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La clôture « papale » des moniales : de Venite seorsum à Verbi sponsa

Léon Renwart, s.j.

N°2000-3 Mai 2000

| P. 147-155 |

Le décret Verbi sponsa (13 mai 1999) est-il bien la réponse attendue à la demande formulée à l’issue du synode sur la vie consacrée et annoncée par Vita consecrata (1998) ? La comparaison avec ce qui était déjà proposé dans Venite seorsum (1969) - il y a 30 ans ! - propose une appréciation nuancée. Les nombreux points d’interrogation qui ponctuent la conclusion indiquent qu’une autre détermination aurait pu être cherchée.

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Le décret Verbi sponsa (V.Sp.) [1] de la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique (CIVCSVA, anciennement SCRIS) en date du 13 mai 1999 est la réponse promise par Jean-Paul II aux demandes formulées par les moniales à l’occasion du synode sur la vie consacrée [2]. Comme Venite seorsum (V.Se) [3], ce texte reprend l’ensemble de la question, il est donc intéressant de les comparer.

Sens et nature de la clôture

« Depuis le commencement et de façon tout à fait particulière, les monastères consacrés à la vie contemplative ont considéré la clôture comme une aide qui a fait ses preuves pour accomplir leur vocation... C’est un devoir, une responsabilité et une joie pour les moniales de comprendre, de garder et de défendre avec fermeté et intelligence leur vocation spéciale, en protégeant de toute sollicitation interne ou externe l’identité du charisme spécifique » (9).

Les deux documents développent largement cette doctrine dans leur première partie. Leurs termes sont fort proches. V.Se traite toutefois des hommes et des femmes alors que V.Sp. se limite à ces dernières. Un détail mérite d’être signalé. V.Se marque clairement la distinction entre la vie vouée à la contemplation, la solitude qu’elle requiert et la clôture comme moyen d’assurer l’une et l’autre. Dans V.Sp. cela est moins souligné, on a même parfois l’impression que ces notions apparaissent presque comme interchangeables.

Règles de la clôture « papale »

Nature et extension de la clôture papale

V.Sp. rappelle explicitement que celle-ci ne concerne que « les monastères de moniales qui sont ordonnés intégralement à la vie contemplative » (10). « Tout institut contemplatif doit maintenir fidèlement sa forme de séparation du monde » (9), même s’il n’est pas exclusivement voué à la contemplation.

Sans entrer dans les derniers détails, nous essayerons de regrouper et de comparer les dispositions de ces deux documents sur la clôture papale des moniales.

Les modalités [4] de cette clôture, qui s’étend à tous les lieux réservés aux moniales (cf. 14, § 2, al. 1), « doivent être matérielles et efficaces, pas seulement symboliques ou prétendument “neutres” (sans autre précision sur le sens de ce mot) » (ibid., al. 2). Rien n’est changé pour le caractère obligatoire de la clôture ni la séparation du monde des Sœurs externes (14, § 3, a et b).

La participation aux célébrations liturgiques « ne permet ni la sortie des moniales hors de la clôture ni l’entrée des fidèles dans le chœur des moniales » (ibid., al. 3).

« Des hôtes éventuels ne peuvent pas être introduits dans la clôture du monastère » (ibid.).

Sorties et entrées

Sans autre autorisation :

  • en cas de danger très grave et imminent (17, § 1) ;
  • sauf induit particulier du Saint-Siège, pour certaines personnes, (18, §1) :
  • « aux Cardinaux, aux nonces et aux délégués apostoliques, dans les lieux soumis à leur juridiction ; au visiteur pendant la visite canonique, à l’évêque diocésain ou au Supérieur régulier, pour une juste cause » ;
  • mais les chefs d’État et leur suite ne sont plus mentionnés (ils l’étaient dans V.Se, II2 b).
  • Avec la permission de la Supérieure, dont le rôle est notablement accru, car c’est à elle qu’il revient « d’assurer concrètement le maintien de la clôture... c’est elle qui juge de l’opportunité des entrées et des sorties » (16, § 1).

C’est elle qui, de sa propre autorité :

  • décide de l’opportunité des entrées et des sorties dans lescas ordinaires, concernant la santé des moniales, l’assistance des moniales malades, l’exercice des droits civils et les nécessités du monastère pour lesquelles on ne peut pourvoir autrement (17,§ 1) ;
  • d’autoriser le prêtre à entrer en clôture (18, § 2, al. 1) :
  • pour administrer les sacrements aux malades,
  • pour assister celles qui sont longuement ou gravement malades,
  • pour célébrer pour elles la sainte Messe,
  • éventuellement pour les processions liturgiques et les funérailles ;
  • d’autoriser l’entrée de ceux dont les travaux ou compétences sont nécessaires pour soigner les moniales et pourvoir aux besoins du monastère (ibid., al. 2) ;
  • d’autoriser l’entrée en clôture « aux aspirantes du monastère et aux moniales de passage, si cela est prévu par le droit propre » (ibid., al. 3) ;

Pour une autre cause [5] juste et grave [6], la Supérieure a besoin, selon la durée de la sortie nécessaire (17, § 2) :

  • s’il s’agit d’une absence ne durant pas plus d’une semaine, du consentement de son conseil ou du chapitre conventuel, selon les dispositions des Constitutions ;
  • pour une absence de plus d’une semaine jusqu’à trois mois, de l’autorisation de l’évêque diocésain (canon 667 § 4) ou du Supérieur régulier s’il en existe un ;
  • pour une absence de plus de trois mois, sauf dans les cas de soins de santé, de la permission du Saint-Siège.

