Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

« Ô Seul Maître des temps »

ou : Trois âges d’une vie chrétienne consacrée à Dieu

Dominique Nothomb, m.afr.

N°2003-6 Novembre 2003

| P. 400-409 |

Sans vouloir schématiquement figer l’aspect chronologique des « âges » que l’auteur d’ailleurs décrit dans leur tonalité spirituelle comme « des périodes de vie par lesquelles nous passons en sens divers « ni sans vouloir les assimiler aux trois « voies » classiques de la vie spirituelle et donc sans vouloir en faire des étapes d’un parcours irréversible l’auteur propose ici une belle méditation à propos des trois strophes de l’hymne liturgique bien connue : « O Maître des temps ». Nous y avons trouvé beaucoup de goût et si on accepte de souligner leur circularité on pourra y puiser le renouvellement d’une conversion toujours actuelle qui d’un avant vers un après désigne la pâque d’une élection toujours à reprendre au quotidien de l’Eucharistie de nos vies « au Nom du Père et du Fils et du Saint- Esprit ».

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Recueillant les fruits d’une longue expérience de l’accompagnement spirituel, et d’un cheminement personnel, filtre inévitable de tout ce qui est reçu et perçu [1], je discerne chez beaucoup de personnes consacrées comme « trois âges » de croissance. Ces trois âges ne correspondent pas exactement avec la triade classique qui me fut enseignée il y a cinquante ans : « voie purgative, voie illuminative, voie unitive ». D’ailleurs, les trois âges que je vais proposer ne se suivent pas automatiquement. Ce sont comme trois phases, aux trois périodes de vie par lesquelles nous passons en sens divers, parfois d’une manière superposée, parfois dans les deux sens comme je le suggérerai en terminant. Chacune peut être vécue plus intensément à telle époque de la vie.

Je les trouve exprimées poétiquement dans les trois strophes de la belle hymne liturgique de None : « O Seul Maître des temps ».

L’âge de la fascination de Jésus

« O Seul Maître des temps,
Jésus, Tu nous conduis,
Nous suivons tes chemins,
Nous cherchons ton visage. »

Il y a deux mille ans, fixant son regard sur Jésus, Jean disait à deux de ses amis : « Voici l’Agneau de Dieu, l’Elu de Dieu, le Chéri de Dieu. »

Ils Le suivirent donc. Jésus se retourna, regarda ces deux jeunes hommes et leur dit : « Que cherchez-vous ? » (Jn 1, 35-38).

Chercher ! Thème fréquent dans la Bible [2]. Il évoque un effort, parfois par tâtonnement, une volonté tendue vers un Bien non encore possédé, mais souverainement désirable, et possible. Certes, avec l’espoir de le trouver. Ce Bien, finalement, c’est Dieu lui-même, qu’il soit nommé au non. Chose étonnante, mais logique : dès que le chercheur a commencé à trouver, il est stimulé à se remettre en recherche car il s’aperçoit qu’au-delà du bien déjà découvert, il y en a un autre plus désirable encore. Et la quête est sans fin...

Ainsi de nous. Nous avions entendu parler vaguement d’un « certain Jésus » (cf. Ac 25,19), par quelqu’un qui, déjà, l’avait fixé du regard. Timidement, nous avons essayé, ou commencé à essayer, de nous rapprocher de lui. Un jour, confusément, nous avons « senti » intérieurement qu’il posait sur nous son regard et sa main, et qu’il nous disait : « Que cherches-tu ? »

En réalité, nous ne cherchions pas « quelque chose », mais « Quelqu’un » – Ton visage, Seigneur... « Montre-moi Ton visage », disait Jean de la Croix.

Il y a bien longtemps, Moïse avait déjà fait la même demande, et Dieu le lui avait refusé. Il ne pouvait voir que son « dos », les traces de son passage (cf. Ex 33, 23). Depuis lors, l’invisible s’est rendu visible. Les hommes ont pu voir le Verbe fait chair. Et Celui-ci leur disait : « Qui me voit, voit le Père ». Il voit donc Dieu. « Je veux voir Dieu », s’écriait Thérèse, toute petite. Un court instant, les hommes l’ont vu en effet, et beaucoup ont cru en lui. Mais, depuis son ascension, le visage de Jésus s’est dérobé à nos yeux. Et nous lui avons redit, et nous lui redisons : « Nous cherchons Ton Visage. »

Comme jadis encore, il nous a répondu : « Venez et voyez » (Jn 1,39).

