Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Monachisme oriental et vie consacrée

Vies Consacrées

N°1995-4 Juillet 1995

| P. 249-254 |

En « contrepoint » plus doctrinal aux pages précédentes et en « accord harmonique » avec les propos du P. Michel van Parys (cf. Vie consacrée, 1995, 158-165), nous proposons encore cette étude (préparatoire au synode) offerte par nos frères et sœurs en vie consacrée dans le monachisme oriental. La présence d’un certain nombre de lectrices et de lecteurs dans des pays où les deux traditions se côtoient et l’attrait, en nos contrées, pour la spiritualité orientale ouvraient les pages de notre revue à cet œcuménisme, dont on a reconnu qu’il était une des notes positives du synode. Nous espérons ainsi continuer à y contribuer.

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 En ces jours de réflexion sur la vie religieuse, face aux problèmes qui se posent et aux inquiétudes qu’ils suscitent, mais face aussi aux espoirs qu’ils font naître, il est bon de savoir qu’il existe dans l’Église un paradigme, une causa exemplaris, qui doit être pris en considération avec profit et dont la contribution est certainement du plus haut intérêt [1].

Il s’agit du monachisme oriental, dont le charisme est multiforme. Fondamentalement commun, dans son unicité, à toutes les Églises orientales, il demeure bien vivant grâce à une expérience de sagesse et de persévérance ininterrompue depuis près de deux millénaires. Essentiellement fidèle à ses origines et à son caractère évangélique, il transcende aussi bien le temps que les individus, tout en s’adaptant parfaitement aux exigences des différentes époques et des diverses cultures. Nourri de spiritualité sacramentelle et ecclésiale, le monachisme oriental renferme en lui-même et est donc en mesure d’offrir tout ce qui est essentiel à l’accomplissement d’une vie chrétienne et religieuse authentique.

En ce qui concerne les Églises orientales, les problèmes que doit affronter la vie religieuse et ses perspectives d’avenir démontrent que la difficulté première n’est pas celle de son adaptation à un genre d’activité estimé plus efficace, ni d’un meilleur accommodement aux pressions d’une société plus sécularisée, ni même d’un retour pur et simple au charisme fondateur.

La première exigence, en ce temps de crise, sera de mieux pénétrer au cœur de la véritable raison d’être de la vie religieuse dans l’Église, dans l’ensemble du mystère du salut voulu par le Christ, condition sine qua non pour que la vie religieuse soit une expression vivante de son Église, c’est-à-dire une vie pneumatique, christocentrique, ecclésiale et eschatologique.

Tout cela constitue effectivement l’essence de la vie monastique. Mais où pouvons-nous découvrir sa vraie signification et le sens de sa place dans l’Église, sinon dans l’Évangile, pris au sens large du Nouveau Testament, et dans l’Église des temps apostoliques, source indubitable du monachisme oriental et berceau de son expérience unique dans l’Église ?

D’où l’importance d’un retour à cette source et de tout ce qu’il comporte de facto, comme paradigme de tout renouveau de la vie religieuse, aussi bien pour les moines qui en vivent et la mettent en pratique que pour les religieux qui s’en inspirent.

Aussi le besoin d’un retour entier à l’Évangile constitue-t-il le message premier du monachisme oriental. En effet, aussi longtemps que la vie religieuse ne témoignera pas intégralement de ses origines et de sa raison d’être fondée sur l’Évangile, elle perdra l’occasion de fournir ce que l’on est en droit d’attendre d’elle, ce qui serait vraiment très dommageable en ce moment décisif pour l’Église.

Le monachisme oriental pourrait, en l’occurrence, être d’une aide précieuse. Une de ses premières caractéristiques est précisément sa fidélité à l’Église apostolique, malgré des circonstances parfois adverses et toujours variables dans le temps, mais aussi avec des adaptations nécessaires, sans toutefois perdre son propre charisme évangélique.

Si la vie religieuse renonce à entreprendre cette metanoia, ce retour peut-être difficile et exigeant à l’Évangile, il lui sera impossible de se défaire des liens du sécularisme, et elle sera incapable de vivre selon le sens véritable de la vie consacrée. Dans le cas contraire, elle retrouverait sa vitalité première et, particulièrement, son charisme, irremplaçable dans l’Église, dans le monde moderne et la culture contemporaine.

