Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Chronique d’Écriture sainte : Ancien Testament et Judaïsme

Didier Luciani

N°2009-3 Juillet 2009

| P. 222-233 |

La véritable avalanche de livres (une trentaine) et les contraintes éditoriales, en termes d’espace, obligent à faire un choix drastique pour la rédaction de cette chronique 2009. Après la recension de six ouvrages généraux ou instruments de travail (I), je présenterai les études centrées sur une péricope ou un livre biblique (II), puis une série de livres développant soit un thème, soit une question d’herméneutique (III) pour enfin conclure par quelques livres concernant, d’une manière large, le judaïsme (IV). En espérant que la brièveté de certaines recensions ne nuira pas trop à l’objectivité et à l’intérêt du propos.

La lecture en ligne de l’article est en accès libre.

Pour pouvoir télécharger les fichiers pdf et ePub, merci de vous inscrire gratuitement en tant qu’utilisateur de notre site ou de vous connecter à votre profil.

La véritable avalanche de livres (une trentaine) et les contraintes éditoriales, en termes d’espace, obligent à faire un choix drastique pour la rédaction de cette chronique 2009. Après la recension de six ouvrages généraux ou instruments de travail (I), je présenterai les études centrées sur une péricope ou un livre biblique (II), puis une série de livres développant soit un thème, soit une question d’herméneutique (III) pour enfin conclure par quelques livres concernant, d’une manière large, le judaïsme (IV). En espérant que la brièveté de certaines recensions ne nuira pas trop à l’objectivité et à l’intérêt du propos.

I

En publiant un Manuel d’exégèse de l’Ancien Testament [1] , les éditions Labor et Fides rendent un triple service. Primo, l’ouvrage comble un vide (le dernier du même genre en langue française accusait plus de vingt ans d’âge) et complète de manière tout à fait judicieuse l’Introduction à l’Ancien Testament (T. Römer et al., éd.) paru chez le même éditeur en 2004. Secundo, ces deux ouvrages réunis vont constituer pour les prochaines années un instrument indispensable pour tous ceux qui veulent s’initier à l’étude critique de la Bible hébraïque. Enfin, le livre témoigne sans aucun doute d’une science biblique « en marche ». Que ce soit dans la présentation très subtile du travail de critique textuelle (J. Joosten), plus intéressé à la reconnaissance d’une certaine pluralité textuelle qu’à l’établissement du texte original, que ce soit par l’insertion inédite d’un chapitre sur l’analyse narrative (J.-P. Sonnet) ou même dans les démarches plus classiques concernant l’histoire des traditions (M. Bauks) et l’analyse rédactionnelle (C. Nihan), l’ensemble prouve qu’un recyclage régulier s’impose si on ne veut pas passer, dans la prédication ou ailleurs, pour un « ancien combattant ». Des tableaux récapitulatifs (« Mode d’emploi »), un glossaire, une mise en œuvre de l’ensemble de la démarche sur un texte concret (Nb 12) rendent ce recyclage aussi fructueux qu’agréable.

Les manuels pour apprendre l’hébreu biblique ne manquent pas. Les meilleurs sont souvent en anglais ou en allemand. L’intérêt majeur du travail de F. Lestang [2] (Université catholique de Lyon) est de mettre à disposition du public francophone une des initiations les meilleures et les plus éprouvées, celle de Thomas O. Lambdin (Harvard) que les étudiants de l’Institut biblique pontifical de Rome, parmi beaucoup d’autres universitaires, connaissent bien. Sans insister sur son caractère systématique, progressif et pratique, souvent relevé, on signalera simplement que ce manuel n’est pas conçu comme une méthode d’auto-apprentissage.

Autre traduction d’une œuvre majeure, dans un domaine où les études importantes ne font pas non plus défaut : l’histoire d’Israël de Mario Liverani (original italien : 2003) [3] . La grande idée de cette histoire, c’est d’appliquer à l’Israël ancien les critères rigoureux et fondés de l’historiographie moderne et de s’écrire non plus prioritairement ou exclusivement à partir du seul texte biblique, mais en fonction des résultats de cette recherche pluridisciplinaire (histoire documentaire, archéologie, épigraphie, exégèse, etc.). Cela ne signifie absolument pas que le texte biblique doit être congédié, mais que sa prétention à la vérité est d’un autre ordre. En même temps, en divisant son étude en deux parties (« histoire normale » et « histoire inventée »), l’auteur veut montrer que les écrivains bibliques entendaient bien, eux aussi et à leur façon, faire œuvre d’historiographes, même si leur projet, qui est également théologique, ne correspond pas aux exigences de la critique moderne. Comme le dit le préfacier (J.-L. Ska, Rome), « c’est un des grands mérites de Mario Liverani de bien vouloir nous servir de guide dans ce voyage à travers une histoire d’Israël beaucoup plus sobre, sans doute, que celle à laquelle nous avons pu être habitués, mais qui gagne en profondeur et en rigueur ».

