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Un prêtre du XXe siècle, le P. Marie-Eugène de l’Enfant Jésus, carme et fondateur (1894-1967)

Étienne Michelin

N°1997-4 Juillet 1997

| P. 235-256 |

Voilà donc déjà trente ans que cette grande figure de la spiritualité carmélitaine est entré dans la Vie. Notre revue a déjà attiré l’attention sur ce prêtre au rayonnement apostolique reconnu et fécond (cf. V.C., 1992, n° 2). Basée sur une connaissance personnelle et une fréquentation des ses écrits (entre autres sa correspondance encore inédite), autant que sur une connivence profonde, la présentation biographique et spirituelle que l’auteur nous donne ici n’est pas sans nous inviter à le fréquenter à neuf ou à faire plus ample connaissance avec sa vie et son œuvre. La pertinence de son enseignement à propos de la vie religieuse n’est pas à démontrer.

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Le 30 mars 1967, Monseigneur Urtasun, archevêque du diocèse d’Avignon, présidait les funérailles du P. Marie-Eugène de l’Enfant Jésus dans la cour intérieure de la maison de Notre-Dame de Vie, au pied du village de Venasque [1].

Au nom du diocèse d’Avignon qu’il a choisi et où il va attendre la résurrection glorieuse, promise à tous ceux qui ont été fidèles, au nom de toutes les autres églises diocésaines, je dis avec affection et respect la plus vraie des gratitudes à ce grand religieux, à celui qui jusqu’à la fin voulut être pleinement prêtre, s’offrant avec le Christ de la croix et de la messe.

Celui qui, jusqu’à la fin, voulut être pleinement prêtre. Il ne s’agit pas ici d’une figure de style, mais de la constatation de ce que l’on pourrait nommer l’axe central de la vie du P. Marie-Eugène. Dans le sanctuaire, au pied de la statue de Notre-Dame de Vie, on peut voir, devant l’autel, une pierre qui porte l’inscription suivante. Ici repose le P. Marie-Eugène de l’Enfant Jésus, o.c.d. Henri Grialou, fondateur de l’Institut Notre-Dame de Vie. 2.12.1894 - 27.3.1967. Les deux mots : ici repose, ne doivent pas faire illusion. Car le P. Marie-Eugène avait eu soin de dire : Après ma mort, vous me mettrez dans le chœur de la chapelle, tout près de l’autel, pour que je continue à travailler. C’est bien dans la ligne de sa personnalité :

On a toujours cru que j’étais fait, moi, pour l’apostolat et que j’étais entré au Carmel par erreur. (À la sortie du séminaire, au moment d’entrer au Carmel, on m’a dit : « mon ami, vous êtes fou... ») Par mon tempérament et par tout, je suis fait pour l’action, pour l’activité et par toute ma vie, j’ai donné l’exemple je ne dis pas d’un accrochage au monde, mais d’un apostolat très actif.

De quelle activité s’agit-il en définitive ? De celle qui fit le tout de sa vie, selon sa propre expression : Toute ma vie a été basée sur la connaissance, sur la découverte de l’Esprit Saint [2]. Cette découverte, cette connaissance de l’Esprit Saint s’étaient épanouies en une amitié forte et délicate qu’il voulait faire partager à tous. Que l’Esprit Saint devienne votre ami, telle était sa prière pour tous ceux qu’il aimait, une prière que la mort n’interromprait pas.... c’est la prière que je vais continuer sur la terre, tant que le bon Dieu me laissera ici et que je continuerai certainement pour vous pendant l’éternité [3].

Parmi les occupations multiples dont l’ampleur et la diversité furent exceptionnelles pour une vie d’homme, on peut dire que celle-ci fut pour toutes le centre de sa vie [4]. Un de ses collaborateurs à Rome le dira nettement : l’oraison unifiait sa vie.

Le P. Marie-Eugène est décédé le lundi de Pâques 1967. Il avait vécu les jours saints en très profonde union à Jésus. Il me semble que je vous aime parfaitement, et que je vous ressemble. Le jeudi saint, épuisé par la maladie et la souffrance, il souhaite célébrer la messe. C’est la journée du sacerdoce. La liturgie de ce jour demande que soit célébrée une unique eucharistie dans chaque lieu de culte. On lui porte la communion. Il revêt une étole. Je suis prêtre [5], dit-il avec force, cette parole qualifie son existence, celle d’« homme qui, selon un témoin de sa vie, donnait envie d’être homme ». La plénitude du Christ descend sur chacun d’entre nous. Nous recevons sa grâce qui nous fait participer à sa filiation divine et à tous ses privilèges. Nous sommes fils et héritiers du Père comme lui ; nous sommes prêtres et rois avec lui [6].

Cette affirmation rejoint en profondeur la position de Vatican II à propos de l’articulation entre le sacerdoce royal des fidèles et le ministère sacerdotal. En partant à la découverte d’un prêtre au XXe siècle, carme, fondateur d’un Institut séculier, connu et prié dans plus de cent pays du monde, nous espérons profiter de son expérience et de son enseignement.

Je suis prêtre

Samedi 4 février 1922. Il est 18 heures 30. L’abbé Henri Grialou rend grâces au nom des sept diacres ordonnés avec lui. Ces mots, ce petit mot comme on l’appelle, il le prononce dans la salle des exercices du nouveau Grand Séminaire de Rodez qui a ouvert ses portes en 1913 et qui suffit à peine, avec ses dimensions imposantes, à accueillir les nombreux séminaristes. Ce soir là, l’abbé Grialou exprime le fond de son être :

Je suis prêtre ;
ce rêve longtemps caressé est devenu une réalité.
Demain je prononcerai la formule sacramentelle et à ma voix vous viendrez, vous, je vous tiendrai dans mes mains, je vous donnerai, Jésus.
Vous serez mien, à mes ordres, demain et tous les jours de ma vie.
Je m’offre à vous pour tout ce que vous voudrez, pour la paix, la joie, comme pour l’obscurité et la souffrance.
L’hostie de louange, ce sera donc aussi moi-même.
Et vous, ô Marie, je vous dois tout puisque c’est vous qui m’avez conduit et fait ce que je suis.

Les diacres ordonnés prêtres ce jour-là sont bien différents : certains, entrés au séminaire à l’âge de 17 ans, sont maintenant, à 23 ans, prêtres et bien jeunes. D’autres sont des hommes faits. Henri est de ceux-là. Né le 2 décembre 1894, au Gua, dans le bassin minier de Cransac (Aveyron, France), alors en plein essor, il avait très tôt manifesté sa détermination à devenir prêtre. C’était en 1905. Sa mère, Marie, veuve depuis un an, restait à la maison. Elle continuerait à s’user au travail pour rembourser les dettes du foyer et assurer le nécessaire aux autres enfants, Marius et Angèle, les aînés, Fernande et Berthe, les cadettes d’Henri. Elle ne pouvait subvenir aux études de « Ricou » dont les capacités n’avaient pas échappé au curé de la paroisse. N’ayant pas 11 ans, il était parti seul, avec sa petite valise, à Suse, en Italie. Les Pères du Saint-Esprit proposaient de former des jeunes ; peut-être espéraient-ils en faire des membres de leur Congrégation missionnaire et éducatrice.