La supérieure applique cette même règle lorsqu’il s’agira d’autoriser des sorties en vue de participer à des cours de formation religieuse organisés par des monastères (ibid., al. 2), car « la règle de la clôture vaut aussi pour les sorties motivées par la formation » (24, al. 4).

Le décret rappelle que le canon 665 § 1 ne concerne pas les moniales de clôture [7].

• pour un passage temporaire ou définitif à un autre monastère de l’Ordre, il lui faut l’accord de son conseil ou du chapitre conventuel selon les Constitutions. C’est le cas :

  • pour envoyer, quand c’est nécessaire, des novices ou des professes y accomplir une partie de leur formation ;
  • pour effectuer des transferts temporaires ou définitifs vers d’autres monastères de l’Ordre, (17, §3).

Dans une présentation plus nuancée que celle de V.Se (II, 10 et 11), le décret rappelle la sobriété et la discrétion requises dans la nature et le nombre des informations à laisser entrer en communauté. Notamment l’usage de la radio et de la télévision peut être autorisé dans des circonstances particulières de caractère religieux. Le recours aux moyens modernes de communication (télécopies, etc.) peut être admis avec discernement, pour l’utilité commune, selon les dispositions du chapitre conventuel.

Le but est bien rappelé : permettre aux moniales de s’informer convenablement sur l’Église et sur le monde, en sachant en retirer l’essentiel à la lumière de Dieu, pour le porter dans la prière en union avec le Cœur du Christ.

« Sur l’autorisation préalable du Saint-Siège, on peut organiser les réunions de moniales, de même Institut contemplatif, dans le cadre de la même nation ou région, pour de vraies nécessités de réflexion commune, pourvu que les moniales acceptent librement ». « Ces réunions, pas trop fréquentes, se tiendront dans un monastère de l’Ordre » (19, al. 1).

Les monastères réunis en Fédération établissent dans leurs Statuts la périodicité et les modalités de leurs réunions fédérales (ibid., al. 2).

Puisque c’est à la Supérieure que revient la vigilance immédiate sur la clôture, l’évêque diocésain et le Supérieur régulier n’interviennent ordinairement pas dans la concession des dispenses, sauf dans celles de durée moyenne (cf. ci-dessus), mais ils veilleront à aider dans la mesure de leur compétence la Supérieure dans sa tâche propre (21).

Il est aussi du devoir de l’Ordinaire du lieu de conserver et de protéger l’autonomie de chaque monastère (23, al. 4) et d’exercer envers lui la même vigilance que celle que le Code lui prescrit pour les maisons religieuses établies sur son territoire, selon les lois de l’Église et les Constitutions. Ceci s’applique aussi au Supérieur religieux, s’il en existe un (ibid., al. 5).

Les Constitutions doivent indiquer ce qui est de leur ressort particulièrement en ce qui concerne la présidence des élections, la visite canonique et l’administration des biens (ibid.).

Dispositions diverses

Cette partie ne figurait pas dans V.Se. Elle regroupe des éléments pris principalement à Vita consecrata et à l’Instruction Potissimum institutionis du 2 février 1960 [8]. Relevons-y ce qui est dit de l’autonomie des monastères.

Elle est « un droit du monastère, qui est autonome par nature » (25, al. 3).

Il est du « devoir de l’Ordinaire du lieu de conserver et de sauvegarder cette autonomie » (ibid., al. 4).

« Le monastère associé à un Institut masculin maintient sa propre organisation et son propre gouvernement... La définition des droits et des obligations réciproques « doit donc sauvegarder l’autonomie effective du monastère » (26, al. 3).

Même dans le cas de monastères faisant partie d’une même Fédération, « en toute hypothèse, il appartient aux communautés de décider de la demande [d’envoi ou d’échange de moniales] et de la réponse selon leurs possibilités » (30, al. 3).

Par manière de conclusion

Il est évident que la CIVCSVA a fait un réel effort pour répondre aux demandes adressées lors du Synode. A-t-elle pleinement réussi ?

La question en cause, rappelons-le, n’est pas de garder ou d’abandonner la vie uniquement vouée à la contemplation ; à notre connaissance, aucun des monastères concernés ne se le demande. Il ne concerne pas non plus la solitude nécessaire pour une telle vie. Ce qui est en cause, ce n’est même pas une clôture stricte adaptée à une telle vie. C’est très précisément le fait que la clôture papale est déterminée « selon les règles données par le Siège apostolique » (10, al. 1), c’est-à-dire imposée par celui-ci, qui se réserve le droit de l’adapter.