C’est précisément à explorer et à détailler les ressources et les procédures de cette historiographie biblique, essentiellement sur la question de la temporalité, que s’attelle La grande chronologie de Meïr Sternberg [4] , professeur de théorie littéraire et de littérature comparée à l’Université de Tel Aviv. Là aussi, s’il est permis de résumer un livre aussi riche, on peut dire que, selon l’auteur, un double principe informe la narration biblique : d’une part, et contrairement à la plupart des modèles théoriques en vogue depuis la Renaissance (si pas avant) qui canonisent la dischronologie ou la discontinuité, la Bible choisit, à grande échelle et pour des raisons « idéologiques » (mimer l’ordre d’occurrence des événements et s’adresser au plus grand nombre), de raconter les choses selon la consécution (de l’« avant » à l’« après ») et la conséquence (de la « cause » à l’« effet ») ; d’autre part, au niveau des épisodes, elle n’hésite pas à raconter les choses dans le désordre, notamment par le biais du recours généralisé à l’ellipse. Par-delà l’outil méthodologique puissant élaboré par Sternberg, l’ouvrage vaut aussi pour ses aperçus bien souvent lumineux sur un bon nombre de textes bibliques.

Apprendre à lire la Bible de Charles Delhez et Jean Radermakers [5] est, en fait, la réédition d’un livre paru en 1986 (Kinshasa, éditions Saint Paul d’Afrique) sous le même titre et sous la seule responsabilité du premier nommé. Les changements d’un ouvrage à l’autre sont relativement minimes, ce qui signifie que les qualités intrinsèques de la première édition demeurent, mais aussi que certaines informations sont devenues quelque peu obsolètes ou problématiques. Concernant le seul Ancien Testament, fallait-il, par exemple, encore situer la sortie d’Égypte si précisément (entre 1250 et 1230 ; p. 11) alors que tant de questions se posent quant au rapport entre le récit biblique et l’histoire ? Fallait-il toujours se référer, même « avec nuance » (p. 26 ; voir aussi p. 108-109) à la théorie documentaire alors que celle-ci est aujourd’hui pratiquement abandonnée ? Etc. Gérard Billon et Philippe Gruson qui ont réédité le classique d’Étienne Charpentier (Pour lire l’Ancien Testament, Paris, 2007) ont, avec raison me semble-t-il, fait preuve de davantage d’audace et de sens de l’innovation. Il ne fait de toute façon aucun doute que ces brèves remarques n’enlèvent rien à l’utilité de l’ouvrage et n’empêcheront pas les deux auteurs jésuites, bien connus en Belgique, de trouver leur lectorat.

Issu d’une série de vingt émissions radiophoniques de la Radio Suisse Romande, le livre de Jacques Mouriquand [6] cherche à élucider, pour le grand public et avec l’aide de quelques grands noms de la spécialité (A. de Pury, T. Römer, O. Keel, etc.), le rapport Ancien Testament/histoire tel que la recherche contemporaine peut le comprendre. Le style souvent anecdotique (la manière dont George Smith a participé à la reconstitution du texte de l’épopée de Gilgamesh, p. 40-41), l’emploi de certaines formules-choc (« Peu importe, après tout, qu’Abraham ait ou non existé, mais ayons au moins un juste regard sur son monde », p. 55 ; « Il n’y a pas de lecture possible de l’Ancien Testament sans une prise en compte de la situation du ou des auteurs, au moment où ils écrivent », p. 76) et l’écriture journalistique présentent certes l’avantage de capter l’attention du lecteur et d’ébranler de confortables certitudes. Mais elle font aussi courir le risque de quelques approximations lorsque, par exemple, l’auteur compare l’alternance récits et lois du livre de l’Exode avec le code mésopotamien de Hammourabi (p. 44). On se fera, malgré tout, à la lecture de ce livre une assez bonne idée des débats actuels, des bouleversements de la recherche et des nombreuses zones d’incertitudes qui subsistent encore dans la détermination de la « vérité historique ». Si le lecteur n’oublie pas que la compréhension de l’Ancien Testament ne s’achève pas là ou l’archéologie s’arrête, ni ne se réduit à ce qu’elle affirme, il n’aura pas perdu son temps.

