Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Formation et préparation à la consécration des vierges

Godfried Danneels

N°2009-4 Octobre 2009

| P. 243-253 |

L’antique consécration des vierges a fait retour, dans l’Église catholique, depuis plus de cent ans. Sa discrète présence dans bien des diocèses nécessite de nos jours qu’une préparation adaptée soit procurée aux candidates, et surtout, que soit proposée une formation humaine et intellectuelle dont l’archevêque de Malines-Bruxelles trace ici les imposants contours.

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Avant d’aborder dans notre sujet, les instruments de formation pour les vierges consacrées, j’aimerais d’abord noter que la consécration virginale est une vocation personnelle qui en tant que telle a sa propre préhistoire : c’est toute la vie antérieure qui prépare à la consécration virginale. Il est important, je crois, de garder cela devant les yeux.

Selon moi, la formation à la consécration est semblable à celle de tout chrétien ou de toute chrétienne. Sans doute une vierge consacrée doit-elle aller beaucoup plus loin, vivre de façon beaucoup plus radicale ; sans doute certains aspects de sa vocation sont-ils spécifiques. Mais, au fond, la formation d’une vierge est comparable à celle d’un « chrétien de base », parce que son appel n’est rien d’autre qu’une radicalisation de la vocation baptismale. La vierge consacrée doit donc avoir le même type de formation que tout chrétien sérieux et engagé. Je crois d’ailleurs qu’un jour, les Évêques devront se mettre d’accord entre eux sur les exigences minimales de formation à demander à une candidate. Ce n’est pas facile, car on ne peut exiger de toutes la même formation, une formation nivelée, unique, comme c’est davantage le cas au Séminaire. Les appels et les charismes diffèrent ; la formation doit donc être adaptée à la vocation personnelle de chacune. Je commencerai par l’élément humain, le premier à prendre en considération ; puis je parlerai de la formation intellectuelle et enfin de la formation à la vocation propre de vierge consacrée.

Formation humaine

Pour recevoir la consécration virginale, il faut d’abord, je crois, un réel équilibre humain. Non qu’une certaine fragilité soit incompatible avec la vocation de vierge dans l’Église. Une personne psychologiquement fragile peut recevoir l’appel à la virginité consacrée. Elle est alors appelée malgré sa fragilité, non pas en fonction de sa fragilité. Certes, une vierge consacrée n’est pas un prêtre appelé à parler en chaire, à entretenir sans cesse des contacts variés. Mais il ne faudrait pas, je le répète, que la vocation à la consécration virginale, soit déduite ou découle, plus ou moins, d’une fragilité psychologique. C’est une question de discernement, mais, de toute façon, l’idéal est que la vierge ait un équilibre assez sérieux et profond.

Cet équilibre concerne tout l’être. Il s’agit d’abord d’un équilibre du corps. La santé requise d’une vierge réside au moins dans le fait qu’elle est à l’aise dans son corps. Car lorsque l’on se consacre à Dieu par la virginité, il n’y a pas de place pour les complexes ou les questions de sexualité non réglées. Si cet équilibre corporel fait défaut, la personne s’engage dans une vie impossible ou qui deviendra un contre-témoignage pour les autres.

Ensuite, et surtout, il s’agit d’un « équilibre de l’âme », c’est-à-dire une faculté d’aimer gratuitement, de façon la moins possessive possible. Cela suppose un développement équilibré de la personnalité, habituellement portée vers les autres, altruiste donc, et non pas centrée sur l’introspection et les propres problèmes. La faculté d’aimer d’un amour oblatif et vrai est absolument indispensable pour recevoir la consécration virginale. Une vierge ne peut être une handicapée de l’amour !

Il faut enfin un équilibre dans l’esprit. L’esprit est la fine pointe de l’âme où Dieu travaille, où l’appel de Dieu est perçu, où l’appel de Dieu doit aussi être vérifié. À quoi une femme peut-elle reconnaître qu’elle est appelée à la vocation de vierge ? Surtout à une certaine pureté de l’âme, à une certaine facilité à percevoir les choses de Dieu et de l’Église ; à une certaine vulnérabilité, ou encore à une sorte de perméabilité de l’esprit à l’égard de Dieu, de l’Évangile, de l’Église, ainsi que des besoins des autres et du monde.