Certes, il y a des monastères [9] qui estiment que les dispositions de la clôture papale telles qu’ils les vivent actuellement répondent à leur vocation et aux circonstances concrètes dans lesquelles ils se trouvent. On ne voit pas pourquoi ôter à ces moniales ce qu’elles sentent conforme à l’appel que Dieu leur adresse.

Mais, il y d’autres monastères [10] qui, vu leur vocation propre et les circonstances dans lesquelles ils vivent, souhaitent pouvoir adapter eux-mêmes les modalités concrètes de leur stricte clôture. On voit mal au nom de quoi on le leur refuserait, étant donné le principe mis à la base de la refonte du droit canonique « éviter, dans l’établissement des normes juridiques, toute discrimination entre les instituts d’hommes et de femmes [11] ». Ce que ces moniales demandent, n’est-ce pas de pouvoir faire elles aussi ce que l’autorité ecclésiastique accorde à leurs homologues masculins ?

La solution à ce problème n’aurait-elle pas été pressentie par VSp. dans ce bout de phrase : « Dans la perception nouvelle et dans les perspectives dans lesquelles l’Église considère aujourd’hui le rôle et la présence de la femme » (26, al. 4) ? Ne suffirait-il pas d’autoriser tous les monastères féminins de stricte clôture à rédiger eux-mêmes leurs constitutions, aux mêmes conditions et avec les mêmes contrôles et approbations que leurs homologues masculins ? Les monastères désireux de conserver telle quelle la clôture « papale » pourraient décider de la garder, les autres seraient libres d’adopter la clôture stricte qui convient à leur cas.

Serait-ce un rêve que d’espérer ce décret ? Il aurait encore un autre avantage non négligeable : il réjouirait tous ceux et celles qui ont un amour sincère et lucide pour une Église à la fois sainte et toujours à purifier (semper purificanda, L.G. 8). En faisant disparaître une discordance criante entre un principe et son application, il obvierait « à la perte de crédibilité à laquelle s’expose l’Église lorsqu’elle prêche l’égalité, mais ne la met pas en pratique [12].

P.S. : Un lecteur bénévole des bonnes feuilles de cet article attire notre attention sur une expression du n° 13 de V.Se : « Les monastères de moniales de la vénérable tradition qui s’exprime en diverses formes de vie contemplatives. » Ceci ne rappelle-t-il pas l’essentiel, à savoir que l’appel à la vie contemplative en clôture est d’abord et fondamentalement une vocation divine, un charisme inspiré par l’Esprit ? Les modalités (se consacrer intégralement au culte divin ou lui associer quelques activités ou des formes d’accueil plus large) ne constituent donc que des modalités secondaires de cet appel divin. Elles regardent l’adaptation des moyens et leur mode de reconnaissance par l’autorité : approbation par la hiérarchie ou réservation aux seules instances romaines.

Le Père Renwart, ancien professeur de Théologie dogmatique, collabore depuis de nombreuses années à la revue Vie consacrée dans le domaine de la théologie religieuse.

[1La traduction, d’après le texte français de la Libreria Editrice Vaticana, a paru dans La Documentation catholique du 18 juillet 1999 (tome 96, p. 653-656).

[2Jean-Paul II, Vita consecrata, 25 mars 1998 (traduction française, Paris, Cerf, 1998).

[3Traduction française dans la DC, tome 66, (1969), p. 806-814, et dansVC, 41 (1969, p. 240-363).

[4Ne sont pas repris les exemples donnés par Venite seorsum sur cette clôture, ni les portes fermées à clef, ni l’approbation préalable requise (II, 3 et 4).

[5L’hospitalisation d’une moniale tombe-t-elle dans cette catégorie ? Cela dépend de la durée prévue pour celle-ci : s’il s’agit d’un simple examen de deux ou trois jours en clinique, celui-ci nous paraît être devenu tellement courant qu’il rentre dans les soins ordinaires ; si une durée plus longue est prévue, les consentements correspondants doivent être demandés ; en cas de prolongation imprévue, il suffit, à notre avis, de signaler le fait à qui de droit.

[6Dans le langage canonique, qui recourt souvent à l’adjectif gravissima (très grave), la cause grave (gravis) nous semble plus proche du motif raisonnable que du sens habituel de grave en français courant.

[7La supérieure n’a donc pas le droit de donner à une moniale la permission de séjourner en dehors du monastère pour des raisons d’étude ou d’apostolat.

[8Voir DC, t. 87 (1990), p. 407-409.

[9Par exemple : Dom Jean Prou et des Moniales de la Congrégation de Solesmes, o.s.b. La clôture des moniales, Coll. « Perspectives de vie religieuse », Paris, Cerf, 1996.

[11Communicationes (Pontificia commissio codici iuris canonici recognoscendo) : « N° 20 : De monialibus : Principium deinde admissum est a Coetu Studiorum vitandi quamlibet discriminationem in iure inter instituta virorum et ilia mulierum. Absonum (nous soulignons) igitur esset hoc principium non applicare quando agitur de monialibus ». (t. 6,1974, p. 89) Le principe avait déjà été affirmé dans le t. 2,1970, p. 178.

[12Joan Chittister, Le feu sous les cendres, Bellarmin, 1998, p. 310.

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