II

En suivant l’ordre du canon, je commence par deux ouvrages sur la Tour de Babel (Gn 11). Le premier, dû à Maurice Ricolleau [7] , est une étude assez complète de l’épisode sous différents aspects : traduction, exégèse verset par verset et structure du texte ; histoire de sa rédaction ; situation dans son contexte narratif ; relectures dans l’Ancien et le Nouveau Testament (Is, Ac et Ap) ; liens éventuels avec l’archéologie et la littérature proche-orientale. Le dossier est bien informé, la bibliographie, sans être complète, est abondante et l’interprétation globale, qui lit l’intervention divine comme une action salutaire plutôt que punitive, s’accorde aussi bien à la sensibilité moderne qu’aux résultats des travaux les plus récents. Le second, écrit par un duo (David Banon et Déborah Derhy) [8] , est bien différent et fait preuve de davantage d’originalité en ce qu’il met en relation la construction de la tour de Babel et celle du tabernacle du désert (Ex 25-40). Au travers de cette comparaison (le tabernacle comme contre-épreuve de la tour et lieu où l’on sanctifie le nom de Dieu plutôt que de chercher à magnifier le sien propre), c’est tout le problème de l’espace et de sa signification dans la Bible et dans la tradition juive (abondamment citée) qui est posé : « Ce ‘lieu’ dont la structure singulière est la mise en valeur du vide, organise les intervalles ménagés pour mieux recevoir la parole – non pour la capter comme dans la tour de Babel – mais pour la faire circuler, pour l’orienter et la vouer à l’autre, au démuni, au laissé pour compte » (p. 15).

La méditation chrétienne de Claire Pattier sur Gn 12-32 [9] est un autre bon exemple des fruits que peut donner la lectio divina lorsqu’elle s’abreuve non seulement à la tradition des Pères de l’Église, mais aussi à celle des rabbins.

Poursuivant son projet, Henri Meschonnic – qu’il n’est nul besoin de présenter – approche, avec son volume sur le livre des Nombres [10] , de la fin du Pentateuque. Comme pour la Genèse (2002), l’Exode (2003), le Lévitique (2005), la traduction se caractérise par l’importance accordée au rythme. A la lecture de la préface et des notes, on saisit que l’auteur marque bien sa différence et fait comprendre, de façon souvent assez polémique, en quoi sa traduction renouvelle et surpasse toutes les précédentes.

L’accès à l’éméritat de Jacques Vermeylen, professeur à la faculté de théologie de Lille et exégète aussi éclectique que prolifique (la bibliographie fournie indique, pour la période 1974-2007, une dizaine de livres et plus de 100 articles), nous vaut un riche volume (24 contributions) d’hommage sur la figure de Salomon [11] . Le propos, forcément hétéroclite dans ce genre d’ouvrage collectif, s’organise toutefois en quatre parties bien identifiables : 1) la question du contexte historique (« Salomon dans l’histoire et dans l’Ancien Testament », 8 articles) ; 2) l’analyse, essentiellement narrative, du cycle de Salomon (« Salomon en 1R 1-13, lectures plurielles », 6 articles) ; 3) les relectures de ce cycle dans l’Ancien et le Nouveau Testament et chez les Pères (« Salomon selon la tradition biblique et patristique, relectures », 4 articles) ; 4) enfin, l’histoire des effets du texte dans la littérature, la musique la catéchèse (« Salomon dans la culture, reprises théologiques et littéraires », 5 articles). Cette dernière partie, la plus composite, se referme sur une réflexion stimulante à propos du métier d’exégète et honore, par la même occasion, une des préoccupations constantes du récipiendaire (B. Van Meenen : « À quoi servent les exégètes ?). Outre l’honneur qu’il lui rend, à juste titre, ce livre comble également un vide sur un personnage qui, malgré sa splendeur légendaire, a longtemps souffert, dans la production exégétique, de l’ombre que lui portait son père, David.

Traduction d’un original en langue allemande (Konfliktgespräche mit Gott, 2003 ; édition révisée et augmentée en 2006), l’ouvrage de Bernd Janowski, professeur d’Ancien Testament à la Faculté de théologie protestante de Tübingen, n’est pas un commentaire de plus sur le Psautier [12] . Le sous-titre (Une anthropologie des Psaumes) en définit mieux le propos, à condition toutefois d’entendre « anthropologie » dans la lignée de H. W. Wolff (dédicataire de l’ouvrage et auteur lui-même d’une célèbre Anthropologie de l’Ancien Testament, 1973) et d’insister sur « une ». L’analyse porte, en effet, sur huit psaumes en tout et pour tout, même si de nombreux aperçus sont fournis sur d’autres textes, et elle se limite au genre littéraire de la lamentation et à celui de la reconnaissance. Tous les chapitres ont la même structure : présentation d’un problème (l’homme qui se lamente, harcelé, persécuté, malade, éphémère, qui glorifie, doté de sagesse, l’homme de Dieu) ; illustration par l’analyse et l’interprétation d’un psaume particulier (7, 13, 16, 22, 30, 41, 59, 88) ; éclairage par d’autres textes de l’Ancien Testament et du Proche-Orient ancien. Les « mots-clés anthropologiques » qui sont explicités en reprise et en clôture de chaque chapitre montrent l’étendue du panorama et justifient la pertinence d’un tel choix : « Voir et entendre », « Vengeance », « Cœur et reins », « Vitalité », « L’ici-bas et l’au-delà », « Reconnaissance », « Immortalité », « Prière des psaumes ». Le tout constitue une masse d’érudition qui n’épuise certes pas la question « qu’est-ce que l’homme pour que tu te souviennes de lui ? » (Ps 8), mais lui apporte un éclairage important.

