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La mission et les missions à Vatican II

Le décret Ad gentes sur les missions

Noëlle Hausman, s.c.m.

N°2013-2 Avril 2013

| P. 95-106 |

Souvent demeuré dans l’ombre, le décret Ad gentes du Concile Vatican II sur la mission évangélisatrice de l’Église peut être aujourd’hui entendu dans toute sa vigueur : l’Église est envoyée par Dieu aux nations parce qu’elle tire son origine de la mission du Fils et du Saint Esprit. Tous les chrétiens seront donc missionnaires, en ce compris les instituts religieux, dont le décret souligne l’irremplaçable contribution.

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Promulgué la veille de la clôture du Concile, le décret Ad gentes (= AG) tire de Lumen gentium ses « principes doctrinaux » ; il cite beaucoup la Constitution sur l’Église (53 fois) dont il reprend le mouvement initial : le dessein du Père (AG 2), c’est d’envoyer, comme le Fils (AG 3) et le Saint Esprit (AG 4), l’Église à toutes les nations (AG 5-6) – on croit réentendre les numéros 2 à 5 de Lumen gentium. Mais en s’appuyant sur la constitution dogmatique, le décret déploie cette même ecclésiologie jusqu’à ses conséquences ultimes : l’Église, « sacrement de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (LG 1) doit, « en s’avançant par la porte étroite de la croix, [étendre] partout le règne du Christ Seigneur […] et [préparer] les voies à son avènement » (AG 1).

L’ecclésiologie de Lumen gentium se récapitule en Ad gentes sous l’angle particulier de la mission : l’Église est envoyée par Dieu aux païens, parce qu’elle tire son origine de la mission du Fils et du Saint Esprit, selon le dessein universel de Dieu pour le salut du genre humain. Ainsi les apôtres, puis l’ordre des évêques, avec à sa tête le successeur de Pierre, ont à accomplir cette tâche avec la prière et la collaboration de toute l’Église, en ce compris les instituts religieux (AG 40) dont je soulignerai au passage la contribution attendue.

Partons de la genèse du Décret, parcourons son contenu, écoutons un expert conciliaire aujourd’hui fort renommé le situer dans l’ensemble du Concile, et disons enfin un mot de la situation de cette visée missionnaire de l’Église aujourd’hui.

Genèse

Le décret sur l’activité missionnaire de l’Église fut promulgué le 7 décembre 1965, au terme d’une histoire comme de coutume fort mouvementée. Au Texte A élaboré par la Commission préparatoire De missionibus, sous la présidence du Cardinal Agagianian (1962), succède un Texte B, préparé par la Commission conciliaire, mais refusé par la Commission de coordination (1963). Le Texte C, réduit selon les directives du « plan Doepfner » (17 janvier 1964) est bientôt amélioré par les suggestions écrites des Pères (Texte D, 26 mai 1964), mais il fallut l’intervention de Paul VI (6 novembre 1964) pour qu’aboutisse la refonte de la sous-commission menée par le P. J. Schütte (Texte E, mai 1965). Discuté in aula du 7 au 13 octobre, amendé et voté peu après, le Texte F clôture, avec d’autres, le concile Vatican II [1].

« Complément indispensable de Lumen gentium » [2], Ad gentes constitue aussi une véritable relecture du décret Perfectae caritatis, lequel s’achevait par un appel à la mission universelle (numéros 20 et 25). Les paragraphes 18 (« promouvoir la vie religieuse ») et 40 (« le devoir missionnaire des instituts de perfection ») de Ad gentes contiennent, pour la vie religieuse, des affirmations majeures souvent reprises dans la suite. La première assertion neuve, c’est que la vie religieuse doit être introduite dès les débuts de l’évangélisation, parce que cette vie religieuse « par la consécration intime faite à Dieu dans l’Église, manifeste avec éclat et fait comprendre la nature intime de la vocation chrétienne ». Selon le Père P.-R. Régamey, on tient ici le passage le plus remarquable du Concile sur la doctrine de la consécration religieuse accomplissant la consécration baptismale [3]. L’autre affirmation forte appelle tous les instituts religieux, quelle que soit leur nature, à se préoccuper de leur devoir missionnaire ; il invite en particulier les « instituts de vie active » à « se poser sincèrement devant Dieu » quelques questions : ne peuvent-ils étendre leur activité « parmi les païens », « laisser à d’autres certains ministères », entreprendre dans les missions une activité qui resterait fidèle à l’esprit des fondateurs, reconsidérer le degré d’engagement missionnaire de leurs membres, et même, leur façon habituelle de témoigner de l’Évangile ? Ces questions demeurent évidemment aujourd’hui.