Nous sommes venus et, depuis lors, « nous suivons tes chemins ». Depuis lors encore : « Jésus, Tu nous conduis. » Tu as conduit un(e) tel (le), parmi nous au monastère, un(e) autre au postulat, un autre au séminaire... On nous a demandé : « Pourquoi êtes-vous venu(e) ici ? »

Saint Benoît, au chapitre 58 de sa Règle, a défendu qu’on nous admette dans une « école du service du Seigneur » si nous ne répondions pas, d’une manière ou d’une autre : « Je cherche Dieu », « Je cherche son Visage ».

Que nous est-il arrivé ensuite ? Grâce à nos formateurs ou formatrices, et à leurs témoignages, grâce aussi à des lectures et des études, grâce surtout à la pratique de l’oraison et de la communion eucharistique quotidienne, petit à petit, ou soudainement, Jésus est devenu ce « Quelqu’un » que nous cherchions. Il nous a séduits et fascinés. Nous en avons été marqués pour la vie. Nous avons appris à prononcer son prénom Jésus, Yezu, Yeshoua... avec amour, comme celui de notre meilleur Ami. Nous le répétions à longueur de journée, « miel dans nos bouches et nos cœurs » (Saint Bernard), Jesu dulcis memoria, comme le chante l’hymne ancienne, car « comment vivrais-je si je ne L’aimais pas ? » (Lacordaire), puisque « mon cœur est blessé de son amour », un cœur « dont la plaie ne guérira qu’au ciel » (L. de Grandmaison)... Et nous avons chanté avec D. Rimaud :

« Jésus qui m’a brûlé le cœur,
Au carrefour des Écritures,
Ne permets pas que leur blessure
En moi se ferme. »

Oui, « un amour nommé Jésus » (A. Manaranche).

Peut-être avons-nous lu alors, entendu et médité, dans l’Apocalypse le chapitre 5 en entier (illustré par 1, 13-19) et nous avons découvert en Jésus « Lion de Juda et Agneau Immolé » le « Seul Maître des temps » et nous Lui avons dit : « Je T’adore, Seigneur, avec les anges et les saints, myriades de myriades, Toi qui tiens dans tes Mains toute ma destinée, tout mon avenir : je me donne à Toi sans réserve et pour toujours... »

Tel est le premier âge : celui de la fascination de Jésus. L’enthousiasme et la jeune ferveur des novices et des séminaristes. Etape essentielle, sans laquelle une vie consacrée est triste, et peut-être vouée à l’échec. Il est préférable que cette fascination de Jésus se situe au début du chemin. Il arrive cependant qu’elle se produise plus tard. Mais tant qu’elle n’a pas eu lieu, rien n’est assuré pour l’avenir.

L’âge de la purification du cœur : l’œuvre de l’Esprit

« Etrangers pèlerins,
Toujours prêts à partir,
Nous portons nos regards
Vers le Jour et vers l’Heure. »

A partir de cette découverte lumineuse du Transfiguré, nous nous sommes sentis « étrangers et voyageurs sur la terre » (He 11, 13). Nous l’avons professé. Nous le sommes devenus par nos premiers engagements. Nous avons quitté : des choses, une famille, la possibilité d’en fonder une qui soit issue de nous, et notre autonomie.

Nous nous sommes expatriés, physiquement ou (et) psychologiquement. Nous avons connu le dépaysement, nous sommes devenus étrangers à un certain monde. Nous nous sommes mis en route, comme des pèlerins, des nomades, « toujours prêts à partir », comme Abraham qui « partit ne sachant pas où il allait » (He 11, 8), « preuve qu’il était sur le bon chemin » (Grégoire de Nazianze). Jésus, « le Maître de l’impossible » (Charles de Foucauld) nous a dit : « Avance en eau profonde » (Lc 5, 4), « aventure ta vie... » (Thérèse d’Avila).

Période de désarroi. Les « eaux profondes », à cette époque, ce sont les tendances égoïstes, orgueilleuses, sensuelles de nos cœurs nos « démons » dont parlent les Pères du désert, qui se réveillent et se démènent. On se découvre médiocre, hypocrite, vaniteux, impur. C’est le temps des purifications des sens et de l’intelligence : les fameuses « nuits », si nécessaires. On est déçu : de soi, des autres, de la communauté, de la Congrégation... On perd certaines illusions et on découvre la réalité : elle nous humilie...