Deux ans auparavant (1903), les moines de la grande Chartreuse avaient été expulsés de leur monastère retiré et politiquement inoffensif. La séparation de l’Église catholique et de l’État laïc, voulue par les mouvements d’idées, et peut-être nécessaire, provoquait tensions, émotions, drames. Dans quelques années le P. de Lubac, après avoir mis en lumière les aspects sociaux du dogme (Catholicisme), s’inquiéterait du drame de l’humanisme athée puis du rapport entre athéisme et sens de l’homme. Entre-temps, deux guerres auront meurtri le monde. Les idéologies auront saisi des peuples entiers. Les sciences humaines et techniques, dans un essor merveilleux, auront séduit l’homme, dont l’intelligence humaine continuerait à douter d’elle-même [7] alors que ses réalisations lui échapperont de plus en plus. Simultanément, dans un contexte magnifique et terrible, des initiatives ecclésiales d’approfondissement et de renouveau se faisaient jour : la lecture de l’Écriture Sainte, la redécouverte de l’action liturgique, l’ouverture au monde à travers les mouvements d’action catholique [8], portaient des fruits. Le jeune Henri se trouvait appartenir à une époque charnière. Il en assumera pleinement les exigences d’enracinement et d’ouverture.

Après deux années en Italie et une en Lozère, où les spiritains l’ont envoyé avec deux camarades, il entre dans un des trois petits séminaires que compte alors son diocèse, à Graves. Il le quittera en 1911 au sortir de la classe de 1ère, avec cette appréciation du directeur : « Un garçon complet comme Henri, je n’en ai pas trouvé dans ma carrière. » Il entre au grand Séminaire, à Rodez. Deux ans plus tard, baccalauréat en poche, ayant reçu les ordres mineurs (1913) il devance l’appel sous les drapeaux, pour pouvoir mener plus facilement, sur place, sa vie de séminariste-soldat. Une vie, écrit-il, qui n’est pas l’idéal à tous les points de vue. On se résigne à la subir parce qu’il le faut [9]. Cela ne l’empêche pas de partager avec sa génération un vif désir de servir sa terre natale.

Il allait vivre la première guerre, du 5 août 1914 - il fut blessé dès le 18 août de cette année - jusqu’au 30 août 1919, jour de sa démobilisation. Qui pourrait dire à quel point furent marqués ceux qui la vécurent en première ligne ? La guerre est dure, terrible, sauvage [10]. À certains moments, écrit le soldat Grialou en décembre 1914, on se sent presque prêtre. On a l’occasion de montrer qu’on a plus de forces morales que les autres, qu’on est gai malgré la fatigue, le danger, et surtout le mauvais temps. On ne cherche pas a faire du grand apostolat et à mon avis, il ne faut pas en faire, car c’est un peu prétentieux pour nous et surtout inefficace [11]. Dès cette époque, il se préoccupe des conditions d’un témoignage authentique dans tous les milieux. Il traverse l’épreuve dans une expérience forte, et pas toujours ordinaire, de la communion des saints. En 1913, il avait écrit à Gabriel Saint Hilaire, séminariste comme lui et qui sera toujours un ami : Laisse-moi te demander si tu connais sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus, la petite carmélite de Lisieux. Je trouve sa vie écrite par elle-même admirable [12]...

La guerre ne mettrait pas cette amitié en veilleuse. Comme nombre de combattants des deux camps, le caporal Grialou, devint rapidement un lieutenant respecté, aimé de ses hommes et deux fois décoré ; il éprouva fréquemment la présence de la future bienheureuse. De retour au Séminaire ; il montrait à ses condisciples un reliquaire de sœur Thérèse qu’il portait sur son cœur et qui servit à stopper un projectile.

Cette épreuve affreuse, avec ces souffrances trop dures pour notre pauvre cœur [13], affermit en lui, s’il en était besoin, une conviction fondatrice de toute son existence. Il la confie à un camarade du front : Dieu, le fondement de tout, (est) le seul Être pour qui l’on puisse décemment sacrifier sa vie, (...) le seul qui nous donne des forces suffisantes [14].

La guerre finie, Henri hésita-t-il à reprendre les études [15] ? Âgé de 25 ans, mûri en profondeur par l’expérience, conscient de ses capacités d’intelligence et de volonté, de gouvernement aussi, il confie à son frère Marius : Je veux l’absolu. Son option délibérée pour le sacerdoce est comme portée par une soif plus profonde encore. Tout cela est gratuit. Je ne puis me lasser de remercier le bon Dieu de m’avoir donné les grâces efficaces pour revenir au séminaire et de m’y faire goûter sa paix [16].

Un séminaire où on étouffait un peu, où les professeurs étaient assez intéressants, du moins certains d’entre eux. Un séminaire où sa fidélité et sa disponibilité efficace donnaient le ton. Pensant à son ordination au sous-diaconat, il avait écrit : Ce pas terrible ne me fait pas peur jusqu’à présent, peut-être parce que la Providence m’a donné le temps d’y penser. C’est la confiance qui domine quoique sans enthousiasme. Je ne désire pas d’ailleurs cet enthousiasme, je préfère un peu de solide [17]. Ce rêve longtemps caressé qui, au soir de l’ordination, est devenu une réalité, est tout sauf une chimère ou une vague attente, dans la démarche d’Henri Grialou. Ce rêve est un début.

Revenons au jour de l’ordination, le 4 février 1922. La chapelle du séminaire n’est pas encore terminée. Mgr Verdier va présider la célébration de 8 à 11 heures dans une grande salle aménagée qui, peu à peu, se remplit. Quelques instants avant le début de la cérémonie, alors que sa retraite ne finira que le lendemain, Henri Grialou est sorti de la sacristie. D’un trait, il est allé embrasser sa mère, qui vient d’entrer, accompagnée de Berthe, sa filleule. Marius est retenu à Paris ainsi qu’Angèle et son mari. Fernande est là avec oncles, tantes, et cousins. Sa maman viendrait-elle ? Depuis cinq mois en effet, une immense peine les avait envahis tous les deux. Henri, de retour de la guerre, avait repris la soutane courageusement. Sa mère avait tant fait pour cela. Elle était heureuse. Dans la suite son fils devait normalement mener un ministère presbytéral diocésain, paroissial sûrement. Voilà qu’en octobre l’abbé Grialou, son fils, diacre depuis 1921, lui avait parlé du Carmel. De cet Ordre, elle connaissait les carmélites, et son fils ne pouvait être heureux derrière une clôture stricte. Sa réaction fut violente. Lui n’avait jamais vu de carmes ; ils revenaient en France après un exil en Belgique. Mais le Carmel était venu à lui.

Un soir, pour le 26e anniversaire de son baptême, pendant la retraite préparatoire au sous-diaconat qui marquait le pas définitif par l’engagement au célibat, Henri Grialou lisait L’abrégé de la vie de saint Jean de la Croix ; ce petit livre insipide, et dont le style l’agaçait, fut l’occasion d’une rencontre qui engageait sa vie. En le lisant, il pensait : c’est exactement ça. Dieu le voulait au Carmel où l’attirait Jean de la Croix. Ce fut une illumination foudroyante. Il se disait : Tu es un fou ! Nous verrons demain. La nuit porte conseil. Le lendemain c’était la même chose. J’ai dit : je suis toqué. Je vais manger ; quand j’aurai mangé ça ira mieux [18]

C’est exactement ça. Exactement ce que l’abbé cherchait et dont il avait fait confidence à son frère au retour de la guerre : Je veux l’absolu. La rencontre avec Jean de la Croix rejoint en leur centre les préoccupations de l’abbé Grialou. Elle lui indique une direction dont il ne discerne pas encore toute la fécondité. Avec le recul on peut affirmer que cette rencontre sera celle d’une spiritualité intégrale, centrée sur la grâce du baptême, qui lui donnera les moyens de remplir sa mission, une mission dont, dans sa méditation, il énonçait les caractéristiques : À ma voix vous viendrez. Jésus, je vous donnerai. L’hostie de louange ce sera donc aussi moi-même.

