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La Vie consacrée, signe de communion dans l’Église

L’apport de Vita consecrata (VC 41-58)

Benoît Malvaux, s.j.

N°1997-3 Mai 1997

| P. 161-174 |

C’est une lumineuse étude que nous propose ici, pour sa première contribution à notre revue, le P. Benoît Malvaux, s.j. Avec méthode et en recourant aux documents originaux utilisés pendant le synode sur la Vie consacrée, il montre que l’option prise par Vita Consecrata concernant le statut ecclésiologique de la vie consacrée (VC 41-58), comme signe de communion, est déterminée par une conception précise des mutuæ relationes, qui n’est pas celle d’une « remise au pas » parfois évoquée au cours du synode.

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Voilà déjà plus d’un an qu’a paru l’exhortation apostolique Vita consecrata. Depuis, les analyses et commentaires sur le sujet se sont multipliés, notamment dans cette revue.

Face à un texte aussi long et aussi riche, il était inévitable que l’attention se concentre sur certains passages jugés plus intéressants, soit parce qu’ils traitent de questions particulièrement actuelles - le rôle de la femme consacrée, par exemple, ou encore les instituts mixtes-, soit parce qu’ils apparaissent comme ouvrant des perspectives nouvelles - ainsi, le choix de l’Évangile de la Transfiguration comme icône qui éclaire le sens de la vocation de consacré(e), la perspective trinitaire adoptée par l’exhortation pour cerner l’identité de la vie consacrée, ou encore la façon dont les trois vœux sont conçus comme réponses à des défis lancés à l’Église par la société contemporaine.

Inévitablement, d’autres sections de Vita consecrata attirent moins l’attention, dans la mesure où elles apparaissent plus « classiques ». C’est notamment le cas du début de la deuxième partie de l’exhortation, qui traite des valeurs permanentes de la vie consacrée, signe de communion dans l’Église. Ce thème de la communion est devenu une référence obligée de l’ecclésiologie d’après Vatican II ; il a aussi été évoqué de nombreuses fois au cours du processus synodal, que ce soit dans les documents officiels [1] ou dans les interventions des pères. Que l’exhortation lui consacre un chapitre n’est donc guère surprenant.

Par ailleurs, ce deuxième chapitre de Vita consecrata ne brille pas particulièrement par sa cohérence interne, ce qui a peut-être contribué à un certain manque d’intérêt du point de vue de la doctrine. En effet, seule la première section de ce chapitre, (VC 41-58) intitulée « valeurs permanentes », traite effectivement du thème de la communion, tel qu’annoncé dans le titre. Par contre, la seconde section (VC 59-62) aborde différentes problématiques concrètes - moniales cloîtrées, religieux frères, instituts mixtes, nouvelles formes de vie évangélique - dont le lien avec la notion de communion n’apparaît pas avec évidence. Quant à la troisième section (VC 63-71), elle traite essentiellement de l’accueil des vocations et de la formation dans la vie consacrée, questions qui, elles aussi, n’ont qu’un lointain rapport avec la notion de communion.

On peut donc comprendre que cette section sur la communion ait moins suscité l’intérêt des commentateurs. Cependant, nous voudrions montrer ici que ce passage de l’exhortation mérite plus d’attention qu’il n’y paraît au premier abord, dans la mesure où Vita consecrata ne s’est pas bornée ici à reprendre des idées admises par tous, mais a pris position sur certaines questions controversées, quant à la mise en œuvre de cet esprit de communion dans les relations entre la vie consacrée et le reste de l’Église. Ceci vaut particulièrement dans trois domaines, à savoir : la dimension universelle des instituts de vie consacrée, les relations des consacrés avec les évêques et leurs relations avec les laïcs. Mais, avant d’examiner plus en profondeur ces trois questions, il est nécessaire de présenter brièvement l’ensemble de la section.

Présentation générale de la section

La section relative aux valeurs permanentes de la vie consacrée, signe de communion dans l’Église, comporte dix-huit numéros (VC 41-58), qui peuvent être groupés en deux sous-ensembles.

