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Qui était Pierre Teilhard de Chardin ?

Jean-Pierre Demoulin

N°2010-2 Avril 2010

| P. 98-111 |

Le Président fondateur du Centre Belge Teilhard de Chardin esquisse un portrait du savant jésuite qui nous permet aussi d’approcher le cœur de cette puissante pensée ; auteur d’une anthologie de textes récemment rééditée (Pierre Teilhard de Chardin. « Je m’explique », Paris, Éditions du Seuil, 2005), il nous propose de poursuivre ci-dessous par quelques extraits dont on savourera la force poétique.

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Ce n’est pas en quelques lignes que nous pourrions dégager le vrai visage d’un homme tel que Teilhard. Fut-il un savant ? un philosophe ? un moraliste ? un théologien ? un mystique ? un saint ? Nous répondrons volontiers qu’il fut cela tout ensemble.

De nombreuses thèses faites par d’éminents esprits universitaires ont démontré depuis longtemps et détaillé les multiples composantes de cette personnalité : à la fois donc savant paléontologiste, géologue et anthropologue (Piveteau, Leroy, Chauchard, Barbour, Boné), philosophe (Barthélemy-Madaule, Ysaïe, Baudry) théologien (de Lubac, Wildiers, Smulders, Crespy, Baudry, Martelet). Quant à sa sainteté et sa vie mystique, les œuvres de Cuénot, d’Oince, Solages, de Lubac, de la Héronnière et Martelet nous en montrent assez la vivante et profonde réalité. Mais Teilhard fut savant, philosophe, théologien et religieux à sa façon, qui nous apparaît surtout dans la synthèse qu’il réalisa entre ces diverses manières d’être homme, de même qu’il vécut la convergence profonde entre ce qui est du Monde et ce qui vient de Dieu.

Rappelons succinctement sa biographie

Pierre Teilhard de Chardin est né le 1er mai 1881, à Sarcenat, dans un domaine familial, près de Clermont-Ferrand.

« Ma petite enfance s’est écoulée parmi les pierres, dans les montagnes d’Auvergne, auprès d’un père naturaliste qui m’a donné le goût de la nature et guidé ma passion naissante de la géologie. Mes promenades parmi les roches m’ont inspiré le désir de connaître ce monde minéral, si mystérieux et si fascinant, qui exerçait déjà sur mon esprit d’enfant une puissante et tenace attraction ».

Sa mère, arrière – petite – nièce de Voltaire, était fort pieuse et donna une instruction religieuse pratique et profonde à ses onze enfants, dont Pierre était le quatrième.

Elle était l’âme du foyer, et Teilhard devait écrire, quand elle mourut en 1936 : « Chère Maman, c’est à elle que je dois le meilleur de moi-même ». Elève des Jésuites au collège de Mongré (près de Lyon), il y trouve sans doute sa vocation. Il entre à l’âge de 18 ans dans la Compagnie de Jésus. Années de formation et d’études à Jersey, professorat au Caire (1906-1908) [1]. Il termine ses études religieuses en Angleterre à Hastings, où il est ordonné prêtre en 1911. Il étudie la géologie et entre au Muséum en 1912. Vient la guerre, où il se distingue dans un régiment de tirailleurs tunisiens. Ces années de tranchées lui révèlent la réalité vivante de la masse humaine. Sa correspondance en témoigne [2]. Après cette guerre, qui permet à son génie d’éclore, il fut reçu, en Sorbonne, « docteur ès sciences (naturelles) » en 1922 et acquiert la chaire de géologie à l’Institut catholique de Paris. Alors s’ébauche une grande carrière scientifique, inaugurée par une expédition de deux ans en Chine, principalement dans les Ordos (Mongolie intérieure).

De retour à Paris, un très malencontreux événement va changer radicalement sa situation vis-à-vis de l’Église. Un texte confidentiel rédigé pour éclairer un confrère sur sa vision du péché originel en rapport avec les origines humaines est envoyé à Rome. Teilhard doit renoncer à son enseignement et est exilé à Pékin où il restera jusqu’après la seconde guerre mondiale. Il fut un savant très apprécié par les chinois, participa à la découverte du Sinanthrope, en démontra le caractère hominien. Il restera à Pékin jusqu’en 1946, avec quelques brèves apparitions à Paris, pour se retremper dans le berceau de civilisation et de culture scientifique et religieuse occidentales. Il participe à de nombreuses expéditions scientifiques : « Croisière Jaune – Citroën », fouilles en Inde, en Birmanie. Il devient la fois « globe trotter » et spécialiste incontesté en paléontologie. On fait appel à lui comme à un expert particulièrement qualifié. Après la guerre 1940-45 qui l’avait immobilisé dans des conditions souvent pénibles à Pékin, il revient à Paris et est nommé au Centre National de Recherche Scientifique.

