Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Prier : du temps pour Dieu

Godfried Danneels

N°2005-1 Janvier 2005

| P. 5-16 |

Avec ces images domestiques caractéristiques de sa spiritualité, le primat de Belgique présente le plus simplement du monde les conditions et les formes d’une prière vraie – un enseignement propre à rajeunir bien des habitudes.

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On dit parfois que prier, c’est prendre du temps pour Dieu… Mais lui faut-il du temps ? Lui manquerait-il quelque chose ? Pourquoi aurait-il besoin de notre temps ? Non, Dieu n’a pas besoin du temps que nous lui consacrons ; c’est nous qui en avons besoin ! Prendre du temps, c’est une question d’amour, et aimer, c’est prier.

Être son enfant

Pour savoir ce qu’est prier, il faut regarder des personnes en prière. Seuls ceux qui prient savent ce qu’il en est. Un texte court de Thérèse de Lisieux en dit long : « Pour moi, la prière est un élan du cœur, c’est un simple regard levé vers le Ciel, c’est un cri de reconnaissance et d’amour au sein de l’épreuve comme au sein de la joie [1]. » C’est tout ! C’est comme quelque chose d’incontrôlé qui s’échappe de votre cœur. C’est lever les yeux, et non penser ou vouloir. Ce que Thérèse appelle « prier », c’est être ravi par quelque chose de beau. Quand est-ce que notre cœur bondit, quand levons-nous les yeux et chantons-nous ? En voyant ce qui est beau. La prière se fait de façon décontractée et très enfantine, car il n’y a que les enfants qui ont des mouvements de cœur incontrôlés… Les adultes remercient à voix basse, les enfants le font à haute voix. Serait-il si difficile de se tenir comme un enfant devant Dieu ? Ce cri et ce regard ne sont pas si difficiles, mais vouloir être enfant… Le problème n’est pas de savoir comment je dois prier, avec l’aide de quels livres, avec quelle méthode. Le seul problème est d’être aussi humble qu’un enfant. Car prier, c’est prendre une attitude de dépendance, d’humilité, de disponibilité, c’est se laisser faire, – ce que nous n’aimons pas, car nous sommes actifs et productifs. Nous prenons l’initiative. Nous « faisons », mais nous ne nous laissons pas faire. Voilà le problème.

Des malentendus

Telle est souvent notre première réaction, comme si nous devions faire tout nous-mêmes : « Comment m’y prendre ? Comment arriver là-haut ? » En réalité, c’est l’inverse : c’est Dieu qui descend. Prier, c’est se laisser faire, prendre une attitude passive, réceptive. Quand des jeunes me demandent comment ils doivent adorer ou ce qu’il faut faire pour adorer, ma réponse est qu’au fond, il ne faut rien faire. Pendant l’été, lorsque vous allez à la plage pour bronzer, est-ce que vous vous demandez : « Comment m’y prendre ? ». Pas du tout : vous enfilez votre maillot de bain et vous vous installez au soleil. Adorer, c’est, spirituellement, s’exposer au soleil.

Un second malentendu est celui de se demander où découvrir la prière en soi-même. Quel est l’exercice à faire ? Faut-il que je lise quelque chose, ou que je pense à quelque chose ? Faut-il éveiller des sentiments, des désirs ? Non, parce que la prière ne se situe pas au niveau de l’intelligence, de la volonté ou de la force. La Bible nous le dit mille fois : la prière se situe au niveau du cœur. Ce qui ne veut pas dire qu’il s’agisse seulement d’émotions, ou en premier lieu d’affectivité. Le cœur, c’est là où je suis collé à Dieu, où je suis attaché à Lui. Le cœur, c’est là où je suis englué en Dieu, c’est « l’interface », en langage informatique. C’est là où Dieu touche ceux qui sont à lui. Rien de sentimental. Il ne faut donc pas que je cherche où je peux m’attacher à Lui, car je suis déjà « collé ». Bien avant que j’y pense, Il prie déjà en moi. Jésus disait : « C’est l’Esprit qui prie en vous, car vous ne savez pas comment vous devez prier. » L’organe de la prière est déjà là, l’homme n’a pas à le construire ou à le planter.

Encore un malentendu : l’homme devrait chercher Dieu. C’est ambigu. Où pourriez-vous le chercher ? Ce n’est pas nécessaire, car c’est Dieu qui vous cherche. Saint Augustin l’a dit : Dieu est assoiffé de nous. Si nous avons besoin de le boire, c’est bien parce qu’il a soif de nous.