VC 41-45 traitent de la communion à l’intérieur même de la vie consacrée. Est visée ici avant tout la vie fraternelle, particulièrement pratiquée par les instituts religieux et les sociétés de vie apostolique, mais qui n’est pas étrangère non plus aux instituts séculiers ni aux formes individuelles de vie consacrée. En vivant une telle communion fraternelle, les personnes consacrées ont le mérite de contribuer efficacement à maintenir dans l’Église l’exigence de la fraternité, qui a caractérisé les communautés chrétiennes dès l’époque apostolique et reflète le mystère de communion que constitue l’Église (VC 41). Cette vie fraternelle est donc un signe expressif de la communion ecclésiale. Elle n’est pas d’abord pour la vie consacrée un moyen en vue d’une mission déterminée, mais elle est un véritable lieu théologal où l’on peut faire l’expérience mystique du Christ ressuscité (VC 42). Dans cette perspective, la pratique des chapitres, généraux ou particuliers, revêt une importance spéciale dans la vie des instituts (VC 42). L’autorité des supérieur(e)s, à laquelle ces derniers ne peuvent renoncer, doit elle-même être avant tout fraternelle et spirituelle (VC 43). En conclusion, l’exhortation invite les personnes consacrées à vivre sans réserve l’amour mutuel selon la nature propre à chaque institut (VC 45 [2]) VC 46-58 abordent davantage les diverses manières concrètes pour les consacrés de vivre cette communion avec les autres composantes de l’Église [3].

Les consacrés sont tout d’abord encouragés à développer à l’intérieur de l’Église une véritable spiritualité de la communion, en participant pleinement à la vie ecclésiale dans toutes ses dimensions et en obéissant promptement aux pasteurs, spécialement au pontife romain (VC 46). Dans cette ligne, le lien des consacrés avec le successeur de Pierre présente une importance particulière. Les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique ont en effet un caractère d’universalité qui leur est propre (VC 47).

Mais les liens qui unissent la vie consacrée à l’Église particulière sont également importants : la collaboration des personnes consacrées avec les évêques est même d’une importance fondamentale pour le développement harmonieux de la pastorale diocésaine. Elle implique notamment qu’une juste autonomie soit reconnue aux instituts, et que les évêques préservent et protègent une telle autonomie (VC 48). Cependant, les instituts ne peuvent invoquer cette autonomie pour justifier des choix allant à l’encontre de la communion ecclésiale. Il faut donc que les initiatives pastorales des personnes consacrées soient décidées et mises en œuvre dans un accord cordial entre évêques et supérieurs des divers instituts (VC 49). Des propositions concrètes sont faites pour améliorer un tel dialogue, particulièrement entre les évêques et les supérieurs (VC 50).

La vie consacrée vit encore la communion dans l’Église en développant des relations spirituelles fraternelles et une aide mutuelle entre instituts (VC 52). Le rôle en ce sens des conférences des supérieur(e)s majeur(e)s et des conférences des instituts séculiers est particulièrement mis en évidence. Sont aussi encouragés les contacts entre ces conférences et les conférences épiscopales, ainsi qu’avec la congrégation romaine pour la Vie consacrée et les Sociétés de Vie apostolique (VC 53).

Les personnes consacrées sont également appelées à vivre la communion avec les laïcs, dans un esprit de mise en commun des dons (VC 54). De nouvelles expériences de communion et de coopération à ce niveau méritent d’être encouragées (VC 55). L’exhortation propose diverses formes de collaboration en ce sens, telles que le statut de membres associés, le partage temporaire de la vie communautaire par les laïcs, ou encore le concours de personnes consacrées à des initiatives laïques, selon des modalités appropriées (VC 56).

Enfin, Vita consecrata situe la question de la dignité et du rôle de la femme consacrée dans cette problématique de la communion ecclésiale. Elle reconnaît le bien-fondé de beaucoup de revendications concernant la position de la femme dans divers milieux sociaux et ecclésiaux (VC 57) et invite à ouvrir aux femmes des espaces de participation à tous les niveaux, y compris dans les processus d’élaboration des décisions (VC 58).

Après cette brève présentation de la section, nous voudrions maintenant nous attarder plus longuement sur ce que Vita consecrata dit par rapport aux trois questions évoquées en introduction.

La dimension universelle de la vie consacrée (VC 47)

Une première question par rapport à laquelle Vita consecrata prend position dans cette section est celle de la dimension universelle de la vie consacrée. Plus précisément, la question à laquelle le synode a été confronté porta sur le point de savoir s’il était important de rappeler le rôle que la vie consacrée peut jouer au sein de l’Église universelle, et, par le fait même, s’il était opportun de mettre en évidence les liens qui unissent les consacrés au Saint-Siège. Les documents synodaux officiels et les intervenants au synode adoptèrent des positions très différentes sur le sujet.