Après s’être vu constamment refusé l’autorisation de publier ses livres et essais où il confrontait, pour les harmoniser, ses vues scientifiques et sa foi religieuse, il doit, par obéissance, décliner une offre qui lui est faite d’enseigner au Collège de France. La manière dont ses idées se répandent, malgré tout, et l’aura grandissante de ce savant religieux dans les milieux parisiens lui vaut un nouvel éloignement de Paris, et ses dernières années se passent à New York comme collaborateur éminent à la Wenner-Gren Foundation for Antropological Research.

Par deux fois il est envoyé en Afrique afin d’y mieux coordonner et d’y stimuler la recherche scientifique dans le domaine de la préhistoire humaine. Mais ses dernières années se passent à New York, loin de son milieu intellectuel et spirituel, d’où il ne reviendra que pour un court séjour à Paris en 1954. Il était membre de l’Académie des Sciences (Institut de France), membre étranger de la Royal Antropological Institute de Grande Bretagne et membre d’honneur de l’Académie des Sciences de New York. Il mourut inopinément à New York, le jour de Pâques, dans la joie triomphante de la Résurrection, le 10 avril 1955 : son vœu le plus cher avait été de mourir précisément le jour de la Résurrection.

Écoutons d’abord la manière dont il exprime lui-même la précieuse orientation de sa vie située à la rencontre de la Foi et de la Science.

L’originalité de ma croyance est qu’elle a ses racines dans deux domaines de vie habituellement considérés comme antagonistes. Par éducation et par formation intellectuelle, j’appartiens aux « enfants du Ciel ». Mais par tempérament et par études professionnelles je suis « un enfant de la Terre ». Placé ainsi par la vie au cœur de deux mondes dont je connais, par une expérience familière, la théorie, la langue, les sentiments, je n’ai dressé aucune cloison intérieure. Mais j’ai laissé réagir en pleine liberté l’une sur l’autre, au fond de moi-même, deux influences apparemment contraires. Or, au terme de cette opération, après trente ans consacrés à la poursuite de l’unité intérieure, j’ai l’impression qu’une synthèse s’est opérée naturellement entre les deux courants qui me sollicitent. Ceci n’a pas tué mais renforcé cela.

Aujourd’hui je crois probablement mieux que jamais en Dieu – et certainement plus que jamais au Monde. N’y a-t-il pas là, à une échelle individuelle, la solution particulière, au moins ébauchée, du grand problème spirituel auquel se heurte, à l’heure présente, le front marchant de l’humanité ?

Je me suis engagé pour mon compte, sans hésiter, dans la seule direction où il me semblait possible de faire progresser et par conséquent de sauver ma foi. Le Jésus ressuscité que les autres m’apprenaient à connaître, j’ai essayé de le placer en tête de l’Univers que j’adorais de naissance. Et, le résultat de cette tentative, c’est que depuis vingt-cinq ans je m’émerveille sans arrêt devant les infinies possibilités que l’« Universalisation » du Christ ouvre à la pensée religieuse. […]

En vérité, plus j’ai médité les magnifiques attributs cosmiques prodigués par Saint Paul au Jésus ressuscité, plus j’ai réfléchi au sens conquérant des vertus chrétiennes, plus je me suis aperçu que le Christianisme ne prenait sa pleine valeur que porté (comme j’aime à le faire) à des dimensions universelles. Inépuisablement fécondées l’une par l’autre, ma foi individuelle au Monde et ma Foi chrétienne en Jésus n’ont pas cessé de se développer et de s’approfondir. A ce signe, d’un accord continuel entre ce qu’il y a de plus naissant en moi et de plus vivant dans la religion chrétienne, j’ai définitivement reconnu que j’avais trouvé dans celle-ci le complément cherché de moi-même et je me suis donné.

Mais, si je me suis donné, moi, pourquoi les autres, tous les autres, ne se donneraient-ils pas à leur tour, aussi ?

La passion pour le Monde d’où jaillit ma foi, l’insatisfaction aussi que j’éprouve, de prime abord, en face de n’importe laquelle des formes anciennes de religion, ne sont-elles pas toutes deux la trace, dans mon cœur, de l’inquiétude et de l’attente qui marquent l’état religieux du Monde d’aujourd’hui ?

