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Les nouvelles communautés, précisions terminologiques et pratique du Dicastère

Sebastiano Paciolla, o.cist.

N°2012-4 Octobre 2012

| P. 243-251 |

Sur la question des communautés nouvelles, le Sous-secrétaire de la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apos­tolique clarifie la terminologie et précise la pratique actuelle du Dicastère. Il en ressort que, depuis 2005 au moins, sont exclues du champ de la vie consacrée les formes qui « comprennent la vie conjugale, les formes mixtes qui prévoient la vie commune d’hommes et de femmes, et les formes tem­poraires de consécration ». Mais d’autres perspectives peuvent s’ouvrir.

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Cet article se veut une réflexion sur la façon dont l’Exhortation apostolique Vita Consecrata, jointe à la législation de l’Église, a orienté la pratique de la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique. Il convient d’entrée de jeu de clarifier la terminologie parce que, dans les faits, l’expression nouvelles communautés peut sembler équivoque.

Question de terminologie

Dans la littérature récente et les congrès de ces dernières années, nous trouvons, sous l’expression nouvelles communautés, une variété de groupements qui se présentent comme telles et qui, toutes, invoquent l’Exhortation Vita Consecrata. On y rencontre des groupes de fidèles menant la vie commune, des associations de fidèles, privées et publiques, des portions de mouvements ecclésiaux, des associations publiques in itinere (en cheminement), des instituts religieux diocésains nouvellement érigés, de nouveaux instituts pontificaux, de nouvelles formes de vie consacrée.

La question se situe dans le vaste champ ouvert par le droit d’association, droit naturel qui reçoit sa règlementation dans le Code de droit canonique. Nous souhaitons cependant, dans cette contribution, porter plus particulièrement notre attention sur deux numéros de l’Exhortation apostolique Vita Consecrata, à savoir les numéros 12 et 62. Ceux-ci, reprenant l’entièreté de la Propositio 13, abordent la réalité des nouvelles expressions de vie consacrée, en se référant au canon 605 du Code de droit canonique, et apportent quelques précisions.

Il faut en outre ajouter que l’Exhortation Vita Consecrata, à propos de ces nouvelles réalités, a introduit, toujours au numéro 62, l’expression vie évangélique, sans toutefois en spécifier le contenu, la valeur juridique et surtout le rapport et la différence avec l’expression vie consacrée.

Pour écarter toute ambiguïté, il convient de souligner d’emblée que ces phénomènes associatifs ecclésiaux qui se qualifient eux-mêmes de nouvelles formes ne le sont pas tous réellement. De même, les réalités de vie commune ne sont pas toutes destinées à devenir instituts religieux ou sociétés de vie apostolique et n’en ont pas nécessairement les traits distinctifs.

Quand l’Exhortation Vita Consecrata fut publiée, le 25 mars 1996, treize années s’étaient écoulées depuis la promulgation du Code de droit canonique. Celui-ci, dans son canon 605, dispose que :

« L’approbation de nouvelles formes de vie consacrée est réservée uniquement au Siège Apostolique. Cependant, les Évêques s’efforceront de discerner les nouveaux dons de vie consacrée confiés par l’Esprit Saint à l’Église ; ils en aideront les promoteurs à exprimer le mieux possible leurs projets et à les protéger par des statuts appropriés […] ».

Ce canon, qui est une nouveauté évoquée en termes assez génériques, a été pris comme point de référence par différentes sortes de groupements dans l’Église qui, n’entrant dans aucune des formes déjà définies (instituts religieux, instituts séculiers, sociétés de vie apostolique…), s’en sont estimées destinataires potentielles.

Après la promulgation du Code de droit canonique, et avant celle de l’Exhortation Vita Consecrata, le Dicastère a approuvé certains critères en vue du discernement rendu nécessaire face aux demandes de divers fondateurs qui voulaient voir approuver leur œuvre comme nouvelle forme de vie consacrée.