En effet, tous les documents officiels qui ont précédé ou accompagné le synode mirent en évidence le lien particulier qui existe entre la vie consacrée et l’Église universelle, et entre la vie consacrée et le Saint-Siège. Ainsi, les Lineamenta insistèrent sur la communion d’amour et d’obéissance de la vie consacrée avec le Saint-Père et la soumission particulière des instituts à l’autorité suprême de l’Église. Le même document mentionna le caractère supra-diocésain des instituts, enraciné dans le ministère de Pierre (n°36). L’Instrumentum laboris parle moins d’obéissance et de soumission, mais sa section relative à la communion dans l’Église commence par situer la vie consacrée dans l’Église universelle, et relève notamment l’importance de la dimension universelle de la vie consacrée dans l’ecclésiologie de communion (n°72). De manière plus nette encore, le n° 82 de l’Instrumentant laboris, traitant des instituts de droit diocésain et de droit pontifical, soutient que la structure de-droit diocésain de certains instituts ne diminue pas leur référence à l’Église universelle et à l’autorité suprême de l’Église. Dans le même paragraphe, l’Instrumentum laboris affirme aussi que le développement de l’institut, en général, tend à l’universalité par la force de son charisme.

Ces affirmations des documents préparatoires au synode n’ont pas été à proprement parler contestées durant les débats synodaux. Elles ont plutôt été tout simplement ignorées par les pères [4]. Ceux-ci, qu’ils soient évêques ou supérieurs religieux, s’intéressèrent en effet bien davantage à la place de la vie consacrée dans les Églises particulières, et aux relations qu’elle peut nouer avec l’évêque, les prêtres et les laïcs à l’intérieur de ces Églises. La dimension universelle des instituts de vie consacrée n’apparut donc pas à l’assemblée synodale comme un élément à mettre en évidence.

Un tel contraste entre les documents officiels et les interventions des participants au synode ne manqua pas d’attirer l’attention. Ainsi, le cardinal Hume, chargé de faire une synthèse des interventions des pères synodaux dans la relatio post disceptationem, fit observer que quasiment rien n’avait été dit, dans l’aula synodale, au sujet de l’universalité de la vie consacrée. Il invita alors les pères à accorder plus d’attention à cette question lorsqu’ils se réuniraient en groupes linguistiques, circuli minores, pour préparer les propositions synodales. Selon les termes mêmes du cardinal Hume, la question de la dimension universelle des instituts était d’une telle importance qu’elle ne pouvait être laissée dans l’oubli [5].

Or, malgré cette recommandation insistante du rapporteur, les groupes linguistiques ne revinrent quasiment pas sur le sujet. Dans le même sens, aucune des propositions remises au pape par le synode ne traite de cette question. Il ne s’agissait donc manifestement pas d’un « oubli » de la part des pères synodaux, mais bien d’une volonté délibérée de ne pas faire de cette question un thème prioritaire, alors que les mêmes pères synodaux attachaient par contre beaucoup d’importance à la place de la vie consacrée dans les Églises particulières.

Quelle est l’attitude de Vita consecrata sur la question ? Les partisans de l’une et l’autre positions peuvent trouver dans l’exhortation des éléments qui vont dans leur sens. En effet, celle-ci aborde expressément le thème de la vie consacrée dans l’Église universelle, en lui consacrant un numéro entier (VC 47), intitulé La fraternité dans l’Église universelle. Cependant l’importance accordée à cette question par le document est manifestement moindre que celle apportée à la vie consacrée dans les Églises particulières, qui fait l’objet de VC 48-50. Le pape a donc certainement estimé que je thème de la dimension universelle de la vie consacrée dans l’Église devait être rappelé, quoi qu’en pensent les pères synodaux. Cependant, il n’a pas voulu y mettre une insistance excessive, et a confirmé implicitement l’opinion de ces mêmes pères, pour lesquels la question des relations de la vie consacrée avec les Églises particulières méritait plus d’attention.

Plus précisément, Vita consecrata affirme, dès le début du n. 47, que « les multiples charismes des instituts sont donnés par l’Esprit Saint, en vue du bien du Corps mystique tout entier ». Plus loin, VC 47 parle du « caractère d’universalité et de communion propre aux instituts de vie consacrée et aux sociétés de vie apostolique ». Il vaut la peine de relever ici qu’il n’est pas fait mention d’une quelconque différence entre les instituts de droit pontifical et les instituts de droit diocésain à ce point de vue. Quel que soit le statut canonique de l’institut de vie consacrée, il a donc, selon. Vita consecrata, une note universelle qui lui permet notamment d’être au service de la collaboration entre les différentes Églises particulières.

