne de Jésus) retrace le portrait d’une époque autant que l’aventure intérieure d’une mystique de la vie quotidienne dont le magistère spirituel pourrait enfin être mieux connu.

Voici à présent attachante « autobiographie » de la fondatrice d’une forme de vie chrétienne capable de prendre en charge des personnes toxicodépendantes, avec les moyens de l’Évangile et du bon sens le plus cordial [2]. Cette communauté est désormais reconnue par le Conseil pontifical pour les Laïcs en tant qu’association privée internationale de fidèles. Il n’en reste pas moins qu’encore une fois, une religieuse appartenant de longue date à un institut des plus classiques (ici, les Sœurs de la Charité de sainte Jeanne-Antide Thouret) doit quitter la congrégation (29) pour répondre à une inspiration qui finira par rejoindre (mais encore de l’extérieur) ses anciennes sœurs ; et cette personne charismatique va agréger autour d’elle non seulement les laïcs capables d’animer son œuvre (aujourd’hui présente en 18 pays), mais aussi des jeunes consacrés, hommes et femmes, tous missionnaires du Ressuscité. L’étreinte interminable de Dieu (pour reprendre l’image préférée par sœur Elvira, 124) ne pouvait-elle s’exprimer du dedans de la vie religieuse ? Sans doute l’originalité du personnage, et l’audace de ses pratiques (eucharistiques notamment, 63) pouvaient-elles déranger ; mais n’y avait-il pas de continuité possible de l’ancien au nouveau vin ?

« Certains critères qui prévalent dans la façon de gouverner l’Église ne sont pas évangéliques : ce sont des critères de pouvoir ou des règles de palais » (135) ; « La réforme de la Curie romaine se jouera beaucoup sur cette collégialité qui doit être bien mise en relief, à travers la figure du pape et à travers nous, évêques, qui travaillons au sein de la Curie, mais aussi dans le monde » (189). Le préfet de la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique nous est présenté, dans cette excellente biographie [3], dans tous les aspects attachants et maintenant bien connus de sa personne (l’embuscade de ses 36 ans, ses sentiments d’un temps pour une femme mariée qui ne l’a jamais su, sa passion pour les plus petits), mais aussi, de sa pensée. Ainsi, pour lui, l’évêque n’est pas l’époux de l’Église, mais l’ami de l’Époux, qui doit se tenir à ses côtés (124) ; s’il n’est pas religieux, ce proche des Focolari, qui a dû déjà affronter quelques crises dans son dicastère (dont celle des religieuses américaines, Cf. 165) urge l’établissement dans chaque diocèse d’un vicaire épiscopal disponible à la vie consacrée, et l’établissement d’une commission mixte permanente pour que toutes les questions soient envisagées entre religieux et instances épiscopales (149) ; il répugne à la confusion des rôles, quand le très nécessaire directeur spirituel s’érige en psychologue (155) ; devant les dérives de plusieurs nouveaux groupements, il entend séparer le charisme de la communauté du comportement erroné du fondateur… Une trajectoire de lumière et des idées miraculeusement jeunes, dans un contexte qui n’y portait pas particulièrement. Réjouissons-nous !

C’est certes une vie romancée que nous offre la bibliothécaire qui eut le bonheur de découvrir les souvenirs écrits et photographiés d’une jeune valaisane (sa tante) devenue, un siècle auparavant, Fille de la Charité, d’abord à Paris, puis en Turquie, où, on s’en doute, le costume des Filles de Vincent de Paul faisait sensation [4]. Un journal des années 1914 à 1920 est heureusement retravaillé et annoté, mais c’est sa protagoniste, rejointe par les troubles politiques de l’époque, la vraie vedette de l’ouvrage ; la Légion d’honneur lui fut d’ailleurs conférée pour sa bravoure à sauver des milliers de vies. On aimera ce récit, et tout ce qu’il réveille d’audace dans nos âmes engourdies…

Un bel album [5], richement illustré, rappelle en quelques pages l’itinéraire de Magdeleine Hutin, qui fonda, dans l’ombre de Charles de Foucauld, les Petites Sœurs de Jésus – une forme de vie religieuse très neuve à l’époque, visage d’une Église fraternelle, laborieuse et pauvre. Itinéraire immense, souvent heurté, comme l’attestent les citations choisies ; des prières et une excellente bibliographie ferment le recueil, dont les images nous habiteront encore longtemps.