« Toujours prêts à partir » disait le poème. Il ne s’agit pas maintenant d’aller en Amérique, en Afrique, ou en Espagne. Le remède est de partir, c’est-à-dire de sortir de soi, « franchir l’escarpe » : « Avec mon Dieu, je saute la muraille » (Ps 17, 30).

Surtout, ne pas s’enfermer dans ses « états d’âme » ni tourner en rond autour d’eux, En sortir, mais comment ? Par le service, humble et dévoué, des autres, dans la communauté d’abord, en dehors aussi. Mais attention ! pas pour se lancer tête perdue dans l’activisme. Puis, élever son cœur, dans la louange, vers Dieu : « Je lève les yeux vers les monts d’où me viendra le secours » (Ps 120, 1). « Vers Toi j’élève mon âme » (Ps 25, 1 ; 86, 4 ; 143, 8), afin de « te rendre grâce en toutes circonstances, et tout temps et en tout lieu » (1 Th., 18 ; Ep., 18-20).

Commence alors (et sans doute parallèlement) un temps d’illumination et de contemplation : « Nous portons nos regards, désormais purifiés et simplifiés, donc plus lucides, « vers le Jour et vers l’Heure ».

« Le Jour ? » Celui de la résurrection de Jésus, de sa Gloire, du jugement, « le troisième jour », « le dernier jour », le « jour du salut » (2Co 6, 2), le « Jour du Christ » (Ph J, 10), le « jour de sa visite » (1 Ph 2, 12) : « en ce Jour-là, vous comprendrez que je suis dans mon Père » (Jn 14, 20). « Le Jour de l’éternité » (2 Ph 3, 18).

Et « l’Heure » ? Celle où Jésus va être livré, (Mt 25, 45), l’Heure où sa Gloire (« La Gloire d’aimer », Y. Simoens) va se révéler dans la Passion [3].

Oui, il nous est donné, à ce moment, de contempler d’un seul regard le Mystère pascal, de la Croix et de la résurrection. A la fois le Christ crucifié (1 Co 2, 2) et le Christ glorifié (2 Co 3, 16-18 ; 4, 5). Il nous est donné non seulement de contempler ce mystère, mais aussi d’y participer. De multiples manières : par exemple, dans et par les responsabilités confiées et tous les soucis qu’elles comportent ; ou dans et par les renoncements qui furent faciles à accepter à vingt ans, mais qui deviennent plus difficiles à quarante ans : ne pas avoir de conjoint ni d’enfants, la perte de son autonomie, les restrictions matérielles et financières ; ou encore dans et par la banalité des tâches quotidiennes, dans l’épreuve de l’acédie, des déceptions renouvelées, de la lassitude ; dans les infirmités corporelles et les problèmes familiaux ; dans et par une vie commune de plus en plus difficile à supporter...

Or, c’est justement grâce à l’expérience humiliante et purificatrice de la croix que le regard du cœur devient, peut devenir plus contemplatif. La tradition la plus ancienne a vu le martyre comme le lieu de la plus haute contemplation, ainsi qu’on le voit dans l’exemple d’Etienne (Ac 7, 56) ou dans les Actes des martyrs des premiers siècles. N’est-ce pas dans l’affreuse prison où ses frères l’avaient jeté que Jean de la Croix a conçu son Cantique spirituel ? N’est-ce pas dans le don, mais la souffrance, des stigmates de la passion que François d’Assise, Marthe Robin ou Padre Pio ont atteint la plus haute union à Dieu dans l’amour ?

Sur un mode plus modeste, c’est bien à quelque chose de ce genre qu’aboutit l’âge de la purification qui, souvent, coïncide avec le milieu de la vie. Quand un religieux ou une religieuse, ou un prêtre ou toute autre personne consacrée à Dieu se prépare à son jubilé d’argent, de vingt-cinq ans d’offrande totale d’elle-même au Seigneur, elle fait l’expérience de ce mélange d’un humble regard sur elle-même, et d’un regard reconnaissant sur son Seigneur. Humiliée par la vie, elle mesure mieux sa faiblesse. Etonnée d’être restée fidèle, elle en attribue volontiers la grâce à l’indéfectible fidélité de Celui qui l’a séduite et fascinée au temps des premiers amours.

