Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Au Directeur de telle maison de repos et de soins...

Dominique Godelaine

N°2004-4 Octobre 2004

| P. 270-272 |

Cette lettre ouverte reprend en substance les droits du patient dépendant tels qu’ils sont reconnus par la législation belge. Son style direct a l’accent des situations véridiques qu’elle affronte.

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Cher Monsieur,

Bonjour ! Comme je serai bientôt une de vos nouvelles patientes, je tiens à vous préciser que j’ai choisi votre établissement pour sa réputation et pour sa situation. Je n’ai jamais aimé la ville et cet écrin de verdure sera ma dernière résidence. Atteinte de dégénérescence musculaire, je sais depuis longtemps que je deviendrai complètement dépendante. Ne voulant pas être une charge pour ma famille, je m’en remets à votre établissement.

Si vous me le permettez, j’aurais quelques souhaits à formuler envers votre équipe.

En premier lieu, ne me tutoyez pas, je garderai ma dignité plus longtemps. Lorsqu’on se connaîtra davantage, nous aviserons…

De grâce, ne me réveillez pas à cinq heures du matin pour me prendre la température, je pense que cela ne changera pas grand-chose. Pendant ma vie active, j’ai toujours dû me lever tôt ! J’estime avoir le droit maintenant de dormir autant qu’il m’est possible.

Au moment de la toilette, prenez soin de tirer les tentures et de me couvrir d’un essuie, j’ai toujours été très prude.

Habillez-moi de vêtements chauds et confortables, je suis une grande frileuse, et lorsque je n’en serai plus capable, choisissez des tons qui s’accordent bien, car je déteste les couleurs mal assorties.

Au petit-déjeuner, une tasse de café me suffira ; à midi, ne me servez pas de viande, il y a des années que je n’en mange plus ; pour le repas du soir, j’aimerais un petit verre de vin… rouge !

Lorsque vous me mettrez la panne, faites sortir les visiteurs s’il y en a et ne me laissez pas des heures ainsi, c’est une position si peu confortable…

Aérez ma chambre afin que je respire mieux : l’air frais me fera du bien.

Parlez-moi quand vous passerez dans la chambre pour refaire le lit, j’aurai encore l’impression d’exister.

A vos moments perdus, faites-moi faire quelques pas, même si vous pensez que ce n’est plus la peine : cela me permettra de rester autonome le plus longtemps possible !

J’ai toujours aimé lire : lorsque mes bras ne sauront plus tenir un livre, essayez une « adaptation » et, en dernier lieu, si vous le pouvez, faites-moi la lecture.

Lors des activités de groupe, oubliez-moi : je n’ai pas envie de me retrouver comme tout le monde avec du vernis à ongle – moi qui n’en mettais jamais – ou à répéter bêtement des noms de villes ou d’animaux par ordre alphabétique en rattrapant un ballon… Je sais que vous travaillez de cette façon la psychomotricité et les fonctions supérieures, mais je préférerais une ergothérapeute ou une logopède en séance individuelle.

Ne m’en veuillez pas si mon humeur est parfois « en dents de scie », il n’est pas facile de vivre avec cette maladie… J’aurai des moments de découragement et de folie : réconfortez-moi, comprenez-moi, mais ne me mentez jamais.

Lorsque mon état empirera, que je n’arriverai plus à manger seule, n’allez pas trop vite pour me nourrir, je ne tiens pas à faire une « fausse route », et changez-moi si je me souille, je déteste être sale.

Lorsque la fin sera proche, ne vous acharnez pas. Je ne veux pas mourir à petit feu, je ne veux pas étouffer, j’aurai déjà tellement souffert physiquement et moralement. Laissez-moi mourir en paix. Evitez-moi un corps décharné, moi qui ai toujours été un peu ronde. Faites venir un prêtre, je ne suis pas bigote mais de confession catholique.

Et jusqu’à mon dernier souffle, parlez-moi comme à une personne sensée, ne m’infantilisez pas ! Imaginez-vous toujours que je peux comprendre. Vous pouvez me parler de la mort, je n’en ai jamais eu peur. Aidez-moi, si vous vous en sentez capable, à « passer de l’autre côté », sinon partez, je ne vous en tiendrai pas rigueur…

Tâchez de vous mettre toujours à la place du patient. C’est de cette façon que vous garderez une estime de vous-même, qui vous permettra de faire encore de nombreuses années ce merveilleux métier qui est aussi le mien, et le plus beau du monde…

Si je ne vous ai pas parlé de ma famille, de mon mari et de mes enfants, c’est parce que c’est la seule chose intime qui me reste ! Soyez conciliant au sujet des heures de visite, ils sauront être discrets.

Encore un tout grand merci d’avoir pu par cette lettre vous communiquer mes désirs et mes problèmes.

A très bientôt,

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