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Le décret Presbyterorum Ordinis sur le ministère et la vie des prêtres

Cinquante ans après

Pierre Piret, s.j.

N°2012-3 Juillet 2012

| P. 183-194 |

Le décret sur « le ministère et la vie des prêtres » est à son tour situé dans le questionnement qui l’a suscité ; l’auteur s’attache au préambule et au premier chapitre, médités dans leur signification toujours actuelle ; le reste du décret est parcouru plus rapidement. La théologie du ministère proprement sacerdotal de tous les prêtres découle de la Pâque du Christ et peut se résumer dans la superbe formule « être à Dieu pour les hommes et aux hommes pour Dieu ».

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La quatrième session du Concile s’achève ; nous sommes à la veille de la célébration qui clôture Vatican II. Le 7 décembre 1965, le décret Presbyterorum Ordinis (l’Ordre des Prêtres), intitulé Décret sur le ministère et la vie des prêtres, est approuvé en dernière lecture par 2390 voix contre 4. L’ultime texte de Vatican II, la constitution Gaudium et Spes sur l’Église dans le monde de ce temps, sera promulguée le même jour.

Deux interrogations, débattues surtout en France et en Belgique, sont intégrées par le décret. Cette intégration est un exemple de la richesse doctrinale et pastorale de Presbyterorum Ordinis, qui, depuis lors, ne cesse de se voir confirmée.

La première interrogation surgit au cours du Concile lui-même, parmi les prêtres notamment. L’ecclésiologie de Lumen Gentium, en valorisant l’épiscopat et le laïcat, ne relativise-t-elle pas le presbytérat – l’Ordre des prêtres ? La seconde interrogation, lancinante, parcourt les années antérieures au Concile. Elle est suscitée tout particulièrement par le milieu ouvrier, étranger à l’Église. La « mission » évangélisatrice n’est-elle pas devenue plus urgente que le « culte » – auquel les prêtres sont ordinairement voués ?

Consacré à Presbyterorum Ordinis, notre exposé prend en compte cette double interrogation posée, à l’époque du décret, au sujet des prêtres : c’est la première section, intitulée « Circonstances ». La deuxième section, « Le contenu du décret », est un commentaire du préambule et du chapitre premier du texte conciliaire, que suivra un aperçu du plan d’ensemble.

Circonstances

L’interrogation relative à Lumen Gentium

Le texte de Lumen Gentium, intitulé Constitution dogmatique sur l’Église, date du 25 novembre 1964. Le chapitre 3 concerne la « hiérarchie » de l’Église : l’épiscopat, le presbytérat, le diaconat. La constitution souhaite voir restauré celui-ci, après un abandon qui remonte au Moyen Age, comme « un degré permanent de la hiérarchie ». Le chapitre 4 traite du « laïcat ». Les deux chapitres sont à saisir ensemble, ils correspondent entre eux. Le principe de cette correspondance est enseigné par le chapitre qui les précède. Ce sera notre premier point.

Le chapitre 3 de Lumen Gentium consacre neuf numéros (nos 19 à 27) à l’épiscopat pour un seul au presbytérat (n° 28) puis au diaconat (n° 29). Pourquoi le Concile tient-il à accorder une pareille importance à l’épiscopat, et de quelle façon celle-ci va-t-elle rejaillir sur les prêtres ? Ce sera notre second point.

Premier point. Avant d’explorer la relation entre la hiérarchie et le laïcat, Lumen Gentium, au chapitre 2, confesse la réalité une et normative de l’Église : celle-ci est Corps du Christ, Temple de l’Esprit, Peuple de Dieu. En vertu du sacerdoce du Christ « unique Grand Prêtre » (Hé 4, 14), l’Église tout entière, par la grâce du baptême qui nous incorpore au Christ, est un « peuple sacerdotal ».

Que signifie le sacerdoce du Christ auquel communient, par l’action du Christ lui-même, tous les membres de l’Église ? Les prêtres de l’Ancien Testament intercèdent auprès de Dieu en faveur du peuple et offrent des sacrifices pour les péchés. Le Christ, Fils de Dieu fait homme, introduit ses frères dans la vie divine, les conduit jusqu’au Père, il les sauve « une fois pour toutes » du péché. Nous bénéficions de son sacerdoce, et aussi, en communion avec lui, nous formons ensemble un peuple de prêtres (sacerdotes) au milieu des hommes et en leur faveur. Tel est le « sacerdoce commun » de tous les fidèles. C’est en lui qu’alors se distinguent réellement et se promeuvent mutuellement le témoignage baptismal des laïcs et le ministère sacerdotal des prêtres (presbyteri).