Pour prier il faut donc renverser les choses, comme on le fait avec un sablier.

Les hommes de prière dans l’Ancien Testament

Toute la Bible se trouve encadrée par deux paroles. Il y a d’abord celle de Dieu qui dit à Adam au paradis : « Où es-tu ? ». Mais Adam se cache… La réponse vient dans une deuxième parole quand Jésus dit : « Me voici. Je viens faire ce que Tu veux ». Il ne se cache pas. Entre ces deux phrases se trouvent tout l’Ancien et le Nouveau Testament, mais aussi toute prière.

La première prière de l’Ancien Testament est celle de toute la création : des animaux, des arbres, des oiseaux. Ils prient sans le savoir. Ils prient parce qu’ils sont fondamentalement obéissants à Dieu. Un arbre ne dira pas : « Je vais me développer de telle ou de telle autre manière : étant un pommier, je veux produire des poires. » Il donnera des pommes et en sera satisfait. Pour l’homme, c’est différent. La création prie spontanément. Dieu est servi en retour, mais pas totalement. Lorsque quelqu’un agit de façon automatique, sans pouvoir faire autrement, vous ignorez s’il vous aime. Mais Dieu a voulu quelqu’un qui choisisse de l’aimer : l’homme. Celui-ci est libre et dispose donc d’un amour plus profond, il est la voix de ceux qui n’en ont pas dans la création. Il prête sa voix à tous les êtres créés qui n’en ont pas.

Vient alors Abraham. D’abord il prie sans paroles ; c’est un homme de silence qui regarde les étoiles et y découvre Dieu. Mais toujours sans paroles. Plus tard il parlera. La première parole qui sort de sa bouche est une plainte : « Je n’ai pas d’enfant. » Il me manque quelque chose. Voilà sa première prière. Ensuite, quand il reçoit les trois visiteurs, sa prière est celle de l’hospitalité. Mais sa prière la plus profonde est d’accepter dans l’obéissance extrême l’épreuve au sujet d’Isaac. Chez Abraham vous trouvez déjà plusieurs éléments importants de la prière.

Ensuite, son petit-fils Jacob démontre que la prière est également un combat. Il se bat toute la nuit avec un ange. Cela est très caractéristique. Beaucoup de gens se révoltent sur leur lit de mort, ce qui est également une prière. Cela ressemble aux deux rabbins dans un camp de concentration qui répètent sans arrêt : « Tu n’existes pas, Dieu ! Car, si tu existais, nous ne connaîtrions pas cette misère ». Dix minutes plus tard, ils disent : « Prions quand même… » Prier, c’est confirmer l’existence de Dieu.

Moïse est quelqu’un qui intercède, un intermédiaire qui prie toujours pour les autres, très peu pour lui-même. Sa prière aimerait savoir le nom de Dieu : l’histoire du buisson ardent vous est bien connue. Dieu ne lui répond pas : « Voici mon nom » ; il dit « Je suis qui je suis » Qu’est-ce qu’on n’a pas écrit sur cette réponse ! Est-ce que cela signifierait : « Cela ne te regarde pas ! » ? Ou bien « Je suis là, pour vous, toujours » ? C’est tout cela. Dieu parle à Moïse ; on dit de celui-ci qu’il était l’homme le plus humble jamais vu sur terre. L’humilité est indispensable dans la prière.

Avec David, la prière entre au Temple. Le roi organise des pèlerinages et des fêtes ; il chante des psaumes. Par lui la prière devient rituelle, liée au culte et aux sacrifices. Il compose de nombreux psaumes et se comporte comme le pasteur de son peuple. Il introduit le repentir dans la prière.

Il y a aussi les prophètes. Ils diront : « Tout cela est bien. Mais le danger existe de ritualiser et de formaliser tout. Vous récitez de mémoire vos prières, mais votre cœur ne prie pas. Ne vous laissez pas attraper par les formes extérieures de la prière. Ce qui compte, c’est l’intérieur, votre cœur. » Ce sera surtout Élie qui intériorisera la prière.