Parcours d’Ad gentes

Pour les commentateurs les plus critiques, comme ceux qui ont œuvré à la magistrale histoire de Vatican II d’inspiration bolognaise (« l’officine bolognaise », pour ses détracteurs), « le décret sur les missions représente une contribution extraordinaire […]. Le décret a introduit et promu de nouvelles réflexions sur la mission chrétienne ». Je suis maintenant de près l’analyse de P. Hünermann, dans une étude extraite du cinquième volume de l’histoire « bolognaise » de Vatican II.

L’ensemble du décret comporte, dans sa forme définitive, six chapitres encadrés par un bref texte d’introduction et une partie finale. Le premier chapitre comprend les fondements théologiques, c’est le plus important. Il se rapporte très largement à l’Écriture et aux Pères de l’Église ; il contient également bien des citations des principaux documents magistériels pontificaux sur les missions, en plus des références à Lumen gentium et au décret sur l’œcuménisme – lesquelles marquent les débuts de la réception de Vatican II par lui-même. À l’exception de Thomas d’Aquin, aucun théologien médiéval ou moderne n’est cité. Les Pères ont donc eu recours au premier millénaire, c’est-à-dire à l’époque où la mission de l’Église, à la différence du deuxième millénaire, n’était pas une sorte de décalque de l’expansion coloniale.

D’emblée le principe est posé : l’Église est missionnaire par nature (AG 2), puisque le peuple de Dieu découle de la source d’amour dont procèdent le Fils et l’Esprit : le Père, à l’origine de la création et de la rédemption de l’histoire à travers l’économie du salut. « Avec grande ingénuité », les Pères parlent des religions non chrétiennes grâce auxquelles Dieu conduit au salut de diverses manières ; ces religions ont besoin d’illumination et de guérison » (AG 3). Pour pouvoir exercer sa mission, l’Église a reçu l’Esprit, afin de rassembler tous les peuples dispersés depuis Babel (AG 4). Dans les numéros 5 et 6, on assiste à une sorte de condensation caractéristique de la théologie catholique du deuxième millénaire, puisque l’envoi en mission de l’Église est rapporté à Jésus instituant les Douze ; et par la suite, la mission du Seigneur ressuscité (Jn 21,21) est de même rapportée aux « apôtres » (alors que la lettre du texte scripturaire parle de disciples) et ensuite, étendue au pape et au collège épiscopal (AG 6 § 1).

Deux approches missiologiques différentes sont ensuite rassemblées pour définir la mission (AG 6 § 3) : comme annonce de l’Évangile (selon l’école de Munster : le salus animarum par la missio Dei) et comme implantation de l’Église (selon l’école de Louvain, dont le P. Charles et les curialistes canonistes : la plantatio Ecclesiae). « On appelle communément missions les initiatives spéciales grâce auxquelles les messagers de l’Évangile envoyés par l’Église vont dans le monde entier et assument la tâche d’annoncer l’Évangile et d’implanter l’Église elle-même auprès des peuples et des groupes qui ne croient pas encore au Christ ». La fin du premier chapitre est constituée par les réflexions sur le dessein de salut de Dieu, qui agit chez tous les hommes aussi bien que dans les religions et les cultures, mais qui a tout orienté vers le Christ (AG 7), puis sur la signification que l’activité missionnaire possède pour la nature et les aspirations humaines (AG 8). La conclusion, au numéro 9, inscrit la mission dans l’histoire du salut, dans la mesure où elle appartient au temps qui suit la première venue du Christ et est orientée vers sa deuxième venue.