L’équilibre de la personnalité doit s’accompagner de l’aptitude à vivre seule. Il n’y a pas dans nos pays de communautés de vierges, pas de vie communautaire pour elles en tant que telle. Certes, les vierges consacrées peuvent se sentir unies entre elles et se réunir régulièrement, éprouver une cohésion spirituelle et entretenir des relations d’amitié et même d’amour profond. Mais pour elles (comme pour les diacres qui ne forment pas un « diaconium »), il n’existe rien de semblable au presbyterium qui réunit, en une communion sacramentelle, tous les prêtres autour de l’Évêque.

La vierge consacrée doit donc être apte à vivre seule, non dans une sorte de retrait du monde, mais comme seule « dans » le monde et donc capable de pourvoir à ses besoins, de « tenir » seule, ouverte sur l’Église et ses besoins, ainsi que sur ceux du monde. La solitude demandée à la vierge n’est pas renfermement sur soi, ce serait même psychologiquement et spirituellement un handicap. Mais pareille solitude n’est pas évidente, car hommes et femmes sont faits pour vivre en couple ou ensemble. En général, cela ne pose pas grand problème : on ne demande pas la consécration virginale à 18 ans ; on la demande quand on a déjà pris très nettement la décision de ne pas se marier et de se consacrer à Dieu, qu’on a adopté un certain style de vie. On a déjà une pratique de la vie « seule », une habitude de vivre, non pas en solitude, mais seule. La vérification doit cependant être faite, je crois, avant d’accorder la consécration virginale.

Il faut aussi avoir une certaine aptitude à l’épanouissement humain. La personnalité d’une vierge consacrée à Dieu doit être épanouie, sauf à devenir un obstacle pour nos contemporains, déjà si loin de l’Évangile, de la pauvreté, de la chasteté et de l’obéissance. Ne nous faisons pas d’illusion : le monde ne comprend pas les valeurs typiquement évangéliques, il ne comprend pas la pauvreté, et encore moins la chasteté. De nos jours, si l’on ne se marie pas, on est considéré comme un handicapé de l’amour. Si donc, en choisissant cette voie, on montre un visage crispé, peut-être a-t-on entendu un appel de Dieu, mais l’Église à qui il revient d’en juger, doit aussi tenir compte du rayonnement de la personne. À notre époque où l’on dénonce tellement la virginité ou même la chasteté comme une amputation, je crois qu’il ne faut pas courir le risque d’y ajouter un handicap humain, en accordant la consécration à une femme inapte au contact avec les autres ou qui ne souhaite pas en avoir. Cela vaut d’ailleurs également pour les prêtres, les religieux et les religieuses : on ne peut accepter des personnalités rétrécies, diminuées. Il faut donc une personnalité relativement épanouie, qui ne porte pas son cœur en écharpe, qui ne pleure pas tous les jours ; en d’autres mots, une personnalité dotée d’un certain optimisme.

À notre époque, où l’on pense que le bonheur consiste dans la richesse, le bon mariage, la liberté de faire ce que l’on veut sans obéir à personne, il est extrêmement important que ceux et celles qui se consacrent à Dieu sans partage, en suivant les conseils évangéliques – si peu compris – soient des personnes capables d’un certain rayonnement, expression d’une véritable joie. La véritable joie, dit Jésus, c’est la pauvreté et la chasteté, c’est l’obéissance, c’est l’accueil et la disponibilité, c’est perdre sa vie au lieu de vouloir à tout prix la garder pour soi. La marque des vocations sacerdotales, religieuses, et aussi celle des vierges consacrées, c’est aujourd’hui la joie. Il n’en allait peut-être pas ainsi par le passé, quand le milieu était en général moins tendu, plus serein. Mais à présent, qu’on reproche aux prêtres, aux religieux et religieuses, à tous les membres de l’Église, leur tristesse, il ne faudrait pas « en rajouter » !