Proche du thème de la dimension universelle de la vie consacrée est la question du lien qui unit les instituts avec le Saint-Père. VC 47 souligne ce point à plusieurs reprises. Ainsi, il parle du « lien particulier des diverses formes de vie consacrée et des sociétés de vie apostolique avec le successeur de Pierre, dans son ministère d’unité et d’universalité missionnaire ». Il mentionne aussi la « nature supra-diocésaine (des instituts) fondée sur leur rapport avec le ministère pétrinien ». Aux yeux de l’exhortation, cette dimension universelle de la vie consacrée n’est donc pas seulement fondée sur la valeur universelle du charisme qui a présidé à sa fondation, elle se justifie également par un lien spécial qui unit tout institut au Siège Apostolique.

Si l’importance de VC 47 n’est pas à majorer - l’accent de l’exhortation est en effet mis davantage sur l’insertion des instituts dans les Églises particulières-, on a donc néanmoins tenu à réaffirmer la dimension universelle de tout institut de vie consacrée [6]. Il serait bon que le débat doctrinal souhaité par le pape à la suite de Vita consecrata (cf. VC 13) traite de cette question. Il n’est pas si évident que tous les instituts de vie consacrée aient nécessairement une vocation à l’universalité. Ainsi, un article de H. Baudry, paru récemment dans cette revue [7], propose de distinguer la situation des instituts de vie consacrée en Église selon deux modes différents. Selon le premier mode, les instituts se situent à partir du pôle de l’Église universelle, et répartissent ensuite leurs communautés dans les Églises particulières. Selon le second, les instituts se situent en Église à partir de leurs Églises particulières de fondation, avec lesquelles ils font corps, s’ouvrant comme elles et avec elles aux autres Églises et à l’Église universelle. Une telle approche invite à nuancer quelque peu la portée des affirmations de Vita consecrata sur le sujet.

Il conviendrait également d’approfondir et de préciser le sens de l’affirmation de VC 47, selon laquelle la nature supra-diocésaine des instituts est fondée sur leur rapport spécial avec le ministère pétrinien. Sans le citer expressément, l’exhortation a repris ici une phrase de l’Instrumentum laboris (n. 72 [8]) qui avait suscité des réactions. Ainsi, S. Fagan mentionnait expressément ce point comme une faiblesse de l’Instrumentum laboris [9]. Effectivement, il est permis de se demander, même dans le cas des instituts de droit pontifical, si le lien avec le ministère du pape est bien le fondement du caractère universel des instituts, ou s’il ne s’agirait pas plutôt d’une conséquence de ce même caractère, dont le fondement serait davantage à chercher du côté du charisme propre de l’institut en question.

Relations entre instituts de vie consacrée et évêques diocésains (VC 48-50)

S’il est important que la doctrine approfondisse le sens et les limites de la dimension universelle de la vie consacrée, il n’empêche, comme nous l’avons relevé plus haut, que l’accent de cette section de l’exhortation est mis principalement sur le rôle des instituts dans les Églises particulières. Vita consecrata est ici en syntonie avec les pères synodaux. Cependant, quand il s’est agi de préciser la manière dont les instituts sont appelés à s’insérer dans les Églises particulières, les interventions synodales ont montré des interprétations divergentes, par rapport auxquelles l’exhortation a également pris position. Ces divergences concernent particulièrement l’esprit dans lequel les instituts et les évêques sont appelés à vivre leurs relations mutuelles.

Contrairement au cas précédent, la « ligne de séparation » ne passe pas ici entre les pères synodaux et les documents officiels, mais elle se situe plutôt à l’intérieur même de l’assemblée synodale. C’est en fait le sens même de l’ecclésiologie de communion et de ses conséquences sur les relations entre évêques et instituts qui est ici en jeu. Comme l’a très bien relevé un des intervenants au synode, Mgr R. Arango Velasquez, évêque de Buga (Colombie) : « il y a ici des manières divergentes de comprendre l’Église selon Vatican II. Tous, en principe, assument le modèle de l’Église communion proposé par le concile. Pourtant, dans la réalité de l’agir pastoral, des positions et des accents opposés apparaissent, quant à la conception et à l’exercice de l’autorité, au sens et à la fonction du magistère, à la valeur et à la pratique des charismes et ministères, à la juste autonomie et à l’exemption des religieux [10] ». Une telle constatation, qui concerne la pratique pastorale des parties intéressées, vaut également pour les interventions synodales relatives aux relations entre évêques et instituts de vie consacrée. Plus précisément, ces interventions ont toutes pris la notion d’Église-communion comme point de départ, mais n’en ont pas tiré les mêmes conclusions. Voyons-le de manière plus précise, à partir de quelques interventions typiques de l’une et l’autre positions.

