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Spécificité de l’accompagnement spirituel. Blessure et guérison

Franck Janin, s.j.

N°2004-4 Octobre 2004

| P. 241-253 |

Définir l’accompagnement spirituel, c’est d’abord cerner son champ d’action et offrir les critères du discernement de sa pratique. Il devient alors possible d’envisager son rapport aux blessures de l’âme et au désir d’en guérir.

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Le supermarché de la consommation ne cesse, dans tous les domaines de l’existence, de nous fournir de nouveaux « produits ». Le « spirituel », nous le savons, n’est pas en reste. Les propositions, approches, méthodes qui intègrent – avec un enracinement ecclésial très variable – une dimension spirituelle, se multiplient et, souvent, avec force revendication d’efficacité et de succès sur le terrain particulier de la guérison des blessures. Des démarches sont offertes qui, dans beaucoup de cas, incluent une relation d’aide personnalisée, une relation d’« accompagnement ». En outre, le développement des sciences humaines, et tout particulièrement de la psychologie, imprègne de plus en plus ces pratiques et souvent, d’ailleurs, avec sagesse et avec fruit. Face à cette profusion et diversité, afin d’offrir le meilleur service et d’éviter les dérives, il devient de plus en plus indispensable de se donner des critères pour mieux cerner la spécificité de chacune de ces approches. Je voudrais ici me pencher en premier lieu sur le caractère propre de l’accompagnement spirituel pour ensuite envisager son rapport aux blessures et à la guérison.

L’accompagnement spirituel. Essai de définition

Définir aussi précisément que possible ce qu’est l’accompagnement spirituel et, dès lors, ce qu’il n’est pas, va nous permettre non seulement de cerner avec exactitude son champ d’action – ce qu’on peut en attendre ou pas – mais aussi servir de critère pour évaluer si cette aide spécifique atteint son but ou non.

La définition de l’accompagnement spirituel que je vais proposer pourra apparaître très restrictive. Cependant, il m’est apparu de plus en plus clairement, au long des années de pratique personnelle et à la suite de mes rencontres avec des accompagnateurs de tous bords, qu’un bon nombre d’entre eux font en réalité – sans en être toujours conscients – autre chose ou beaucoup d’autres choses que de l’accompagnement spirituel au sens strict. Bien souvent, l’accompagnement ressemble fort à un entretien psychologique ou psychospirituel, ou encore à ce qu’on appelle en anglais du counselling (du « conseil spirituel »), ou à de l’écoute prière ou encore à de l’enseignement moral ou théologique. Il y a quelques années, j’ai personnellement opéré un tournant. Il m’est apparu que j’étais moi-même pris dans cette espèce d’engrenage où la personne que je rencontrais me demandait non seulement d’être son accompagnateur spirituel, mais en même temps, et parfois en priorité, d’être un soutien psychologique, un conseiller moral et théologique, un guide dans le discernement, un frère dans la prière, etc. A de rares exceptions, croire ou faire croire qu’une personne peut être tout cela en même temps est une illusion. Le risque est soit d’empêcher les personnes de trouver l’aide spécifique et compétente qui leur convient, soit d’être tout simplement détourné de l’essentiel de l’accompagnement.

Je propose la définition suivante [1] : « L’accompagnement spirituel a pour but d’aider l’accompagné à développer une relation personnelle consciente et affective avec Dieu. » C’est le but, l’essentiel. Rien de très particulier à première vue. Cependant, on voit d’emblée ce que l’accompagnement spirituel n’est pas. En tout cas, ce qu’il n’est pas en premier lieu et essentiellement. Ainsi l’accompagnement spirituel n’a pas pour but d’améliorer la vie morale de l’accompagné, de résoudre ses problèmes, de le faire progresser dans ses connaissances théologiques, de l’aider à faire des choix, à être plus heureux, à se sentir bien… à être guéri.