Prêtre et carme

La confirmation de sa vocation lui vint pendant la semaine sainte de 1921. En octobre seulement il en parla à sa mère, dont la réaction fut douloureusement négative. Quelques jours avant son ordination sacerdotale, l’abbé Grialou demanda à Mgr de Ligonnès, évêque de Rodez, l’autorisation de quitter le diocèse pour entrer au Carmel. Il s’entendit répondre : « vous irez trouver le P. Vabre (supérieur des missionnaires diocésains) et vous vous mettrez à sa disposition [19] ». Le 20 janvier, il écrit à l’évêque pour lui redire sa certitude de son appel au Carmel, et lui demande un ordre clair et écrit. À quoi Mgr répond : « mon enfant, je vous ai donné un conseil qui équivaut à un ordre [20] ». Le 25 janvier, une semaine avant l’ordination, l’évêque donna son accord qui, s’il autorisait le départ, n’entraînait pas l’acceptation de madame Grialou. Son fils avait demandé comme signe au Seigneur que sa mère, qui avait annoncé son absence, vienne à son ordination. On comprend dès lors l’émotion d’Henri à sa vue et la lettre qu’il écrit à son ami quelques jours plus tard prend tout son sens : Le bon Dieu s’est plu à faire lui-même la dernière préparation, dans des conditions particulièrement intéressantes. Il est venu, donc, avec son sacerdoce et sous la forme que je désirais [21].

Cette forme du sacerdoce, c’était l’emprise de Dieu, la vocation prophétique du Carmel. Cette emprise sur sa grâce baptismale allait donner au nouvel ordonné les moyens de parvenir à l’exercice plénier de son ministère sacerdotal. Comme pour mieux manifester le signe demandé, madame Grialou ne vint pas à la première messe de son fils. Accomplissant un acte au-dessus de ses forces, elle était allée voir l’évêque. Votre fils n’était pas destiné à faire un curé de campagne, c’est tout de suite que j’en faisais un missionnaire diocésain. Et il ne reste pas dans le diocèse ! Alors, il m’échappe, comme à vous [22].

Telle fut la réponse de l’évêque. Madame Grialou en fut un peu apaisée. En obéissant à son appel, l’abbé Grialou n’échappait à personne. Il devenait un guide. À la fin de sa première messe, de retour à la sacristie, longuement, l’abbé Grialou pleura [23]. Lorsqu’en 1932, alors que l’affection familiale est sortie purifiée et affermie de ce temps d’épreuves indicibles, le P. Marie-Eugène écrit à sa sœur Berthe ; on découvre un peu ce qui s’est passé à ce moment : Maman surtout, je l’ai aimée jusqu’à la passion, et lorsque j’ai dû la quitter et la faire souffrir, j’ai souffert moi-même au point que mes puissances de souffrir étaient dépassées. À ton sujet aussi, j’ai souffert horriblement [24].

Le 12 février 1922, au Gua, l’abbé Grialou célèbre la messe. Le lendemain, sans avoir prévenu quiconque, sauf une religieuse à qui il confie une lettre bouleversante pour sa bonne maman, H. Grialou, prêtre du diocèse de Rodez part. Le 18 février, il écrit à sa sœur Berthe : Jésus m’a montré que ce serait par la souffrance que je remplirai le rôle qu’il veut me confier. J’avais cru à mon intelligence et à toutes sortes de qualités naturelles. Il m’a donné toutes sortes de désillusions. Depuis que j’ai limité mes désirs et mon ambition à la souffrance, tout va bien et il me permet d’agir efficacement [25].

Après quelques jours passés à attendre dans l’angoisse et la paix la réaction de sa mère, réaction qu’on lui prédisait dramatique - ne lui avait-elle pas parlé de mettre fin à ses jours ? - Il quitte tout pour un pays inconnu de lui. C’est à une vie nouvelle que Jésus l’appelle. De toute la force de sa volonté, de toute fa délicatesse de son cœur, celui qui choisira de s’appeler frère Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus frappe à la porte du Carmel d’Avon, près de Fontainebleau, le 24 février 1922. Il avait 27 ans. Ce soir-là, seul dans sa cellule, méditant cette parole de Jésus à Nicodème, « il vous faut renaître », il note :

Ces paroles sont lumineuses pour moi aujourd’hui. Il faut que je renaisse complètement pour une nouvelle vie (...) C’est la lumière que Jésus a mise pour moi dans ces paroles. Sa parole est claire, je l’entends très bien. Elle domine toutes les répugnances de la nature, toutes les impressions de la sensibilité effarouchée, tous les cris et raisonnements de mon intelligence orgueilleuse. Je dois et veux me soumettre à cette nouvelle vie, pleinement, humble ment pour mourir complètement à moi-même. Quelle grâce Jésus me fait de me permettre ainsi de me détacher de moi-même !

Cet homme fort, ce prêtre ardent qui souffre de ne pas exercer son ministère, le voilà qui redevient un enfant. Il s’enfouit dans le silence, dans l’oubli de soi, il s’enfonce dans la rencontre de Dieu. L’oraison est en quelque sorte le soleil et le centre de toutes les occupations de la journée [26]. Il va au bout des consignes ascétiques en vogue à l’époque et manque d’en mourir. Plus tard, il dira : Si je n’étais pas allé au bout de cette spiritualité, jamais je ne me serais permis de la condamner [27].

La lecture d’une vie en image de Thérèse de Lisieux lui donne sa lumière. Désormais, et de plus en plus, il sera apôtre, théologien et maître de l’Enfance spirituelle. Le Carmel, terre de rencontre et de mission, se trouve à la une de l’actualité ecclésiale [28]. Thérèse Martin est canonisée en 1925. Cette petite me donne le vertige [29], dira le P. Marie-Eugène [30]. L’histoire d’une âme lui sert de manuel de spiritualité depuis 1908 [31]. En 1926, jeune carme profès au couvent de Lille, il prend part activement à l’évangélisation. Jean de la Croix est déclaré docteur de l’Église. Il a un regard formidable pour distinguer tout l’or de l’action de Dieu dans l’âme, une pénétration extraordinaire. Dans le fond de mon âme, c’est avec Jean de la Croix que je vis [32]. Avec Thérèse d’Avila il approfondit la science de l’oraison. C’est une psychologue incomparable. Elle est la reine en ce domaine. Elle représente le génie humain en ce qu’il a de plus concret et de plus universel [33].

Devant les maîtres du Carmel, le Père Marie-Eugène s’effacera, pour laisser leur parole atteindre l’homme de ce temps et lui ouvrir le chemin de l’amour plein et vrai. Mais au-delà de ces trois grandes figures, ou plutôt avec elles, il entre très profondément dans le centre vital et incandescent de son Ordre. Il découvre le prophète Élie [34], un pauvre homme comme nous, transformé par l’emprise de Dieu. Entre le prophète Élie et le frère Marie-Eugène se noue une amitié forte, qui manifeste une communauté de mission. Déjà le jeune carme en porte le poids. Durant sa formation, il s’était ouvert à son supérieur : je crois que j’ai une mission. Plus tard, il avouera avoir été saisi par l’Esprit Saint, avec la perception qu’il avait les mains pleines d’âmes. Alors j’ai prié, j’ai prié avec fureur. Je ne savais pas encore comment cela se ferait [35]. Bien plus tard il donnera des détails qui sonnent comme une autobiographie.

Cette vocation est une véritable emprise de Dieu qui sépare le prophète de son milieu, de sa famille, et l’attire au désert. Le prophète se livre avec un abandon de plus en plus parfait ; son regard, sa foi se purifient. Le prophète est un grand voyant des choses éternelles et un familier de Dieu. Le prophète est constamment à la recherche de Dieu et constamment livré à son action intérieure et extérieure.