II. Recherches théologiques

Si l’on devait suivre l’auteur [6], bénédictin belge et tenant de la « théologie andine », fondateur d’une petite communauté monastique de moines et de laïques au Pérou, la théologie de la vie consacrée est sur une voie sans issue, et c’est une bonne nouvelle d’avoir à nous défaire de tout ce qui nous précède – l’ouvrage ne compte d’ailleurs qu’une trentaine de notes, dont cinq aux études antérieures du théologien. Avec l’important chapitre VIII, on peut entendre les vœux comme une subversion affective et socio-politique, et accepter que la vie religieuse ait à traverser quatre grandes Pâques, pour passer du nomadisme au pèlerinage, et vivre sous la tente. Avec le IXe et dernier chapitre, on peut accueillir les nouveaux scénarios que représentent la création d’un langage symbolique, une vie communautaire plus crédible, une formation « à la carte », bref, un rapport au monde qui ne trahirait plus le charisme de la vie religieuse en cessant de garantir les valeurs de continuité plutôt que le changement. Tout est donc, à refaire, à partir de Dieu et des pauvres, pour retrouver « l’état de Parousie » que la vie des vœux, à commencer par la chasteté, n’informe plus aujourd’hui. Une mise en cause qui se veut radicale, mais n’arrive pas à convaincre de ses fondements « mystiques », cachés par une analyse coupée de toute racine.

On ne sait pourquoi la première partie de l’ouvrage suivant [7] (sa moitié, en fait) est si mal écrite, si marquée par les fautes ou les approximations (p. 55, il faut lire Lumen gentium et non pas Gaudium et spes ; p. 90, à la note 71, c’est Jacques et non pas Jean Dupont qu’il fallait citer), voire les « erreurs d’orthographe » (p. 108, si on veut écrire logoi spermatikoi, il ne faut pas massacrer la translittération, ni d’ailleurs un certain nombre de noms propres). Et cependant, la deuxième partie vaut le détour. Étant entendu que « les consacrés africains doivent être de vrais consacrés tout en étant de vrais Africains » (117), la « pagano modernité » – un concept fécond, propre à l’auteur (129) – peut être discernée comme renversement des conseils évangéliques : « la débrouillardise comme mode de fonctionnement…, l’exposition massive de la sexualité dans l’imaginaire social et l’effritement de l’autorité ou mieux, la naissance de nouvelles formes d’autorité basées sur la violence » (145-6 ; cf. 192). Les NTIC (nouvelles techniques d’information et de communication) peuvent, elles aussi, constituer un vrai risque pour la vie intérieure (153). On sait mieux aujourd’hui que « les comportements hérités des cultures traditionnelles, notamment la compétition négative (entre les individus) ne sont pas porteurs de progrès » (211). Mais les procédures capitulaires pourraient trouver dans la palabre africaine un lieu d’inculturation, comme la chasteté se trouver affermie par les formes traditionnelles d’amitié filles-garçons (sur la chasteté, il faudrait citer toutes les pages 217 à 237, très précieuses). Un deuxième tome est annoncé, sur la dimension prophétique de la vie consacrée et son implication dans la nouvelle évangélisation. Nous l’attendons avec le plus grand intérêt.