C’est la relation à Dieu qui est le but. Et de cette relation, éventuellement, découlera une meilleure vie morale, la résolution de problèmes, de meilleurs choix, un plus grand bonheur, du bien-être, une guérison et bien d’autres choses. Il me paraît que dans beaucoup de cas, c’est tout simplement l’inverse qui est fait. On va d’abord aux problèmes, aux choix à faire, au désir de bonheur pour aller, ensuite, à Dieu. Souvent, la conséquence est qu’on ne va pas réellement à Dieu, Dieu n’étant plus le sujet central de l’accompagnement. Dans l’accompagnement spirituel, pour être fidèle à son objet, l’attention première et entière doit se porter sur Dieu et sa relation à l’accompagné et sur la relation de l’accompagné avec Dieu. Les conséquences dans la manière d’accompagner sont loin d’être négligeables.

Comme nous allons le dire plus loin, il est très possible que le développement de la relation à Dieu soit freinée ou empêchée à tel point par des difficultés ou des souffrances physiques ou psychiques qu’il faille alors travailler spécifiquement ces domaines de souffrance et de difficultés, mais alors soyons clairs et reconnaissons que nous sortons du domaine de compétence strict de l’accompagnement spirituel.

Reprise de la définition

Reprenons notre définition. L’accompagnement spirituel consiste à aider à développer une relation personnelle consciente affective avec Dieu.

L’accompagnement spirituel consiste « à aider »

Ce terme exprime bien qu’en aucun cas l’accompagnateur ne fait « à la place de » mais bien plutôt qu’il est « au service de ». Le mot accompagnateur est en cela plus adéquat que celui encore employé de directeur qui évoque davantage quelqu’un qui dirige le cours des choses. L’interlocuteur du directeur est d’ailleurs appelé « dirigé ». Cependant, le terme peut aussi évoquer la figure de quelqu’un qui indique une direction et qui, sans imposer, invite et pose de bonnes questions : « Et si tu regardais un peu de ce côté-ci ou de ce côté-là ! » Le directeur est alors bien dans son rôle. Quant au terme « accompagnateur », sa limite est qu’il peut évoquer une proximité trop grande nuisible également à une relation où la réciprocité n’est pas de mise. Saint Ignace de Loyola est très clair quand il recommande au directeur des Exercices spirituels de « laisser le Créateur agir sans intermédiaire avec sa créature et la créature avec son Créateur et Seigneur » (Exercices spirituels 15). A un certain moment, dans la relation d’accompagnement, je n’accompagne plus. Je suis le témoin de Dieu qui accompagne l’accompagné et je contemple cette relation. On pourrait dire que l’accompagnateur spirituel est un « contemplateur » ou tout simplement un « contemplatif » appelé à aider, c’est-à-dire à rendre plus facile, à favoriser le déploiement, le développement de ce qui déjà est présent. Chez l’accompagnateur, l’attention contemplative doit se porter en premier lieu non pas sur l’accompagné et ses problèmes, mais sur Dieu et Dieu tel qu’il se révèle tout personnellement et particulièrement à l’accompagné. Ce n’est pas « mon » Dieu, c’est-à-dire mon image de Dieu qui doit guider la relation d’accompagnement, mais le Dieu de l’autre.

L’accompagnement spirituel consiste à aider « à développer »

Développer une chose, ce n’est pas la créer, la produire. Le présupposé de l’accompagnement spirituel est que Dieu entretient une véritable relation avec chaque personne humaine sans exception. Même si la personne ne le sait pas, ne le perçoit pas (conscience) ou ne le sent pas (affectivité). Dieu ne s’impose jamais à la liberté de l’homme. Par respect pour les choix d’une personne Il pourra parfois se faire discret et se tenir comme à distance d’elle. Mais jamais il n’abandonnera la relation. Ce n’est pas parce qu’une personne ne me parle pas de Dieu ou me dit qu’elle n’y croit pas que Dieu n’a pas une relation avec elle. Et si j’écoute, je regarde attentivement, si je contemple la vie de la personne accompagnée les signes de cette relation vont m’apparaître. L’aide et le développement se feront alors tout particulièrement par des questions ouvertes, qui ne supposent ou n’induisent pas la réponse. Ainsi la personne accompagnée se rend capable de prendre conscience, d’entrer dans une meilleure reconnaissance de cette relation jusque dans ses dimensions affectives.

