Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Homélie pour une ordination sacerdotale

André Dupuy

N°2008-1 Janvier 2008

| P. 9-13 |

A la lumière des lectures du jour, le Nonce apostolique auprès de la Communauté européenne invite le jeune prêtre qu’il ordonne à l’espérance, à travers l’expérience intime et universelle de la mort — une méditation qui ne craint pas d’en appeler aux philosophes, pour finir par évoquer le Grand silence des Chartreux.

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Un étudiant en pharmacie furetait dans la bibliothèque de l’aumônier universitaire. Celui-ci, intrigué par cette étrange curiosité, lui demanda ce qu’il cherchait. L’étudiant lui répondit : Mon Père, je cherche une pilule de ferveur. Il y a un an presque jour pour jour, alors que j’étais ébranlé par le décès de ma mère, moi aussi j’ai cherché dans ma bibliothèque une pilule de ferveur : un livre que j’avais lu quand j’étais séminariste ; un livre écrit par un jésuite, le cardinal Daniélou ; un livre sur la résurrection. Ce souvenir me revient à la mémoire, en écoutant la question que les Sadducéens posent à Jésus. Nous croyons tous à la Résurrection, n’est-ce pas ? Mais quand la mort vous atteint dans ce que vous avez de plus cher, tant de questions viennent frapper à la porte de votre cœur !

Résurrection : ce mot controversé a le mérite de ne laisser personne indifférent. L’un des plus grands poètes français du XXe siècle, chrétien convaincu, Pierre Emmanuel, disait que « le scandale n’est pas que le Christ soit mort, mais qu’il est ressuscité » ; et il ajoutait que « vivre dans la foi, c’est être avant tout et en tout le messager de ce scandale ». On est en droit de se demander si Pierre Emmanuel avait vraiment raison. Car si le Christ est le Prince de la vie pour reprendre les paroles de l’apôtre Pierre au portique de Salomon (Actes 3,15), s’il est l’auteur de la vie, le scandale n’est pas qu’il soit ressuscité, mais plutôt qu’il soit mort.

Résurrection : ce mot controversé suscite l’espérance la plus profonde comme le sourire le plus sarcastique. C’est un mot qui divise, hier et aujourd’hui. Un théologien disait que s’il avait un jour, par l’histoire, la preuve irréfutable que le tombeau de Jésus n’était pas vide mais contenait les restes de son cadavre, cela n’ébranlerait pas sa foi en la résurrection. Or un autre croyant, plus philosophe que théologien, c’est vrai, Jean Guitton, avouait exactement le contraire : « si on retrouvait les ossements du Christ, ma foi serait détruite (…), je ne serais plus catholique, et je mettrais dans mon testament : j’ai trompé et je me suis trompé ». Père, je vous propose de laisser aux étudiants de l’Institut d’Études Théologiques qui vous accompagnent le soin de savoir qui, du théologien et de Jean Guitton, avait raison…

La question des Sadducéens et la réponse laconique de Jésus, telle que nous la rapporte saint Luc, nous obligent à reconnaître que nous sommes dépassés par ce qui est inconcevable. Je partage une confidence que faisait ces jours-ci le P. Talec : « Plus j’avance en âge, et moins je sais ». En ce mois de novembre, où nous faisons plus spécialement mémoire de nos défunts, force est de constater que la mort reste un grand point d’interrogation. Elle est un défi à notre joie de vivre, à notre quête légitime de bonheur, à notre espérance. Même si l’histoire inventée par les Sadducéens – cette plaisanterie macabre d’une femme stérile avec sept maris –, peut paraître extravagante, la question qu’ils posent n’est pas absurde. Que se passe-t-il de l’autre côté ? Où sont-ils vraiment ceux que nous avons aimés ? Que sont-ils devenus ? Nous leur parlons, mais nous entendent-ils ? Les reverrons-nous ?

Il est regrettable que le passage du livre des Martyrs d’Israël que nous propose la liturgie de ce dimanche n’ait pas inclus l’exhortation de la mère à ses enfants, en particulier les paroles qu’elle adresse au plus jeune, le conjurant de ne pas craindre le bourreau et de se montrer digne de ses frères : « accepte la mort afin que je te retrouve avec tes frères au temps de la miséricorde ». Impressionnante intuition d’une seconde naissance dans la mort, chez une femme qui vivait deux siècles avant la résurrection du Christ.

Le piège dans lequel tombent les Sadducéens, c’est celui de vouloir poser la résurrection comme « objet d’un savoir ». Ils veulent savoir comment sera le temps après notre temps. Que fait Jésus ? Il conteste leur logique. Ceci est clair dans la version que nous donnent Marc et Matthieu de ce même épisode. « Vous êtes dans l’erreur », leur dit Jésus. « Vous ne connaissez ni les Écritures ni la puissance de Dieu ». Il répond aux Sadducéens en les renvoyant au commencement : à Abraham, à Isaac, à Jacob. Là où ils parlent au futur, Jésus répond au passé et au présent. La résurrection est à la source de toute vie, de toute foi. Elle n’est pas l’aboutissement, mais la racine. Elle n’est pas d’abord à chercher pour demain, pour après, c’est hier qu’elle surgit, pour aujourd’hui. Rappelez-vous le mot de Luther : « Ne dis pas Christ est ressuscité, si tu ne peux pas dire en même temps : je suis, tu es ressuscité ».

