Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

En la fête de l’Assomption de la Vierge Marie, Homélie pour une profession perpétuelle

Éric de Moulins-Beaufort

N°2011-3 Juillet 2011

| P. 163-169 |

Un seul mystère – un signe grandiose – enveloppe de sa proximité corporelle la vierge Marie et la jeune femme qui engage ici sa liberté : celui de la vie, déjà donnée dans la naissance et le baptême, et maintenant transfigurée dans la gloire des humbles gestes quotidiens ; celui donc d’une maternité plus haute que le mal ou la mort.

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« Un signe grandiose apparut dans le ciel » : ce signe, c’est le voyant de Patmos qui le vit et qui nous le décrit, mais l’Église en ce jour nous donne de le contempler dans la foi [1]. Surtout, par la fête de l’Assomption, elle nous assure que ce signe n’est pas qu’une création poétique. La femme qui accouche est, de toute évidence, un signe de vie, de promesse de vie et de vitalité, là où les forces de la mort pourraient paraître l’emporter. Le dragon et ses sept têtes couronnées, le Mal avec tous ses prestiges et les ressources innombrables de son activité, ne pourra dévorer l’enfant pour qui Dieu a préparé un refuge, d’où il viendra conquérir la victoire avec son sceptre de fer. Cette vision grandiose, l’Église la contemple réalisée en Marie.

L’humble personne de la vierge de Nazareth est la femme qui enfante à la hauteur du monde entier. La mère de Jésus est la mère de tous les vivants. Celle à qui il a été donné de porter en son sein l’enfant Jésus et de le mettre au monde comme son fils premier-né, celle-là est aujourd’hui, dans la gloire de Dieu, la femme qui met au monde le Corps entier de son Fils. La vision qui pourrait être un fantastique symbole d’espérance forgé par le génie poétique d’un homme, nous la contemplons vivante en Marie glorifiée, entrée dans la vie de Dieu, en son âme et en son corps. La femme de l’Apocalypse est sans doute l’Église, répandue en toute l’histoire, qui crie dans les douleurs de l’enfantement, mais elle est aussi et d’abord Marie, la fille de Sion, qui contemple la victoire acquise de son Fils et à qui il est donné d’œuvrer maternellement pour cette victoire en chacun de nous et en tous les hommes.

Fécondité inouïe de la fête de l’Assomption : nous y découvrons, frères et sœurs, nous apprenons à y découvrir, que tous les gestes corporels de la mère de Jésus, la mère de Dieu, à l’égard de son enfant – le porter en son sein, le mettre au monde, lui donner le sein, le laver, l’envelopper de langes, veiller sur ses premiers pas, considérer sa croissance, l’accompagner dans les étapes de sa vie et, pour elle, comme, hélas, pour d’autres mères, se tenir près de lui dans la mort, et pour elle, et pour elle seule, et nous en elle, partager la joie immense du Ressuscité –, tout cela qui s’est fait si simplement, si humainement, comme les femmes le font et savent le faire depuis la nuit des temps, il est donné à Marie de le faire pour nous. L’Assomption de la Vierge Marie est la célébration de la proximité corporelle de la Mère de Dieu glorifiée à l’Église entière dont elle est la mère et à chacun de ceux dont Jésus veut faire ses frères.

« Un signe grandiose apparut dans le ciel » : c’est le signe d’un enfant mâle qui naît d’une femme. Toute naissance d’un enfant, garçon ou fille, sur cette terre est un signe immense. Qui le niera ? Toute naissance est la promesse que la vie humaine va continuer, qu’elle va se renouveler, car tout enfant est l’annonce d’une manière nouvelle, unique pour qui saura voir, d’être homme ici-bas. Toute naissance est une promesse, non pour les parents seulement mais pour l’humanité entière, même celle de l’enfant le plus ignoré de tous. Nous chrétiens, savons cela, comme tous les hommes qui veulent bien réfléchir à ce qu’ils vivent, mais plus qu’eux encore, depuis au moins la nuit de Bethléem et les anges qui chantaient.