Deuxième point. Les expressions sont courantes : quelqu’un est ordonné prêtre, une ordination sacerdotale, le sacrement de l’Ordre… Parle-t-on de sacrement ? Celui-ci est une réalité signifiée et effectuée par le Christ Seigneur en personne dans son Église. Parle-t-on d’ordination ? Le prêtre est sacramentellement ordonné, consacré, habilité à célébrer l’Eucharistie et à réconcilier les hommes avec Dieu : c’est le « pouvoir d’Ordre ».

Dans cette reconnaissance du ministère sacerdotal guidée par le Concile de Trente, comment considère-t-on généralement le pouvoir de l’évêque comparé à celui du prêtre ? Il semble ne plus concerner l’Ordre, relatif au Christ et au sacrement de l’Eucharistie. C’est plus largement un « pouvoir de juridiction » relatif à l’Église, à sa doctrine et à son organisation.

Or voici que Lumen Gentium professe la « sacramentalité de l’épiscopat », considère dans celui-ci « la plénitude du sacrement de l’Ordre » et « le sacerdoce suprême » (n° 21).

Le Christ et son Église, le Corps eucharistique du Christ et son Corps ecclésial, sont de la sorte compris dans leur unité – ainsi que le ministère que partagent le prêtre et l’évêque. Ce ministère (ministerium) ou service (diaconia) de l’Eucharistie comme de l’Église est d’ordre sacerdotal et sacramentel : le Seigneur Jésus, mort et ressuscité, s’y adonne en personne.

Une remarque sur la terminologie des « trois degrés de l’Ordre » sera utile à la compréhension de la doctrine de l’Église. Elle concerne le vocabulaire grec du Nouveau Testament, sa transposition dans le latin ecclésiastique, sa traduction française.
Un seul mot français, « prêtre », traduit les deux mots grecs « hiereus » (d’où est dérivé « hiérarchie ») et presbuteros, ainsi que les deux mots latins correspondants sacerdos (d’où viennent sacerdotium et sacerdotalis, soit « sacerdoce » et « sacerdotal ») et presbyter (d’où le mot français « presbytérat »). Le grec episkopos, en latin episcopus, est traduit par « évêque » et se retrouve dans « épiscopat ». Le grec diakonia et diakonos sont translittérés diaconia et diaconus en latin, « diaconie » ou « diaconat » et « diacre » en français.
« Ministère » et « ministre », du latin ministerium et minister, ainsi que « service » et « serviteur », sont synonymes du grec diakonia et diakonos.
Le « ministère » de l’« évêque » et du « prêtre » est « sacerdotal ». A l’intérieur du sacrement de l’Ordre, le « diacre » représente le « ministère » en tant que tel, dans sa permanence.

L’interrogation relative à l’identité du prêtre

Certes, la relation du prêtre au sacrifice eucharistique du Christ est une donnée essentielle du sacerdoce ministériel ; enseignée par le Concile de Trente, elle se trouvera confirmée par Presbyterorum Ordinis. Toutefois, au cours des âges, certaines applications pourront la gauchir : par exemple, on percevra la « consécration » des prêtres comme une mise à part qui ne rend guère raison de leur mission proprement ecclésiale au sein de la société humaine.

Certes, dans sa restauration après la Révolution française, l’Église s’organise moyennant une ample répartition de son clergé. Toutefois, la typologie variée de celui-ci spontanément présente à la conscience chrétienne ne suffira pas à intégrer les nouveaux besoins qui s’imposeront massivement.

Résumons, par quelques énumérations, la situation. On connaît les prêtres diocésains (ou « séculiers »), qui ont en charge les paroisses sous l’autorité de l’évêque de leur diocèse. Des institutions ecclésiales, telles que les écoles et les hôpitaux, dépendent fréquemment de congrégations religieuses. Les prêtres religieux (ou « réguliers »), distingués en « actifs » et en « contemplatifs », communiquent le savoir-faire (intellectuel, spirituel, liturgique…) propre à leur ordre.