Le recueil de conférences et d’interventions de l’actuel père abbé de la Trappe de Chimay-Scourmont [8] couvre trois périodes : l’immédiat après-Concile au Canada, les années d’un premier séjour en Belgique, le temps présent d’un nouveau service au cœur de l’Union européenne. C’est bien « un fils de Vatican II » qui évoque, au moment du Concile, le souffle évangélisateur et prophétique de la vie monastique ; plus tard, le temps du dépouillement et de l’immersion dans un monde pluraliste ; enfin, l’Abbé proche de l’enquête sur les moines de Tibhirine s’interroge sur le souffle qui anime aujourd’hui les religieux. Il ne manquera pas de finir en confessant, à la suite du Pape François, que « l’avenir est aux périphéries et à la joie ». Plus précisément, la vie monastique s’entend d’abord comme écoute de la Parole plutôt que ministère ; et le rôle prophétique des religieux impose aujourd’hui qu’ils soient présents dans tous les grands projets collectifs qui s’élaborent autour d’eux (Première partie). « Première et la plus réussie de toutes les formes d’inculturation », la vie religieuse connaît actuellement une indigence qui va jusqu’à l’absence de théologie renouvelée de cette forme de vie (71), alors même que d’autres chrétiens désirent incarner pour leur part ce qu’ils ont découvert dans la spiritualité des communautés – car le charisme fondamental est de répondre à un appel d’amour, dans une vie de communion (77-82). La formation monastique visera donc à apprendre à vivre en Église cette réalité divine par excellence, avec toutes les dimensions d’un monde richement pluraliste (90), tout en revenant (104) à une façon de lire l’Écriture et les Pères autre que celle de l’exégèse scientifique moderne (Deuxième partie). Témoins de la communion ecclésiale devant les divisions, les moines sont tous appelés à incarner leur amour de Dieu dans un dialogue sans frontières, et ils proposent des expressions séculaires de formes de collégialité toujours disponibles pour l’Église de notre temps (139) – étant à la périphérie aussi bien de l’institution ecclésiale que de la société (Troisième partie et Conclusion). Ainsi, l’avenir de la vie monastique repose, comme son existence, dans cette prière continuelle et cette communion ecclésiale qui permettent au Verbe de pénétrer tout le cosmos pour le rendre à la vie.

Après ses ouvrages déjà bien connus sur la formation, le père A. Cencini développe ici [9] un certain nombre de thèses percutantes, à partir de cet aphorisme que « la formation permanente n’est pas ce qui vient après, mais ce qui vient avant » ; or, « la formation permanente n’est pas seulement une question pédagogique, mais c’est surtout une question théologique » (30-31). À propos de la visée de la formation, il écrit ces lignes substantielles, qu’il faut méditer longuement : « Le prêtre ou le consacré doit bénéficier d’une pédagogie qui lui permette d’affronter, avec une certaine autonomie, les différentes étapes de l’existence, dans une approche constructive et non défensive, adulte et non infantile, créatrice, confiante, réaliste, plutôt que répétitive, craintive ou contaminée par des attentes irréalistes. Cette approche suppose un chemin d’éducation (avant même que de formation) qui permet de se connaître et de se lire en profondeur, de découvrir ce qui fait obstacle à l’élan vers Dieu et ce qui replie sur soi-même, de reconnaître cette distorsion qui fait voir partout des ennemis ou qui crée des tensions inutiles, qui rend dépendant des autres ou de résultats positifs, au point d’être incapable de se réjouir de ce qu’on vit. Une telle éducation ne résout pas par enchantement tous les problèmes de la vie. Simplement, cette connaissance de soi, quand elle devient exercice quotidien, permet de découvrir la raison de certains états d’âme et de mieux les gérer. Elle permet de ne pas ajouter aux problèmes extérieurs les problèmes internes et personnels, et de ne pas percevoir la réalité, déjà pleine de complications, d’une manière déformée à cause de nos problématiques personnelles » (37-38). Il faut donc établir « une culture de la formation permanente », ce qui signifie d’abord créer une mentalité (décrite en 13 thèses), puis une sensibilité (à commencer par la « docibilité », objectif de la formation initiale) et une praxis (dans la formation « extraordinaire » aussi bien que dans la formation « ordinaire » si complémentaires). Finalement, « il devrait naître aujourd’hui – à l’instar de ce qui advient de la formation cléricale après le Concile de Trente - quelque chose de neuf, pour répondre au problème actuel des prêtres et des religieux », en vue de rendre la formation (de toute la personne) vraiment permanente (112). « Un enjeu absolument central pour l’Église » en effet, qui ne peut se satisfaire de « répétiteurs fatigués » (114).

Un programme exemplaire nous vient d’Australie [10], à propos de la formation de jeunes religieux à partir de leur règle primitive. Présenté modestement comme un outil éducatif, l’ouvrage commente son modèle, la Règle de saint Benoît, en partant du Prologue, puis en regroupant les thèmes : l’obéissance, l’abbé, la patience…. Chaque chapitre offre une bibliographie particulière « pour aller plus loin », et même un « devoir » qui permet de poursuivre la réflexion. Une très belle réussite, pour introduire de manière fondée à une école de vie solidement ancrée dans les Écritures et la tradition.