Sœur V.V. Hadarau, conseillère provinciale des Sœurs basiliennes (Roumanie), affirme que « tous les instituts, ceux de droit pontifical comme ceux de droit diocésain, ont besoin d’être en communion étroite avec les évêques, dans l’amour mutuel et respectueux ». De ce fait, « nous - c’est-à-dire les religieux - devons avoir la bénédiction et le consentement de nos évêques pour demeurer sur la voie juste, afin que notre travail soit fructueux, et pour ne pas risquer de nous perdre [11] ». Dans un sens proche, Mgr J. Szlaga, évêque de Pelplin (Pologne), développe l’idée suivante : « le charisme d’un ordre doit s’accomplir in medio Ecclesiae. Il ne peut pas trouver sa place hors de l’évêque, forma gregis ex animo. Cela ne concerne pas seulement nos liens juridiques, mais aussi la primauté de la communion dans l’amour. Nous ne devons pas penser que le trait saillant de la vie consacrée puisse être son autonomie par rapport à l’être réel de l’Église [12] ».

Par ailleurs, Mgr J. Suwatan, évêque de Manado (Indonésie), demande que « les rapports entre religieux et évêques soient vus dans la perspective de l’Église, communion de communautés. C’est dans cette communion qu’il nous faut prendre une attitude d’écoute les uns envers les autres, de compréhension mutuelle, de vision commune et de coopération, chacun selon ses capacités propres et ses compétences [13] ». Dans le même sens, Mgr M. Aichern, évêque de Linz (Autriche), dit : « une communion organisée et dynamique au sein de l’Église universelle et au sein des Églises particulières suppose un dialogue, qui doit se dérouler dans une atmosphère d’ouverture, de respect réciproque et de confiance. L’autorité et l’engagement pastoral de l’évêque dans son diocèse doivent aussi tenir compte de la juste autonomie des instituts de vie consacrée. Le dialogue ouvert et sincère dans la recherche de solutions, en cas de difficulté, devient donc un témoignage crédible de l’Évangile [14] ».

Si, dans toutes ces interventions, il est question de promouvoir une attitude de communion dans l’Église, le sens qu’on donne à cette attitude n’est manifestement pas le même. Pour les uns, la vie en communion dans l’Église se traduit avant tout dans la soumission envers la hiérarchie, dans la mesure où la communion se réalise autour de l’évêque, pasteur de l’ensemble du troupeau. Vivre la relation à l’évêque dans un esprit de communion implique alors pour les consacrés qu’ils obéissent pleinement à leurs pasteurs. Pour les autres, la communion est vue davantage en termes de mutualité et de partenariat. Vivre les relations entre évêques et instituts dans un esprit de communion implique alors la promotion du dialogue entre les deux parties.

Les divergences entre ces deux conceptions de la communion apparaissent particulièrement dans la manière d’interpréter le principe de la juste autonomie des instituts. Ainsi, Mgr Szlaga minimise une telle autonomie, en refusant d’en faire un trait saillant de la vie consacrée ; par contre, Mgr Aichern insiste pour que l’évêque tienne compte de cette autonomie dans son gouvernement du diocèse.

Quelle est la position de l’exhortation sur cette question ? Plus précisément, quelles conséquences tire-t-elle de l’ecclésiologie de communion, quant à l’esprit dans lequel doivent être vécues les relations entre évêques et instituts religieux ?

Une analyse rapide du document pourrait donner l’impression que Vita consecrata a repris des éléments des deux positions en présence, sans véritablement trancher le débat. On trouve en effet mention, dans le document, à la fois d’obéissance aux pasteurs et de dialogue entre hiérarchie et consacrés. Cependant, une analyse plus précise du texte de l’exhortation montre que Vita consecrata ne traite pas ces deux notions avec la même ampleur.