Nous savons aussi que toute naissance ici-bas est l’annonce d’une manière nouvelle, unique, d’être fils ou fille de Dieu, d’accueillir ici, dans la chair, le don de Dieu et de le faire fructifier —, ou de le refuser ou de s’y dérober. Toute naissance humaine, même la plus tourmentée, est un signe grandiose et un signe dans le ciel, car tout enfant des hommes est, dès lors qu’il est conçu, voulu par Dieu, désiré par lui, donné par lui à tous les autres. Avant tout « projet parental », un enfant est un projet de Dieu, car Dieu, le Seigneur, veut régner en lui et par lui et faire de lui un roi en son Fils, le Christ.

« Un signe grandiose apparut dans le ciel » : ma Sœur, peut-être votre humilité trouve-t-elle que c’est beaucoup dire ; peut-être, frères et sœurs, jugez-vous que ce que nous vivons cet après-midi est grand et beau, certes, mais pas encore tout à fait de la grandeur du ciel. Pourtant : qu’y a-t-il de plus grand ici-bas qu’une jeune femme qui engage sa liberté, non pour l’enchaîner, non pour l’amoindrir, mais pour la déployer dans un don vrai ? Ce peut être dans le mariage, et c’est la source de la joie très particulière de tout mariage, et le mariage entre deux baptisés est un sacrement, mais aujourd’hui il nous est donné grâce à vous, ma Sœur, il nous est donné par vous de voir ce don entier dans sa nudité, fondé tout entier sur la foi, comme le « fiat » de Marie au jour de l’Annonciation, ce « fiat » qui a ouvert au Fils éternel notre humanité rétive pour qu’il y prenne chair et la conduise au salut.

Chère Sœur, voici déjà quelques années que vous avez prononcé votre consécration ; vous la renouvelez aujourd’hui et de manière définitive, non que vos premiers vœux eussent été pour un temps, à l’essai, mais pour la joie de confirmer ce qui vous a été donné déjà, pour la joie de rendre manifeste que le Seigneur vous a appelée à être son épouse ; à vivre dès ici-bas, dans le secret de la foi, de la vie éternelle qu’il a acquise pour tous les hommes et dans laquelle il travaille, de son « sceptre de fer », à les faire entrer tous.

Par votre don consenti en tout votre être, scellé en votre chair par le triple vœu d’obéissance, de chasteté et de pauvreté, vous rendez visible que le Seigneur ne nous arrache pas à la vie mais à ce qu’il y a de mort dans notre vie terrestre pour nous tirer jusqu’à la vie en plénitude. Par l’obéissance, vous choisissez de vous laisser conduire par son dessein de salut qui conduit l’histoire des hommes plus que nous ne pouvons le voir, et vous marquez que le lieu le plus secret de notre être est fait pour la plus grande charité ; par la chasteté, vous choisissez de le laisser vous donner la fécondité qu’il voudra et vous marquez que même le plus intime et le plus obscur, le moins maîtrisable, de notre chair prépare la joie du Royaume ; par la pauvreté, vous choisissez la meilleure part et vous marquez que notre peur de manquer et le goût que nous prenons aux choses annoncent la plénitude où le Seigneur nous conduit. En cette fête de l’Assomption, ma chère Sœur, nous pouvons le dire : votre engagement de ce jour et de tous les jours rend visible que les gestes les plus simples de notre vie, les gestes les plus corporels, et même les plus spontanés, ceux par lesquels nous nous marquons l’affection, l’attention, la délicatesse que nous nous portons les uns aux autres, ces gestes simplement humains qui sont peu de choses au regard de l’histoire que nous, les hommes, sommes capables d’écrire, comptent beaucoup pour le salut.

Marie, la vierge de Nazareth, chante son Magnificat alors qu’elle entre chez Zacharie et salue sa cousine Élisabeth qu’elle vient aider en vue de la naissance de son enfant inattendu. Bien des gestes corporels ont unis ces deux femmes pendant trois mois bénis : l’histoire des historiens n’en sait rien, mais quelque chose du mystère du salut s’est joué et se joue encore. Désormais, vous consentez à ce que cela se joue aussi dans vos gestes à vous.