Le territoire chrétien est de la sorte bien arpenté. Le vocable « mission » (généralement décliné au pluriel : « les missions ») est réservé aux régions du monde à la fois colonisées et évangélisées par les pays européens. Mais bientôt, ceux-ci auront à l’adopter pour eux-mêmes. « La France, pays de mission ? » est le titre choisi par H. Godin et Y. Daniel pour un ouvrage publié en 1943.

Comment l’Évangile peut-il pénétrer le « milieu ouvrier » ? J. Cardijn, en Belgique, dans les années 1920, fonde la « Jeunesse ouvrière chrétienne » (J.O.C.) et le mouvement prend rapidement son ampleur internationale. L’« Action catholique » suit le principe, reconnu par Pie XI, de « l’évangélisation du milieu par le milieu ». Ainsi l’« apostolat (ou mission) des laïcs » est-il mis en œuvre. Les prêtres auront à s’inscrire dans cette mission. Certains recevront une charge d’aumônerie, d’autres s’engageront dans le travail – ce sont les « prêtres ouvriers ». L’identité sacerdotale est débattue : la fonction du prêtre serait, soit le « culte », selon la tradition tridentine, soit la « mission » requise par le monde actuel. La mission elle-même pose un dilemme : son geste premier est-il l’annonce explicite de l’Évangile ou bien le témoignage patient d’une solidarité fraternelle ?

D’emblée, par son préambule, le décret Presbyterorum Ordinis déclare l’attention que Vatican II porte au ministère proprement sacerdotal des prêtres et aux conditions concrètes de son exercice.

Le contenu du Décret

Le préambule (n° 1)

Composé d’un seul numéro, le préambule de Presbyterorum Ordinis se réclame de l’attention que porte le Concile à « l’Ordre des prêtres dans l’Église ». Le décret souhaite en traiter de façon détaillée et approfondie. Il s’adresse « à tous les prêtres », à ceux qui ont charge d’âmes spécialement, aux religieux, qui sauront trouver les adaptations qui conviennent.

Les prêtres reçoivent des évêques ordination et mission. Ils participent au ministère du Christ qui édifie son Église. La situation pastorale et humaine qu’ils rencontrent étant soumise aux changements, le Concile entend les soutenir dans leur ministère et dans leur vie.

Par ces derniers mots, le préambule annonce la composition du décret. Celui-ci aborde le ministère des prêtres (chapitre 2, nos 4 à 11), puis la vie des prêtres (chapitre 3, nos 12 à 21). Cet ensemble est cependant précédé d’un chapitre premier, bref mais capital : « Le presbytérat dans la mission de l’Église » (nos 2 et 3).

Le chapitre premier (nos 2 et 3)

Le numéro 2 du décret nomme d’emblée « le Seigneur Jésus », reprenant à son sujet le verset johannique : « … celui que le Père a sanctifié (ou consacré : hègiasen) et envoyé (apesteilen) dans le monde » (Jn 10, 36). La référence au Père est suivie par celle à l’Esprit : le Seigneur Jésus transmet l’onction de l’Esprit que lui-même a reçue (cf. Ac 10, 38) à son Corps ecclésial. Le premier paragraphe du numéro 2, en soulignant le lien de la consécration et de la mission, met en avant le « sacerdoce » de « tous les fidèles » (cf. 1P 2, 5. 9) dans le Christ :

(…) en lui, tous les chrétiens (omnes fideles) deviennent un sacerdoce saint et royal (…). Il n’y a donc aucun membre qui n’ait sa part dans la mission du Corps tout entier : chacun d’eux doit sanctifier Jésus dans son cœur (cf. 1P 3, 15) et rendre témoignage à Jésus par l’esprit de prophétie (cf. Ap 19, 10).

Le deuxième paragraphe déclare que « le même Seigneur » est l’auteur du sacerdoce ministériel sacramentellement ordonné.

Le texte mentionne tout d’abord l’Ordre sacerdotal et son office. Unissant les fidèles en un seul Corps où « tous les membres n’ont pas la même fonction » (Rm 12, 4),

le même Seigneur, (…) a établi parmi eux des ministres (ministros) qui, dans la communauté des [fidèles], seraient investis par l’Ordre du pouvoir sacré d’offrir le Sacrifice et de remettre les péchés, et y exerceraient publiquement pour les hommes au nom du Christ la fonction sacerdotale (sacerdotali officio).