Mais alors la solution que poursuit l’Humanité moderne ne serait-elle pas essentiellement celle-là précisément que j’ai rencontré. Je le pense et dans cette vision s’achèvent mes espérances. Une convergence générale des Religions sur un Christ-Universel qui au fond les satisfait toutes : telle me paraît être la seule conversion possible du Monde, et la seule forme imaginable pour une Religion de l’avenir. (extrait de « Comment je crois », 1934, Tome, p. 117-118 ; 148-150)

Quelle est cette pensée ?

Il faut d’abord prendre conscience du fait incontournable que le Monde (Univers, Vie, Humanité) est en évolution totale et généralisée, avec toutes ses conséquences, encore mal perçues aujourd’hui, mais clairement affirmée par les sciences et la philosophie. On passe d’une conception de « cosmos statique » à celle de « cosmogénèse ». La création n’est pas achevée, elle se poursuit sous nos yeux et continuera jusqu’à la fin des temps.

L’évolution, depuis son origine, répond à un processus de croissance de la complexité. Celle-ci va des plus simples éléments sub-atomiques jusqu’aux animaux supérieurs en passant par l’atome, la molécule, les virus, la cellule, les plantes et les animaux. Teilhard a montré que cette croissance s’accompagnait d’une intériorisation également croissante laissant apparaître des psychismes de plus en plus centrés et performants et donc une augmentation de conscience dont la perfection croît vertigineusement chez les animaux supérieurs, pour franchir enfin un seuil capital, avec, en l’homme, la Réflexion de celle-ci. Ceci permet à Teilhard d’énoncer la loi de « centro-complexité-conscience ». Ces complexités deviennent de plus en plus énormes, surtout au niveau vivant, où elles sont principalement condensées dans le système nerveux et dans sa localisation elle-même centrée dans les cerveaux. Chez l’homme, le cerveau avec ses 100 milliards de cellules interconnectées représente actuellement le sommet presque infini de centro-complexité, accompagné d’une conscience réfléchie. L’animal sait, l’homme sait qu’il sait !

Ainsi, avec l’apparition de l’Homme et de sa conscience libre et réfléchie, l’évolution passe une nouvelle étape où, après celle de la vitalisation apparaît celle de l’Hominisation. Par « Hominisation », la planète, et avec elle la cosmogénèse, change de face : c’est l’apparition, grâce au « pas de la réflexion », du « Phénomène humain » qui recouvre la terre d’une couche de pensée réfléchie et unie : la « Noosphère ».

Plusieurs fois, pour faire « voir » l’importance phénoménale du pas de la réflexion, Teilhard déploie deux descriptions, deux visions, qui forment un diptyque : la Terre à la fin du pliocène (il y a un million d’années) et la terre moderne du vingtième siècle. La plus belle description, se trouve dans le « Groupe zoologique humain » de 1949, paru comme tome 8 sous le titre « la Place de l’Homme dans la Nature ». Écoutons Teilhard :

« Parmi les contrastes innombrables que fait surgir devant l’esprit le spectacle déroulé des temps géologiques, je n’en connais pas de plus saisissant, à la fois par sa proximité relative et sa brusquerie, que celui qui oppose entre elles la terre pliocène et la terre moderne. Essayons seulement de nous présenter, comme sur deux tableaux rapprochés l’un de l’autre, d’un côté une région continentale suffisamment stable (par exemple le Bassin de Paris) un peu avant le Villafranchien – et, en face, le même domaine tel qu’il se présente aujourd’hui à nos yeux. De part et d’autre, que voyons-nous ?
Ici (je veux dire vers la fin du Pliocène) le cadre topographique et climatique est déjà, dans ses grandes lignes, le même que maintenant : la Seine, la Loire, les dépôts de piedmont rayonnant autour du Massif Central, sous un ciel tempéré. Et, si l’on excepte la grande faune disparue (Éléphants, Rhinocéros…) les animaux (Loups, Renards, Belettes, Blaireaux, Sangliers…) appartiennent tous à des types encore vivants autour de nous. Déjà presque notre monde. Et pourtant un monde hanté (si l’on peut dire) par une énorme absence. Dans ce cadre presque familier, en effet pas d’Hommes, – pas un seul Homme en vue. Si bien que transporté par miracle sur notre planète à cette époque, pas si lointaine pourtant (un ou deux millions d’années en arrière), un voyageur aurait pu parcourir la Terre entière sans rencontrer personne. Sans rencontrer personne, j’insiste. Essayons de goûter jusqu’au fond ce que ces simples mots comportent d’étrangeté, de dépaysement et de solitude…
Et là, par contre (j’entends sur la face moderne du diptyque), qu’apercevons-nous, sinon des Hommes partout, de l’Homme à satiété, de l’Homme encombrant toute la vue avec ses maisons, ses animaux domestiques, ses usines, – de l’homme étendu sur tout le paysage et tout résidu de faune sauvage comme une inondation.
D’où invinciblement, en face d’un tel changement accompli en si peu de temps, la question suivante qui monte à nos lèvres : Entre les deux états, entre les deux époques (pourtant géologiquement si proches) que s’est-il passé, pour donner lieu à telle métamorphose ? quel événement catastrophique ? ou quelle altération profonde dans le régime de l’Évolution ? »