Ce qui allait se faire, le Père Marie-Eugène le découvrirait à chaque étape d’une vie trop pleine pour être racontée [36]. Dans le dynamisme de la canonisation de Thérèse de l’Enfant-Jésus et du doctorat de Jean de la Croix, et tout en assurant la direction et le développement de la revue Carmel, le P. Marie-Eugène répondait généreusement aux nombreuses demandes de prédications. La force qui jaillissait de son enseignement pour convertir, remettre en marche, dilater les esprits et les cœurs, il l’attribuait à ses maîtres [37]. Ses auditeurs quant à eux sentaient bien que le feu venait aussi de son cœur. Selon une attitude absolument constante chez lui, il s’effaçait devant le message. Il attendait Dieu. Peu à peu la conviction s’était établie fermement en lui : sa mission serait pleinement ecclésiale, parce que profondément du Carmel. Elle consisterait à conduire à Dieu, par les chemins de la foi et de la contemplation, les femmes et les hommes de son temps. Pour cela il lui fallait des aides. Il lui fallait surtout s’enfoncer encore plus profondément dans l’expérience du Dieu vivant.

On s’appauvrit tellement et Jésus paraît s’éloigner tellement lorsqu’on se livre aux âmes. On ne le voit guère plus que dans les autres. On éprouve le besoin de savoir qu’il est cependant en soi, appelé par d’autres prières
Veuillez vous-mêmes me continuer votre aide pour que la lumière de Dieu et de la petite Thérèse se diffuse et aussi pour que je ne sois pas un obstacle à sa diffusion.

Au milieu d’une activité débordante, et qui le passionnait, Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus sentait le besoin d’unir dans une synthèse simple l’élan vers Dieu et l’élan vers les autres, la charité sanctifiante et les nécessités apostoliques. C’est pourquoi il avait demandé et obtenu du Père Général l’autorisation de partir durant une année dans une retraite solitaire, un « saint désert », comme on disait. Et voici que, le 14 août 1928, après les Vêpres qui marquaient l’entrée dans la solennité de l’Assomption de Marie, il reçoit une lettre : il est nommé responsable d’une maison de formation pour jeunes garçons, au petit Castelet, près de Tarascon. Une œuvre à laquelle il ne croyait pas, avait-il dit publiquement. Il passa une nuit d’angoisse. Fallait-il accepter de renoncer à un appel intérieur ? Il sacrifia l’attrait à l’obéissance. Le matin venu il déchirait la permission de partir au désert et prenait ses dispositions pour rejoindre, dans les meilleurs délais, sa nouvelle mission. J’y venais pour autre chose, confia-t-il plus tard.

Nouvelle famille

Je suis prêtre, je vous immolerai [38]. Cette phrase est restée marquée, parmi d’autres, dans la mémoire de ces trois jeunes femmes, professeurs de lettres, de mathématiques et de philosophie lorsque, par un concours providentiel de circonstances, elles quittèrent le petit Castelet pour retourner à Marseille, où elles dirigeaient un cours secondaire, après une rencontre fondatrice avec le P. Marie-Eugène.

Je vous donnerai le Carmel, tout le Carmel, promet-il à Marie Pila (1896-1974), qui devait devenir sa collaboratrice la plus proche dans l’œuvre installée à Notre-Dame de Vie depuis 1932. Marie Pila et ses deux amies cherchaient l’absolu de Dieu pour en vivre sous une forme ordinaire, dans le contact professionnel quotidien et la proximité sociale la plus habituelle. Il faut tout donner, telle était la conviction de Marie Pila, qui rejoignait ainsi l’attitude élianique.

En ce temps de Pentecôte 1929, l’Esprit Saint réalisait la rencontre d’une grâce et d’une attente. La grâce, c’était l’emprise prophétique ; l’attente, c’était celle du sacerdoce commun qui aspirait à la vie sainte. Dès cette rencontre, la vie du P. Marie-Eugène se trouve comme multipliée par deux. Sa fidélité à sa grâce propre, fidélité absolue, fera l’unité en lui des sollicitations légitimes auxquelles il sera amené à répondre ; inlassablement serviteur de l’Église dans l’Ordre du Carmel, il serait aussi guide infatigable, patient et audacieux auprès de celles et de ceux qui viendraient à Notre-Dame de Vie, avec leur pauvreté et leurs grands désirs, en quête de la plénitude de l’amour dans les conditions ordinaires de la vie.

Après quelques mois de germinations furent organisés à Marseille des « cours d’oraison ». Le thème était central : la prière de Jésus. C’est ainsi que, après une conférence organisée à Marseille, Marie Pila et ses compagnes font le pas. Tout ce que nous avons, nous vous le donnons. Dites-nous ce qu’il faut faire, et nous le ferons [39]. Commençait alors, très pauvrement et dans un chaos réel sur lequel cependant planait l’Esprit Saint, la croissance d’une nouvelle famille spirituelle. Son dynamisme était nettement indiqué : répondre à l’appel de Dieu par le don complet de soi-même, vécu dans l’oraison et le témoignage.

Cette famille, nouvelle par la forme de réalisation de l’idéal du Carmel, reçut dès le départ, par la voix de l’archevêque d’Avignon, l’approbation de l’Église. Il s’agissait de trouver les moyens d’assurer la primauté du spirituel, c’est-à-dire de l’intimité avec le Dieu vivant, dans les conditions ordinaires de la vie. On pourrait ainsi porter un témoignage de la vocation plénière de toute personne humaine, et cela au gré des circonstances et des situations les plus quotidiennes, dans des milieux étrangers ou même hostiles à la présence de l’Église. Il s’agissait d’aller là où le Dieu vivant et son Christ n’étaient pas connus, et de réveiller partout la présence de l’Esprit Saint.

Cette nouvelle famille se développerait sous le regard actif et dans la présence de Marie, dans le sanctuaire de Notre-Dame de Vie, fréquenté depuis le VIe siècle, et qui fut providentiellement offert au P. Marie-Eugène. Le 14 mars 1932, il y venait avec Marie Pila pour la première fois. Un colloque intérieur, silencieux et fort, se produisit alors entre la Vierge Marie et le P. Marie-Eugène. Marie Pila en fut saisie. Sans doute pouvons-nous découvrir, dans ces phrases de Je veux voir Dieu, comme le centre de l’expérience mariale du P. Marie-Eugène :

(...) Elle est la collaboratrice de toute la fécondité divine. Partout où la paternité divine s’exercera, elle le fera par la maternité de la Vierge Marie. Marie suit donc Jésus en son œuvre rédemptrice, et l’Esprit Saint en son œuvre constructrice du corps mystique. Elle est Mère partout où Jésus est Sauveur, ainsi que partout où l’Esprit Saint est producteur de la grâce dans les âmes et dans l’Église.

Il ne cessera pas de déployer cet enseignement ; considérant comme sa mission de faire partager sa découverte.

Nous avons découvert une source, et nous y avons cru, reconnaissait-il. N’ayez pas peur, vous pouvez puiser. Elle est abondante, vous ne l’épuiserez pas. Elle vous désaltérera ; elle vous donnera encore soif [40].

Au moment où cette œuvre commençait, Dieu semblait changer d’avis, puisque le Père était nommé à Agen, où il partait le 19 mars 1932. Un mur me barrait la route, constate-t-il plus tard. Au cours d’une retraite donnée à N.-D. de Vie, il précisait son attitude devant les événements providentiels.