L’étude de Pierre Coulange, à partir du Ps 113 [13] , confirme à sa manière cette idée que, dans la Bible, l’anthropologie n’est jamais éloignée de la théologie. Si Dieu est l’ami des pauvres et manifeste une telle connivence pour les petits, c’est – comme le montre l’auteur – qu’étant souverainement grand et transcendant, il peut scruter jusqu’à la poussière du sol, il peut voir ceux qui gisent dans la marginalité. « Ce contraste entre le haut et le bas, la suprême dignité et l’extrême de la déchéance sociale nous révèle quelque chose de l’identité de Dieu. Rien n’est trop petit, rien n’est négligeable pour celui qui est tout-puissant » (p. 69). Malgré l’apparente simplicité d’une telle conclusion, l’auteur, qui résume ici sa thèse (Dieu ami des pauvres : étude sur la connivence entre le Très-Haut et les petits, Fribourg, 2007), fournit lui aussi un apport décisif à la théologie et à l’exégèse des psaumes.

Le Cantique des Cantiques, texte aussi fascinant qu’énigmatique, attire toujours son lot de commentateurs. Trois ouvrages lui sont consacrés dans cette livraison : celui de sœur Marie-Ancilla, moniale dominicaine et spécialiste des Pères [14] ; celui de Jacques Cazeaux, auteur bien connu pour ses abondants commentaires sur la Torah et sur les prophètes antérieurs [15] ; enfin, le collectif de C. Chalier, J.-L. Chrétien, R. Imbach et D. Millet-Gérard, tous quatre enseignant dans les universités parisiennes [16] . Comme son sous-titre l’indique, le premier prend clairement parti pour une lecture symbolique qui sollicite tout autant la subjectivité du lecteur que sa capacité d’identification à chaque personnage du poème et qui se distingue par-là d’une simple lecture allégorique : « L’allégorie est une forme d’enseignement, elle inclut une réflexion […]. Le symbole, par contre, résonne aux divers niveaux de l’être » (p. 24). Cette lecture symbolique, prédominante chez les mystiques, prend appui sur ce qui constitue le symbole fondamental du Cantique (l’amour de l’homme et de la femme) et se nourrit aux plus grands auteurs spirituels pour dire l’ineffable gratuité de l’amour et montrer comment l’expérience de Dieu s’intègre dans la totalité de son dessein d’amour pour l’homme. J. Cazeaux, quant à lui, entend bien lire le Cantique pour lui-même, c’est-à-dire qu’il entend montrer comment celui-ci mérite sa place dans la Bible comme Bible. Sceptique « devant le caractère échevelé des interprétations symboliques ou allégoriques » (p. 62), il n’adhère pas plus à la lecture réaliste et naturaliste. En fait, il retrouve exprimée dans ce rouleau la thèse qu’il développe d’ouvrage en ouvrage depuis dix ans (Le refus de la guerre sainte : Josué, Juges, Ruth, Paris, 1998 ; voir VC 74, p. 337 ; VsCs 76, p. 198-199), et que ses lecteurs finissent par bien connaître : l’utopie du cadastre s’oppose à l’idéologie d’une monarchie centralisée, laquelle fut la grande impureté d’Israël. « La présence de Salomon qui figure non seulement dans le titre, mais en plusieurs endroits stratégiques, l’évocation régulière des filles de Jérusalem […] tout un ensemble de signaux font qu’un Juif ne peut entendre le Cantique sinon selon les lignes de force de l’Écriture entière, où le mystère du Pouvoir, avec Jérusalem et la royauté, tient le devant de la scène » (p. 65). La lecture a beau être subtile, parfois éclairante, je ne peux plus m’empêcher de me rappeler, quand j’ouvre un livre de Cazeaux, le conseil que nous donnait un de mes professeurs, quand une thèse de doctorat traînait : « Si, en ouvrant votre journal le matin, vous y voyez votre thèse partout, il est temps de finir ». Le troisième ouvrage, enfin, est une lecture polyphonique et assez libre – chaque contributeur commentant un verset de son choix (Ct 1,4-5 ; 1,7 ; 2,7 ; 5,2) – du Cantique par des philosophes et des littéraires, tous passionnés de Bible.