On pourrait encore accentuer ce tableau, aujourd’hui après 50 ans, en remarquant combien la Terre n’est-elle pas encore plus inondée par l’Homme et toutes ses œuvres : d’abord ses 6 milliards d’humains, les routes et les chemins de fer, les réseaux électriques, avec les éclairages urbains et routiers (si bien visible de l’espace), les centrales nucléaires, les innombrables vols aériens et les satellites. Moins visibles, mais aussi réels : les ondes électromagnétiques (Radio, TV, GSM et GPS) et enfin le réseau d’Internet.

Oui, c’est un autre Univers qui se présente à l’observateur objectif ! Teilhard répondra à ces interrogations : « Ce qui explique la révolution biologique causée par l’apparition de l’Homme, c’est une explosion de conscience » […]. C’est le passage de l’Évolution biologique à travers la surface, restée jusqu’alors impénétrable, séparant le zone du Psychisme direct (animaux supérieurs) de celle du Psychisme réfléchi (homme) où la Vie s’est « hypercentrée sur soi, au point de devenir capable de prévision et d’invention. Elle est devenue consciente ‘au deuxième degré’. Et c’en est assez pour qu’elle soit devenue capable, en quelques centaines de millénaires, de transformer la surface et la face de la Terre » [3].

Tout le monde voit bien que ce phénomène est convergent, par rassemblement toujours plus étroit des pensées autour d’une planète à la surface fermée. C’est ceci qui conduit à la « Mondialisation ». La socialisation humaine est un phénomène biologique planétaire qui marque un rebondissement humain de l’Évolution. Ce phénomène qui est donc convergent laisse prévoir dans le futur un nouveau seuil : « l’Ultra-humain », au terme duquel se profile un sommet absolu de complexité et donc de conscience, sorte de point de maturation universelle de l’aventure cosmique, appelé par Teilhard « Point Oméga ». L’énergie interne qui produit tout ce mouvement est un énergie d’union, agissant dès le début, mais accroissant sans cesse son empreinte et se réfléchissant aussi en l’homme, pour révéler et connaître sa véritable essence : l’Amour.

L’examen approfondi de ce mouvement général fait apparaître un grand principe : l’Union différencie, elle crée et elle personnalise. L’union vraie, au niveau humain, se fait par l’amour qui exige et renforce la présence de « personnes humaines ». Le sommet « Oméga » de cette création étant un sommet de complexité par union, sera donc un sommet de conscience et d’amour : il est donc, et dès l’origine, un être suprêmement personnel.

Cette vision est sous-tendue par une métaphysique évolutive que Teilhard appelle « Union créatrice ». C’est par Union qu’apparaît la création et toute nouvelle création, en évolution, se fera par Union. Union des éléments entre eux et Union de ceux-ci au Créateur qui les anime en les unissant eux-mêmes et à Lui. Cette métaphysique – ou « ultra physique » – permet une approche intellectuelle satisfaisante du douloureux problème du mal qui est lié à l’imperfection d’une création en devenir, et cela par les unions qui se cherchent au travers des hasards, avec, au niveau matériel bien des désordres, au niveau vivant la souffrance et la mort, et au niveau réfléchi humain, outre l’héritage originel des ces formes ancestrales de mal, l’apparition, avec la liberté, de la faute, du péché librement accompli. « Ô hommes (…) pourquoi faut-il que nous aggravions obstinément par notre faute, et que nous doublions d’un péché, la douleur de la Multitude ? [4]