Une simple comparaison de type « quantitatif » est déjà éclairante à ce sujet. En effet, la notion d’obéissance aux évêques ne revient que deux fois dans cette partie de l’exhortation, plus précisément en VC 46, consacré au sentire cum Ecclesia. À l’inverse, les notions de dialogue, de collaboration et de coopération ne reviennent pas moins de sept fois dans cette partie de l’exhortation, soit une fois en VC 46, et six fois en VC 48-50, qui traitent spécifiquement des relations entre évêques et instituts [15].

Les références à l’obéissance aux pasteurs se trouvent donc uniquement dans le numéro introductif aux relations entre les consacrés et le reste de l’Église, et elles concernent alors l’ensemble de la hiérarchie, pape et évêques [16]. Lorsqu’il s’agit d’examiner dans le détail les relations entre la vie consacrée et les évêques, l’exhortation ne revient plus sur cette notion, alors qu’elle multiplie au contraire les références au dialogue et à la collaboration.

Ce que Vita consecrata dit de la juste autonomie des instituts va dans le même sens. Nous avons vu que ce thème avait fait l’objet, de la part des pères synodaux, d’une approche différente, restrictive ou positive, selon qu’ils voulaient souligner la nécessité pour les consacrés d’obéir à leurs pasteurs ou l’importance du dialogue entre les deux parties. Or, que fait ici l’exhortation ? Dans un premier temps (VC 48), elle rappelle sans restriction la juste autonomie reconnue aux instituts, insistant sur le devoir corrélatif des évêques d’accueillir et d’estimer les charismes de la vie consacrée en leur donnant une place dans la pastorale diocésaine. Ce n’est que dans un second temps (VC 49), qu’elle pose des limites à une telle autonomie, et encore ne s’agit-il pas de limites justifiées par l’autorité des évêques, mais bien plutôt par les nécessités de la communion ecclésiale [17]. Et quel moyen VC 49 propose-t-il pour assurer le respect d’une telle communion ? Non pas une plus grande soumission des instituts aux évêques, mais bien plutôt le dialogue cordial entre évêques et supérieurs des divers instituts.

Enfin, les solutions concrètes proposées par VC 50 pour améliorer les relations entre évêques et instituts vont, elles aussi, dans le sens du dialogue : que ce soit l’appel aux contacts constants entre évêques et supérieurs, le soutien apporté aux commissions mixtes, l’encouragement de la participation de délégués de la conférence des supérieur(e)s aux travaux de la conférence des évêques et réciproquement ; tout va dans le sens du renforcement de la coopération entre les deux parties. C’est dans un même esprit que l’exhortation se réjouit de l’expérience faite par l’assemblée synodale d’un dialogue vécu dans un climat de confiance et d’ouverture réciproque entre les évêques, les religieux et les religieuses présents au synode (VC 50 in fine).

Il apparaît donc clairement que Vita consecrata a préféré encourager le dialogue et la coopération entre évêques et instituts, plutôt que d’aller dans le sens de ceux qui auraient souhaité une « remise au pas » de la vie religieuse et une insistance corrélative sur sa soumission à la hiérarchie. Ce choix pourrait être expliqué par la volonté nettement affirmée, dans le chef de Jean-Paul II, d’encourager la vie consacrée plutôt que de la « sermonner [18] ». Cependant, ce serait une erreur, à notre avis, de réduire cette option faite par l’exhortation à des motifs d’ordre « psychologique ». Plus fondamentalement, il y a ici un rappel de ce qu’une ecclésiologie de communion sainement comprise implique : une confiance et un respect mutuels des différentes parties concernées, ce qui ne peut être vécu que dans une attitude d’ouverture mutuelle et de dialogue.

Les relations entre consacrés et laïcs

Une autre question débattue au cours du synode touche les relations entre les consacrés et les laïcs. Une lecture superficielle des interventions synodales sur le sujet pourrait donner l’impression d’une unanimité qui encourage le développement de telles relations. Pourtant, à y regarder de plus près, on s’aperçoit que la manière même d’envisager ces relations peut être très différente. En schématisant, on peut dire que s’affrontent ici deux conceptions, l’une qui insiste sur ce que les consacrés peuvent apporter aux laïcs, l’autre qui met davantage en évidence l’échange des dons entre les deux « parties ».