Nous savons pour l’instant présent, pas pour demain. Si j’insiste sur cette pensée, c’est pour vous en montrer toute la force et qu’elle devienne vivante, qu’elle sorte de l’obscurité qui l’enveloppe pour entrer dans notre vie. Cela, c’est du réel, de l’éternel. Il m’importe de réaliser cette pensée de Dieu : tout est là pour moi. Ce dessein s’enveloppe d’obscurité, il y a en lui des jeux d’ombre et de lumière. D’autre part cette pensée n’est pas seulement mienne ; quelle que soit l’amplitude d’une intelligence, qu’est-ce que c’est, comparé aux desseins de Dieu ? Ils sont tellement au-dessus des desseins de l’homme. Cela exige de la souplesse intellectuelle de ma part. Je dois m’attacher à ce que je connais de ce dessein avec énergie, force... Pour tout le reste je dois être d’une extrême souplesse. Il faut que je sois prêt à renoncer à toutes les pensées les meilleures pour entrer dans celle de Dieu quand elle se révèle à moi.

En 1937, il fut appelé à Rome pour participer au gouvernement central de son Ordre. Il devait y rester jusqu’en 1955 et occuper des fonctions de haute responsabilité au service du Carmel. Ramené en France par la guerre, il travailla inlassablement, de 1939 à 1946, pour soutenir et encourager, unifier et fortifier les monastères de carmélites, tout en guidant la fondation de N.-D. de Vie. Il passa de longues périodes en France, responsable du Carmel francophone.

En 1947 paraissait un texte donnant à cette nouvelle forme de consécration dans l’Église un cadre juridique adapté [41]. Cette même année, le P. Marie-Eugène rencontrait pour la première fois un groupe de jeunes gens qui, en 1963, allait constituer la branche masculine de l’Institut. En 1948 la communauté installée dans le sanctuaire de N.-D. de Vie, qui comprenait alors la branche féminine dont Marie Pila avait été élue responsable générale, devenait un Institut séculier lié au diocèse. En 1962, répandu alors sur trois continents, l’institut N.-D. de Vie en sa branche féminine fut déclaré de droit pontifical. Cette expérience d’expansion confirmait le Père dans la connaissance de sa mission et la foi en sa grâce. À un visiteur, il confiera un jour : je crois que nous avons atteint l’universel.

J’ai de l’amour pour des milliers d’enfants, constate le fondateur, qui peut dès lors préciser en des formules lumineuses la vocation de N.-D. de Vie : Vous n’avez pas été choisis pour rester à l’écart, pour veiller, pour prier, mais pour être jetés dans la masse, mélangés à la foule, tel un ferment, pour y produire son action dès qu’il est capable d’agir [42].

Et, prenant une image dans la symbolique du corps : Je voudrais bien que vous soyez le sang qui, sans qu’on le voie, va chercher la vie dans les profondeurs du poumon et du cœur et va la porter partout parce qu’il est lui-même très fluide [43].

Transmettre un enseignement vivant

En même temps qu’il se donnait totalement aux exigences de ses fonctions, et on se demande comment il y arrivait, le P. Marie-Eugène mettait par écrit l’enseignement qu’il n’avait cessé de diffuser dès sa sortie du noviciat des Carmes. En 1949 paraissait le premier volume, intitulé Je veux voir Dieu. Il était suivi deux ans plus tard du second, Je suis fille de l’Église. En 1956, ces deux tomes furent réunis en un seul livre, depuis lors diffusé en six langues à plus de 100 000 exemplaires. Je veux voir Dieu reçut de nombreux encouragements. Mon père, si nous avions un livre comme celui-là, nous ouvririons une université. Telle fut la réaction d’un franciscain de Rome lorsque le P. Marie-Eugène lui fit parvenir la première édition de son livre. Cette réaction, à première vue étonnante, d’un théologien, ne surprit sans doute pas le P. Marie-Eugène, qui dès 1929, posait la question : Thérèse de l’Enfant-Jésus n’aura-telle pas ses docteurs ? et qui, dialoguant avec le premier membre du groupement des prêtres de N.-D. de Vie, disait :

Il faut donner aux prêtres, au clergé de France et du monde entier la doctrine carmélitaine. De par le monde, il y a des prêtres qui ont besoin de l’oraison pour une base de leur vie spirituelle... (Il faudrait) une maison, ouverte pour donner une formation théologique, biblique ; arriver à édifier une théologie spirituelle pour influencer l’enseignement dans les séminaires et ailleurs. Il faut arriver à une théologie vivante. Le groupement pourrait faire cela lorsque des prêtres auraient vécu une vie spirituelle forte.

Car le Père Soulié était venu un soir de 1945 rendre visite à sa sœur, membre de l’Institut. Il était alors curé d’une paroisse aveyronnaise, organisait des matches de football et soignait attentivement ses abeilles. En même temps, il voyait les difficultés de la mission. Peut-être savait-il que la question du recrutement sacerdotal allait se poser avec force et donnerait lieu, dès 1946-1947, à une grande campagne d’affichage dans le diocèse de Paris [44] ? En tout cas, il cherchait à vivifier sa charité pastorale indispensable à l’exercice du ministère. Il expérimentait ce que le P. Marie-Eugène écrit dans Je veux voir Dieu. :

Le charisme d’apostolat et le sacerdoce ont leur efficacité propre et assurent une grâce de fidélité. Mais il n’est pas exact qu’ils préservent des dangers du monde (...). À n’en pas douter, les sollicitations du monde sont beaucoup plus dangereuses pour l’apôtre que pour le contemplatif abrité par sa solitude. La charité de l’apôtre en ces débuts reste faible. Les ardeurs sensibles qui l’animent ne doivent pas créer d’illusion. Le décalage entre sa mission et la charité qui est à son service est certain. Il doit être comblé. Le charisme appelle une union au Christ correspondant à sa puissance. Le sacerdoce requiert pour son exercice parfait l’identification au Christ prêtre et victime (...). L’apôtre doit aller vers les sources de cette vie divine que sont les sacrements (...). Ami de Dieu, il a le devoir de se tenir habituellement auprès de l’Hôte intérieur qui diffuse cette charité en nos âmes (...). Plus que tout autre, l’apôtre a besoin du commerce habituel avec Dieu qu’est l’oraison et doit se plier aux conditions essentielles qu’elle exige.

Encore une fois, l’expérience du prêtre devenu carme rencontrait une des nécessités les plus brûlantes de l’Église : redécouvrir, dans tous les états de vie, le dynamisme et les lois de la grâce baptismale. La joie du fondateur fut très grande lorsque, en 1964, il présida l’eucharistie au cours de laquelle plusieurs prêtres diocésains et quelques séminaristes prononcèrent leur premier engagement. La famille est au complet, dit-il, appelant déjà la naissance d’un groupement de foyers, qui se développe actuellement. C’était le 29 décembre, jour anniversaire de la naissance et du baptême de sa jeune sœur et filleule Berthe. Après la mort de madame Grialou, Berthe était entrée à N.-D. de Vie. Son expérience si simple de Dieu avait trouvé depuis longtemps aliment et lumière auprès des saints du Carmel. Mais elfe n’avait pas soutenu la fondation commençante : Pourquoi une autre congrégation, alors qu’il y en a déjà tant ?

Quand on est intelligent, au lieu de s’opposer, on va voir, lui répondit son frère. Elle était venue, elle avait vu. Et cela nous vaut, dans la correspondance qu’échangèrent le frère et la sœur, une description de l’idéal poursuivi à N.-D. de Vie et une clé de lecture de Je veux voir Dieu. Alors que Berthe, à Paris, est mêlée de près aux problèmes sociaux du front populaire, son frère lui écrit : Toi-même tu auras retiré un grand avantage de cette lutte, puisque voilà que tu comprends parfaitement et expérimentes ce que je voudrais voir réalisé par le groupement de N.-D. de Vie : des âmes bien prises par le bon Dieu, mais bien vivantes pour penser, aimer et agir [45].