La joie n’est d’ailleurs pas uniquement une sorte de produit de marketing. En dehors de toute publicité pour la vie consacrée, on peut dire que la joie est le meilleur thermomètre de l’équilibre, de la santé intérieure et spirituelle. La joie est absence de fièvre, la tristesse est manifestation d’hyperthermie. Or, quand on a de la fièvre, même si l’on ignore le nom de sa maladie, on se sait malade, et l’on cherche à en identifier la cause. De même, quand on est triste de façon habituelle (non pas une fois ou l’autre – nous connaissons tous tel morne dimanche après-midi…) et sans raison apparente, c’est qu’il y a quelque part de la fièvre. Peut-être la maladie n’est-elle pas très grave, ce peut être une simple grippe, mais il faut chercher. Par contre, la joie est le signe de l’équilibre. On pense au médecin qui, examinant l’analyse du sang, dit : « Je ne trouve rien. Vous êtes en bon état, en bon équilibre ».

Veillons donc à être portées par une véritable joie. Pas forcément de l’exubérance, mais une joie tranquille. C’est fort important pour le rayonnement spirituel de toute vocation consacrée dans l’Église, et c’est aujourd’hui le test par excellence d’une bonne santé, d’un bon équilibre spirituel. Lorsque je rencontre une personne joyeuse dans sa vocation, je n’ai plus de question à lui poser. C’est le cas de prêtres, rayonnants de joie, que je rencontre à l’occasion de nominations. En revanche, face à la mélancolie, à cette sorte de brouillard et de nébulosité, on doit toujours chercher ce qu’il y a : c’est qu’il y a presque toujours quelque chose… Parfois, il peut s’agir d’un trait de caractère, « à la Chateaubriand ». Cependant l’absence de joie n’est jamais bonne. Dans une lettre à saint Vincent de Paul, la Mère supérieure des Filles de la Charité écrivait : « J’ai deux novices : l’une qui ravage tout ici, indomptable, vigoureuse en tout, jetant tout par terre, n’ayant aucune discipline ; et une autre qui est mélancolique, toujours tranquille dans son coin. Cette dernière, je n’arrive même pas à l’éveiller. Que dois-je faire ? » Réponse de Vincent de Paul : « Pour la première, gardez-la, car elle peut encore s’améliorer et probablement elle s’améliorera ; mais la seconde, non, parce que c’est un étrange esprit que celui de la mélancolie ».

Formation intellectuelle

Celle-ci doit évidemment commencer avant la consécration, mais elle ne se termine pas avec elle. Il faut, pendant toute votre [1] vie, une certaine formation intellectuelle. Il en va différemment pour les prêtres et les diacres qui, dès leur ordination, doivent être capables de prêcher, de conduire des cercles bibliques et des groupes de réflexion, de remplir leur tâche liturgique, ainsi que de tenir une conversation personnelle dans le cadre de la pastorale individuelle. À un certain moment, celui de leur ordination, ils doivent être prêts : leur ‘métier’ commence. Mais vous, vous avez la possibilité de répartir la formation intellectuelle sur toute une vie. Vous avez le temps, un peu comme des moines et moniales qui n’ont pas l’obligation d’être complètement prêts au moment de leurs vœux, puisqu’ils ont toute la vie devant eux. Et, de fait, c’est toute leur vie qu’ils mettent à profit pour affiner leur sens de Dieu et leur formation intellectuelle.

Votre formation ne doit pas être d’ailleurs préparation à telle ou telle tâche : il n’y a pas de tâches spécifiques qui concerneraient les vierges consacrées. Le Rituel [2] dit que la vierge prie, fait pénitence, se met au service de l’Église et du monde. C’est très général, et il est inutile de préciser davantage car chaque vocation est particulière. La consécration virginale ne requiert donc pas une formation intellectuelle très spécialisée, sauf si vous devenez catéchistes, par exemple. Mais alors, ce n’est pas eu égard à votre consécration que vous vous formez, mais à cause de votre tâche de catéchiste.