On peut ainsi parler d’une nouvelle forme de vie consacrée quand celle-ci comprend les éléments essentiels décrits dans les canons 573 à 605 du Code de droit canonique, à savoir :

  1. la profession des conseils évangéliques, assumés par des liens sacrés définis par le droit universel et propre,
  2. la stabilité de vie,
  3. le don de soi, à un titre nouveau et particulier, pour l’honneur de Dieu, la construction de l’Église et le salut du monde,
  4. la vie fraternelle, spécifique à chaque Institut,
  5. des supérieurs internes, dotés du pouvoir de gouvernement selon le droit universel et propre,
  6. une juste autonomie de vie, spécialement en ce qui concerne le gouvernement,
  7. un code fondamental, approuvé par l’autorité ecclésiastique compétente,
  8. l’érection par l’autorité ecclésiastique compétente.

Dans la doctrine s’est ouvert un débat au sujet de la signification à attribuer à l’expression nouvelles formes, entendant la nouveauté dans un sens négatif (nouvelles par rapport à celles qui sont déjà approuvées). On a parlé de nouveauté théologique et on a supposé la nouveauté juridique.

Dans sa thèse de doctorat sur les nouvelles formes de vie consacrée, défendue en 1994 à la Faculté de Droit canonique de l’Université Pontificale du Latran sous la direction du Professeur Domingo Andrés Gutierrez, Antonio Neri a ainsi présenté diverses possibilités théoriques de nouvelles formes, combinant, par addition ou soustraction, les éléments de l’identité de la vie consacrée.

La direction prise par le Dicastère consiste, en principe, à considérer une forme de vie consacrée comme nouvelle quand elle ne rentre, sans efforts disproportionnés, dans aucune des formes existantes.

Avec Vita consecrata

C’est dans ce contexte d’expériences de vie et de débats doctrinaux que fut publiée l’Exhortation Vita Consecrata. En ce qui concerne le sujet des nouvelles formes, elle a apporté quelques précisions d’une particulière importance. Puisque l’Église, à travers ses pasteurs, est appelée à un discernement, le numéro 12 de Vita Consecrata aborde le sujet, dans la continuité avec ce qui est fixé par le canon 605.

Le premier critère retenu est avant tout de discerner s’il s’agit de nouvelles formes ou plutôt, de nouveaux instituts qui entrent dans les formes déjà existantes. Devant la multiplication de nouveaux groupes dont les membres assument les conseils évangéliques, il faut apprécier l’authenticité de l’inspiration et de la finalité qu’ils veulent atteindre, pour éviter la multiplication d’institutions analogues et d’entités restreintes. Restant ferme ce critère général, on doit aussi tenir compte du fait qu’il s’agit parfois de groupes de personnes consacrées qui, bien que s’insérant dans des courants spirituels déjà existants et ayant des finalités semblables à celles d’autres instituts, souvent religieux, ne sont toutefois pas attirés par la forme concrète de vie de ces instituts, parce qu’elle semble ne pas correspondre aux exigences apostoliques actuelles. Si l’inspiration s’avère authentique, ces nouveaux groupes pourront certainement contribuer à un renouvellement dans la vie religieuse et un enrichissement dans l’Église.

Un second critère est donné quand on se trouve face à des expériences originales qui sont encore à la recherche de leur identité dans l’Église.

Pour aider au discernement, l’Exhortation Vita Consecrata, au numéro 62, fixe, comme principe ou critère fondamental pour qu’on puisse parler d’une nouvelle forme de vie consacrée, que « les traits spécifiques des nouvelles communautés et formes de vie apparaissent fondés sur les éléments théologiques et canoniques essentiels, qui sont le propre de la vie consacrée ». Nous trouvons en note la référence au canon 573 du Code de droit canonique, ce riche canon qui rassemble les éléments théologiques et juridiques, en introduction aux normes communes à tous les instituts de vie consacrée.

Dans le même sens, le numéro 12 de l’Exhortation souligne que le trait spécifique fondamental de la vie consacrée, qui a fait que, tout au long de l’histoire, celle-ci a conservé, malgré la variété de ses formes, son unité de fond, est qu’« il n’y a qu’un seul appel à suivre Jésus chaste, pauvre et obéissant, dans la recherche de la charité parfaite ».