III

Il est bien difficile de présenter un volume comme celui qui émane des « Dix-neuvièmes entretiens du centre Jacques Cartier (Université Lyon 2 ; décembre 2006) [17] . Si le thème choisi était la lecture de la Bible, entre exégèses contemporaines et recherches universitaires, la quantité des contributions (une bonne vingtaine) et la variété des intervenants (exégètes, philosophes, théologiens, sociologues, historiens, juristes) rendent, sur un sujet aussi large, toute présentation synthétique quasiment impossible. On peut certes, comme le fait le préfacier Philippe Abadie, distinguer deux axes – l’un herméneutique et l’autre thématique (autour du thème de la loi) – traversant l’ensemble du colloque. Mais, ce faisant, on est encore loin de rendre justice à la diversité des perspectives : recherches socio-historiques sur Jésus (M. Quesnel, J.-P. Michaud) ou sur les premières communautés chrétiennes (M.-F. Baslez, C. Salles), analyse narrative (A. Wénin, C. Théobald), analyse sémiotique (L. Panier, A. Fortin), lectures philosophiques (M. Allard, P. Marin), approches littéraires (P.-M. Beaude), exégèse protestante (C. Combet-Galland), juive (É. Robberechts) et catholique (C. Focant). C’est finalement, avec sept articles, la problématique de la loi biblique en elle-même et dans son rapport à l’éthique qui constitue la part de choix et l’apport le plus original de ce volume : M. Rastoin et D. Marguerat présentent respectivement les points de vue catholique et protestant ; B.-M. Duffé se risque à élaborer un décalogue pour l’éthique sociale ; P. Bordeyne tente une critique sapientielle de la juridisation de l’éthique à partir de Mt 5,25-26, tandis que J. Racine, dans la même ligne, invite à une déjuridisation de l’éthique dans la recherche du bien commun ; M. Maesschalk (« La loi entre délibération et apprentissage ») et P. Boucaud (« La loi, le juge et la marge d’appréciation. Le rôle de la jurisprudence dans la création du droit : l’exemple de la Cour européenne des droits de l’homme »), enfin, clôturent le parcours avec une approche plus philosophique et plus juridique. À n’en pas douter, en plus d’atteindre leur objectif – montrer que la Bible reste un texte ouvert ayant toujours suscité une pluralité de lectures – les organisateurs de ce colloque auront réussi à stimuler la réflexion.

L’ouvrage de Bernard M. Levinson, spécialiste du droit biblique et professeur à l’Université du Minnesota [18] , regroupe une série de douze articles parus entre 1990 et 2006 et tourne aussi autour du thème de la loi. Mais, à l’inverse du précédent et quel que soit son indéniable intérêt, sa technicité, son sujet et les débats savants qu’il ouvre avec de nombreux chercheurs (Sternberg, Carmichael, McConville, Van Seters, etc.), le réservent sans doute à un lectorat beaucoup plus motivé et restreint. Il n’en reste pas moins qu’on tient là ce qui se fait de mieux en matière d’interprétation de la législation hébraïque et d’étude sur les phénomènes de réécriture et d’exégèse intra-biblique.

Paraissant dans la collection « Rhétorique sémitique », le dernier livre de Roland Meynet (Université grégorienne de Rome) entend illustrer, par l’étude de quelques textes de l’Ancien Testament, la méthode qu’il a lui-même développée et mise au point [19] . Ces études, en partie inédites, en partie reprises de publications antérieures, déclinent quelques aspects de la conception biblique de la liberté : le don de la liberté (Ex 14 et Ex 15) ; la loi de liberté (les deux décalogues) ; les hymnes de la liberté (Ps 113-118 et Ps 136). Le parcours offre à la fois un contact avec différents genres littéraires (récits, lois et prières), un beau chapitre de théologie biblique et, grâce à la taille réduite de la plupart des péricopes présentées, une initiation sûre aux procédures de cette nouvelle façon de lire les textes.

Pour épauler la lecture, plusieurs dictionnaires de personnages bibliques existent déjà comme, par exemple, le classique Dictionnaire des noms propres de la Bible (Paris, 1996). Bien que nettement moins exhaustif (100 personnages dont une trentaine pour le Nouveau Testament), l’ouvrage présenté ici [20] se distingue par la qualité des illustrations et la présence d’une généalogie explicative bien utile pour situer chaque personnage et les liens éventuels qui les unissent les uns aux autres.