« Les chapitres suivants se rapportent au travail de la mission (II), aux Églises particulières (III), aux missionnaires (IV), à la conduite des activités missionnaires (V) et finalement, à la collaboration de l’Église universelle en relation avec la mission (VI) ».

En ce qui concerne le travail missionnaire (II), il suppose comme base une participation avec les grands défis culturels et sociaux des peuples. « C’est seulement ensuite que l’annonce de l’Évangile et le rassemblement du peuple de Dieu peuvent pleinement débuter ». On peut dire que dans ce chapitre, la vision théologique du premier chapitre est traduite en quelque sorte sur le plan opérationnel.

Le troisième chapitre a été promu comme chapitre propre au dernier moment de la révision ; il reflète la nouvelle donne en Afrique et en Asie. Les jeunes Églises sont déjà nées, et différents « ministères » leur reviennent, d’après les vocations et les fonctions, et notamment en ce qui concerne les laïcs. On demande expressément la formation d’une pensée théologique autonome et des formes de vie qui soient à la fois marquées par la foi et par les traditions culturelles des peuples.

Dans le chapitre IV, la conception européocentrique du missionnaire est mise au compte du passé ; les vocations missionnaires ont à surgir des jeunes Églises, et elles auront un profil de formation adapté ; l’accent est encore mis sur les missionnaires laïcs qui prennent part au développement des peuples.

Le chapitre V s’en remet au Synode des évêques (alors en formation) [4] pour guider avec le Pape l’activité missionnaire de l’Église. En clair, la congrégation « de Propaganda fide » (actuellement « Pour l’évangélisation des peuples ») devrait être un atelier pour le Pape et le Synode et rien d’autre (AG 29 : « ce dicastère doit cependant, pour sa part, promouvoir la vocation et la spiritualité missionnaires, le zèle et la prière pour les missions, et fournir à ce sujet une information véridique et appropriée »). Pour la coopération partout nécessaire, on renvoie à l’évêque dans son diocèse, aux conférences épiscopales, aux instituts missionnaires ; de manière particulière, les institutions universitaires sont citées au service du travail missionnaire.

Le chapitre VI parle finalement de la coopération dans l’Église universelle : c’est, la responsabilité de tous, diocèses et communautés, et notamment, dans une large mesure, note toujours Hünermann, des laïcs.

Mais suivons maintenant une autre piste, celle de ce jeune expert fort actif au Concile en général, et dans la dernière rédaction de ce texte en particulier ; c’est l’occasion de rendre hommage au Pape Benoît XVI, qui vient de quitter sa charge de serviteur des serviteurs de Dieu.

« La mission d’après les autres textes conciliaires »

« C’est dans la Constitution sur l’Église, aux numéros 13 à 17 que se trouve le texte central du Concile sur la nature, la tâche, et la voie de la mission. Là, comme sur leur base de départ s’appuient tous les autres textes relatifs à la mission, y compris le Décret sur l’activité missionnaire » (122). Or, le point de départ (LG 13, § 1) est trinitaire ; aux extrémités de l’histoire sont posées la création et l’eschatologie ; « en toutes deux s’exprime le thème de l’unité et lui-même s’enracine dans l’unicité divine », « la mission apparaît comme l’élan du Peuple nouveau vers sa propre réalisation et la tâche par excellence de l’histoire du salut ». Le développement est opéré à partir du concept d’Église (LG 13, § 2) : « aux images fondamentales de Peuple, de Royaume et de rassemblement qui reviennent ici, s’ajoute l’image du Corps », puis le grandiose développement de saint Irénée sur la récapitulation paulinienne de toute l’humanité sous sa Tête, et encore, l’image de la Cité sainte où tous les peuples apportent leurs présents [5]. Le troisième paragraphe du numéro 13 explique ce qu’est la catholicité à l’intérieur de l’Église, en décelant trois aspects d’un pluralisme au sein de l’unité ecclésiale : l’Église se construit à partir des nombreux peuples de ce monde, d’états de vie différents, de nombreuses « Églises » en tous lieux et régions du globe terrestre. Le dernier paragraphe fait transition avec la question de l’incorporation à l’Église : les hommes ou bien « appartiennent à l’unité catholique du Peuple de Dieu », de diverses façons, ou bien, lui « sont ordonnés » et cela aussi de différentes manières. Le numéro 14 expose les conditions requises pour une totale incorporation à l’Église catholique ; le numéro 15 montre quels sont les liens entre l’Église catholique et les chrétiens non catholiques ; enfin le numéro 16 précise la relation entre l’Église catholique et les non chrétiens.