Père, dans quelques instants, j’aurai la joie de vous conférer le sacrement de l’ordre. Vous exercerez votre ministère sacerdotal dans une ville, un pays que vous connaissez bien, une terre où l’Église catholique ne fait plus une bonne partie de la pluie et du beau temps de la vie de nos concitoyens. A la veille de Toussaint 2006, le cardinal Danneels rappelait que dans le passé, l’Église catholique de Belgique avait été une église puissante dans différents domaines. Aujourd’hui, disait-il, elle s’est « retirée pour ne pas être cet éléphant qui se promène dans un magasin de porcelaine ». Et il ajoutait avec autant d’humour que de lucidité, qu’il y a bien longtemps que nous ne sommes plus des éléphants et que les autres ne sont plus en porcelaine

Je ne serais pas étonné si, parmi les nombreux amis qui vous accompagnent, il y a des pratiquants sans doute, mais aussi des intermittents de la religion, peut-être même des agnostiques et des incroyants. Puissent-il découvrir par vous, par nous, que Dieu passe par l’humain. Puissent-il découvrir par notre témoignage que Dieu n’est pas ce « vertébré gazeux » auquel prétendait nous convertir un philosophe, Dieu mesquin et tracassier, mais le Dieu vivant et vivifiant, celui qui donne réconfort et joyeuse espérance, pour reprendre les paroles de Paul aux Thessaloniciens.

La joie est un devoir. Nous ne sommes pas les professionnels du malheur ni les spécialistes des enterrements. L’Évangile est un cri de bonheur plutôt qu’un gémissement de résignés. Être cohérent avec lui nous oblige à être heureux. Au bout de quarante-six ans de présence auprès des jeunes, le P. Stan Rougier constatait qu’ils vont vers ce qui est joyeux comme les abeilles vont vers les fleurs les plus chargées de sucs. Les jeunes, et les moins jeunes aussi.

Père, je me joins à ceux qui vous accompagnent aujourd’hui pour vous souhaiter d’être un prêtre heureux. Le bonheur est une force, une force intérieure, une force de confiance chevillée au corps. Une force que Dieu seul peut nous donner : « Laissez-vous réconforter par Notre Seigneur Jésus Christ », conseille Paul aux Thessaloniciens. C’est auprès de Lui qu’il faut chercher cette forme d’audace tranquille qui nous permet de traverser sereinement les remous de l’existence. Tout au long des livres des prophètes, la plainte de Dieu se résume en un cri : « Il m’ont abandonné, moi, la source d’eau vive, pour se creuser des citernes fissurées qui ne retiennent pas l’eau » (Jr 2, 11). Ne nous éloignons pas de cette source pour rester forts dans le bonheur. Osons nous interroger pour savoir si les incroyants ou les mal croyants qui vivent à nos côtés, loin d’être nos ennemis, ne sont pas devenus allergiques à nos comportements et trouvent un peu saumâtre l’eau de nos citernes.

Je me suis permis de vous confier, au début de cette homélie, combien j’avais été ébranlé par le décès de ma mère, ou plus exactement par les conditions dans lesquelles elle est décédée, seule, dans une chambre d’hôpital. Le fait que Dieu n’ait pas rendu possible qu’elle soit accompagnée m’est apparu comme une sorte d’injustice. Je suis navré de le dire ici ce soir, en présence de tant de membres éminents de la Compagnie de Jésus, mais la pilule Daniélou n’a pas eu beaucoup d’effet. Et je continuais de trimbaler mon baluchon de tristesse et de ressentiment lorsque j’ai lu quelques semaines plus tard – au début du mois de décembre – l’interview d’un cinéaste allemand, auteur d’un film dont on a beaucoup parlé : le Grand silence. Pour raconter la vie des moines de la Grande Chartreuse, cet homme a séjourné six mois dans un monastère, partageant quotidiennement la vie austère et priante des Chartreux. A des journalistes qui l’interrogeaient sur cette étonnante expérience, Philip Gröning a fait cette remarque qui m’a profondément réconforté : « j’ai vécu au milieu de gens qui ne connaissent pas la peur et cela a changé ma vie » ; des gens qui ne connaissent pas la peur parce que, disait Gröning, « ils ont une confiance absolue dans le fait que Dieu s’occupe de tout et que ce qui arrive va vers le bien ».

Dieu s’occupe de tout et ce qui arrive va vers le bien : que cette certitude accompagne votre ministère sacerdotal. Qu’elle vous stimule aux heures de fatigue et de découragement, quand le passé pèse en nous plus lourd que l’espérance. Qu’elle vous délivre de la morosité, celle des enfants assis sur la place, pour lesquels on joue de la flûte et ils ne dansent pas.

A ceux qui vous diront que la vie n’a pas de sens, répondez que la vie n’aura jamais de sens si elle n’a pas d’abord une saveur : la saveur du matin de Pâques, la saveur des commencements et des recommencements.

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