Il faut dire aussi que la formation intellectuelle que vous devez acquérir n’est pas une formation académique recherchée pour elle-même, sauf pour celles qui, pour le reste de leur formation, ont précisément un niveau universitaire. Dans ce cas, elles sont obligées de mettre leur formation théologique et leur vie théologale au même niveau, non pas, je le répète, parce qu’elles sont vierges, mais parce qu’elles sont universitaires. Un professeur d’université qui se consacre à Dieu par la virginité doit se mettre à niveau universitaire en théologie, c’est une évidence.

Pour les vierges consacrées en général, la base et l’achèvement de la formation intellectuelle est la formation biblique. Vous devez avoir un sens de la Bible, un sens de la Parole de Dieu, que la Préface consécratoire du Rituel vous fait obligation de méditer. Pour cela, il faut la connaître. Cette formation biblique est fondamentale : avoir lu la Bible, et toujours la relire. S’il n’est pas nécessaire qu’on l’ait lue en entier avant la consécration, il faut en avoir pris connaissance globalement.

Quelque part dans votre vie, vous devez réserver du temps à la lecture continue de la Bible, sans vous arrêter à toutes les difficultés comme, par exemple, dans le Livre des Nombres, à tous les chiffres. Lisez la Bible tranquillement, et jusqu’à la fin.

On peut le faire aisément de la manière suivante : prendre tous les jours un ou deux chapitres pendant un quart d’heure ou vingt minutes. Pour cela, il faut toujours avoir sa Bible ouverte, et donc prévoir une table pour elle, c’est-à-dire un coin de prière où la Bible vous invite à tout moment à la prendre et à la lire. Une autre méthode consiste à concentrer la lecture continue de la Bible sur quelques jours : on peut lire le Livre de Jérémie en une ou plusieurs journées de récollection, les grands prophètes en huit jours de retraite. Quand on est ainsi concentré davantage sur la lecture, elle pénètre plus profondément dans le cœur que si la lecture se fait pendant que les pommes de terre sont en train de cuire… Toutefois rien ne s’oppose à ce genre de lecture de la Bible ! Vous avez le choix… Mais quel que soit le moyen choisi, vous ne pouvez vous dispenser d’une lecture continue de la Bible au cours de votre vie.

Il vous faut aussi, de temps en temps, lire un petit livre de théologie biblique. Le thème de l’Alliance est évidemment fondamental pour la vierge consacrée. Mais il y a également les thèmes de la pauvreté et de la virginité, celui de la prière de Jésus et des apôtres, ou bien une lettre de saint Paul. L’utilisation des Cahiers Évangile est un excellent moyen pour s’aider dans cette lecture de la Bible.

Il est important encore, pour être introduit dans la connaissance de la Bible, de suivre des sessions ou des cours, car rien ne vaut la parole dite, la parole vivante. Écouter quelqu’un introduire à la lecture d’Isaïe ou de Jérémie est bien préférable à la lecture solitaire d’une introduction à ces prophètes. Vous connaissez, bien entendu, tous les autres moyens de formation (vidéos, dias, CD…).

Quelques éléments de critique biblique sont nécessaires aussi, pour distinguer les genres littéraires dans la Bible et pouvoir dialoguer avec les gens – à propos des miracles par exemple. On a un très bon résumé de l’état de la question dans le Catéchisme des Évêques allemands [3]. Le but n’est pas de devenir spécialiste dans le domaine de l’historicité des Évangiles, ou dans la question synoptique ou dans la triple source de la Genèse ou du Pentateuque. Le but, c’est votre vie spirituelle. La préférence doit être donnée à des introductions de la Bible qui ne soient pas purement techniques mais spirituelles, qui privilégient l’inspiration profonde et les valeurs de révélation présentes dans chaque livre.