Presbyterorum Ordinis reprend ainsi l’enseignement du concile de Trente. Le sacrifice salvateur du Christ, acte de louange au Père et de miséricorde pour les hommes, se transmet à nous par l’Eucharistie : sacrement de l’acte du Christ, l’Eucharistie est sacrifice, impliquant un ministère proprement sacerdotal.

Dans l’unité ainsi posée de l’Ordre sacerdotal, le décret distingue alors l’épiscopat et le presbytérat. Le texte, tout d’abord, réfère le presbytérat à l’épiscopat moyennant la mission apostolique confiée par le Christ. La citation johannique (Jn 10, 36) qui introduisait le numéro 2 du décret semble se poursuivre dans une paraphrase de Jn 20, 21 : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie (pempô humas) » :

C’est ainsi que le Christ a envoyé les Apôtres comme lui-même avait été envoyé par le Père, puis, par les Apôtres eux-mêmes, il a fait participer à sa consécration et à sa mission leurs successeurs, les évêques, et la charge du ministère des évêques a été transmise aux prêtres à un degré subordonné : ceux-ci sont donc établis dans l’Ordre du presbytérat, pour être les collaborateurs de l’Ordre épiscopal et lui permettre d’accomplir comme il le doit la mission apostolique confiée par le Christ.

A la suite de Lumen Gentium (n° 28), le décret considère le presbytérat dans son rapport à l’épiscopat et définit celui-ci comme la participation à la mission des Apôtres du Christ. La relation des prêtres au Christ, à sa mission comme à celle des apôtres, n’est cependant pas déterminée uniquement à travers la médiation épiscopale. Le Christ, par l’onction de l’Esprit Saint, en est l’auteur.

C’est le contenu du troisième paragraphe. Puisque c’est « le Christ lui-même » qui « construit, sanctifie et gouverne son Corps », le sacerdoce des prêtres relève de l’ordre sacramentel, est conféré par un sacrement particulier :

La fonction des prêtres, en tant qu’elle est unie à l’Ordre épiscopal, participe à l’autorité par laquelle le Christ lui-même construit, sanctifie et gouverne son Corps. C’est pourquoi le sacerdoce des prêtres (sacerdotium presbyterorum), s’il suppose les sacrements de l’initiation chrétienne, est cependant conféré au moyen du sacrement particulier qui, par l’onction du Saint-Esprit, les marque d’un caractère (charactere signantur) spécial, et les configure ainsi au Christ-Prêtre (Christo Sacerdoti configurantur) pour les rendre capables d’agir [en la personne] du Christ Tête (in persona Christi Capitis agere).

Le texte recourt à la double désignation héritée de l’apôtre Paul : l’Église comme Corps du Christ, le même Christ comme Tête du Corps ecclésial. Les relations entre le Corps, en croissance par la sanctification de tous ses membres, et la Tête qui sans relâche y agit en personne, sont comparables aux relations entre le sacerdoce des fidèles vécu selon la grâce baptismale, et le ministère sacerdotal sacramentellement ordonné.

Celui-ci consiste à « agir en la personne du Christ Tête ». L’agir du Christ en personne dans l’édification de son Corps eucharistique et ecclésial passe humblement – d’une humilité qui appelle la nôtre en retour – par l’agir de ses ministres, les prêtres. Lumen Gentium (au n° 10) avait employé l’expression d’un « agir en la personne du Christ » dans le contexte eucharistique. Presbyterorum Ordinis précise l’énoncé par l’adjonction du vocable « Tête » ; il l’amplifie également, en l’inscrivant dans le contexte ecclésial et en décrivant bientôt (au paragraphe suivant) l’ensemble du ministère sacerdotal.

Vocable de la tradition théologique, translittéré du grec et du latin, le « caractère » signifie la marque inaliénable du Christ, le sceau de l’Esprit Saint. Les sacrements du Baptême et de la Confirmation d’une part, le sacrement de l’Ordre d’autre part, confèrent, à la personne qui les reçoit, leur caractère propre. Entendue comme synonyme du « caractère » de l’Ordre, la « configuration » du prêtre au Christ évoque un comportement personnel qui corresponde à la grâce sacramentelle objectivement reçue.