L’accompagnement spirituel consiste à aider à développer « une relation personnelle consciente et affective avec Dieu ». Une relation personnelle, c’est une relation entre un « je » et un « tu » et non pas avec une entité, une présence vague et sans consistance ou avec une « force », une « énergie » même si dans un premier temps la présence de Dieu peut parfois être éprouvée ainsi. C’est un Dieu avec qui un dialogue s’instaure, à qui je parle et qui me parle. Un signe de manque de relation personnelle est le monologue persistant. Pour en prendre conscience une question simple peut aider : « Dans votre prière qui a parlé le plus ? » Un autre signe sera la remarque suivante : « Je parle à Dieu, mais Il ne me répond jamais. » Une relation « consciente », c’est une relation où je peux nommer celui avec qui je suis en relation : davantage le Père, le Fils, l’Esprit Saint, la Vierge Marie… ? Et non seulement le nommer, mais aussi en parler de manière plus précise. Si c’est le Père, est-il perçu plutôt comme bienveillant, doux, patient, exigeant, sévère… ? Comme pour toute relation, la prise de conscience ne se fait qu’en y mettant des mots. L’absence de mots est souvent un signe de faible conscience. Ne croyons pas trop vite que l’accompagné a atteint un plan spirituel où les mots n’auraient plus d’importance. C’est enfin une relation « affective », c’est-à-dire une relation où l’affectivité est engagée, où toutes les couleurs des sentiments, des émotions peuvent, ont la permission de s’exprimer, une véritable relation ressentie parfois chaleureusement ou froidement, dans la paix ou dans l’inquiétude, la joie ou la tristesse, dans la proximité ou l’éloignement. La couleur personnelle, consciente et affective de la relation à Dieu est soulignée par saint Ignace lorsqu’il invite le retraitant, dans un colloque, à parler au Seigneur : « Comme un ami parle à son ami ou le serviteur à son maître » (Exercices spirituels 54).

Guérir des blessures ? Critère de discernement

Ayant posé ce cadre, il est dès lors plus aisé de trouver un critère de discernement spirituel pour aborder la question des blessures et de leur guérison. On aura, simplement, à distinguer les blessures qui font obstacle à la relation à Dieu et les blessures qui, il faut le dire, n’y font pas obstacle et même peuvent devenir des chemins d’union à Dieu. Dans un chemin spirituel, il n’est pas nécessaire de guérir de tout. D’un point de vue spirituel, il n’y a pas à guérir de tout parce que la guérison n’est pas le but. Saint Ignace de Loyola dans son « Principe et Fondement » affirme la relativité de toutes choses « santé ou maladie, vie courte ou longue, honneur ou déshonneur… » par rapport au seul but qui est d’avoir une vie au service et à la louange de Dieu (Exercices spirituels 23). Je me souviens d’une remarque du père Thomas Philippe, initiateur des communautés de l’Arche avec Jean Vanier, disant que les personnes handicapées n’étaient souvent pas très douées pour la pratique des vertus morales ou cardinales, mais que pour les vertus théologales elles étaient souvent inégalables. Il citait l’exemple d’une personne en proie quotidiennement à de grandes colères mais qui inlassablement allait avec une confiance, une espérance et un amour de Jésus sans bornes se jeter dans sa miséricorde. Un jour il fut demandé à quelqu’un qui possédait un charisme de guérison pourquoi il ne guérissait pas les personnes handicapées. Sa seule réponse fut : « Parce qu’elles n’en ont pas besoin. » Du point de vue spirituel l’essentiel n’est pas de guérir mais de rencontrer Dieu et de vivre en sa présence reconnue et accueillie. En écho, entendons la prière de saint Paul demandant d’être délivré d’une « écharde dans la chair » et le Seigneur lui répondant : « Ma grâce te suffit : car ma puissance se déploie dans la faiblesse » (cf. 1 Co 12, 9).