Aux trois directives, voir, juger, agir, qui structuraient l’action catholique d’alors, et qui supposaient acquise la conscience du dynamisme baptismal, le P. Marie-Eugène rajoutait délibérément l’attitude mystique. Ce faisant, il devançait de plus de trente ans la pensée de Vatican II qui caractérise l’apostolat des laïcs comme la mission de transformer le monde de l’intérieur, à la manière d’un levain, par une vie qui soit « un continuel exercice de la foi, de l’espérance et de la charité [46] »

Le 30 décembre 1957, quittant l’atmosphère chaleureuse de l’Institut durant la période de Noël, Berthe Grialou était repartie à son travail d’économe dans l’enseignement public, aux ordres d’une directrice qui l’avait prise en grippe. Citant Jean de la Croix elle confiait : J’ai compris, je dois mettre de l’amour là où il n’y a pas d’amour. Le 2 janvier 1958, on annonça au P. Marie-Eugène que sa sœur Berthe venait d’être trouvée, morte, seule, dans son appartement d’Avignon. Au cœur même de sa douleur, il exprima la conviction la plus profonde de son âme : Elle a réalisé jusqu’à la dernière ligne tout ce que j’ai écrit dans Je veux voir Dieu [47]. Son décès, dans des circonstances de totale pauvreté, apportait au P. Marie-Eugène la confirmation de l’intuition première.

Je veux voir Dieu, c’est essentiellement un mode d’emploi de l’amour, cet amour total non asservi dont la soif, au milieu de tant de caricatures, nous habite. Or cet amour est toujours en mouvement pour se donner [48]. Il saisit l’homme pour opérer en lui son œuvre de transformation et de conquête [49]. Il s’exprime dans l’oraison qui ne connaît pas d’autre loi que la libre expression de deux amours qui se donnent l’un à l’autre [50] Il établit un échange d’amitié, un commerce, selon le mot de Thérèse d’Avila. Cet échange est réalisé par la foi.

Car ce commerce d’amitié avec Dieu par la foi nous enrichit certainement. Dieu est Amour toujours diffusif. De même qu’on ne peut plonger sa main dans l’eau sans se mouiller, ou dans un brasier sans se brûler, de même on ne peut prendre contact avec Dieu par la foi sans puiser en sa richesse infinie. La pauvre femme malade qui essayait d’arriver jusqu’à Jésus à travers la foule dense (...) se disait en elle-même : « Si je réussis à toucher les franges de son vêtement, je serai guérie. » Elle y parvient enfin et arrache, par un contact qui fait tressaillir le Maître, la guérison désirée. Tout contact avec Dieu par la foi a la même efficacité.

Pourquoi recourir à la foi ? demande le P. Marie-Eugène. Pour augmenter l’amour. Cet amour est sauveur, c’est-à-dire libérateur, unissant, purifiant et sanctifiant. Il nous rend conformes à l’image du Fils unique. Nous serons du Christ ou nous n’aurons pas de vie surnaturelle [51], Dès lors,

Que le spirituel avide d’ascensions spirituelles ne cherche point d’autre voie que le Christ. Considérer le Christ, l’imiter dans ses actes, dans ses pensées, dans ses sentiments et ses vouloirs, le suivre de Bethléem au Calvaire est la voie la plus sûre et la plus courte. Réaliser le Christ et le faire vivre en soi est la perfection la plus haute. Unis à Jésus et fixés en lui, nous sommes au terme de nos ascensions et déjà en notre place d’éternité.

Qui est ce « spirituel » ? Pour le P. Marie-Eugène, il s’agit de chacun de nous. Résolument, lui qui a reçu mission de conduire les gens à l’union divine, il nous lance sa conviction :

Nous sommes faits pour Dieu, nous sommes faits pour le ciel ; et le ciel ne consiste pas uniquement à retrouver ceux que nous aimons ; le ciel consiste essentiellement à trouver Dieu, à entrer dans le mouvement de la Trinité sainte. La perfection de l’homme, la perfection chrétienne est là, dans cette marche vers le but, vers Dieu, dans la mise en activité de toutes ses facultés, de toutes ses énergies, sur tous les plans, pour aller vers Dieu. C’est tout l’homme qui doit arriver au but : rien n’est exclu.

Rigoureuse, la conclusion s’impose.

Il est dangereux à notre époque d’être des saints à moitié, d’abdiquer un idéal qui nous est présenté. On pouvait croire autrefois que la sainteté était réservée à certaines catégories, à certaines âmes, à l’état religieux : actuellement la sainteté doit déborder, pénétrer dans toutes les âmes, dans la masse, dans tous les états. Elle s’impose non seulement à l’état religieux, à l’état de perfection, mais à la vie dans le monde.

S’il s’agit pour chacun de nous de réaliser le Christ, le P. Marie-Eugène nous conduit immédiatement à l’attitude essentielle. Disposition foncière du Christ, le don de soi est une disposition foncièrement chrétienne [52], affirme-t-il. Souvent il revient à cette vérité : L’acte d’amour parfait, c’est l’hommage du moi, c’est l’hommage de ma liberté et de ma volonté libre ; c’est l’hommage de mon intelligence qui reconnaît la transcendance et la lumière de Dieu dans son obscurité et qui reconnaît la volonté de Dieu, les droits souverains de Dieu sur moi [53].

Or c’est l’Esprit Saint, et lui seul, qui saura mener en nous à sa perfection cette attitude foncière.

Docilité à l’Esprit Saint

- Je ne suis pas un incompris, je suis un mystère, a dit un jour le P. Marie-Eugène à Marie Pila qui commente : Avec l’Esprit Saint on touche, semble-t-il, au mystère du P. Marie-Eugène [54]. C’est ainsi qu’il ose formuler son testament : « Voilà le testament que je vous laisse : la grâce que l’Esprit Saint descende sur vous, que vous puissiez tous dire le plus tôt possible que l’Esprit Saint est votre ami, que l’Esprit Saint est votre lumière, que l’Esprit Saint est votre maître [55] »...

Ainsi est mis en lumière le caractère spécifique de la vie chrétienne : elle est collaboration à l’action de l’Esprit Saint. C’est sur la conscience de cette collaboration, sur la connaissance de ses lois, que doit se fonder toute l’ecclésiologie, qui devient ainsi indissociablement théologique et mystique.

L’Église n’est pas notre œuvre ; l’œuvre spirituelle dont nous sommes chargés ou que nous voulons nous-mêmes réaliser n’est pas notre œuvre : elle est l’œuvre de l’Esprit Saint. Nous la réalisons comme des instruments, entre les mains d’un agent principal qui est l’Esprit Saint.

En un langage familier, le P. Marie-Eugène donnait des conseils pratiques.

Il faut toujours tirer la sonnette de l’Esprit Saint, s’appuyer sur lui : nous en avons besoin à tout instant. Nous lui demanderons surtout sa charité. Il est l’amour substantiel. Que fait-il en nous ? Il nous donne sa force, sa lumière, mais le don le meilleur, c’est l’amour. Demandez à l’Esprit Saint qu’il fabrique pour vous cette charité. Il faudrait que nous soyons toujours à soupirer après l’Esprit Saint pour lui demander de l’amour. « À l’oraison, je suis dans la sécheresse ; si je trouvais de la lumière, elle serait moins longue. » De temps en temps demandez la lumière qui soutient, mais surtout demandez l’amour. C’est la prière à faire continuellement, la récompense qu’il faut demander à l’Esprit Saint, de l’amour, toujours de l’amour (...) Il répond d’autant plus volontiers qu’il est l’amour substantiel. Il n’a pas d’effort à faire. Il n’y a qu’à le toucher et on flambe. Il est vivant dans notre âme...!