 Ceci dit, comment pénétrer plus profondément au cœur de l’Évangile, principe de cette vie religieuse que le monachisme oriental n’a jamais perdue de vue ?

Cette source du monachisme oriental peut être atteinte par deux voies principales. Celle de la vision d’abord, telle qu’elle est exprimée dans la parabole de la vocation du jeune homme riche (Mt 19,16-50). L’appel à la perfection évangélique, qui consiste à suivre le Christ, y est défini comme un engagement total envers Jésus. Il s’agit d’un engagement corps et âme, sous forme de vœux, compris en Orient comme un hommage personnel au Christ lui-même plus que sous la forme plus juridique que lui a donnée l’Occident, mais toujours à la suite du Maître souffrant et ressuscité, dans la déification progressive. Celle-ci est le fruit de l’imitation du Christ en tout, dans la totalité des activités, à l’intérieur comme à l’extérieur. Ainsi sont mis en pleine valeur les sacrements de l’initiation chrétienne, dans la perspective de l’Église qui, chaque jour, meurt en Jésus Christ et ressuscite avec lui, dans l’attente de la Parousie (2 Co 4,10 ; Ga 2,20 ; 5,22 ; 6,2 : cf. lecture pour le commun des saints moines selon le rite byzantin).

Ainsi le moine conserve son regard tourné vers le Christ en gloire, dans une dimension eschatologique, qui « attire tout en avant » vers son retour. C’est cette vision christologique et sacramentelle qui est la source première du charisme évangélique propre au monachisme oriental et sa contribution au renouveau de la vie religieuse.

 La seconde voie par laquelle l’eau vivifiante sourd et circule au sein de la Tradition de l’Église est celle des observances évangéliques : le Christ lui-même a montré le chemin à suivre pour arriver à la vision décrite plus haut : la voie des conseils évangéliques assumés par les moines et qui conservent toujours leur actualité dans tous les temps et dans toutes les cultures.

Nous pouvons en énumérer quelques-uns :

- Lc 18,1 : si le Christ nous donne le commandement de prier sans cesse, le moine, le religieux ou tout autre consacré doit le prendre au sérieux et organiser sa vie afin de le mettre en pratique. C’est là le fondement évangélique de toute vie religieuse (Cf. le document La dimension contemplative... du 12 août 1980). Cela se manifestera par son amour du silence « à l’écoute de Dieu », par la préférence donnée à l’« être » plutôt qu’au « faire et avoir », qui nous préserve ainsi d’un activisme purement séculier, par la pratique de la prière pour elle-même et non pas seulement comme condition de fécondité apostolique.

 Jn 13,34 et 15,12 : la charité fraternelle et sincère, comprise comme un signe primordial d’appartenance au Christ, consiste à édifier une vraie « famille de Jésus » au prix de se rendre vulnérable, en donnant la priorité à des activités communautaires par rapport à des entreprises individuelles, en se supportant les uns les autres et en s’encourageant mutuellement sans jamais accuser ou critiquer, selon le fameux « regardez comme ils s’aiment » des premiers chrétiens. En effet, combien de communautés ont été ravagées et ont péri par suite de cette absence de charité !

 Jn 15,18 sv., 17,14 ; 2,15-17 : suivre Jésus signifie également tourner le dos à la mondanité (à la vanité du monde) dans une conversion vraie et permanente, dans un contexte de persécution mais surtout dans des pays de culture occidentale sécularisée. Il n’est pas possible de se défendre de l’« esprit du monde » tout en appréciant ses valeurs positives, sans un « contre-esprit » eschatologique, qui est si souvent oublié, sans la pratique d’un véritable détachement, indispensable pour être dans le monde sans pourtant être du monde. Or c’est là une des principales leçons du monachisme oriental. Aussi peut-on dire que ce détachement de la mondanité en faveur du Royaume a continué à assurer à ce monachisme une grande liberté, non sans une certaine rigueur, réclamée par notre « condition dans la chair » (cf. Rm 8,1 et 5).