Quand le désir de guérir devient un obstacle

Se focaliser sur le désir de guérison peut parfois même devenir un obstacle sur le chemin spirituel. Ce désir, en obnubilant les pensées et la volonté, consume les énergies et détourne de Dieu qui, pourtant, est invoqué pour la guérison. Une certaine focalisation actuelle sur la guérison n’est pas sans conséquences. Sous des dehors spirituels, cette recherche paraît parfois n’être qu’un avatar de plus du culte de la santé ainsi que de la peur de la mort et de la souffrance qui traversent nos sociétés. Beaucoup courent de sessions de guérison en sessions de guérison. Les retraites qui promettent la guérison se remplissent davantage que celles qui proposent une expérience de Dieu. Une grande majorité de personnes s’engage dans une démarche spirituelle avec le désir d’aller mieux dans tel ou tel domaine, d’être délivrées de telle ou telle difficulté, soulagées voire guéries de telle ou telle souffrance. Dans le cadre de l’accompagnement spirituel, il s’agira bien évidemment d’écouter la demande et la souffrance qui la sous-tend, mais surtout d’inviter le retraitant à remettre à Dieu son souci, sa préoccupation, son désir de guérison et doucement, progressivement, de se centrer sur Lui, tel qu’à cet instant la personne le perçoit, le ressent, l’appréhende. Au fur et à mesure que la relation s’établit, que la personne entre en intimité avec son Seigneur, qu’elle laisse Dieu s’approcher d’elle ou qu’elle ose s’approcher de Lui, une transformation s’opère qui bien souvent laisse étonné. Posées dans la relation à Dieu, la personne voit ses questions soit s’éclairer de manière toute nouvelle, soit perdre de leur importance, soit tout bonnement disparaître. Dieu fait comprendre que faiblesses psychiques et physiques ne sont pas forcément un obstacle pour l’essentiel et l’unique nécessaire qu’est la rencontre avec Lui.

Découvrir un amour inconditionnel

Lorsqu’une personne rencontre Dieu, elle fait avant tout l’expérience de son amour inconditionnel. Elle s’éprouve reçue et acceptée telle qu’elle est avec ses ombres et ses lumières, ses côtés en santé et ses côtés blessés. Elle comprend qu’elle n’a pas besoin de changer ou d’être changée pour être aimée par Lui. En centrant son action sur la relation de l’accompagné avec Dieu, l’accompagnement spirituel favorise cette expérience. Cette découverte, immense, est du domaine de la révélation. Dieu n’attend pas que nous soyons sains, en santé, pour nous aimer. Même souffrants, limités, nous sommes capables d’aimer. Les blessures mêmes peuvent s’avérer être les lieux de la rencontre. S’opère alors chez les accompagnés une autre guérison que celle attendue. Celle de l’image d’eux-mêmes (je n’ai pas à être autre que ce que je suis) et celle de leur image de Dieu (Dieu n’attend pas que je « fasse » quelque chose pour m’aimer). Je peux vivre tel que je suis. Je peux, j’ai le droit, d’être blessé. Je n’ai rien à changer, sinon mon regard sur ce que je croyais que Dieu voulait, me demandait, exigeait même peut-être pour être aimé de Lui. Je constate dans ma pratique d’accompagnement que le désir de changer, d’améliorer les choses, de guérir est souvent beaucoup plus grand chez les personnes que chez Dieu. La véritable guérison que Dieu désire toujours nous offrir et qu’il offre toujours est de nous aider à accepter de le recevoir tels que nous sommes et non pas tels que nous rêvons d’être. Bien des guérisons s’opèrent alors, mais elles ne sont plus cherchées pour elles-mêmes, car Dieu seul est cherché pour lui-même. Elles se donnent en surabondance : davantage de liberté par rapport à l’histoire personnelle et ses blessures, au regard des autres, au succès ; moins de retour sur le passé, de projection angoissée vers le futur mais un goût pour l’ici et maintenant ; une joie, une paix, une confiance pour vivre le quotidien.