Ce sont toutes ces formes de désunion qu’il faudra, au Point Oméga, comme Rédempteur, compenser et abolir à force d’union, c’est-à-dire d’Amour. Dans cet océan des passions, des attentes, des craintes, des peines, des angoisses, des agonies, dont chaque homme représente une goutte, dans cette mer immense, le Christ va se plonger, l’absorber et en dompter les vagues et les marées au rythme de sa vie à lui. – « Voilà le sens de la vie ardente du Christ bienfaisant et priant. Voilà le secret inabordable de son agonie. Et voilà aussi la vertu incomparable de sa mort en Croix » [5]. Pour que la mort pût être transformée en moyen d’union, il fallait que nous sachions l’accepter avec humilité, amour et surtout immense confiance. Il nous fallait surmonter, intellectuellement et vitalement, l’horreur que cette destruction nous inspire. « En essayant sur soi la mort individuelle, en mourant saintement la mort du Monde, le Christ a opéré ce retournement de nos vues et de nos craintes. Il a vaincu la mort. Il lui a donné physiquement la valeur d’une métamorphose. Et avec Lui, par elle, le Monde a pénétré en Dieu [6].

Et alors le Christ est ressuscité ». La résurrection est vraiment un formidable événement cosmique qui correspond à la prise de position « effective », par le Christ, de Centre universel. Il rayonne sur tout l’Univers « comme une conscience et une activité maîtresses d’elles-mêmes » […] Quand, en face d’un Univers dont l’immensité physique et spirituelle se révèlent à nous de plus en plus vertigineuses, nous sommes effrayés du poids toujours croissant d’énergie et de gloire qu’il faut placer sur le fils de Marie pour avoir de droit de continuer à l’adorer, pensons à la Résurrection ».(Ibid.).

Le Point Oméga, hyper-personnel, parce que hyper-uni, révèlera le mystère de la Trinité, ou de l’union triplement personnalisante en Dieu. Cette vision théologique permettra d’approfondir, dans une vision Christique évolutive, les mystères de la Création, de l’Incarnation et de la Rédemption, trois faces du mystère central de l’Amour divin : la plérômisation (saint Paul). Révélation d’un Dieu qui s’humanise par l’Incarnation de son Fils pour nous diviniser en l’Esprit Saint, par la Résurrection et ses prolongements dans l’Eucharistie. Cette vision éclaire aussi une morale dynamique et une mystique de l’Union dont « le Milieu Divin » et « la Messe sur le Monde » sont les plus admirables expressions sous la plume du Père Teilhard.

Dans un monde convergent sur le Christ ressuscité qui rassemble en lui l’Univers en évolution, la vie chrétienne va s’animer d’une charité universelle et en constante croissance, « en constant progrès » comme disait saint Paul.

Le chrétien pourra dire à son Seigneur qu’il l’aime « de toute son âme, de tout son cœur, et de tout l’Univers en évolution ». Quelle ampleur dans l’acte d’adoration et dans la prière ! Cela veut dire que tout progrès que nous réaliserons dans la recherche pour l’évolution vers le bonheur par l’union des personnes et de la société, grâce à l’Amour, et tout accroissement de la convergence humaine et universelle accroîtront la glorification du Corps mystique du Christ, qui n’est pas une notion juridique, mais bien une réalité physique spiritualisée.

La mort, dans cette perspective, intellectuellement surmontée par la théorie de l’Union créatrice, mais si douloureusement ressentie dans notre chair, devient l’acte ultime d’union par lequel notre personne se « retourne » pour que son intériorité devienne première et soit unie intimement au Centre de toute intériorité. Cette problématique existentielle de notre destinée est magnifiquement résumée par deux phrases de Teilhard dans sa « Messe sur le Monde » : « Celui qui aimera passionnément Jésus caché dans les forces qui font grandir la Terre, la Terre, maternellement, le soulèvera dans ses bras géants et elle lui fera contempler le visage de Dieu. » … et : « Celui qui aura aimé passionnément Jésus caché dans les forces qui font mourir la Terre, la Terre en défaillant le serrera dans ses bras géants, et avec elle, il se réveillera dans le sein de Dieu » [7].

[1Cf. Lettres d’Égypte.

[2Cf. Genèse d’une pensée ; Lettres à sa cousine et ses « Écrits du temps de guerre ».

[3Tome 8, p. 90.

[4T. 12, p. 139.

[5T. 9, p. 91.

[6T. 9, p. 92.

[7La Messe sur le Monde. T. 13 p. 259-260.

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