On passe ainsi, dit toujours le Professeur Ratzinger, à l’article que Lumen gentium consacre spécialement à la mission (LG 17). Le texte part des « bases positives » de la mission (Mc 16,16 ; Mt 28,18-20 ; Ac 1,8) ainsi que de 1 Co 9,16, relues à la lumière de saint Jean (20,21). « Ainsi, la ligne missionnaire de l’Église s’origine dans l’envoi du Fils par le Père, au dynamisme premier de l’amour trinitaire [6] ». À cette première idée de source christologique, la constitution ajoute une deuxième ligne de pensée, de source pneumatologique : « la mission est vue comme réalisation dans le monde et dans l’histoire, de la volonté salvifique de Dieu ; l’Église est instrument de l’Esprit Saint qui, du dedans, la presse de se mettre à la disposition de son œuvre.

« À côté de la définition de la mission, cette rapide esquisse fonde aussi la missiologie et signale quel est le but, quels sont les représentants et quelle est la méthode de la mission ». Le but, c’est que dans l’unique Église, les jeunes Églises soient pleinement constituées – ce qui suppose qu’elles soient non seulement « plantées », mais qu’elles poursuivent l’œuvre d’évangélisation. La méthode, c’est la prédication chrétienne, et même missionnaire, qui doit amener tout le germe de bien dans les hommes ou dans les cultures à être guéri, élevé, achevé, pour la gloire de Dieu, la confusion du démon et le bonheur de l’homme [7]. La charge de la mission revient, quoique diversement, aux laïcs et aux prêtres [8]. Le but dernier, en regard duquel tout cela n’est que moyens et services, c’est la préparation de la liturgie cosmique où l’univers deviendra un unique geste d’adoration.

D’autres documents sont ensuite parcourus par notre auteur, du point de vue de la mission : le décret sur l’Apostolat des laïcs (« la vocation chrétienne est par nature vocation à l’apostolat », AA 2), sur le ministère et la vie des prêtres (« l’un des plus riches et plus profonds du Concile », qui indique le caractère missionnaire de toute liturgie chrétienne), les déclarations sur la liberté religieuse (laquelle est la condition même pour qu’il y ait mission), sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes (« la mission n’exclut pas le dialogue, elle l’exige »), mais nous devons en rester là.

*

La ligne d’Ad gentes a été prolongée sans aucun doute par l’encyclique Redemptoris missio de Jean-Paul II, mais elle l’était déjà, d’une certaine manière, par l’exhortation apostolique post-synodale de Paul VI, Evangelii Nuntiandi (1975). Elle le fut encore par d’autres textes d’autorité inférieure, comme la Note doctrinale de la Congrégation pour la Doctrine de la foi « sur certains aspects de l’évangélisation » [9]. On peut encore renvoyer, en attendant la publication de l’exhortation apostolique habituelle, aux Lineamenta du récent synode sur la nouvelle évangélisation, qui ont été publiés le 2 février 2012, et au Document de travail, du 19 juin 2012, intitulé « La nouvelle évangélisation pour la transmission de la foi chrétienne ».