Tenant compte de l’expérience des diverses réalités d’agrégations après l’approbation du Code de 1983, l’Exhortation Vita Consecrata apporte une précision nécessaire :

« en vertu du même principe de discernement, on ne peut faire entrer dans la catégorie spécifique de la vie consacrée les formes d’engagement, cependant louables, que des couples chrétiens prennent dans certaines associations ou mouvements ecclésiaux, lorsque, dans l’intention de porter à la perfection de la charité leur amour déjà en quelque sorte « consacré » dans le sacrement du mariage, ils confirment par un vœu le devoir de la chasteté propre à la vie conjugale et, sans négliger leurs devoirs envers leurs enfants, ils professent la pauvreté et l’obéissance ».

Pour que ces communautés originales puissent être éventuellement approuvées comme formes nouvelles de vie consacrée, tous les membres doivent assumer, par un certain lien sacré public, les trois conseils évangéliques de chasteté dans le célibat, de pauvreté et d’obéissance, même s’ils admettent d’autres membres comme agrégés ou associés n’assumant pas tout à fait les conseils évangéliques ou ne les assumant pas tous les trois.

Selon le numéro 62 de Vita Consecrata, l’originalité de ces communautés consiste dans le fait d’être, dans leur ensemble et parfois avec des branches différentes, composées d’hommes et de femmes, de clercs et de laïcs – engagés dans un programme commun de vie évangélique et de service apostolique –, et gouvernées par des clercs et des laïcs. Les conjoints qui participeraient à la spiritualité et aux activités de ces communautés, éventuellement reconnues comme formes de vie consacrée, doivent être considérés comme agrégés et non comme des membres de plein droit. Si, en revanche, de tels groupes voulaient la pleine intégration des conjoints, la figure juridique qui y correspond actuellement est celle d’association de fidèles.

En ce qui concerne l’approbation des expériences originales de nouvelles formes de vie consacrée, l’Exhortation Vita Consecrata, au numéro 12, réaffirme ce qui est prévu au canon 605 du Code de droit canonique, à savoir qu’elle est réservée au Siège Apostolique. Il revient aux évêques, dans leurs diocèses, de mener le discernement spécifique relatif aux groupes individuels qui y naissent, en se référant à leur authenticité, selon les critères généraux donnés par l’Exhortation et ceux qui seront fixés par la Commission créée à cet effet, selon ce que prévoit le numéro 62. Cette Commission, bien que constituée, n’a cependant pas poursuivi ses travaux et n’a, par conséquent, pas encore fourni d’éléments utiles sur le sujet.

Après Vita consecrata

Au cours des quinze années écoulées depuis la publication de l’Exhortation Vita Consecrata, la pratique de la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique s’est concentrée autour de la figure juridique de Famille ecclésiale de vie consacrée, forme de vie consacrée nouvelle du point de vue structurel plutôt que théologique et/ou strictement juridique.

Les éléments qui identifient une Famille ecclésiale de vie consacrée sont, dans la pratique en vigueur du Dicastère, les suivants :

  1. un unique sujet juridique institutionnel, dont la dénomination peut être variée (par exemple, communauté, famille, fraternité, institut, œuvre…), et formé de :
  2. en ce qui concerne le gouvernement, les branches principales ont une structure propre, dotée d’une certaine autonomie, avec un Président qui a autorité (il faudra la préciser) sur toute la Famille ecclésiale. Le Président est assisté d’un conseil formé des supérieurs généraux des deux branches principales et de leurs conseils respectifs ;
  3. le Président peut être un homme (clerc ou non clerc) ou une femme. Si le Président n’est pas clerc, les facultés de l’Ordinaire reviendront au supérieur de la branche masculine, qui devra être clerc ;
  4. avec l’approbation diocésaine, les membres clercs peuvent être incardinés à l’Institut.

Après avoir fait une recherche dans les archives du Dicastère, je peux dire qu’il y a environ une trentaine de réalités que nous pouvons classer dans la catégories des nouvelles formes potentielles.

A quinze années de la publication de l’Exhortation Vita Consecrata, voilà quel est l’ubi consista (l’état de la question) dans lequel le Dicastère travaille aujourd’hui à propos des nouvelles formes.

Le discernement des Pasteurs reçoit une place particulièrement importante en ce qui concerne les nouvelles formes de vie consacrée. Cette œuvre d’évaluation, prescrite par le Code de droit canonique au canon 605 et confirmée dans l’Exhortation Vita Consecrata au numéro 62, a été répétée au numéro 107 du Directoire pour le ministère pastoral des Évêques Apostolorum Successores, publié par la Congrégation pour les Évêques le 22 février 2004.