Le décret vient d’affirmer la réalité sacramentelle du sacerdoce ministériel des prêtres. Le quatrième paragraphe décrit à présent, de façon organique, leur ministère sacerdotal.

En vertu du fondement proprement « apostolique » du ministère sacerdotal, le décret, au début du quatrième paragraphe, définit la mission évangélisatrice des prêtres par celle de l’apôtre Paul. Celui-ci (en Rm 16, 15) se déclare par la grâce de Dieu « un officiant (leitourgon) du Christ Jésus auprès des nations », qui « assure l’office sacré (hierougounta) de l’Évangile de Dieu, pour que les nations deviennent une offrande agréable, sanctifiée dans l’Esprit Saint ».

L’application de l’enseignement paulinien se poursuit : « En effet, l’annonce apostolique de l’Évangile convoque et rassemble le Peuple de Dieu » ; le « sacrifice spirituel » de tous ses membres s’unit au « sacrifice du Christ, unique Médiateur », offert « au nom de toute l’Église dans l’Eucharistie », et cela, « jusqu’à ce que vienne le Seigneur lui-même (cf. 1 Co 11, 26) ».

Cet avènement du Seigneur oriente le ministère des prêtres :

C’est à cela que tend leur ministère, c’est là qu’il trouve son accomplissement : commençant par l’annonce de l’Évangile, il tire sa force et sa puissance du sacrifice du Christ et il tend à ce que « la Cité tout entière, c’est-à-dire la société et l’assemblée des saints, soit offerte à Dieu comme un sacrifice universel par le Grand Prêtre qui est allé jusqu’à s’offrir pour nous dans sa Passion, pour faire de nous le Corps d’une si grande Tête » (Augustin, Cité de Dieu, X, 6).

La description suit une progression ordonnée : le ministère « commence » par l’évangélisation, « tire sa puissance » du sacrifice du Christ, « tend » à l’édification de la Cité de Dieu. L’Eucharistie est au centre de ce mouvement, comme sacrement qui intègre la proclamation de la Parole et la croissance du Corps.

Reliant l’évangélisation au culte, reliant l’une et l’autre à l’édification de l’Église qu’oriente la venue du Seigneur dans l’histoire des hommes, le décret conciliaire enseigne la « triple charge » du ministère des prêtres (que décriront respectivement les numéros 4, 5 et 6) : l’annonce de la Parole, la sanctification par l’Eucharistie et les sacrements, la conduite pastorale du peuple de Dieu.

C’est le numéro 6 de Presbyterorum Ordinis qui désigne explicitement la troisième charge des prêtres : la conduite pastorale de la communauté chrétienne selon le Christ « Tête et Pasteur ». Habituellement attribué à l’évêque, le titre de « pasteur » (et l’expression « charité pastorale ») seront particulièrement mis en valeur dans Pastores dabo vobis (cf. Jr 3, 15), exhortation apostolique de Jean-Paul II (1992) « sur la formation des prêtres ».
Le Rituel des Ordinations, promulgué par Paul VI en 1968, témoigne à plusieurs reprises de « la consécration pour la mission » et de « la triple charge ». Celle-ci est particulièrement évoquée, par l’édition de 1989, dans « la prière consécratoire » que prononce l’évêque et qui, faisant immédiatement suite à « l’imposition des mains », forme avec elle le rite essentiel de l’ordination.

La perspective eschatologique du ministère des prêtres inscrit dans la mission de l’Église est ainsi affirmée : ce ministère est voué au Christ Seigneur qui est, qui était et qui vient.

Le cinquième paragraphe déploie à nouveau la même perspective d’une autre façon. Il s’agit de la glorification de Dieu dans le service des hommes :

Ainsi donc, la fin que les prêtres poursuivent dans leur ministère et dans leur vie, c’est de rendre gloire à Dieu le Père dans le Christ. Et cette gloire, c’est l’accueil conscient, libre et reconnaissant, des hommes à l’œuvre de Dieu accomplie dans le Christ ; c’est le rayonnement de cette Œuvre à travers toute leur vie. Ainsi, (…) dans les différents ministères exercés au service des hommes, les prêtres contribuent à la fois à faire grandir la gloire de Dieu et à faire avancer les hommes dans la vie divine.