Un bon exemple de la première manière de voir est l’intervention de Mgr F. Ariztia Ruiz, évêque de Copiapo (Chili), qui souligne que, « dans une ecclésiologie d’authentique communion, la vie religieuse doit regarder avec respect et sympathie le monde des laïcs dans leurs tâches ordinaires, et les accompagner afin qu’ils assument le rôle qui, dans l’Église et dans la société, (...) leur incombe [19] ». La relation consacré-laïc est donc ici encouragée à sens unique. Dans un même sens unilatéral, Mgr C. Kweku Sam, évêque de Sekondi-Takoradi (Ghana), voit la vie consacrée comme « un encouragement pour les fidèles laïcs à vivre une vie chrétienne ». « Dans ce but, dit-il, les membres des instituts de vie consacrée devraient s’occuper plus de la vie des fidèles [20] ». C’est dans une même optique que le cardinal Pironio, président du Conseil pontifical pour les laïcs, développe principalement, dans son intervention au synode, ce que les laïcs attendent de la vie consacrée [21].

D’autres interventions sur le même sujet ont une tonalité différente. Ainsi, le P. Vigano, recteur majeur des salésiens, souligne « la proximité spirituelle » qui lie consacrés et laïcs, en relevant que la vie consacrée a « tout à la fois besoin de l’authenticité et de la promotion de l’esprit (... diffusé par le fondateur) comme de la compétence et de la créativité des laïcs ». Dans cet esprit, le P. Vigano invite à élargir l’ecclésiologie de l’échange des dons [22]. De même, Mgr V. Nichols, évêque auxiliaire de Westminster (Grande-Bretagne), traitant de la collaboration croissante avec les laïcs, souligne combien il importe que la vie de l’Église soit comprise comme un échange de dons [23]. Enfin, Sr Mendez, supérieure générale des Sœurs des pauvres, servantes du Sacré-Cœur de Jésus (Mexique), parle d’un « protagonisme particulier » qui incombe aux laïcs dans l’Église. Selon elle, « il est nécessaire que les consacrés prennent conscience de ce fait et se convertissent [24] ».

Manifestement, il s’agit moins ici de conceptions opposées que d’accents différents. Néanmoins, de tels accents sont révélateurs d’un état d’esprit plus général. Plus précisément, est ici en jeu la question suivante : les consacrés considèrent-ils les laïcs uniquement comme des personnes à qui ils ont à apporter quelque chose, ou aussi comme des personnes dont ils ont à recevoir ?

Comment se situe Vita consecrata par rapport à cette question ? Il est significatif que, dès le début du premier numéro portant sur les relations entre laïcs et consacrés (VC 54), l’exhortation affirme clairement que, dans le cadre de la doctrine de l’Église comme communion, « ses diverses composantes peuvent et doivent unir leurs forces, dans un esprit de collaboration et d’échange des dons, pour participer plus efficacement à la mission ecclésiale ». Une telle logique traverse l’ensemble du passage. Ainsi, « les laïcs seront introduits à l’expérience directe de l’esprit des conseils évangéliques », et « les personnes consacrées se souviendront qu’elles doivent être, avant tout, des guides compétents de vie spirituelle » (VC 55). Mais, à l’inverse, « la participation des laïcs suscite souvent des approfondissements inattendus et féconds de certains aspects du charisme », et « les laïcs offriront aux familles religieuses la précieuse contribution de leur caractère séculier et de leur service spécifique » (VC 55). Dans ce même esprit, VC 56 traite à la fois de l’adhésion de fidèles laïques aux divers instituts, notamment sous la forme de membres associés, et de la collaboration des personnes consacrées à des initiatives laïques, notamment dans les mouvements ecclésiaux [25].

Ici encore, on peut donc dire que l’exhortation a « choisi son camp », celui d’une conception des relations entre consacrés et laïcs en termes d’échange des dons, plutôt que d’apport unilatéral des premiers aux seconds.

En conclusion, il apparaît clairement que cette section de Vita consecrata sur la vie consacrée, signe de communion dans l’Église, est plus innovatrice qu’elle ne paraît au premier abord. En affirmant clairement le caractère universel de tout institut de vie consacrée, en envisageant la communion entre évêques et instituts dans une optique de collaboration plus que d’autorité-soumission, en considérant les rapports entre laïcs et consacrés dans une perspective bilatérale d’échange des dons, Vita consecrata a ainsi indiqué différentes pistes que les consacrés et les autres composantes de l’Église pourront approfondir dans les années qui viennent, en vue de vivre ce « nouvel élan » ardemment souhaité par le pape.

Rue Washington, 186
B-1050 BRUXELLES, Belgique

[1Ainsi, la première section de la troisième partie des Lineamenta est intitulée « La vie consacrée dans l’Église-communion », et la troisième partie de l’Instrumentum laboris, « La vie consacrée dans la communion ecclésiale ».