Relation à Dieu et révélation des blessures

Se centrer sur la relation à Dieu peut également mettre au jour des blessures. Telle jeune femme me tenait un discours tout à fait sensé et juste sur Dieu. Elle me disait qu’elle croyait en lui, qu’elle lui parlait, qu’elle le priait. Je l’ai invitée à m’en dire davantage sur le Dieu de sa prière. Je l’ai aidée à exprimer comment elle ressentait son rapport à Lui, si elle le percevait, pour prendre des comparaisons, comme quelqu’un à ses côtés ou plutôt situé face à elle ou encore l’entourant, etc. Peu à peu elle a pris conscience qu’en réalité quand elle parlait à Dieu, elle ne lui parlait pas en face, qu’il était comme sur le côté mais en arrière d’elle et assez loin. Plus profondément encore elle a réalisé qu’elle le maintenait volontairement à cette distance et à cette place. Elle a commencé alors non seulement à prendre conscience mais aussi à éprouver en elle-même ce qu’elle ressentait dans cette position pour finalement réaliser qu’elle portait profondément en elle une colère contre Lui. Une colère ancienne mais toujours vivace due à la perte de son père au terme d’une longue maladie, alors qu’elle était encore enfant. A cette époque elle avait prié, supplié Dieu de sauver son papa et elle avait eu l’impression que Dieu ne l’avait pas entendue. On découvre ici une blessure qui a sans doute bien des conséquences dans la vie psychique de cette femme et qu’un travail psychologique pourrait peut-être aider, mais également une blessure qui clairement freine sa relation à Dieu. Comment avancer ? Non pas en se focalisant sur la blessure, mais bien au contraire en se centrant avec plus d’attention encore sur la relation à Dieu afin d’aider la personne, à partir du lieu où elle en est, à la développer. En posant des questions d’ordre relationnel, peu à peu le contact va s’établir plus fermement, se vivre, évoluer au gré de ce que la personne éprouvera dans sa relation et de ce que Dieu montrera. Consciente de sa relation à Dieu et des sentiments qui l’habitent à son égard, elle va être en mesure d’entrer dans un dialogue vrai avec lui. Cette femme blessée, en osant exprimer sa colère à Dieu, s’est peu à peu retournée vers Lui, elle a pu alors le laisser s’approcher d’elle et venir la consoler de sa peine.

Exprimer ses sentiments à Dieu

Une des clés de la relation humaine est la capacité d’exprimer ses émotions, ses sentiments à l’autre. De même en est-il dans la relation à Dieu. L’accompagnateur spirituel aidera son accompagné en lui donnant la possibilité de le faire, souvent même en lui en donnant la permission. Quand je peux exprimer à Dieu – non pas un Dieu inconnu mais un Dieu reconnu et éprouvé dans une relation concrète – ce que je sens, ce qui me pèse, me blesse ou m’a blessé, meurtri, des guérisons profondes s’opèrent. Mais ces guérisons découlent de la relation à Dieu en y étant tout entières ordonnées.

