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Le pape Benoît XVI et le Cœur du Christ

Dany Dideberg, s.j.

N°2007-1 Janvier 2007

| P. 13-16 |

La récente lettre de Benoît XVI au Père P.-H. Kolvenbach concernant le culte du Cœur de Jésus nous est brièvement présentée dans son originalité et la nouveauté de son langage : le regard posé sur « le flanc » du Christ transpercé redonne à cette « dévotion fondamentale » sa vraie profondeur, l’adoration de l’amour de Dieu qu’il s’agit de connaître, d’expérimenter, d’annoncer – et pour les religieux de la Compagnie de Jésus, de promouvoir activement.

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En 1956 paraissait l’Encyclique Haurietis aquas de Pie XII. Elle s’ouvrait par ces mots du prophète Isaïe : « Vous puiserez de l’eau avec joie aux sources vives du salut » (Is 12, 3). A l’occasion du cinquantenaire de cette publication, le pape Benoît XVI a adressé, le 15 mai dernier, une lettre [1] au Supérieur général, le père Peter-Hans Kolvenbach [2], et aux religieux de la Compagnie de Jésus. Ceux-ci ont été « toujours actifs dans la promotion de cette dévotion fondamentale » au Cœur de Jésus (§ 9), en vertu de la mission reçue lors de l’apparition du Seigneur à sainte Marguerite-Marie en 1688, et ratifiée par plusieurs Congrégations générales [3].

« En promouvant le culte du Cœur de Jésus, l’Encyclique Haurietis aquas exhortait les croyants à s’ouvrir au mystère de Dieu et de son amour, en se laissant transformer par lui » (§ 1). La première encyclique du pape actuel le montre également : « Le regard tourné vers le côté ouvert du Christ, dont parle Jean (cf. 19, 37), comprend ce qui a été le point de départ de cette encyclique : “Dieu est amour” (1 Jn 4, 8) ; C’est là que cette vérité peut être contemplée. Et, partant de là, on doit maintenant définir ce qu’est l’amour. A partir de ce regard, le chrétien trouve la route pour vivre et pour aimer » (n° 12) [4].

Comme l’indique l’introduction de la Lettre (§ 2), l’objet de celle-ci et le plan qui en découle est limpide. Il s’agit de « mieux comprendre ce que signifie connaître l’amour de Dieu en Jésus Christ (§ 3-4), [de] l’expérimenter en ayant le regard fixé sur Lui (§ 5-6) jusqu’à vivre complètement de l’expérience de cet amour, pour pouvoir ensuite en témoigner aux autres (§ 7-8) ».

Dans sa brève densité, cette lettre ne livre sa richesse qu’à celui qui la scrute mot à mot. Nous ne pouvons présenter ici une analyse détaillée des trois étapes de son développement. Nous voudrions seulement dégager quelques aspects qui révèlent l’originalité de la pensée du pape et la nouveauté de son langage.

D’emblée, le Saint-Père met en lumière les fondements de la spiritualité du Cœur de Jésus. « A l’origine du fait d’être chrétien, il y a la rencontre d’une personne » (§ 3) : le Fils de Dieu incarné, mort sur la Croix « pour nous », « pour moi » (§ 6). Il y a aussi un regard, celui du croyant : « Il n’est possible d’être chrétien que le regard tourné vers la Croix de notre Rédempteur, “vers Celui qu’ils ont transpercé” (Jn 19, 37 ; cf. Za 12, 10) » (§ 4). C’est pourquoi « le flanc transpercé du Rédempteur est la source […] : nous devons puiser à cette source pour parvenir à la vraie connaissance de Jésus Christ et expérimenter son amour » (§ 2) [5].

Personne ne sera étonné de l’insistance du pape sur le regard posé sur le flanc du Christ transpercé (Jn 19, 37) car c’est la contemplation de cette icône pascale qui est la source de la vénération du Cœur de Jésus et de la méditation du Saint-Père. « Le regard vers le flanc transpercé du Seigneur d’où s’écoulent “du sang et de l’eau” (cf. Jn 19, 34) nous aide à reconnaître la multitude des dons de la grâce qui en proviennent [6] et il nous ouvre à toutes les formes de dévotion chrétienne comprises dans le culte du Cœur de Jésus » (§ 5).