Dans la Bible, il vous faut donner une préférence absolue au Psautier. Il est la base de la Prière des Heures, et donc la nourriture fondamentale de qui veut prier en Église. Prier en Église, c’est prier les psaumes. Si vous êtes vierges consacrées, c’est-à-dire des priantes dans l’Église, vous aimez les psaumes. Il faut de temps en temps en lire un commentaire ou analyser soigneusement l’un d’entre eux. Le petit volume sur le Psautier de la Bible de Jérusalem, contient une introduction qui est un excellent instrument de travail ; genres littéraires, mots-clés (et à partir d’eux, on peut presque rédiger un psaume personnel…), renvois à d’autres psaumes et usage liturgique sont indiqués pour chaque psaume. C’est extrêmement instructif tout en ouvrant à une vraie lecture spirituelle.

Il est intéressant aussi de lire la Bible en privilégiant les lectures quotidiennes proposées par la liturgie. C’est une méthode tout à fait humaine et de bon sens. Quand on mange du pain à table, on le coupe d’abord en tranches ; de même quand on veut lire et manger la Parole de Dieu. Dans la liturgie, l’Église coupe la Bible en tranches en fonction du temps liturgique. Sur trois ans, on est sûr d’avoir lu tous les passages importants, sans se laisser guider par son choix personnel. Chaque livre liturgique possède une introduction. l’Introduction au Lectionnaire (Praenotanda) indique les principes qui ont présidé aux choix des lectures et à leur attribution à telle ou telle période de l’année. Elle est très riche, tout comme l’introduction au Missel romain. Il est vraiment dommage que ces textes essentiels, qui fournissent des éléments qu’on ne trouve nulle part ailleurs, soient si mal connus.

Une formation liturgique est également nécessaire. Une vierge consacrée doit entrer dans la spiritualité de chaque temps liturgique, celle-là même qu’on tire des textes, en particulier pour l’Avent, Noël, le Carême, la Semaine sainte et Pâques. Pendant le reste de l’année, rythmée par les 34 « dimanches verts », la vierge consacrée peut elle aussi « se mettre au vert », en faisant une lecture continue des textes proposés.

La vierge consacrée doit encore se former à la Prière des heures. Celle de l’Église latine est assez austère, avec presque exclusivement des psaumes et des lectures bibliques, mais peu de ces compositions poétiques libres qui, aux premiers siècles, ont été écartées, parce qu’elles se prêtaient trop aux hérésies gnostiques. En Orient, où ce danger n’existait pas, les Pères ont composé d’admirables textes, d’une absolue rigueur dogmatique, et qui sont encore utilisés aujourd’hui.

La base de la formation en théologie dogmatique est un bon catéchisme. Comme je l’ai dit, le Catéchisme allemand en est un bon exemple. Croire, célébrer, vivre : il faut avoir lu et travaillé ce qui concerne la foi exprimée dans le Credo, la liturgie et les sacrements célébrés dans l’Église, la morale enfin qui indique comment vivre.

Il est important aussi que la vierge consacrée consacre un temps suffisant à l’étude de l’ecclésiologie, parce que sa vocation est ecclésiale. Elle doit donner la préférence à la méditation du mystère de l’Église. Les grands textes historiques sur l’Église doivent être lus, à commencer par Lumen Gentium de Vatican II. Si vous êtes filles de l’Église, vous devez connaître l’Église et tout particulièrement son mystère profond. La théologie de la virginité, à laquelle vous devez être initiées aussi, est directement liée à l’ecclésiologie.