Le Livre des Psaumes est le livre de prière par excellence. Ses cent cinquante psaumes sont appelés des chants de louange, car le psautier exprime principalement l’action de grâce et la louange. Il contient une grande variété d’hymnes : certains chantent la création, des événements du passé, l’espoir dans l’avenir. Il y a des psaumes messianiques, d’autres expriment la sagesse, la révolte et des sentiments variés comme la gratitude, l’adoration, le repentir, l’insurrection… La prière des psaumes met les émotions en branle. Lorsqu’on veut prier, le mieux c’est d’ouvrir simplement le psautier ; sinon, on choisit facilement les mêmes psaumes et on reste ainsi enfermé dans les mêmes sentiments. Si, après vous être éveillé exténué de fatigue, vous tombez sur un chant d’allégresse, cela vous demandera un fameux effort au niveau émotionnel ! Par la prière des psaumes, votre cœur acquiert de l’élasticité, toute la gamme de vos sentiments entre en jeu ; cela vous protège contre les excès de l’individualisme et du subjectivisme. Les psaumes s’adressent souvent à Dieu en lui disant : « Tu… » : c’est cela, la prière ! La différence est énorme entre « Il est bon, miséricordieux… » et « Tu es bon… ». Ce n’est qu’avec l’utilisation de la deuxième personne qu’on peut parler de prière. Beaucoup de nos prières au début d’une réunion ne sont en réalité qu’une simple méditation.

Dans le Nouveau Testament

Jésus est naturellement l’homme de prière par excellence. Il l’aura probablement apprise de sa mère, de Joseph, à l’école, dans le psautier, au cours de pèlerinages… Au fond, il a été formé à la prière, mais il y a quelque chose de profond qui lui est spécifique : le sentiment enfantin de dépendance de son Père – tel que nous l’avons rencontré chez Thérèse. Il dit : « Abba, papa » ce qui surprend les juifs. Dans deux types de situations au moins, il prie comme un enfant : quand quelque chose va lui arriver (le baptême, la transfiguration sur le Thabor, la passion…) et quand il doit entreprendre quelque chose d’important. Spécialement lors du choix de ses disciples et de la désignation de Pierre. C’était bien nécessaire pour Pierre ! Ce qui est profond dans la prière de Jésus, c’est qu’au fur et à mesure qu’il avance en âge, sa dépendance enfantine devient une obéissance douloureuse. Il devient vraiment un homme obéissant. Notre prière devrait devenir semblable : « Fais avec moi ce qui te plaira ».

Au fond, nous ne connaissons que deux prières personnelles du Christ (le Notre Père n’est pas sa prière à lui, mais celle qu’il nous a enseignée). Il prie spontanément lorsqu’il voit revenir ses disciples : « Père, je te loue, car aux petits, tu as tout révélé, et aux sages, tu l’as caché ! » Jésus est surpris ! Il est surpris que Dieu soit ainsi. « Oui, Père, telle est ta bienveillance ! » La deuxième fois, il prie juste avant la résurrection de Lazare : « Père, je sais que tu m’exauces toujours. ». Ici nous voyons que Jésus priait beaucoup et qu’il était sûr d’être exaucé. Sa prière sur la croix a été une protestation, mais plus encore une prière d’obéissance. Ensuite, il y a encore la prière sacerdotale, composée par Jean, avec les sentiments de Jésus mais peut-être pas avec ses propres paroles.

Jésus nous donne également des avis pédagogiques.

On ne relie peut-être pas directement son premier conseil avec la prière, mais tout le Sermon sur la montagne détermine notre prière : aimons-nous nos ennemis, entrons-nous dans notre chambre intérieure, ne rabâchons-nous pas, louons-nous Dieu ? Voilà le terreau nécessaire pour que la prière se développe.

Ensuite, il y a l’importance de votre attitude confiante : vous cramponner à Dieu, au-delà de tout ce que vous pouvez voir et constater, aller plus loin que ce que vous pouvez, croire sans arrêt que c’est possible, même quand votre intelligence le nie.

Jésus nous dit également : « Soyez francs quand vous parlez avec Dieu. Dites-lui ce que vous avez à dire, avec assurance enfantine. » Lorsque vous priez, cherchez autant que possible la volonté du Père, ne vous imposez pas. Si vous suppliez ou demandez, limitez-vous à dire quelle est votre nécessité, sans dire comment il doit y remédier. C’est ce que Marie fait à Cana : « Ils n’ont plus de vin. ». Elle ne dit pas ce qu’il doit faire. Si vous allez chez le médecin et lui dites : « Ceci est mon problème et il faut me prescrire cela », il vous renverra. Mais nous nous comportons ainsi avec Dieu. Or prier, c’est simplement se présenter avec ses nécessités.