Le premier âge avait été fortement marqué par la découverte et la rencontre fervente de Jésus, le Bien-Aimé. Le second âge, symbolisé par la seconde strophe de notre hymne, est davantage celui de l’Esprit Saint. Peut-être, son action a-t-elle été perçue et nommée au cours de cette période. Peut-être est-elle restée inaperçue et non-nommée : cela importe peu. Mais c’est bien lui qui a accompli l’œuvre pénible de purification du cœur et du regard (Ez 36, 25 et suiv.) et surtout celle de l’illumination intérieure rendant possible la contemplation des dons de Dieu : « Nous avons reçu l’Esprit qui vient de Dieu afin de connaître les dons que Dieu nous a faits » (1 Co 2, 10-13).

L’âge de l’attente de l’invisible

« Nous marchons sur tes pas,
Tu viens à nos devants.
Dans le jeu de la foi,
Nous guettons l’invisible. »

Oserais-je qualifier cette période de « mystique » ? Peut-être est-ce cela en effet, mais « de nuit ». J’aime y voir la découverte du Père.

Mais d’abord, en continuation de ce qui précède, « nous marchons sur tes pas », Seigneur Jésus. Nous T’accompagnons vers Jérusalem. Nous pressentons les signes d’une Surprise, faite de douleur et de paix. Une plus grande solitude, un étrange silence « chargé d’une Présence adorée » (Jean-Paul II), le don d’une sérénité jusqu’ici inconnue.

Progressivement, tout s’inverse. Ce n’est plus nous qui allons vers Toi, c’est Toi qui viens vers nous : « Tu viens à nos devants. » Nous pressentons sa Venue prochaine. Il frappe déjà, et plus qu’avant à notre porte (cf. Ap 3, 20). Si nous ouvrons de son côté, tout en fermant l’autre porte, celle des bruits du mauvais monde (Mt 6, 6), Il entre chez nous et partage avec nous l’intimité du soir... C’est le temps où nous préparons notre dernier jubilé, le plus beau, celui de la joyeuse attente...

Cependant, nous sommes encore dans l’obscurité : « Dans le jeu de la foi, nous guettons l’invisible. »

Le « jeu de la foi » ! D’autres versions ont préféré mettre « la nuit de la foi ». Je garde « le jeu ». Un jeu comporte quatre éléments : d’abord, la surprise ou l’imprévisible ; ensuite, un inattendu qui dépend de l’intervention de l’autre joueur ; puis : la joie qui en résulte ; enfin : l’enfant qui y trouve son bien et qui le considère comme une occupation sérieuse. N’est-ce pas une des descriptions possibles de la foi ? Celui avec qui tu joues ici, c’est bien le Seigneur Jésus. Pour entrer dans le jeu, tu dois avoir un cœur d’enfant. La surprise provient de ce que ce jeu est toujours un « qui perd gagne » : quand tu diminues, il grandit. Quand tu perds une vie, tu en gagnes une autre. Si tu commences par mourir, tu finis par vivre. Plus tu te détaches de toi-même, et plus Il s’attache à toi. Plus tu lui appartiens, et plus tu es libre... Et ainsi de suite.

Il te propose plusieurs variantes de ce « jeu de la foi ». Par exemple, il « te baise d’un baiser de sa bouche » (Ct 1, 1) ce baiser qui est le don du Saint-Esprit (Saint Bernard), surtout quand tu communies à la sainte Eucharistie (Thérèse de Lisieux). Ou bien, par le « pinceau » qui est le Saint-Esprit de nouveau, il dessine dans ton cœur l’image de Jésus (Commission théologique internationale), le Modèle Unique (Charles de Foucauld), ce Jésus dont le regard ne cesse de contempler le Père et de l’aimer. Ou encore, selon une image étonnante proposée par Catherine de Sienne, ce même Esprit Saint dispose, devant toi, sur la table de ton cœur, la nourriture offerte par le Père et qui est Jésus, le Pain de Vie... Tu reconnais dans le Pain et le Vin consacrés la Présence du Bien-Aimé : divine Surprise... !

Autre « jeu de la foi » : tes yeux s’ouvrent et tu reconnais dans tout prochain « Jésus caché au fond de son âme » (Thérèse de Lisieux). Tu deviens ainsi capable d’aimer toute personne humaine, proche ou lointaine, sympathique ou antipathique, vertueuse ou vicieuse « parce que Dieu est en elle ou pour que Dieu soit en elle » (Augustin et Thomas d’Aquin) ; ta charité est devenue universelle, tendrement attentive à chacun, et humble surtout, car c’est Dieu lui-même que tu rejoins en toute personne.

Ou encore, le « jeu de la foi » des dernières heures, celui des plus chanceux, au sommet de la vie mystique, lorsque la création entière t’apparaît transfigurée par la Gloire du Ressuscité, reflet de Dieu, au point que tu reconnaisses « Dieu tout en tous » et en tout, comme dans la contemplation ad amorem, pour obtenir l’amour, qui est l’aboutissement des Exercices spirituels que propose Ignace de Loyola...