Poursuivant leur enquête sur le sacrifice (Voir Le sacrifice. Vocation et subversion du sacrifice dans les deux Testaments, Genève, 1998 ; VC 70, 347), les deux spécialistes de Strasbourg, Alfred Marx et Christian Grappe, abordent dans un nouvel ouvrage, un certain nombre de narrations liées à ce thème et qui font problème parce qu’il s’agit essentiellement de sacrifices humains [21] : de Caïn et Abel (Gn 4), en passant par le « sacrifice » d’Isaac (Gn 22), le sacrifice de la fille de Jephté (Jg 11), le serviteur souffrant (Is 52,13-53,12), les trois hébreux dans la fournaise (Dn), etc., jusqu’à la mort de Jésus et ses différentes relectures. Le parcours, tout en subtilité et en attention aux textes, peut se résumer en trois points. Le Dieu de l’Ancien Testament refuse absolument tout sacrifice humain. Certains textes, surtout dans la LXX et la littérature intertestamentaire, attestent l’idée d’une valeur expiatoire à la mort des martyrs. Même si le don que fait Jésus de sa propre vie est geste d’amour divin et non pas satisfaction d’un besoin de vengeance, il n’empêche que celui-ci a été l’objet de nombreuses interprétations de type sacrificiel et cultuel. Mais au Golgotha, c’est l’ensemble du système sacrificiel et de la liturgie qui se trouve récapitulée et subvertie en ce que le don se fait à la fois pardon et communion et s’accomplit de manière universelle et parfaite.

La violence du sacrifice humain n’est, de loin, pas la seule qui habite la Bible. André Wénin (Louvain-la-Neuve, Belgique) qui explore ce thème depuis de longues années en narratologue et avec un intérêt marqué pour la dimension anthropologique du récit biblique, regroupe ici neuf contributions parues en différents lieux entre 1998 et 2004. Une occasion de lire ou de relire une des contributions les plus abouties sur le sujet [22] .

Violence toujours avec ce livre écrit à trois voix [23] et qui ose scruter, de manière critique et de l’intérieur même de chacune des traditions religieuses, certains textes sacrés et fondateurs difficilement recevables parce qu’appelant à la haine ou au mépris de l’autre. Avec foi et courage, le rabbin David Meyer (Amalek, le sacrifice d’Isaac, le livre de Josué, des traditions du Talmud), le père Yves Simoens (les juifs dans l’évangile de Jean) et l’imam Soheib Bencheikh (des hadîths, des pièces de la jurisprudence et des sourates du Coran) entament, d’abord à distance et par textes interposés, un dialogue aussi nécessaire que précieux pour faire sortir le dialogue interreligieux de ses impasses habituelles. Quelle que soit la manière dont chacun s’en tire avec ses propres « versets douloureux », la table ronde finale (p. 169-197) qui met les trois auteurs en présence, honore le travail d’interprétation et balise les étapes futures d’un tel dialogue.

IV

Soixante ans après leur découverte (1947), six ans après leur publication complète (2002), les manuscrits de la mer Morte suscitent toujours autant l’intérêt. André Paul, en bon connaisseur du judaïsme ancien et avec le recul maintenant permis, fait une synthèse du dossier pour le grand public [24] . L’histoire de la découverte et de la récupération des manuscrits (chap. 1) est à la fois précise, passionnante et débarrassée des éléments légendaires qui ont pu s’accumuler au fur et à mesure de sa transmission ; de même, la grande aventure de leur publication – en trois phases (de 1953 à 1960, de 1960 à 1985, de 1985 à 2002) – et le catalogue raisonné du contenu de cette bibliothèque (chap. 2 et 3). Mais au fur et à mesure que cette description objective progresse, une autre thèse, bien plus discutable et s’opposant à la position classique et encore majoritaire, se profile. Avec le côté provocateur qu’on lui connaît, A. Paul s’attaque ainsi à la thèse « panesséniste » qui lie les manuscrits, le site de Qumrân et la secte essénienne. L’archéologie est appelée à la rescousse (chap. 4), suffisamment certes pour que le lecteur perçoive qu’il y a, de fait, débat, mais de manière bien trop succincte pour qu’il puisse porter un jugement et se faire une idée. Les corollaires de ce qui ne reste, quoi qu’on en dise, qu’une hypothèse (Qumrân est un « centre commercial » plutôt qu’un « monastère », la bibliothèque n’est pas essénienne), s’épanouissent dans les chapitres suivants aux titres significatifs : « Lumières sur le fondateur du christianisme » (chap. 5) ; « Sources judaïques du théoricien Paul de Tarse » (chap. 6) ; « Sources insoupçonnées du judaïsme rabbinique » (chap. 7) ; « De la bibliothèque de Qumrân à la collection gnostique de Nag Hammadi » (chap. 8) ; « Les Esséniens comme faire-valoir des Thérapeutes » (chap. 9). Dans ceux-ci, l’auteur met notamment en question pas moins que l’existence d’un judaïsme pluriel avant 70 (p. 82 et 162-163), le lien de Paul avec le pharisaïsme (p. 97), le fait que le judaïsme rabbinique soit héritier du mouvement pharisien (p. 126) ; il insiste, au contraire, sur la veine gnostique des écrits de Qumrân et réduit, à partir de sa lecture « libérée » (p. 167) du De vita contemplativa de Philon d’Alexandrie, les Esséniens à n’être qu’un faire-valoir des Thérapeutes gnostiques dans un schéma théorique qui arrache les uns et les autres « à tout cadre historique ou concret » (p. 158). Comme à son habitude, la synthèse de l’auteur est brillante. Si elle n’oblige pas à faire voler en éclat le « dogme essénien » (voir le sous-titre de l’ouvrage), elle pousse au moins à réinterroger les positions trop confortables et peut-être aussi – comme il le dit lui-même – à désenclaver les écrits retrouvés dans les grottes de la mer Morte. Elle incite, en tout cas, pour comprendre le judaïsme au tournant de l’ère chrétienne, à poursuivre la recherche sans se focaliser uniquement sur cette découverte, aussi importante soit-elle.