[2Dans cet ensemble, VC 44 semble mal placé, puisqu’il traite d’une question très spécifique, celle du rôle des personnes âgées dans la vie consacrée. Peut-être sa présence à cet endroit de la section s’explique-t-elle par le fait qu’il s’agirait d’un exemple particulièrement révélateur de la manière dont la communion fraternelle est ou n’est pas vécue dans la vie consacrée.

[3Il est permis à ce sujet de regretter que rien ne soit dit des rapports des consacrés avec les prêtres diocésains, seule catégorie « oubliée » parmi celles avec lesquelles les instituts sont invités à développer une attitude de communion.Par ailleurs, dans cet ensemble consacré essentiellement à la communion « intra-ecclésiale », le n° 51 apparaît quelque peu atypique, puisqu’il traite du témoignage de communion que la vie consacrée peut apporter au monde.

[4Seul Mgr Lozano Barragan, évêque de Zacatecas (Mexique), rappela que, du fait de leur approbation pontificale, les instituts sont placés dans une relation intime avec la primauté, source de solidité et d’unité pour l’ensemble des Églises particulières. Encore n’envisageait-il, semble-t-il, que les instituts de droit pontifical, et non l’ensemble de la vie consacrée. Voir l’édition hebdomadaire de L’Osservatore romano en langue française (= OR), 1994, n. 42, 13.

[5Ce point n’a pas été repris dans le résumé de la relatio paru dans l’édition hebdomadaire de l’OR en langue française. Par contre, il se trouve dans la version intégrale du texte, paru en espagnol dans Vida religiosa, 76 (1994), 463-486 - voir particulièrement 476.

[6Cependant, il convient d’observer que, quand il s’agit de la position de la vie consacrée dans le monde, l’exhortation se fait plus nuancée. Ainsi, dans VC 51, consacré au témoignage de communion que la vie consacrée peut être appelée à donner dans le monde, Vita consecrata souligne la responsabilité particulière qu’ont les instituts internationaux d’entretenir le sens de la communion entre les peuples, les races, les cultures.

[8Une telle affirmation est reprise de la lettre Communionis notio de la Congrégation pour la doctrine de la foi, sur quelques aspects de l’Église comme communion.

[9Voir S. Fagan, « Preparing for the Synod : The Instrumentum laboris », dans Religious Life Review, 33 (1994), 262.

[10Cette partie de l’intervention de Mgr Arango Velasquez n’a malheureusement pas été publiée dans l’édition hebdomadaire de l’OR en langue française, mais elle se trouve dans le manuscrit que Mgr Arango a donné comme texte de son intervention.

[11Voir OR, 1994, n. 45, 58.

[12Voir OR, 1994, n. 45, 56.

[13Voir OR 1994, n. 42,17.

[14Voir OR, 1994, n. 45, 50.

[15VC 50 est même intitulé : « Un dialogue constant animé par la charité ».

[16Dans le premier cas où il est fait mention de l’obéissance des consacrés, il est même spécifié qu’une telle obéissance est requise « spécialement envers le Pontife romain ».

[17Plus précisément, VC 49 dit ceci : « les instituts ne peuvent invoquer leur juste autonomie (...) pour justifier des choix qui iraient en réalité à l’encontre des nécessités de la communion organique indispensable à une saine vie ecclésiale. »

[18VC 13 met clairement en évidence un tel désir dans le chef du Saint-Père. C’est dans le même esprit qu’on ne retrouve pas dans Vita consecrata les commentaires critiques des Lineamenta et de certains pères synodaux sur la désobéissance des religieux à l’égard des évêques ou encore sur les influences négatives de la démocratisation sur la vie religieuse.

[19Voir OR, 1994, n. 44, 44.

[20Voir OR, 1994, n. 46, 61.

[21Voir OR, 1994, n. 47, 77.

[22Voir OR, 1994, n. 42, 16.

[23Voir OR, 1994, n. 45, 51.

[24Voir OR, 1994, n. 47, 79.

[25Il faut toutefois reconnaître que Vita consecrata ne considère pas de la même manière les deux parties en relation. Ainsi, si VC 56 insiste sur le fait que les laïcs engagés dans les œuvres d’un institut doivent rendre compte de leur responsabilité aux supérieurs et supérieures compétents, il ne parle pas dans les mêmes termes des consacrés collaborant à des initiatives laïques. Au contraire, l’exhortation rappelle alors que ces consacrés restent sous la dépendance de leurs supérieurs.

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