La pratique du Dicastère

Étant donnée l’originalité des formes nouvelles de vie consacrée, la pratique de la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique dans le processus d’approbation est la suivante.

Une fois accompli le discernement par l’évêque diocésain, après avoir examiné la réalité présentée et ses constitutions et relevé la présence des éléments essentiels théologiques et juridiques propres à une forme de vie consacrée, le Dicastère autorise l’évêque diocésain à ériger l’association en institut de droit diocésain comme nouvelle forme de vie consacrée et à en approuver les constitutions ad experimentum, moyennant d’éventuelles modifications.

Quand l’institut a démontré la validité et la viabilité ecclésiale de l’expérience, l’évêque diocésain du siège principal soumet au Saint-Siège toute la documentation requise pour l’approbation de l’Institut.

Le sujet des nouvelles formes de vie consacrée a été encore, parmi d’autres thèmes, l’objet d’étude et d’approfondissement de la part de la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique lors de l’Assemblée Plénière du Dicastère, célébrée en 2005. Vu les problématiques encore ouvertes à propos de l’interprétation du canon 605, l’Assemblée Plénière n’est pas allée au delà de l’analyse de la situation et de la problématique. Dans sa conclusion, elle a pris le parti d’accueillir et d’encourager toutes les formes de recherche de sainteté, mais d’exclure du champ de la vie consacrée celles qui comprennent la vie conjugale, les formes mixtes qui prévoient la vie commune effective d’hommes et de femmes et les formes temporaires de consécration.

Par rapport à ceci, il faut préciser que l’exclusion du champ des formes nouvelles des réalités qui prévoient l’effective vie commune d’hommes et de femmes, est un élément nouveau qui réduit de beaucoup le concept délimité avant 2005 et, par conséquent, ce qui avait déjà été permis par le Dicastère, ad experimentum, dans certains instituts de droit diocésain approuvés comme nouvelles formes de vie consacrée : historia magistra vitae (l’histoire est maîtresse de vie). Quand, en 1947, les instituts séculiers furent reconnus par la Constitution apostolique Provida Mater comme instituts de vie consacrée, il y eut diverses approbations, dont certaines étaient des tentatives. Il s’en est suivi un processus naturel de décantation qui a mené à apporter des précisions juridiques qui ont préparé la législation recueillie dans le Code de droit canonique de 1983. Puis, à la lumière du Code, plusieurs instituts séculiers ont du reconnaître et corriger certaines anomalies présentes dans leur législation. Aujourd’hui encore, le Dicastère doit constamment intervenir pour que l’aspect spécifique de la sécularité soit garanti et sauvegardé.

Ius sequitur vitam (le droit suit la vie), nous enseignent les anciens. Tel sera l’engagement du Dicastère pour les années à venir, peut-être avec la célébration d’une Assemblée Plénière de la Congrégation. Puisant dans l’expérience de ces dernières années, elle pourrait préciser les critères d’évaluation des réalités qui demandent la reconnaissance comme nouvelles formes, afin de vérifier si elles le sont réellement. En même temps, la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique sera appelée à vérifier dans quelle mesure ce qui a été approuvé dans le passé, en tenant compte des décisions prises lors de la Plenaria de 2005, correspond réellement au concept de nouvelles formes ou doit être ramené à des formes existantes déjà bien consolidées.

Conclusion

Un point qui mérite d’être souligné, et qui se trouve répété dans les numéros 12 et 62 de l’Exhortation apostolique Vita Consecrata, est que, au fil de l’histoire, les nouvelles formes de vie consacrée qui ont peu à peu émergé n’ont jamais supplanté les précédentes. Un signe de l’Esprit semble être justement que ces nouvelles formes ne se présentent pas comme une alternative à celles qui existent. De cette façon, pour reprendre une image conciliaire (Cf. Lumen Gentium, 43), reprise par l’Exhortation apostolique au numéro 5, la vie consacrée apparaît comme « une plante (arbore) aux multiples rameaux, qui plonge ses racines dans l’Évangile et produit des fruits abondants à tous les âges de l’Église ».

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