Vient la brève conclusion du paragraphe :

Tout cela découle de la Pâque du Christ, tout cela s’achèvera dans le Retour glorieux du Seigneur, « quand il remettra la royauté à Dieu le Père » (1Co 15, 24).

*

Être à Dieu pour les hommes et aux hommes pour Dieu. Ainsi résumé, le cinquième paragraphe du numéro 2 introduit assez naturellement au numéro 3 du décret, qui a pour sujet la condition, le comportement des prêtres parmi les hommes. On peut le comprendre comme une application de l’épître aux Hébreux qui enseigne deux moments, successifs et coordonnés, de l’acte sacerdotal du Christ : celui-ci, Fils de Dieu, nous reconnaît comme ses frères et nous fait communier à sa filiation divine.

C’est au cœur de la « fraternité » humaine que les prêtres rendent témoignage au Christ, le Fils de Dieu devenu homme parmi les hommes et leur communiquant sa vie filiale. C’est en vertu même de leur ministère attestant la vie éternelle que les prêtres ont à se rendre proches de la vie des hommes, afin de pouvoir les servir.

Cette alternance se résume dans leur conformité de « bons pasteurs » au Christ, l’« unique pasteur » :

Leur ministère même exige, à un titre particulier, qu’ils ne prennent pas modèle sur le monde présent (cf. Rm 12, 2), et, en même temps, il réclame qu’ils vivent dans ce monde au milieu des hommes, que, tels de bons pasteurs, ils connaissent leurs brebis et cherchent à amener celles qui ne sont pas de ce bercail, pour qu’elles aussi écoutent la voix du Christ, afin qu’il y ait un seul troupeau, un seul pasteur (cf. Jn 10, 14-16).

Le second paragraphe enchaîne aussitôt :

Pour y parvenir, certaines qualités jouent un grand rôle, celles qu’on apprécie à juste titre dans les relations humaines (…).

Il s’achève – et l’ensemble du chapitre premier avec lui – par la recommandation de Paul dans sa lettre aux Philippiens (Ph 4, 8).

Le plan du décret

Il reste à tracer le plan d’ensemble de Presbyterorum Ordinis. Le chapitre 2, « Le ministère des prêtres », décrit dans leur variété et leur complémentarité les « trois charges » (nos 4 à 6). Il rappelle les relations auxquelles les prêtres sont conviés par leur ministère : avec les évêques, entre eux, avec les laïcs (nos 7 à 9). Il invite à une attention accrue à la répartition des prêtres et aux vocations sacerdotales (nos 10 et 11). Cet enseignement du décret conciliaire influe sur le chapitre suivant.

Le chapitre 3, « La vie des prêtres », exprime la vocation des prêtres à la sainteté à travers l’exercice de la triple charge et dans la fidélité au Christ (nos 12 à 14). Il expose ensuite les exigences spirituelles que leur assimilation au Christ inscrit en eux : l’obéissance dans la disponibilité à la mission, le choix du célibat discerné comme un don de Dieu, l’attitude juste à l’égard des biens terrestres ainsi que la pauvreté volontaire (nos 15 à 17). Enfin, le texte énonce des « moyens » d’ordre spirituel (n° 18), intellectuel (n° 19) et économique (nos 20 et 21) que les prêtres ont à leur service. Une « exhortation » conclut le décret (n° 22). Nous en retranscrivons trois extraits :

Conscient des joies de la vie sacerdotale, le saint Concile ne peut cependant pas ignorer les difficultés dont souffrent les prêtres dans les conditions de la vie actuelle. (…) Mais ce monde tel qu’il est aujourd’hui, ce monde confié à l’amour et au ministère des pasteurs de l’Église, Dieu l’a tant aimé qu’il a donné pour lui son Fils unique (cf. Jn 3, 16). (…) Le saint Concile remercie les prêtres du monde entier. Et « à Celui qui peut tout faire, et bien au-delà de nos demandes et de nos pensées, en vertu de la puissance qui agit en nous, à lui la gloire dans l’Église et le Christ Jésus » (Ep 3, 20-21).

L’enseignement de Vatican II et de Presbyterorum Ordinis en particulier s’inscrit dans la Tradition de l’Église, qu’il éclaire et renouvelle dans l’Esprit du Christ Jésus. Transmis il y a cinquante ans, cet enseignement nous rejoint aujourd’hui. Pourrions-nous ne pas lui rendre témoignage ?

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