Il n’oubliait pas la réalité et signalait un des dangers majeurs de la vie spirituelle.

Nous nous arrêtons bien souvent à de faux obstacles, à des obstacles qui sont plutôt des moyens. Nous nous arrêtons à notre faiblesse, à notre pauvreté, à notre misère, à notre manque d’intelligence, à notre manque de sainteté... telle que nous la concevons. Eh non ! Tout cela est moyen pour purifier notre foi. La misère qui nous enveloppe, les plaies que nous portons, la faiblesse dont nous sommes pétris, l’absence de vertu, le manque d’intelligence pénétrante, je dis que tout cela est moyen. La foi doit se dresser en quelque sorte sur toute cette pauvreté. Si cette pauvreté n’existait pas, il faudrait la créer, pour pouvoir s’appuyer sur elle et pénétrer en Dieu.

Ainsi se trouvait précisé le chemin, commun à tous, pour parvenir de l’amour, qui fait de chacun, pour Dieu, une vivante offrande a la louange de sa gloire.

L’hostie de louange, ce sera aussi moi-même

Tibi sacrificabo hostiam laudis. Je t’offrirai un sacrifice de louange. Ce sacrifice, ce sera aussi moi-même, avait-il promis au Seigneur au soir de son ordination. Voilà qu’il avait entraîné, par son témoignage, un peuple à sa suite. Ce peuple trouvait un père pour l’aider à répondre à la vocation du chrétien : s’offrir à Dieu en hostie vivante et sainte, selon les mots de Pierre (1 P 2,5) et de Paul (Rm 12,1), repris avec insistance par le Concile Vatican II [56].

Un an après la mort de sa sœur Berthe, le P. Marie-Eugène confiait :

Moi-même, je me suis complètement immolé à l’Institut. Je n’ai rien fait, je ne suis que la victime d’une lumière de Dieu, d’un dessein de Dieu. « Le Père dit cela par humilité », penseront certains. Quand je dis que je n’ai rien fait, j’exprime la vérité et je vous indique une méthode, une lumière pour vous-mêmes et pour votre mission. C’est la garantie que l’œuvre est divine.
En 1951, quand je pensais partir pour l’éternité, ma grosse peine était qu’on faisait de moi un homme intelligent (...) Je partais en me disant : « Qui leur dira les choses ? Qui leur dira la vérité ? Qui leur dira que c’est le bon Dieu et la sainte Vierge qui ont tout fait ? » Moi-même, je ne suis que la pauvre victime de la lumière, du dessein auquel j’ai essayé de me dérober (...) Si c’est de l’humilité, c’est l’humilité de la vérité.

Voilà exprimé, en quelques mots, le fond de son âme. Une âme de totale offrande, vécue comme le mouvement propre de la grâce baptismale. En lui mission et grâce avaient réalisé l’unité. Son union au Christ le faisait proche de l’homme. Alors il priait :

Donnez-nous d’être des hommes semblables aux hommes par l’expérience de ce que nous sommes, par l’expérience de ce qu’ils sont. Que faire devant cette violence qui se manifeste ? Vous l’avez dit : « le Fils de l’homme va. » Il marche dans la voie que Dieu lui a tracée. Il réalise le dessein de Dieu. Il est porté par son Esprit. Il dit « oui », il adhère. À quoi ? À tout. Au sacrifice sous toutes ses formes. Peu importe ce qui suit. C’est d’adhérer qui importe (...) Peu importent les bas-fonds ou les hauteurs où il veut nous loger, c’est d’être avec lui, gardés, pris par lui, qui importe (...) Lui seul peut lire le livre de notre destinée. Lui seul peut nous en faire accomplir toute la lettre. Ô Jésus, attachez-moi à votre Esprit. Livrez-moi à votre Esprit.

Et nous sommes présents à sa prière : Jésus, le monde est pervers, mauvais. Et cependant, que d’âmes qui soupirent après votre Esprit... Âmes dispersées dans le monde, âmes de toutes civilisations, âmes de toutes langues qui ont faim de votre Esprit. Ô Jésus, je vous présente la soif de toutes ces âmes du monde entier [57].

Le prêtre

Le jeudi saint 1967, le P. Marie-Eugène voulait ardemment dire la messe. Il ne le pouvait pas. Après avoir communié, il prononça des paroles étonnantes : Rarement j’ai eu l’occasion de dire une plus belle messe [58] ! L’explication de ces mots, il nous la donne en janvier 1967, après une nuit d’agitation. Mon âme est pleine de Notre Seigneur. Je désire communier, mais ce n’est pas un appel du vide, c’est un appel de plénitude. S’il n’y avait pas de tabernacle, je sens que Notre Seigneur serait aussi complètement en moi [59]. Le prêtre devenu carme et fondateur avait trouvé, dans sa fidélité à l’emprise prophétique, le chemin de réalisation : la grâce sanctifiante, parvenue à son plein développement, avait fait de toute sa vie une hostie de louange, un sacrifice saint capable de plaire à Dieu. Sa mort authentifiait sa vie. Sa vie accréditait son enseignement.

Vatican II, dans lequel il saluait avec enthousiasme la présence de l’Esprit Saint [60], portera des fruits pour autant que son enseignement sera vécu par des saints et dans le dynamisme sanctificateur de l’Esprit Saint. Le renouveau de la prière et de l’intériorité, condition de tous les autres, sera fécond s’il s’appuie sur un enseignement authentique, donné par des témoins. A n’en pas douter, le P. Marie-Eugène est de ceux-là. Qu’il nous redise encore une fois la direction et le dynamisme de notre vie : Voilà le sens de notre vie : chercher Dieu, le trouver, prendre contact avec lui et le donner aux autres. Prendre les gens sur notre monture, les panser, les conduire par notre prière, le sacrifice de tout nous-mêmes, les conduire à Dieu... Ils avaient faim et soif matériellement, nous leur avons donné ce qu’il fallait... Ils avaient faim et soif spirituellement, nous leur avons donné Dieu [61].

Prieuré N.-D de Vie
F-84210 VENASQUE, France

[1Texte remanié d’une conférence donnée par le Père Étienne Michelin, prêtre de Notre-Dame de Vie, le 25 novembre 1995 pour la clôture de l’année centenaire de la naissance du P. Marie-Eugène.

[2R. Règue, P. Marie-Eugène, maître spirituel pour notre temps, Venasque, Éd. du Carmel, 1978, 106.

[3Ibid.

[4Cf. Cl. Sarrasin, « Le témoignage de l’oraison du Père Marie-Eugène », Une figure du XXe siècle, Venasque, Éd. du Carmel, 1995, 135-154.

[5Toutes les citations courtes ci-dessus, en italique dans le texte, sont tirées de R. Règue, Père Marie-Eugène, (cf. note 3).

[6Je veux voir Dieu, Venasque, Éd. du Carmel, 1988 (1957), 661.

[7Cf. Je veux voir Dieu, 90. Cité dans Une figure du XXe siècle, 342.

[8Naissance de la JOC en 1926, de la JAC et JEC en 1929. Sans compter l’essor des mouvements de jeunes.

[9Lettre à G. Saint-Hilaire, 12.10. 1913 (texte inédit).

[10Père d’une multitude. Lettres autobiographiques du Père Marie-Eugène, Paris, Fayard, 1988, 32.