Vous avez fait profession dans la congrégation des Petites Sœurs des Maternités catholiques. Cela aussi contribue au signe que vous nous donnez. Vous le savez, frères et sœurs : la fête de l’Assomption est ancienne, mais la définition de son dogme n’a été faite que récemment, en 1950, par le pape Pie XII. Qu’y avait-il d’urgent alors, au sortir de l’effroyable guerre mondiale et alors que le monde était divisé en deux blocs dont l’un s’engageait dans les chemins de la liberté économique et sociale et l’autre, dans celui du communisme et de l’athéisme obligatoire, à proclamer une telle vérité jusque là possédée assez tranquillement ? Peut-être pouvons-nous dire ceci : le XXe siècle a été le siècle où l’humanité a acquis d’immenses moyens techniques et ceci nous conduit, notamment, pas seulement mais aussi, à pouvoir faire beaucoup de mal sans plus nous en rendre compte. Les bombardements de la guerre, et en particulier celui des bombes atomiques, l’ont montré ; ils rendaient atrocement visible ce qui se vit dans le machinisme. La technique nous permet de ne plus nous rendre compte du mal que nous faisons, parce que nous le faisons à grande distance de nous-mêmes. Le bien appelle toujours une proximité même corporelle. On peut faire du bien à quelqu’un en l’appelant au téléphone et même en lui écrivant, mais tout cela ne peut qu’annoncer le bien que l’on se fera en se voyant, en se touchant. L’Assomption de la Vierge Marie célèbre le privilège de notre Dame, la mère de Jésus, de nous faire du bien à tous, en son âme et en son corps, dans la gloire de son Fils. Elle annonce la valeur pour le salut de Dieu de tout geste de proximité corporelle entre les hommes.

L’humanité est devenue capable d’agir beaucoup pour les enfants, avant même leur venue au monde, pour le meilleur mais aussi pour le plus mauvais et surtout pour un plus mauvais dont elle ne se rend plus compte, qu’elle se dispense de nommer. Mes Sœurs, votre vocation rend visible que tout enfant en préparation est « un signe grandiose » donné à l’humanité. Et tous les soins, les plus spirituels et les plus corporels apportés à la mère qui enfante, rendent hommage à ce signe et lui donne déjà de se déployer. Et aussi tous les gestes d’attention fraternelle, de respect, de délicatesse, que vous pouvez vous prodiguer les unes aux autres, dans les joies et les épreuves de la vie menée en communauté –, et à quel prix ils se donnent parfois ! – font descendre en quelque sorte ici-bas le monde du salut auquel Dieu nous conduit, comme les gestes d’affection de ses parents annoncent pour un enfant la tendresse de Dieu pour lui. Petite sœur des Maternités catholiques, épouse du Christ, ma Sœur, vous serez le signe que tout homme qui vient en ce monde est porté par l’amour de Dieu qui l’espère et qui le confie au sceptre du Christ.

Oui, « un signe grandiose apparut dans le ciel » : le signe que l’homme est fait pour être vivant et que rien de lui n’est vraiment voué à la mort ; le signe que l’homme est fait pour la sainteté et que rien de lui n’est vraiment voué au péché ; le signe que par la puissance du Christ déployée dans le grand combat de son incarnation, de sa mort et de sa résurrection, tout de nous, peut être transporté dans la vie de Dieu ; le signe que Marie ne cesse, en son âme et en son corps, maternellement, de nous enfanter à la vie de Dieu et que nous tous, portés par elle, nous pouvons, si Dieu nous en donne la grâce, nous aider mutuellement à grandir en fils et en filles de Dieu. Oui, ma Sœur : le Seigneur s’est penché sur son humble servante. Puissiez-vous exulter en lui au long de votre vie et le magnifier en chacun de vos actes, Amen.

[1N.D.L.R. Homélie prononcée le dimanche 15 août 2010, en l’église Saint-Lambert-de-Vaugirard, pour l’engagement définitif d’une Petite Sœur des Maternités catholiques. Les lectures sont celles de la solennité : Ap 11,19-12,1-6 ; 1 Co 15,20-27 ; Lc 1,39-56.

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