Dans l’accompagnement spirituel, une résistance à se mettre en présence de Dieu est souvent engendrée soit par une colère, soit par une culpabilité, soit également par une peur non exprimées. La peur est dans bien des cas celle qui vient de l’image d’un Dieu exigeant ou dur. « J’ai peur de ce que Dieu pourrait me demander » est une expression que l’on entend souvent. Si telle est l’image de Dieu portée au plus profond de la conscience, comment avoir encore envie de se trouver face à Lui ? Ce Dieu-là on peut encore se permettre de le prier, de le supplier parfois, même de lui dire merci, mais est-ce un Dieu proche ? Au contraire, c’est un Dieu redouté que l’on craint de rejeter tout à fait, car il est puissant et pourrait se retourner contre nous. La résistance à s’approcher de Dieu ou à le laisser s’approcher peut aussi venir d’une culpabilité. Une faute, un péché ronge l’accompagné qui nourrit la conviction que Dieu ne peut pas accueillir et accepter un être aussi mauvais que lui. Dans tous ces cas l’accompagnateur spirituel aura soin de centrer l’attention de l’accompagné non pas d’abord sur sa colère, sa peur ou sa culpabilité mais sur Dieu à qui, ensuite, il pourra exprimer sa colère, sa peur ou sa culpabilité.

La guérison des images, des représentations de Dieu

La guérison des images de Dieu est un des enjeux majeurs de l’accompagnement spirituel. Notre image de Dieu conditionne tout le reste : notre vie morale et sociale, notre prière. Il faudra passer d’une image reçue à une image de plus en plus vécue et personnelle. Vous sentez tout de suite le discours appris et répété sans intégration personnelle. Prier sans image est sûrement possible. Il ne faut cependant pas croire trop vite que quelqu’un est dans le pur amour. Notre image n’est peut-être pas consciente mais elle est belle et bien opérante. Il faut encore distinguer entre ce qu’une personne dit et ce qu’elle vit réellement. Dieu est amour dans ma tête, mais dans ce que je vis, il peut être un Dieu rancunier. C’est le Dieu de l’intérieur et non de la « tête » dont il s’agit d’aider la personne à prendre conscience affectivement. Car c’est ce Dieu-là qui est opérant dans la vie de la personne. Et il est capital de savoir si ce Dieu-là ne serait pas un faux dieu, une idole. On ne démasque, on ne déracine une fausse image qu’en s’y confrontant, qu’en osant se la dire et la dire. L’accompagnateur aura soin de demander à la personne de développer son image pour que la réalité qui la sous-tend émerge.

La contemplation concrète, affective du Christ, comme image parfaite de Dieu, guérit les images de Dieu. L’image du Père est quasi toujours à guérir, que le père biologique ait été jugé ou éprouvé comme très mauvais ou comme excellent. On assiste souvent, inconsciemment, à un « combat des pères » et il faut généralement du temps pour que l’accompagné détache sa vision du Dieu Père du père qui l’a engendré. C’est même un travail permanent. En fait, je constate que très souvent les personnes qui viennent en accompagnement n’ont pas de relation vraiment personnelle, consciente et affective avec Dieu. Elles portent avec elles des images toutes faites issues de ce qu’on leur a appris. L’apprentissage d’une vraie prière personnelle qui soit une vraie rencontre de Dieu et non pas des réflexions sur Dieu est d’une extrême importance pour que se fasse une vraie appropriation personnelle de l’enseignement spirituel reçu. Je me souviens d’un jeune séminariste qui pensait qu’il fallait prier à genoux. Au début de la retraite, je lui ai dit que la meilleure position était celle qui l’aidait à trouver Dieu, à se mettre en sa présence. Il m’a demandé s’il pouvait s’allonger. Je lui ai répondu : « Quelle est la position qui t’aide le plus ? – M’allonger. – Et bien, prie ainsi ! » Je faisais appel à sa liberté spirituelle, à son affectivité qui lui disait qu’allongé il se trouverait plus disponible pour trouver Dieu. Il a passé les premiers jours de sa retraite à prier allongé. De temps à autre, un remords de conscience lui susurrait que ce n’était pas bien de prier ainsi, et pourtant force était de constater que sa rencontre avec le Seigneur en était facilitée. Plus tard dans la retraite, il s’est remis à genoux. Ce qui importe à Dieu, ce n’est ni la position du corps ni le lieu de la prière, mais bien la qualité de la relation à Lui.