C’est un spécialiste laïc du droit du patrimoine économique et financier qui fait ici le point, pour la France, de l’administration des biens d’Église (dont font partie les biens des instituts de vie consacrée) et de leur fiscalité [11]. L’ouvrage est très technique, mais il contient des pages sur le transfert et l’aliénation des biens meubles ou immeubles, le statut des reliques, les offrandes, donations et legs, ou le détournement de fonds, qu’il ne faudrait pas manquer de considérer de très près, si l’on veut incarner au civil les exigences de la pauvreté évangélique.

Dans la série des Abrégés et autres Compendiums, il fallait s’attendre à ce qu’un Vade mecum nous atteigne un jour, nous aussi. Celui-ci [12] renvoie heureusement dès l’abord aux Notes canoniques récemment publiées par le CORREF (voir notre chronique de la vie consacrée, in Vs Cs 2014-1, p. 75-76). La table des canons cités et surtout l’index analytique en font un instrument de travail intéressant, surtout pour la vie religieuse, qui s’y taille la part du lion. Cependant, on ne peut s’enthousiasmer de quelques approximations (voir « L’institut religieux de vie consacrée est en même temps une association de fidèles », 35 ; ou la dépendance des religieux du collège épiscopal au travers de leur obéissance au Pape, 252), d’un chapitre entier sur l’apostolat des instituts qui nous paraît, sauf meilleur jugement, totalement dépassé, d’une prise de position trop marquée en faveur du droit des supérieurs (Annexe, 407 s.) ; bref, un ouvrage utile, si on s’en sert avec précautions.

III. Histoire

Presque cinq siècles d’existence, retracée en moins de deux cents petites pages… [13]. Et cependant, les quatre parties de cette évocation partent bien du temps des fondations, puis du premier siècle, jusqu’à l’époque moderne et postmoderne, en ne manquant pas ce « temps de consolidation, de polémiques et de désastre » que furent, pour la Compagnie de Jésus, les XVIIe et XVIIIe siècles. L’auteur n’hésite pas à souligner des aspects peu connus de cette histoire immense, comme le fait que les premiers jésuites furent aussi ministres de la Parole biblique (31) et qu’à leurs dires, les femmes interprètes des pénitents au Brésil, « confessent mieux » que le prêtre (38) ; ainsi « aucune attaque ne les meurtrira ni ne les consternera davantage ni ne présagera plus de difficultés pour l’avenir que leur condamnation par la Faculté de théologie de l’Université de Paris » (40). On savait que la prospérité de la Compagnie « ne parut nulle part ailleurs aussi éclatante que dans les Pays-Bas méridionaux », c’est-à-dire en Belgique (63), pays des Bollandistes, mais aussi de la Nouvelle revue théologique, curieusement omise du recensement des publications les plus renommées. Dans l’épilogue, tourné vers l’avenir, les transformations subies ou voulues par la Compagnie sont opportunément synthétisées, sous quatre moments fondateurs : la reconnaissance initiale, l’engagement de la Compagnie dans le monde scolaire déjà vers 1550, la suppression de 1773 avec la restauration de 1814, enfin (proposition audacieuse), la 31e Congrégation Générale de 1965-66, à la fin du Concile. Les historiens, nous dit leur très chevronné collègue, abordent les jésuites, depuis une vingtaine d’années seulement, de façon plus impartiale (8) ; un « événement quasi sismique » en effet.

La traversée d’un siècle d’histoire d’une même congrégation [14], via les récits d’époque (le sanatorium de Zuydcoote sous les bombes de 1940, quel morceau d’anthologie !), est finement commentée par l’actuelle supérieure générale, en dialogue avec sa fondatrice. Illustrés de plusieurs photos d’époque, disposés selon les trois vertus théologales, les épisodes autour des lois de 1902 (croire), puis de la Première Guerre (espérer) et de la seconde (aimer) aboutissent dans « la fraternité jusqu’au bout » d’aujourd’hui. Ces histoires vraies, ainsi relues théologalement montrent certes comment l’institut est passé de l’offrande du jeudi saint à l’espérance du grand et saint samedi, puis au souffle de la Pentecôte. Une expérience de la croix qui a conduit l’institut – un fait très inspirant – au projet de rester sur le terrain le plus longtemps possible, plutôt que de recomposer des communautés – et cela, quitte à déplacer tout un groupe plus handicapé dans une maison mieux équipée de la même commune, de manière à maintenir au maximum les liens sociaux (114). Ainsi, « la congrégation quitte le lieu avec les funérailles de la dernière sœur sur place. Il n’y a pas de merci. C’est fini. Pas de fête. Pas de cadeaux… Mystère d’une vie cachée, enfouie dans la terre. Mystère du silence d’un samedi saint » (115).