La prière demande aussi de la vigilance : si vous vous endormez (sauf si c’est en l’honneur de Dieu), si vous n’attendez plus rien ou si vous avez perdu tout espoir, alors vous ne pouvez pas prier.

Pour dire quelque chose sur la prière, Jésus raconte trois courtes paraboles. D’abord celle de l’homme importun qui frappe à la porte de son voisin. La première caractéristique, c’est donc qu’il faut continuer à frapper. Finalement Dieu vous exaucera parce que vous « l’ennuyez » !

Puis il y a la veuve qui va voir le juge et qui continue à insister. Jésus dit : « Vous pouvez être un peu agaçant, insistez, répétez la même chose, persistez dans la prière. »

Finalement il y a l’histoire du pharisien et du publicain : « Si vous voulez obtenir quelque chose, demeurez en arrière, soyez humble. »

La prière de Marie

La prière de Marie peut être caractérisée ainsi : elle ne détermine pas comment Jésus doit résoudre le manque de vin, elle insiste et elle dit : « Quoiqu’il vous dise, faites-le. » Et elle dit son fiat : elle accepte ce qui lui arrivera. Elle intercède en faveur des autres et chante la louange de Dieu. Dans sa prière, il y a de l’ouverture et de la persévérance, de l’abandon à la volonté de Dieu, de l’intercession et de la louange. Quand Elisabeth dit : « Bienheureuse celle qui a cru », ce qui veut dire en d’autres mots : « Tu es une femme formidable », Marie ne répond pas : « Merci pour ce compliment », mais bien : « Mon âme exalte le Seigneur. » Elle renvoie immédiatement tout à Dieu, en s’oubliant entièrement.

De nombreuses formes de prières

Il y a différentes sortes de prière. Le genre le plus profond, c’est l’adoration, la prosternation sans parole, en silence, avec dans votre cœur les paroles : « Tu es là. » C’est la forme fondamentale de la prière humaine. Cela colle comme une peau à notre être, à notre condition de créature. Adorer, c’est prendre conscience de ce que vous êtes et de ce qu’est Dieu : lui, il est tout ; moi, je ne suis rien. Et puis on se tait. Au cours des derniers siècles, cela se retrouve dans l’adoration eucharistique. Le silence est donc la caractéristique de l’adoration eucharistique.

La seconde manière est la supplication. Elle est proche de l’adoration, car vous dites : « Il peut me donner tout, je dois tout recevoir de lui. » Les prières d’ouverture de l’eucharistie, vieilles de quinze siècles, sont des supplications classiques. Leur formulation est typique : « Seigneur, donne-moi ce dont j’ai besoin, et pour être sûr que tu me donneras ce dont j’ai besoin, fais-moi désirer ce que tu aimerais me donner. » Aucune demande spécifique : « mes nécessités sont totales ». Car la « collecte » romaine affirme, indirectement : « Si tu te mets à spécifier, tu avoues avoir tout le reste. »

La supplication est confiante et sûre, mais elle laisse tout ouvert : « Fais avec moi ce que tu veux ». Ne vous étonnez pas de ce que Dieu ne réponde pas, quand vous commencez à spécifier.

La troisième forme est la prière d’intercession. Comme celle d’Abraham en faveur de Sodome et Gomorrhe. Ou comme celle que les saints de l’Église font pour nous. Si vous voulez obtenir quelque chose de Dieu, il vaut mieux le demander également pour quelqu’un d’autre. Si un petit garçon va trouver sa maman en demandant « un morceau de chocolat pour ma sœur qui en raffole », la mère lui dira certainement : « D’accord, mais prends-en un aussi, puisque tu es si gentil envers ta sœur. » Dieu vous le donnera, parce que vous le demandez pour quelqu’un d’autre.

Évidemment, il y a la prière d’action de grâces : c’est remercier pour un don reçu. Et cela, en premier lieu pour la grâce générale mais profonde que je suis là, que j’ai reçu la vie. Cela m’étonne qu’il m’arrive si peu de dire cela. Je trouve cela tellement normal que je sois là ! Les choses élémentaires semblent aller tellement de soi que nous préférons mesquinement ne remercier que pour des détails.