Souvent dans les noviciats et les séminaires les formateurs sont attentifs à donner une structure aux jeunes gens ou aux jeunes filles, un horaire où s’articule rythme de prière (méditation, eucharistie, adoration, chapelet, etc.), temps d’études, de services, etc. Cette « armure » est nécessaire. Mais tout le travail de formation consiste à ce que peu à peu cette « armure » s’intériorise pour devenir une « colonne vertébrale. » Ainsi, le jeune peut passer du conformisme à l’identification jusqu’à l’intégration. Il ne faudrait pas que le jeune religieux ou prêtre croie que la vie spirituelle est faite de pratiques, de gestes, de rites et qu’en les faisant parfaitement, il serait parfaitement chrétien. L’accompagnement spirituel qui aide à se centrer sur Dieu va aider à resituer les « moyens » en fonction de la « fin ». Dieu est celui qui est cherché. C’est en fonction de Lui que les pratiques de la foi prennent leur sens. La question n’est pas tellement : « Qu’est-ce que je peux faire pour Dieu », mais bien plutôt « Qu’est-ce que le Seigneur désire que je fasse ».

Quand la blessure devient un obstacle

S’il y a des blessures et des souffrances qui peuvent favoriser la relation à Dieu et même être des chemins vers des guérisons intérieures plus intimes, il n’en reste pas moins que certaines d’entre elles sont d’un poids tel qu’elles freinent de manière majeure – même si jamais totalement – le déploiement de la vie spirituelle. Une personne en dépression profonde ou atteinte par une pathologie mentale ou soumise à des comportements compulsifs doit recevoir une aide spécifique. Une formatrice à l’accompagnement spirituel, elle-même psychologue, donnait le principe suivant : le problème que la personne soulève devant vous est-il davantage d’ordre spirituel ou davantage d’ordre psychologique ? Le discernement n’est sans doute pas toujours facile à opérer. Le critère de la relation à Dieu est cependant primordial et très précieux. Si le problème évoqué empêche de manière importante et récurrente cette relation, il y a sans doute un soutien plus approprié à chercher. Je revois tel novice qui malgré une grande fidélité à la prière, un véritable désir de se mettre devant Dieu, de le chercher, se trouvait toujours agité dans sa méditation par une angoisse profonde et sans nom. Ce novice avait de plus un besoin impérieux de faire du sport pour se vider l’esprit et le corps. Le combat psychique apparaissait assez évident, paralysant son désir d’aller plus loin dans sa relation à Dieu. Un travail psychologique lui a permis de découvrir une orientation homosexuelle qu’il refusait, inconsciemment, de toutes ses forces. Il n’est pas rare que, dans sa prière, un accompagné comprenne que Dieu lui-même l’invite à prendre les moyens autres que ceux de l’accompagnement pour grandir et laisser davantage la vie se déployer en lui.

Conclusion

Le plus grand danger qui guette l’accompagnateur spirituel est de prendre la place de Dieu, de prétendre savoir mieux que Lui ce qui peut aider, sauver, guérir l’autre. La grande question que l’accompagnateur doit sans cesse se poser est : « Est-ce que je laisse Dieu être le guide de la relation, celui qui mène l’entretien ; est-ce que je le laisse dire, faire ce qu’Il veut dire et faire ? » L’art de l’accompagnement spirituel consiste à essayer d’être, pourrait-on dire, dans le « rythme » de Dieu sans le devancer, sans le précéder, afin que se construise cette relation unique qu’il veut comme Créateur avoir avec sa créature.

[1Concernant cette réflexion sur la spécificité de l’accompagnement spirituel, voir l’excellent livre de W. A. Barry et W. J. Connelly : La pratique de la direction spirituelle, Paris, Desclée de Brouwer/Bellarmin, Collection « Christus », n° 66, 1988.

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