Finissons par un autre livre d’histoire [15], avec ses illustrations d’époque, ses listes des professes, son glossaire et sa bibliographie. Un ordre religieux disparu peut-il encore parler aujourd’hui, alors même que cette fondation « a suivi un schéma commun à beaucoup de maisons religieuses qui, au XVIIe siècle appelé le siècle des saints, se sont établies en divers lieux, et particulièrement à Paris » (331) ? Et pourtant, nous voici passionnés par cette chronique intégrale qui va de la fondation à l’expulsion révolutionnaire et au-delà, et décrit par le menu la population, les étapes de l’intégration étendue sur des dizaines d’années (de novice à dévote sœur, puis à vénérable mère, au moins pour les sœurs de chœur), la maladie, la mort, l’enterrement, mais aussi, la vie spirituelle, la société ambiante (la cour, la bourgeoisie judiciaire montante), les laïques participant à la vie du monastère (issues d’un même petit noyau de familles), la vie économique (qui contribua à la chute), et jusqu’à l’extinction de 1903 – une crise anticléricale à laquelle le monastère ne put résister, en raison de la disparition de sa classe sociale, mais aussi, de choix trop tardifs au plan du recrutement. Une leçon d’histoire, disions-nous, dont voici la dernière phrase : « De la cohabitation entre le monde de la parole des parlementaires, avocats, procureurs, juges et celui du silence des moniales, qui a connu une certaine osmose pendant 176 ans, le silence l’a emporté sur cette terre ».

IV. Église

Ce nouveau Directoire [16] met à jour celui de 1973, pour tenir compte de documents et des évolutions qui ont eu cours dans l’intervalle. La section dédiée à « la vie consacrée et les sociétés de vie apostolique » s’inscrit dans le chapitre réservé au pouvoir de gouvernement, où elle tient en une quinzaine de pages, d’ailleurs fort convenues ; on soulignera cependant l’intérêt d’avoir situé ces formes de vie dans la « communauté diocésaine », mais on passera rapidement sur l’incongruité du paragraphe réservé aux « femmes consacrées », où il est question d’une formation soignée à recevoir… des aumôniers et autres confesseurs – sommes-nous tous au XXIe siècle ?

Cinquante mille femmes ont-elles exercé le ministère diaconal [17], essentiellement en Orient, comme le disent « les experts » évoqués par l’auteur, lui-même diacre permanent ? Toujours est-il qu’une cinquantaine de notices donnent, dans un dernier chapitre, les noms de certaines de ces femmes de Dieu, qu’elles relèvent des plus beaux temps du développement du « diaconat féminin » durant les cinq premiers siècles, ou du déclin des VIe - IXe siècle (qu’on attribue ailleurs, classiquement, plus qu’à l’impureté féminine, à l’émergence de la vie religieuse), ou de cette longue période, du XIIe à la mi-XXe siècle, où l’Église vécut une « diaconie sans diaconat » ; le chapitre daté « XXe-XXIe siècle », temps d’un diaconat masculin nouveau au « profil flou », pose bien entendu la question du rétablissement d’un diaconat féminin, en recourant à une présentation brève des diaconesses dans les autres églises chrétiennes (orthodoxes, arméniennes, anglicanes, réformées) – sans éclaircir la question de savoir, même en recourant aux documents romains récents, si l’on se trouve ainsi devant une imposition des mains ou plutôt une consécration. Un tableau des diaconesses honorées par le calendrier de l’Église orthodoxe et une bonne bibliographie succincte achèvent un parcours décidément fort rapide.

Nous aurions voulu vous présenter encore un livre fervent, écrit par un laïc sur une nouvelle fondation religieuse [18], mais l’ouvrage n’a pas pu atteindre les rives européennes ; il fallait néanmoins attirer l’attention des lecteurs, pour finir, sur le fait de plus en plus courant qu’une meilleure intelligence de nos vies consacrées nous est souvent offerte par des chrétiens d’autres états de vie, et c’est encore une source de joie.