Le concept biblique de téchouva (de la racine hébraïque chouv, « retourner », « revenir ») est un concept polysémique. On peut le traduire par « repentir », « pénitence », « regret », mais plus fondamentalement, il désigne la métanoia, le retour à Dieu, (voir, par exemple, Is 44,22). Dans un sens plus technique, le judaïsme l’emploie pour parler de tout mouvement de conversion favorisant une plus grande proximité avec le Créateur ou s’opposant à tout ce qui pourrait en éloigner. Dans un sens encore plus restreint, le livre du rabbin Adin Steinsaltz [25] , célèbre traducteur et commentateur du Talmud, traite avant tout du processus qui conduit aujourd’hui un juif plus ou moins assimilé à prendre sur lui le joug des commandements et des difficultés auxquelles ce baaltéchouva peut être confronté dans son désir et sa décision de revenir aux sources de l’existence juive et à sa mise en œuvre effective. Comme chrétien, on sera sans doute frappé par le poids mis sur la responsabilité humaine et par la conviction sous-jacente que chacun est capable d’opérer des changements en son être. Si l’on s’abstient d’adopter une compréhension trop pélagienne de cette présentation – des éléments comme la prière pour la téchouva récitée trois fois par jour (5e bénédiction du Shemoneh ‘esreh : « Fais-nous revenir, notre Père, à ta Torah… ») ou le fait que, selon les Sages (Pessahim 54a), cette téchouva a précédé la création du monde suffisent à prouver que la grâce divine est aussi engagée dans ce processus – la lecture de ce livre s’avérera utile pour éclairer bien des problèmes de vie spirituelle communs à toutes les traditions.

On retrouvera, poussé à l’extrême, le même sens de la responsabilité humaine dans le livre de Yeshayahou Leibowitz sur les fêtes juives [26] . Comme ses précédents ouvrages, celui-ci est tiré d’entretiens radiophoniques (diffusés sur une période de sept années, entre 1975 et 1982). Outre une meilleure connaissance du calendrier liturgique juif, l’ouvrage nous apporte aussi quelques réflexions roboratives du philosophe de Jérusalem sur le « sens » de l’histoire en général et de la Shoah en particulier. On ne manquera pas de lire, à ce propos, le chapitre 6 sur le jeûne du 10 Tévet (jour de commémoration pour les victimes de la Shoah) où, dans un entretien avec Y. Yovel, l’auteur explique avec vigueur pourquoi il dénie toute dimension religieuse à cet événement.

Enfin, pour terminer, je ne peux faire plus que de signaler le livre du Grand Rabbin de Bruxelles Albert Guigui [27] qui, commentant la Torah selon ses parashiot (sections hebdomadaires) et cherchant à en montrer l’actualité, témoigne d’un judaïsme vivant.

[1M. Bauks – C. Nihan (éd.), Manuel d’exégèse de l’Ancien Testament, coll. « Le monde de la Bible » 61, Genève, Labor et Fides, 2008, 14,5 x 22,5 cm, 236 p., 27 €.

[2T.O. Lambdin, Introduction à l’hébreu biblique, tr. de F. Lestang, Lyon, Profac, 2008, 30 x 21 cm, xxvi + 314 p., 35 €.

[3M. Liverani, La Bible et l’invention de l’histoire. Histoire ancienne d’Israël, Paris, Bayard, 2008, 15 x 20,5 cm, 616 p., 28 €.

[4M. Sternberg, La grande chronologie. Temps et espace dans le récit biblique de l’histoire, coll. « Le livre et le rouleau », 22, Bruxelles, Lessius, 2008, 14,5 x 20,5 cm, 127 p., 14,50 €.

[5C.Delhez – J. Radermakers, Apprendre à lire la Bible, Namur, Fidélité, 2007, 17 x 24 cm, 293 p., 19,50 €.

[6J. Mouriquand, Ancien Testament : quelles vérités historiques ? Les bouleversements de la recherche actuelle, Genève, Labor et Fides, 2008, 15 x 22,5 cm, 153 p., 18 €.

[7M. Ricolleau, Babel, le récit biblique, coll. « Connaître la Bible », 50-51, Bruxelles, Lumen Vitæ, 2008, 15 x 21 cm, 128 p., 14 €.