 Mt 9,15 : l’un des principaux moyens pour vivre cet esprit évangélique et eschatologique de détachement est la pratique du jeûne. Par le jeûne, nous professons ne plus appartenir à ce monde mais au monde des pauvres auxquels sont promises les Béatitudes du royaume. Ici encore, le monachisme oriental continue à enseigner la pratique du jeûne évangélique tout au long des principales étapes de l’année liturgique. Il sera facile et très utile à tous les religieux de les y rejoindre. C’est le jeûne qui fait passer de l’esprit de consommation à l’esprit eucharistique.

La formation

Cet esprit de conversion à l’essentiel, à la suite du Christ, comporte la nécessité de se retremper sans cesse l’esprit dans le bain régénérateur de l’Évangile et de la Tradition, au moyen d’une formation permanente, surtout en ce moment décisif de mutation dans l’Église. Cette formation n’est pas seulement une affaire d’instruction ni même d’apprentissage. Il s’agit plutôt d’une invitation organique à la pratique de l’Évangile, de la vie liturgique et de la prière de l’Église ainsi que de toutes les valeurs du Royaume (Mt 13,52). Cette initiation organique se fera surtout par la célébration plénière des mystères du Christ, qui nous mettent en rapport vital avec lui, le divin Maître et modèle du véritable religieux. De même, le contact personnel avec les Pères de l’Église (Testes Traditionis) sera assurément des plus féconds, conformément aux indications de la Congrégation pour l’Éducation catholique.

Aussi l’expérience de l’Église indivise et de nos frères orthodoxes, par le truchement du monachisme oriental, est-elle parfaitement dans l’esprit de l’Évangile. Il est indispensable de s’habituer à « respirer par nos deux poumons », oriental et occidental, comme le Saint-Père a l’habitude de le souligner.

À cet effet, il serait bon que les responsables de cette formation demeurent en contact avec des « monastères vivants » orientaux où toutes les valeurs, recommandées dans le présent rapport, soient vécues et appliquées ou, tout au moins, avec des moines orientaux compétents qu’ils consulteront à ce sujet.

Les applications

Les principes proposés ci-dessus et inspirés du monachisme oriental authentique s’appliquent aux religieux occidentaux comme aux moines orientaux eux-mêmes, vivant aussi bien en des contrées où sévit la persécution que dans des pays libres.

Cependant, pour être efficaces, ces principes doivent déboucher sur des attitudes et des conclusions pratiques dont voici des exemples. Ainsi la dichotomie entre « instituts cléricaux » et « frères laïcs », qui rend impossible la restauration du caractère foncièrement « laïc » - au sens de 1 P, ch. 2 - de la vie religieuse en général, comme on le vit encore en Orient, devrait être graduellement supprimée. De même, la dichotomie entre vie contemplative et vie active devra être, elle aussi, résolue : le monachisme oriental pourrait indiquer la marche à suivre par le simple exemple de sa vie réelle, dans la conviction soutenue que la vie de conversion, la vraie « vie active », est l’œuvre par excellence du moine (cf. Jn, 6,29). Ainsi toute activité devrait maintenir cette perspective contemplative primordiale, à savoir la prière personnelle ou communautaire, et se garder de la recherche du succès. En tout cela, nous devons faire revivre dans nos Églises la dimension diaconale, attitude de service non seulement pour le Royaume à venir mais aussi service de nos frères, dont nous partageons l’existence, et service des pauvres de Dieu - que ce soit pour l’âme, le corps ou l’esprit - et sans préjuger de l’unité fondamentale du monachisme oriental.

Sous la mouvance de l’Esprit et de la parole, nous espérons humblement un renouveau de la vie monastique par l’intermédiaire de vrais charismatiques et de vrais saints. Que Dieu nous exauce par l’intercession de sa très sainte mère, la Vierge Marie, de saint Jean Baptiste le précurseur et de tous les saints !

Congrégation pour les Églises orientales
Città del Vaticano
I-ROMA, Italie

[1Ce document a été élaboré par une Commission chargée d’exprimer, au nom des membres orientaux catholiques participant au Synode des Évêques sur la Vie Consacrée, certaines de leurs réflexions communes. Congrégation pour les Églises orientales, Le Chiese orientait cattoliche e la vita religiosa. Città del Vaticano, 1994.

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