De Redemptoris Missio aux nouvelles problématiques

C’est dans l’encyclique Redemptoris Missio, publiée le 7 décembre 1990, « vingt-cinq ans après la conclusion du Concile et la publication du décret Ad gentes sur l’activité missionnaire, quinze ans après l’exhortation apostolique Evangelii nuntiandi du Pape Paul VI », que le Pape Jean-Paul II voulut inviter l’Église à renouveler son engagement missionnaire (RM 2), en méditant sur l’Esprit Saint « qui rend toute l’Église missionnaire », et en affirmant que « l’action missionnaire n’en est qu’à ses débuts », car il existe des territoires nouveaux, mais aussi, « des mondes nouveaux, et des phénomènes sociaux nouveaux », des « aires culturelles et des aréopages modernes » de la mission. Cet important document parlait donc de ces lieux nouveaux où, comme saint Paul à Athènes (Ac 17,22-31), il faut annoncer l’Évangile dans un langage adapté – et de citer alors, au numéro 36, le monde de la communication, l’engagement pour la paix, le développement et la libération des peuples, les droits de l’homme et des minorités, la promotion de la femme et de l’enfant, la sauvegarde de la création et tout le vaste domaine de la culture, de la recherche scientifique et des rapports internationaux. Au sud et à l’est, il s’agit toujours d’incarner l’Évangile dans les cultures des peuples, non sans dialoguer avec les « frères » d’autres religions, quelle que soit la vocation et la mission qu’ont reçue tous les baptisés, membres du Peuple de Dieu : Dieu prépare un printemps de l’Évangile, mais le véritable missionnaire, c’est le saint. Ainsi, concluait Jean-Paul II,

« L’Église n’a jamais eu autant que maintenant l’occasion de faire parvenir l’Évangile, par le témoignage et la parole, à tous les hommes comme à tous les peuples. Je vois se lever l’aube d’une nouvelle ère missionnaire qui deviendra un jour radieux et riche de fruits si tous les chrétiens, et en particulier les missionnaires et les jeunes Églises, répondent avec générosité et sainteté aux appels et aux défis de notre temps » (RM 92).

Pour en rester aux grandes lignes de Redemptoris Missio, on en retiendra, avec le Père A. Gonzales Dorado [10], que la crise affectant la mission dans l’Église peut être entendue comme une crise de purification et de croissance, qui nécessite la recherche d’un nouveau modèle missionnaire, fondé sur une vision christologique et pneumatologique de toute l’humanité. Son concept majeur serait l’inculturation (des missions et des jeunes Églises). Dans ce nouvel effort d’évangélisation, la vie religieuse, notamment, peut offrir le témoignage spécifique de son existence, mais aussi de son option pour les pauvres, pour la prière et la contemplation, pour une vie consacrée autochtone dans les jeunes Églises, et, dans l’hémisphère nord, pour une civilisation de l’amour et de la solidarité. Ce domaine de la mission ad gentes comporte aujourd’hui des aires culturelles nouvelles que le Pape nomme des « aréopages modernes », par allusion au chapitre 17 des Actes des Apôtres (RM 37) : en premier lieu, le monde de la communication, puis « l’engagement pour la paix ; le développement et la libération des peuples ; les droits de l’homme et des peuples, surtout ceux des minorités ; la promotion de la femme et de l’enfant, la sauvegarde de la création – autant de domaines à éclairer par la lumière de l’Évangile ».

Cependant, sur le terrain, les choses se sont modifiées, comme en témoignait naguère la chronique de Maurice Pivot, « Quelle missiologie aujourd’hui » [11], au sujet d’un « nouveau paradigme de la mission » [12]. Et l’auteur de noter que reprennent place aujourd’hui « les instituts missionnaires qui, par leur internationalisation rapide, deviennent, en eux-mêmes, des creusets d’expériences qui sont mis au service des Églises locales et favorisent leurs échanges réciproques. Il y a une prise en charge spécifique, symbolique, signifiante et réelle des relations et échanges entre Églises locales par ces instituts missionnaires. Et cette prise en charge spécifique est au service d’une Église appelée à être sacrement de solidarité et de fraternité dans l’univers structurée par la mondialisation ».

On pourrait par ailleurs réfléchir au rôle des femmes dans la mission [13]. Car « Qui sait que sur l’ensemble du monde, leur potentiel sanitaire est trente fois supérieur à celui des hommes ? Pourquoi ces faits sont-ils actuellement si méconnus et si naturellement sous-estimés ? » [14]. N’en fut-il d’ailleurs pas toujours ainsi [15] ? Le synode de 1994 portant sur la vie consacrée avait déjà fait voir comment, dans les situations de clandestinité liées au communisme en Europe, les congrégations féminines ont été le prolongement du bras du prêtre, et comment aussi la coopération entre religieux et laïcs a été capitale. Dans les jeunes églises aujourd’hui, les religieuses se trouvent toujours, parmi les femmes, comme derrière la scène du développement, mais attendent encore un vrai partenariat avec les prêtres. Le deuxième Synode pour l’Afrique dans son exhortation apostolique Africa munus, promulguée par Benoît XVI à Ouidah, au Bénin, le 19 novembre [16] a tenté de souligner l’apport irremplaçable des femmes dans la vie de l’Église et dans la mission.