[8D.Banon – D. Derhy, La tour et le tabernacle. Migdalet Michkan, coll. « Bible et philosophie », Paris, Bayard, 2008, 15 x 20,5 cm, 175 p., 18 €.

[9C. Pattier, Tu es béni, Dieu de nos pères, Paris, Parole et Silence, 2008, 14 x 21 cm, 152 p., 14 €.

[10H. Meschonnic, Dans le désert. Traduction du livre des Nombres, Paris, Desclée de Brouwer, 2008, 15 x 21 cm, 291 p., 22 €.

[11C.Lichtert – D.Nocquet (éd.), Le Roi Salomon, un héritage en question. Hommage à Jacques Vermeylen, coll. « Le livre et le rouleau », 33, Bruxelles, Lessius, 2008, 14,5 x 20,5 cm, 495 p., 29,50 €.

[12B. Janowski, Dialogues conflictuels avec Dieu. Une anthropologie des Psaumes, coll. « Le monde de la Bible », 59, Genève, Labor et Fides, 2008, 14,5 x 22,5 cm, 488 p., 35 €.

[13P. Coulange, Pourquoi Dieu aime-t-il le pauvre ? Il relève le pauvre de la poussière (Ps 113,7), coll. « Connaître la Bible », 53, Bruxelles, Lumen Vitæ, 2008, 15 x 21 cm, 80 p., 10 €.

[14Sœur Marie-ancilla, Le Royaume de Dieu est en vous ! Une lecture symbolique du Cantique des Cantiques, Paris, Parole et Silence, 2008, 14 x 21 cm, 207 p., 18 €.

[15J. Cazeaux, Le Cantique des cantiques. Des pourpres de Salomon à l’anémone des champs, coll. « Lectio Divina » 222, Paris, Cerf, 2008, 13,5 x 21,5 cm, 241 p., 25 €.

[16C.Chalier – J.-L.Chrétien – R.Imbach – D. Millet-Gérard, Le lumineux abîme du Cantique des cantiques, Paris, Parole et Silence, 2008, 14 x 21 cm, 133 p., 13 €.

[17P.Abadie (dir.), Aujourd’hui, lire la Bible : exégèses contemporaines et recherches universitaires. Actes du Colloque organisé par la Faculté de Théologie de l’Université Catholique de Lyon dans le cadre des « Dix-Neuvièmes Entretiens » du Centre Jacques Cartier Rhône-Alpes, Lyon 30 novembre-2 décembre 2006, Lyon, Profac, 2008, 14,5 x 20,5 cm, 319 p., 22 €.

[18B.M. Levinson, « The right chorale » : Studies in biblical law and interpretation, coll. « Forschungen zum Alten Testament », 54, Tübingen, Mohr Siebeck, 2008, 16,5 x 23,5 cm, 432 p., 99 €.

[19R. Meynet, Appelés à la liberté, coll. « Rhétorique sémitique », 5, Paris, Lethielleux, 2008, 17 x 24 cm, 236 p., 28 €.

[20R.P. Nettelhorst, 100 personnages clés de la Bible. Biographies et arbres généalogiques de l’Ancien et du Nouveau Testament, Paris, Le pré aux clercs, 2008, 19 x 24,5 cm, 192 p., 22 €.

[21C.Grappe – A. Marx, Sacrifices scandaleux, martyre et mort du Christ, coll. « Essais bibliques », 42, Genève, Labor et Fides, 2008, 14,5 x 22,5 cm, 190 p., 19 €.

[22A. Wénin, La Bible ou la violence surmontée, Paris, Desclée de Brouwer, 2008, 14 x 21 cm, 253 p., 20 €.

[23D.Meyer – Y.Simoens – S. Bencheikh, Les versets douloureux. Bible, Évangile et Coran entre conflit et dialogue, coll. « L’Autre et les autres », 9, Bruxelles, Lessius, 2007, 14,5 x 20,5 cm, 202 p., 22 €.

[24A. Paul, Qumrân et les Esséniens. L’éclatement d’un dogme, Paris, Cerf, 2008, 15 x 22,5 cm, 172 p., 20 €.

[25A. Steinsaltz, Téchouva, Jérusalem/Paris, Institut israélien des Publications talmudiques/Bibli-europe, 2008, 13,5 x 21,5 cm, 302 p., 19,90 €.

[26Y. Leibowitz, Les fêtes juives. Réflexions sur les solennités du judaïsme, coll. « Patrimoines judaïsme », Paris, Cerf, 2008, 14,5 x 23,5 cm, 193 p., 28 €.

[27A. Guigui, La Bible, miroir de notre temps, Bruxelles, Racine, 2008, 15 x 23 cm, 349 p., 23 €.

Mots-clés

Dans le même numéro