La réussite du « jeu de la foi » est gagnée lorsque, avec la fin de la troisième strophe, « nous guettons l’invisible ». Qui est cet Invisible, sinon le Père ? Lui qui habite « une lumière inaccessible, que nul d’entre les hommes n’a vu et ne peut voir » (1 Tm 6, 11). Le Père dont Jean Baptiste (Mt 3, 17) et les trois apôtres sur le Thabor (Mt 17, 5) ont entendu la Voix, mais n’ont pas vu le Visage, sinon sur Celui de Jésus (Jn 14, 9). Oui, un jour nous Le verrons « face à face » (1 Co 13, 12) après avoir quitté ce monde visible. Mais déjà, nous chantons : « Je veux voir Dieu/Le voir de mes yeux/Joie sans fin des Bienheureux/Je veux voir Dieu. » « Quel est ce jour où nous pourrons voir ton Visage ? » se demandent les chrétiens du Tchad après la consécration eucharistique.

Tel est le troisième âge, celui, parfois, des jubilés d’or... L’âge de l’abandon entre les mains du Père, pendant lequel, sereinement, « nous guettons l’invisible », désormais tout proche, pour lequel nous avons été créés...

Envoi

Trois âges. Mais ni comme dans la durée biologique, ni comme dans les théories trop logiques, où l’on avance du premier au second, et du second au troisième... Comme le vent dont tu ne sais d’où il vient et où il va, l’Esprit offre à chacun un itinéraire particulier, très personnel, toujours unique.

Peut-être le cheminement idéal serait celui d’une montée suivie d’une descente qui finirait par un « aciélissage ». Parvenu à l’âge que j’ai appelé mystique, car il est celui du Père, tu seras conduit par l’Esprit à travers un nouveau désert pour te ramener au premier âge, celui de la fraîcheur naïve des fiançailles... Comme en Ap 21, 2. Le « Pasteur d’Hermas » n’enseigne-t-il pas que l’Église, d’abord vieille veuve, devient plus tard une femme d’âge moyen, pour devenir, en fin de vie, une jeune fiancée parée pour son Epoux... ?

Passer ainsi de la vieillesse à la jeunesse, puis à l’enfance, donc du troisième âge à un second deuxième, et à un deuxième premier, pourrait être le meilleur chemin pour entrer, dans un total abandon de soi, dans le Royaume du Père, celui des petits, des tout-petits... Seuls ceux-ci sont mûrs pour être plongés dans l’Eternité, le Nunc stans, le « point » d’infinie Plénitude, l’Alpha et l’Omega, que, sans pouvoir le nommer, nous osons appeler « Dieu »... Immana (Rwanda), Wende (Moore), Koumno (Lélé), « l’Amour » (Jean), l’Océan de Miséricorde qui est le Père en qui demeure le Fils sur qui repose l’Esprit...

Dominique Nothomb, Belge, prêtre dans la société des Missionnaires d’Afrique depuis 1948, missionnaire au Rwanda de 1956 à 1977, au Tchad depuis 1978 jusqu’à ce jour. Auteur de nombreux articles, dont plusieurs dans la revue Vie consacrée, et de quelques livres dont Un Humanisme africain, Oui, Père (sur la prière), Comme un Trésor caché (sur la pauvreté évangélique), L’enseignement de Charles Lavigerie, Un oui total à Dieu (sur la vie religieuse en Afrique), et récemment Car tu es mon Père : Paroles de bonheur.

[1Selon l’adage thomiste : Quidquid recipitur ad modum recipientis recipitur (« tout ce qui est reçu l’est selon la manière, la mesure, les dispositions de celui qui reçoit »). Ce que j’ai reçu et appris des autres, je l’ai reçu selon ce que je suis. D’où l’interprétation sans doute très (trop ?) subjective de ce que j’ai cru pouvoir observer.

[2Voir Dt 4, 29 ; Ps 27, 8 ; 40, 17 ; 69, 7 ; 105, 3-4, etc. – Am 5, 4 (et note de la BJ) ; Os 5,15 ; 10,12 ; Lc 19, 3 ; Jn 7, 34, etc.

[3Jn 2, 4 ; 7, 30 ; 8, 20 ; 12, 23-27 ; 13, 1 ; 16, 32 ; 17, 1.

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