Et maintenant ?

On pourrait, pour finir, tirer encore parti des Lineamenta (document préparatoire) du Synode récent consacré à la nouvelle évangélisation, entendue comme transmission de la foi. Dans le numéro 6 les rédacteurs mettent en évidence, non plus des « aréopages », mais des « scénarios ». On notera que la culture vient d’abord, qu’il faut entendre comme une ambiance générale où Dieu est absent ; puis viennent les phénomènes sociaux, comme les migrations et la mondialisation ; on ne s’étonnera pas de voir mentionner ensuite le défi des moyens de communication sociale, aux immenses potentialités, pour le meilleur et le pire ; le quatrième scénario vise la scène économique (nous sommes en plein drame, Nord-Sud, essentiellement) ; ensuite, c’est la recherche scientifique et technologique, qui tend à « affirmer de nouveaux cultes » ; le dernier scénario se vit sur la scène politique, avec les nouveaux acteurs et un scénario finalement aussi inédit qu’inconnu. C’est donc là qu’il faut habiter, pour transformer ces défis en lieux de témoignage et d’annonce de l’Évangile.

Le Concile Vatican II est dans ces Lineamenta totalement assumé (et Ad gentes cité une dizaine de fois) et pour autant, réinterprété. Et il en va de même du Document de travail, qui cite à plusieurs reprises les religieux parmi les protagonistes de la nouvelle évangélisation, mais laissons cela.

Il faudrait, pour avancer encore, reprendre contact avec l’immense constitution pastorale Gaudium et spes, but et fin du Concile, qui vérifiait ainsi ses véritables fondements. Mais ce serait une autre histoire de le montrer.

[1S. Paventi, « Les étapes de l’élaboration du texte », in L’activité missionnaire de l’Église, le Décret Ad gentes » (US 67), Paris, Cerf, 1967, 141-181 ; Cf. aussi Ph. Delhaye, art. « Vatican II (Concile de) », in DTC (Tables générales III)), col. 4286-4354 ; ici : 4314.

[2Ph. Delhaye, ibidem.

[3In La vie religieuse selon Jean-Paul II, Paris, Cerf, 1981, 102 note 2.

[4Paul VI en avait annoncé la création lors du discours inaugural de la dernière session du Concile Vatican II, le 14 septembre 1965.

[5Note (didactique !) du professeur : « On pourrait se demander si, d’une façon générale, une initiation à l’histoire des religions et à ses problèmes ne devrait pas être un élément de la formation des prêtres » (o.c. 126, note 4).

[6« Il est vrai, la référence trinitaire à l’idée de mission n’est indiquée ici que légèrement ; c’est seulement le Décret sur l’activité missionnaire de l’Église qui lui a donné un ample développement ».

[7Un point dont, selon l’auteur, seul le décret AG permet de comprendre le contenu.

[8« Ici encore, les détails du développement sont réservés au Décret sur la mission ».

[9On trouve cette note du 3 décembre 2007 (Cardinal Levada) sur le site du Vatican.

[10In « La vie religieuse et Redemptoris Missio », dans VC 65 (1993), 78-97 et 140-151.

[11Parue dans Esprit et Vie 88 (2003), 3-12

[12Voir déjà H. de Lubac, Fondement théologique des missions, Paris, Éd. du Seuil, 1946, p. 46-47.

[13Voir N. Hausman, « L’approche féminine de la mission : expériences et questions », in Église et mission 278 (1995), 63-73 (en collaboration).

[14E. Dufourcq, « Les religieuses européennes au service de la santé et du développement (1639-1989) », dans VC 64 (1992), pp. 363 et 371.

[15Cf. J. Delumeau, La Religion de ma mère. Les femmes et la transmission de la foi, Paris, Cerf, 1992.

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