[1Yuste B. et Rivas-Caballero S. L., Anne de Saint-Barthélemy. Compagne et infirmière de Thérèse d’Avila. Fondatrice du Carmel en France et en Belgique (1549-1626), Toulouse, Éditions du Carmel, 2014, 15 × 20 cm, 224 p., 13 €.

[2Sœur Elvira, la sœur des drogués, L’étreinte. Histoire de la Communauté du Cenacolo, Propos recueillis par M. Casella, éditions des Béatitudes, Nouan-le-Fuzelier, 2014, 13,5 × 21 cm, 144 p., 12,5 €.

[3Braz de Aviz J. (Card.), Un homme d’aplomb. Entretiens avec A. Galindo et M. Zanzucchi, Nouvelle Cité, Bruyères-le-Châtel, 2014, 15 × 22 cm, 240 p., 19 €.

[4Glutz-Ruedin Br., Hirondelle d’Allah. Une cornette en mission au pays des sultans ; contient un Journal de guerre 1914-1918, Saint-Maurice (Suisse), Saint-Augustin 2014, 14 × 21 cm, 336 p., 22 €.

[5Petite sœur Michèle de Jésus, Petite Sœur Magdeleine de Jésus. Une femme aux périphéries, Spiritualité, Bruyères-le-Châtel, Nouvelle Cité, 2014, 19 × 19 cm, 72 p., 12 €.

[6Arnold S.-P., Où allons-nous ? Une théologie de la vie consacrée pour un temps de crise et d’espérance, Montréal, Éditions Paulines, 2014, 14 × 21 cm, 216 p., 31,95 $ Ca.

[7Sombel Sarr B., Théologie de la vie consacrée. Questions d’inculturation, Croire et savoir, Paris, L’Harmattan, 2014, 13,5 × 21,5, 270 p., 27 €.

[8Veilleux A., Les moines ont-ils un avenir ? (Petite bibliothèque monastique), Paris, Salvator, 2014, 13 × 20 cm, 144 p., 14,9 €

[9Cencini A., La formation permanente… Y croyons-nous vraiment ? Préface de Mgr F. Lambiasi (coll. La part-Dieu, 25), Bruxelles, Lessius, 2014, 14,5 × 20,5 cm, 128 p., 14 €.

[10Casey M. et Tomlins D., Introduction à la règle de saint Benoît. Programme de formation, La tradition, Source vive 3, Bégrolles-en-Mauges, Éditions de l’Abbaye de Bellefontaine, 2013, 13,5 × 21 cm, 352 p., 20 €.

[11Serée de Roch L., Administration et fiscalité des biens d’Église, Canonica, Perpignan, Artège, 2012, 13,5 × 21,5, 578 p., 25 €.

[12Le Tourneau M. Mgr, Vade mecum de la Vie consacrée, Flavigny-sur-Ozerain, Traditions monastiques, 2014, 14 × 22 cm, 464 p., 35 €.

[13O’Malley J.W., Une histoire des Jésuites. D’Ignace de Loyola à nos jours (Petite bibliothèque des jésuites), Lessius, 2014, x cm, 172 p., 12 €.

[14Duez-luchez E., Il suffit de quelques justes. Des religieuses dans les drames du XXe siècle (1905-1940), préface du Fr. Jean-Pierre Longeat, postface de Mgr L. Ulrich, Paris, Salvator, 2014, 14 × 21 cm, 224 p., 20 €.

[15Sabourdin-Perrin D., Les dames de Sainte-Elisabeth. Un couvent dans le Marais (1616-1792), Préface de l’abbé X. Snoëck (coll. Histoire de Paris), L’Harmattan, Paris, 2014, 15,5 × 24 cm, 380 p., 38 €.

[16Congrégation pour les évêques, Directoire pastoral pour le ministère des évêques, Perpignan, Artège, 2013, 12,5 × 18 cm, 420 p., 24 €.

[17Dessaucy J., Les diaconesses, coll. Que penser de ?, 82, Namur, Fidélité, 2013, 12 × 19 cm, 112 p., 10 €.

[18O’Neill M., L’épopée des Petits Frères de la Croix. Histoire d’une nouvelle communauté monastique québécoise dans l’église catholique d’aujourd’hui, Presses de l’Université de Laval, 2014.

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