Loin de replier le chrétien sur lui-même, cette démarche contemplative l’ouvre à l’action de Dieu et au besoin de ses frères. « La contemplation adorante du flanc transpercé par la lance nous rend sensibles à la volonté salvatrice de Dieu. Elle nous rend capables de nous confier à son amour salvateur et miséricordieux et, en même temps, elle nous renforce dans le désir de participer à son œuvre de salut en devenant ses instruments. » La suite du texte montre comment cette spiritualité du Cœur de Jésus oriente aussi notre vie vers les autres : « Les dons reçus du flanc ouvert, d’où s’écoulent “du sang et de l’eau” (cf. Jn 19, 34) font en sorte que notre vie devienne même pour les autres une source d’où émanent des “fleuves d’eau vive” (Jn 7, 38) (§ 7) [7].

Enracinée dans la contemplation du flanc transpercé du Christ [8], la méditation du pape redonne au culte et à la dévotion au Cœur de Jésus, sa vraie profondeur. « Ce mystère de l’amour de Dieu pour nous ne constitue pas seulement le contenu du culte et de la dévotion au Cœur de Jésus, c’est, de la même façon, le contenu de toute vraie spiritualité et dévotion chrétienne » (§ 4). Il s’agit toujours et d’abord d’accueillir, grâce à l’Esprit Saint, l’amour de Dieu révélé en Jésus Christ. « Lorsque nous pratiquons ce culte, non seulement nous reconnaissons avec gratitude l’amour de Dieu mais nous continuons à nous ouvrir à cet amour […]. Dieu, qui a répandu son amour “dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné” (Rm 5, 5) nous invite à accueillir inlassablement son amour » (§ 6).

Pour le pape Benoît XVI, « continuer à approfondir leur relation avec le Cœur de Jésus, de façon à raviver en eux-mêmes la foi en l’amour salvateur de Dieu en l’accueillant toujours mieux dans leur propre vie demeure pour les chrétiens un devoir toujours actuel » (§ 1). Il ne s’agit pas d’« une forme passagère de culte et de dévotion » (§ 8), mais d’un culte « d’une telle importance irremplaçable » (§ 6) et « d’une dévotion fondamentale » (§ 9). En voici la raison : « L’adoration de l’amour de Dieu qui a trouvé son expression historique et cultuelle dans le symbole du “cœur transpercé” demeure une adoration dont il faut absolument tenir compte pour un rapport vivant avec Dieu » (§ 8). Fidèle à l’Écriture (Jn 19, 34 et 37), le Saint-Père n’a parlé jusqu’ici que du « flanc » transpercé par la lance. C’est la seule fois qu’il mentionne ici, en suivant la Tradition ecclésiale, « le cœur transpercé » du Christ.

Puissent ces quelques réflexions permettre au lecteur de découvrir la richesse de la lettre du pape Benoît XVI et susciter une réponse plus fervente à l’amour du Cœur de Jésus.

[1Pour les références, nous avons numéroté les paragraphes de la lettre du Saint-Père. D’autre part, nous utilisons certaines abréviations : HA = Encyclique Haurietis aquas de Pie XII ; DC = Encyclique Deus Caritas est de Benoît XVI. HA est cité onze fois : § 1, 3, 4 (2 fois), 5 (2 fois), 6 (2 fois), 7, 8 (2 fois). DC est cité cinq fois : § 3 (2 fois), 7, 8 (2 fois).

[2Lors de son pèlerinage à Paray-le-Monial, le 5 octobre 1986, le pape Jean-Paul II avait déjà remis au père Kolvenbach une lettre touchant la mission de la Compagnie de Jésus à l’égard de la dévotion au Cœur de Jésus. Le pape Benoît XVI en cite un passage dans sa lettre (§ 2).

[3Daniel Dideberg, « Le Cœur du Christ et la Compagnie de Jésus », Christus 190 HS (2001) p. 156-158.

[4Signalons ici sa belle conférence donnée en 1981 à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de l’Encyclique Haurietis aquas, reprise dans Joseph Ratzinger, Ils regarderont Celui qu’ils ont transpercé, Paris, 2006, p. 55-80.

[5Cf. aussi DC n° 12.

[6HA, nos 34-41, cité dans ce paragraphe, énumère les dons du Cœur de Jésus : l’eucharistie, la Vierge Marie, le sacerdoce, l’Église et les sacrements, le don de l’Esprit Saint.

[7Même développement en DC n° 7.

[8Sur vingt citations ou allusions bibliques, l’épisode johannique (Jn 19, 34 et 37) en comporte onze dans la lettre du Saint-Père. Les neuf autres versets ne sont mentionnés qu’une fois.

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