Il vous faut aussi avoir contact avec l’histoire de la spiritualité, tout spécialement avec l’histoire des martyrs, des vierges et des moines. Vous comprendrez par là ce que fut, dès les tout premiers siècles de l’Église, la consécration personnelle. Ensuite, je pense aux grandes saintes vierges de l’histoire que vous devez absolument lire : Catherine de Sienne est quasiment votre modèle. Consacrée en plein cœur de l’Église, elle voyageait avec ses « brigades » (le groupe de compagnons et de compagnes qui l’accompagnaient) et faisait dans les villes de véritables missions populaires. C’est elle qui a fait revenir le Pape d’Avignon à Rome. Je pense aussi à sainte Brigitte, à sainte Colette, à sainte Mechtilde, à sainte Gertrude. Il y a, dans l’histoire de l’Église, toute une lignée d’éminentes vierges qui ont vécu une spiritualité forte et belle, laquelle vous est particulièrement adaptée. De très beaux traités sur la virginité peuvent être lus et médités, même s’ils sont parfois un peu difficiles, comme celui de Grégoire de Nysse.

Formation à la vocation propre de la vierge consacrée dans l’Église

Il s’agit d’abord de l’apprentissage à la vie dans la virginité consacrée. Cela suppose la capacité à construire, en union avec son directeur spirituel, un programme spirituel et à s’y tenir. Un rythme doit être trouvé par chacune : rythme journalier, hebdomadaire, mensuel et annuel ; sans oublier la discipline nécessaire pour tenir ce que l’on s’est fixé. Il est bon de s’être prouvé à soi-même que l’on en est capable. Ce programme doit pourtant être réaliste. Vous vivez dans le monde et un programme presque monastique, souvent choisi au début, vous confronte vite à des impossibilités. Nervosité, découragement,… et vous risquez de laisser laissez tomber toute discipline ! Est évidemment nécessaire aussi pour chacune de vous la pratique régulière des sacrements (surtout l’Eucharistie et la Réconciliation) et la direction spirituelle, ainsi qu’une certaine formation à discerner votre propre vocation et le stade auquel vous êtes parvenue (car ce n’est pas la même chose d’être vierge consacrée à 30 ans ou à 60 ans…).

Cela suppose l’apprentissage à une véritable spiritualité de la vie consacrée. Spiritualité d’offrande de soi, d’oblation à Dieu, de sacrifice spirituel. Par toutes les fibres de notre être, nous appartenons à Dieu et à lui seul.

La spiritualité de la vierge consacrée est fondamentalement ecclésiale. La vierge doit se sentir solidaire, en profondeur, à la fois du mystère de l’Église et de l’institution de l’Église. On peut avoir en effet une immense admiration pour le mystère de l’Église, et ne pas accepter le Pape ou son évêque… C’est une erreur de perception, car l’institution est inséparable du mystère : sens de l’Église, amour de l’Église, compréhension de son mystère, compréhension de son drame, de sa tragédie due aux péchés des hommes.

D’autre part, il existe chez vous un lien étroit, lien de préférence et d’affection spirituelles pour l’Évêque, parce que c’est lui qui vous consacre – ce qui vous fait d’ailleurs jalouser un peu par les religieuses ! Lien non pas avec l’Évêque en tant que personne individuelle, mais avec le successeur des apôtres, père et pasteur de l’Église locale.

Enfin soulignons que la vierge doit être humble. Sa grande tentation, dit le texte même de l’allocution proposée à l’évêque pour la consécration, est l’arrogance ou l’orgueil. Il faut bien le savoir : si vous vous vantez de la virginité consacrée, vous êtes en danger de mort ! La consécration fait de vous des « mères de l’Église », dans le sens de l’humble service, un peu comme l’est celui d’un diacre. Il est donc très important de vous former à cette spiritualité de consécration et d’oblation de soi-même, d’ecclésialité, de lien avec l’Évêque, d’humilité, pour mieux servir l’Église et dans l’Église [4].

[1A partir d’ici, le Cardinal s’adresse souvent à ses interlocutrices ; nous avons gardé le charme de cette présentation d’origine.

[2Rituel de la consécration des vierges ou Ordo consecrationis virginum, 31 mai 1970.

[3Le Catéchisme de l’Église catholique n’était pas encore paru à cette date.

[4L’intervention se poursuivait par un commentaire accompagnant d’assez près l’allocution proposée à l’évêque par le Rituel, ainsi que par une glose de la prière de consécration.

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