A côté de l’adoration, la louange est la plus haute prière. L’action de grâce se centre sur le don : qu’est-ce que j’ai reçu ? La louange vise le donateur : qui me l’a donné ? Par la prière de louange vous dites : « Dieu, je suis heureux que tu sois Dieu ! » C’est tout ! On trouve cette prière et la joie qui en provient dans les Actes des Apôtres et dans les communautés pauliniennes : des hymnes, des chants de louange pour louer le Donateur. C’est une forme redécouverte par le Renouveau charismatique au cours des dernières décennies.

A qui nous adresser dans la prière ?

A Dieu… Mais il n’est pas indifférencié, comme un mur blanc. Il présente du relief : il est Père, Fils et Esprit. Avec quelle fréquence nous adressons-nous à ces trois ? Généralement seulement à Dieu, au Père. Pour ce faire, nous avons le Notre Père, donné par Jésus. Nous y voyons deux parties. D’abord il s’agit de Dieu : « Prends soin de ton nom, ton royaume, ta volonté… » Ensuite seulement, nous prions pour nous-mêmes. Nous aimerions inverser l’ordre !

S’adresser au Fils est possible, par exemple par les psaumes : on peut les « christologiser ». Là où se trouve le mot « je », on peut souvent penser au Christ et mettre les paroles dans sa bouche. On peut également prier les psaumes en s’adressant à lui.

Une autre prière peut être de prononcer les noms du Christ : Jésus, Fils de Dieu, le Verbe, Seigneur, Sauveur, Fils de Marie, roi, prophète, lumière, résurrection, vérité. Nommez-le, dites son Nom. « Tu es Sauveur… » Voilà une prière bien simple, mais belle. Puis vous pouvez dire la prière de Jésus : « Jésus, Fils de Dieu, prends pitié de moi, pécheur. » Tout y est : son prénom, son deuxième nom, et ce dont j’ai le plus besoin : de la miséricorde, de la pitié ; en plus il y a la définition de ce que je suis : un pécheur…

Il y a six siècles, on a commencé à s’adresser dans la prière au Cœur de Jésus. N’allez pas penser à Jésus habillé de blanc, avec un cœur collé sur sa poitrine ! La vraie image du Sacré-Cœur est Jésus mort sur la croix pour le pardon de nos péchés. A Catherine de Sienne, il disait : « Regarde mes pieds. – Oui, disait-elle, avec ces pieds tu as marché. – Regarde alors un peu plus haut, jusqu’à mes hanches. – Là tu as porté ta croix », disait Catherine. « Encore un peu plus haut, disait Jésus, regarde mon côté. » Et elle de répondre : « Par cette petite ouverture tu as pardonné nos péchés. Tu es miséricordieux. »

Enfin, la prière à l’Esprit Saint est très simple : « Viens ! » Parce qu’il doit encore venir, pour une grande part. Jésus est venu, il est parti. Le Père ne vient pas : il est. Mais l’Esprit nous visite, lors de la Pentecôte et maintenant, lors de petites pentecôtes. Voilà ce que l’Église prie depuis des siècles : « Veni, Sancte Spiritus… Viens ! »

Comment prier ?

La prière orale a son importance, car en énonçant quelque chose par la bouche, votre conviction s’accroît. On peut former dans son cœur une idée sur quelqu’un, mais il se passe quelque chose de différent quand on le dit. En parlant, nous articulons nos idées et, par conséquent, elles obtiennent plus de force émotive. Cela vaut également pour la confession de nos péchés : ce n’est pas insignifiant de penser à ses péchés, mais les dire s’avère bien plus douloureux et quand même plus efficient. La prière orale est la seule possible, quand on veut prier ensemble avec les autres. Les pensées ne peuvent s’unir, mais bien les paroles.

Souvent la question se pose : « A quoi bon des prières purement orales, comme le Rosaire ? On est constamment distrait… » Effectivement, on ne peut appliquer son esprit sans arrêt à tous ces mots, c’est intenable. Le Rosaire est une méditation de mystères ; en même temps, on dit des formules. Cela ressemble à une pellicule composée d’une bande sonore étroite à côté de la bande large avec les images. Les Ave forment la bande sonore, mais la vraie prière consiste dans la méditation des mystères.