[11Lettre à G. Saint-Hilaire, 16.12.1914 (texte inédit).

[12Lettre à G. Saint-Hilaire, 24.2.1913. Père d’une multitude, 30.

[13Père d’une multitude, 35.

[14Lettre à J. A. Estéveny, 4. 4. 1918 (texte inédit).

[15Carmel, 1968, 7.

[16Lettre à G. Saint-Hilaire, 26.11.1920 (texte inédit).

[17Père d’une multitude, 36.

[18Entretien du 23.2.1958 (notes inédites).

[19Entretien du 30.3.1952 (notes inédites). En effet il avait fondé un groupement chargé de prêcher à travers tout le diocèse de Rodez. Les missionnaires diocésains avaient pignon sur rue et leur supérieur d’alors, le père Vabre, le bras suffisamment long pour veiller à recruter les meilleurs jeunes prêtres à la sortie du séminaire. Sur l’histoire de ce groupement, voir A. Serres, Les Pères de Vabres et de Ceignac, Rodez, 1994.

[20Entretien du 30.3.1952 (notes inédites).

[21Ibid., 43.

[22Souvenirs de F. Hurtes (inédit).

[23Entretien avec Marie Pila, 5.2.1957 (inédit).

[24Lettre du P. Marie-Eugène à sa sœur Berthe, 26.7.32, Père d’une multitude, 8.

[25Lettre du P. Marie-Eugène à sa sœur Berthe, 18.2.1922 (inédit).

[26R. Règue, P. Marie-Eugène, (cf. note 3), 23.

[27Une figure du XXe siècle, 126.

[28Au point de vue français, la malheureuse aventure de Hyacinthe Loyson a défrayé la chronique et fourni aux adversaires de l’Église nombre d’occasions de critique. Cet ex-carme, devenu prédicateur d’une fin des temps rapprochée, avant de prendre femme et de quitter bruyamment l’Église, a beaucoup fait prier le Carmel de Lisieux. Thérèse de l’Enfant-Jésus a offert sa dernière communion pour lui. Et H. Grialou s’est entendu reprocher de vouloir entrer dans le même Ordre que lui.

[29Cf. Une figure du XXe siècle, 114 ; cf. P. Marie-Eugène de l’Enfant Jésus, Ton amour a grandi avec moi, un génie spirituel Thérèse de Lisieux, Venasque, Éd. du Carmel, 1987, 169 : Elle est déjà parmi les grands maîtres spirituels de l’Église, parmi les plus puissants conducteurs d’âmes de tous les temps. En 1947, cinquantenaire de la mort de Thérèse, le Père Marie-Eugène se préoccupe de l’édition authentique des Manuscrits autobiographiques. Ils seront publiés en 1956 (cf. Père d’une multitude, 124). En 1947 encore, clôturant le Colloque de l’Institut Catholique de Paris pour le cinquantenaire de la mort de Thérèse de l’Enfant Jésus, il dit sa conviction : À notre civilisation raffinée et blasée qui a perdu le sens de l’infini et qui en souffre, Dieu a envoyé une enfant qui, avec les charmes et la pureté lumineuse de sa simplicité, redit le message éternel de son amour, à savoir qu’il nous a créés par amour, que son amour reste vivant, qu’il est plus ardent encore à cause de nos abandons, qu’il attend que nous l’aimions comme des enfants, que nous nous laissions aimer comme de tout-petits enfants.. Cf. Ton amour a grandi avec moi, 168.

[30Il écrit à un ami séminariste : La mission de la petite bienheureuse est la forme sous laquelle je conçois le mieux la glorification de Jésus lui-même... une effusion de la miséricorde sur les âmes. (...) Soyez donc heureux d’être faible et essayez de demander au bon Dieu de vous conserver l’impression nette de votre faiblesse. Lettre du P. Marie-Eugène à Joseph Gayraud, Père d’une multitude, 54.

[31En 1923, il écrit à l’abbé Julien : « C’est mon manuel de spiritualité depuis bientôt quinze ans. »

[32Carmel, 1968, 10.

[33Cf. Je veux voir Dieu, 443.

[34En 1925, il écrit : C’est aujourd’hui la fête de NP saint Élie, dont la sainte Écriture dit qu’il brûlait comme une torche... Il faut que nous brûlions véritablement. Lettre du 20.7.1925 (texte inédit). En 1927 il signe dans la revue Carmel un article remarquable intitulé « Élie, père et patriarche du Carmel ».

[35Entretien du 9.4.1964 (notes inédites).

[36Cette vie le conduisit de son Aveyron natal (qu’il aimait et où il avait de la joie à revenir) à Avon, de Lille à Tarascon, d’Agen à Monte Carlo. En 1937, il est appelé à Rome, où il aura son port d’attache jusqu’en 1955. Un port d’attache dont il sera absent de 1939 à 1946, pour cause de guerre. Un port d’attache d’où il partira souvent selon les missions confiées, les besoins de l’Ordre du Carmel, les nécessités de l’Église, celles aussi d’une nouvelle famille spirituelle dont il est fondateur et qui devait, disait-il, prendre la quintessence de (son) âme. Cf. R. Règue, P. Marie-Eugène (cf. n. 3), 109.

[37Je suis heureux, immensément heureux. (...). Nous voyons de si belles choses dans les âmes, si tu savais ! Je reste dans l’enthousiasme des beautés entrevues, parfois pendant des semaines et des mois. Lettre à G. Saint-Hilaire, 14.7.1927 (inédit). Je vis dans un enthousiasme quasi-continuel, particulièrement pendant ces retraites où le bon Dieu me permet de découvrir les merveilles de sa grâce dans les âmes. Lettre du P. Marie-Eugène à sa mère, 12.8.1927 (texte inédit).

[38Carmel 1968, 131.

[39Carmel 1968, 117.

[40Homélie, 23.7.1960.

[41Il s’agit de la constitution apostolique Provida Mater Ecclesia, de février 1947.

[42Carmel 1988, 246.

[43Carmel 1988, 246.

[44« Pour sauver la France, il faut des prêtres. Fauchés par la guerre, en déportation, épuisés par le labeur, des milliers de prêtres sont morts. 400 prêtres meurent chaque année sans être remplacés. La France compte 13 000 paroisses sans prêtres ». Cf. J. Le Goff, Histoire de la France religieuse, Paris, Éd. Seuil, tome 4, 193.

[45Lettre du 17.11.1938, Père d’une multitude, 106, Une figure du XXe siècle, 163.

[46Décret sur l’apostolat des laïcs, n. 4.

[47Une figure du XXe siècle, 168.

[48Je veux voir Dieu, 32. 928.

[49Cf. Ibid., 33, 1002.

[50Ibid., 59.

[51Ibid. 77.

[52Je veux voir Dieu, 328.

[53Conférence sur le don de soi, 3 décembre 1966, cité dans Une figure du XXe siècle, 139. Voir un autre texte cité par Claude Escallier, dans V.C., 1992, n° 2, 122.

[54Carmel 1968, 122.

[55P. Marie-Eugène (cf. n. 3), 106 ; et Album sur le P. Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus, Je veux demander pour vous l’Esprit Saint, Venasque, Éd. du Carmel, 1992, 34.

[56Cf. Lumen Gentium, n°10. Apostolicam actuositatem, n° 3.

[57Heure Sainte 1948. Une figure du XXe siècle, 148.

[58Cf. Père Marie-Eugène,... 121.

[59Cf. Ibid,110.

[60Cf. Étienne Michelin, Vatican II et le « surnaturel », Enquête préliminaire, 1959-1962. Venasque, Éd. du Carmel, 1993, 18.

[61Au souffle de l’Esprit, 36.

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