Puis il y a la méditation. Ce n’est pas tout à fait la prière ; on laisse se balancer des textes dans son esprit. On peut le considérer comme un effort préalable à la prière. La méditation ne se fait pas seulement avec des textes imprimés. On peut méditer sur ce qu’on voit, sur une icône, une image… C’est une voie visuelle menant vers la prière. Comme point de départ, vous pouvez également prendre le livre inédit de votre expérience quotidienne. Ou vous prenez un texte de l’évangile et vous vous posez les deux questions suivantes : qu’est-ce que Jésus me donne ici ? et qu’est ce qu’il voudrait bien de moi ? C’est tout… Ou bien vous suivez le conseil de saint Ignace : vous essayez de vous représenter la scène de l’évangile de la manière la plus concrète possible. Cela provoque des motions et des inspirations. Si cela s’est vraiment déroulé de telle ou telle manière, n’a aucune importance. Votre imagination peut investir les scènes, sans pour autant vous autoriser à prêcher cela comme étant la vérité révélée.

La méditation agit sur l’imaginaire, la volonté, les idées et les émotions ; ce n’est que par après que commence la prière, la prière silencieuse, l’entretien confidentiel avec Dieu. A la question du curé d’Ars lui demandant ce qu’il allait faire à l’église, un paysan répondit : « Il m’avise et je l’avise. » Le regarder et se laisser regarder. C’est là qu’intervient l’amour profond.

C’est de cela que parle la Bible dans le Cantique des Cantiques : les amants se regardent et se cherchent… C’est un chant d’amour qu’on peut lire comme s’agissant de la relation entre Dieu et mon âme, entre Jésus et moi, entre Jésus et l’Église. Le Cantique des Cantiques est comme une composition musicale qui peut être exécutée sur le clavecin, sur l’orgue, ou par un quartet ou même par un orchestre symphonique – la composition reste la même. Ce que l’auteur a voulu dire a de l’importance pour l’exégèse, mais la prière sait ce qu’elle y comprend.

La prière comme combat

Nous avons souvent des difficultés avec la prière, parce que nous n’en avons pas de définition précise. Nous supposons que la prière est une affaire psychologique qui doit nous enflammer. Si cela ne se passe pas ainsi, alors nous croyons que notre prière n’est pas bonne. Ce n’est pas exact. Il ne s’agit pas non plus de créer un vide intérieur ou de réciter des formules.

De plus, la prière est incompatible avec certaines attitudes que nous avons ingérées avec le lait maternel : la mentalité du monde et celle de l’homme de prière ne se réconcilient pas. L’homme du monde se dit : voilà ce que je peux prouver, toucher, vérifier. Mais cela ne vaut pas pour la prière : sa vérité ne se laisse pas constater. L’homme du monde dit : nous devons être productifs et rentables. La prière ne l’est pas du tout. Cela nous est difficile. Et puis, nous ne nous intéressons qu’à ce qu’on peut goûter pleinement, ce qui est confortable. Mais c’est Dieu qui doit y trouver son plaisir, et non pas nous. Selon l’homme du monde, il faut être actif ; mais prier, c’est « se laisser faire ».

Ainsi la prière reste difficile pour tous les hommes de tous les temps. Car ces tendances étaient déjà celles d’Adam ! Mais, actuellement, c’est encore plus difficile, puisque la possibilité existe d’être beaucoup plus rentable, productif, créatif…

Le ver le plus féroce qui ronge l’arbre de la prière demande : « A quoi bon ? A quoi est-ce que cela sert ? » Si on veut parler d’utilité, cela ne sert à rien.

Quelle est alors la thérapie qui permet de persévérer dans la prière ?

Il faut devenir comme un enfant, humble, permettre à Dieu d’être Dieu, avoir une confiance infinie, savoir donner son temps même si cela ressemble à ne rien faire. Comme une bête de somme qui se tient là. La sobriété du cœur a aussi de l’importance : on ne peut être possessif.

Ne vous laissez pas trop surprendre par l’aridité : elle purifie votre foi. Le grain de blé doit mourir…

Mais le plus important est la confiance enfantine. Seuls les hommes de prière expérimentent qu’il est indispensable de prier… La prière ne sera pas produite par cette conférence, comme de l’eau coulant d’un robinet. Une seule chose peut favoriser votre prière : le fait de commencer à prier.

[1Manuscrit C, 25, 21.

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