Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Après le Synode sur la vie consacrée et sa mission dans l’Église et dans le monde

Noëlle Hausman, s.c.m.

N°1995-1 Janvier 1995

| P. 7-11 |

Présente à Rome comme attachée au secrétariat spécial du récent Synode, Sœur Noëlle Hausman nous offre ici un bref mais dense aperçu des travaux que la rencontre romaine a produits et des « points d’attention » qu’elle a permis de dégager. C’est peut-être dans ce qui doit encore être mis en œuvre que le meilleur de ce moment de grâce pourra advenir. Il est possible qu’une manière rénovée de procéder permettrait à l’institution synodale de s’ouvrir encore davantage à l’imprévu de l’Esprit.

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Le Synode qui s’est tenu à Rome entre le 2 et le 29 octobre dernier a été largement préparé, dans le monde des consacrés surtout, par une lecture attentive des Linéaments [1] voire de l’Instrumentum laboris [2], et certainement par des enquêtes, comme celle qu’avait organisée notre Revue [3], des rencontres nationales nombreuses et de vastes congrès, notamment ceux des unions internationales de supérieur(e)s majeur(e)s [4]. Ayant eu la grâce de participer à cette assemblée ecclésiale, je crois intéressant de noter brièvement, aussitôt après sa clôture, quelques points sur lesquels nous aurons sans doute à revenir ultérieurement.

Après une description sommaire des temps forts du Synode, je m’attacherai à évaluer provisoirement ses résultats connus. On sait en effet qu’un Synode s’achève par la remise au Saint-Père d’un certain nombre de “Propositions”, lesquelles demeurent secrètes en leur forme ultime. Mais l’Exhortation apostolique postsynodale, dont la rédaction prend habituellement une bonne année, sera confectionnée à partir de tous les documents synodaux et pré-synodaux, dont l’essentiel est dès à présent du domaine public. Que peut-on en augurer dans le temps intermédiaire où nous nous situons ?

Les différentes étapes du Synode

Avant de parler des procédures et des productions du Synode, il faut noter qu’une excellente ambiance a prévalu, du début à la fin des travaux, entre les 350 participants environ, dont 250 seulement étaient des Pères synodaux au sens strict, entourés d’une centaine d’auditeurs, d’auditrices, de délégués fraternels et autres experts, majoritairement religieux [5]. L’un des fruits les plus durables du Synode pourrait consister dans cette convivialité de pasteurs [6] et de consacrés que l’on aurait difficilement pu imaginer plus cordiale - il faut dire que la réception par petits groupes de tous les participants à la table du Pape avait, dès le début, donné le ton [7].

Le cardinal Hume, rapporteur spécial de ce Synode, a inauguré le travail en communiquant son “Rapport avant discussion” ou Relatio ante disceptationem [8] dès l’ouverture des travaux. Il s’agissait alors d’“aider les Pères synodaux et les auditeurs à concentrer leurs réflexions et leurs interventions sur le thème général et en particulier sur ces points qui doivent faire l’objet d’un approfondissement en fonction des buts que s’est fixés l’assemblée synodale”. Le Cardinal prit le parti de se référer continuellement à l’Instrumentum laboris, tout en organisant son rapport en trois parties [9] : le rôle du collège apostolique à l’égard de la vie consacrée ; le don multiforme de la vie consacrée (identité) ; les défis auxquels elle est aujourd’hui confrontée. D’emblée, la hauteur de vues et l’esprit de finesse du rapporteur spécial s’imposèrent à l’assemblée ; c’est d’ailleurs le cardinal Hume qui prendra la parole en dernier lieu, le 28 octobre, pour souligner, à titre personnel, combien le Synode, plutôt que de condamner les éventuels abus, s’était volontairement concentré sur l’idéal de la vie consacrée, dans le but d’y encourager. La personnalité du rapporteur spécial, non moins que l’efficace et discret service du secrétaire général, Mgr Schotte, créé cardinal depuis, y furent sans conteste pour beaucoup.

Pendant les dix premiers jours s’étendit la phase, que d’aucuns jugèrent interminable, des interventions des participants, limitées à huit minutes pour les Pères, à six pour les autres, mais entrecoupées par les contributions des délégués fraternels des autres Églises chrétiennes et les grandes auditions de certains témoins privilégiés (13). Le Rapport après discussion du cardinal Hume fut présenté dès le 14 octobre, pour synthétiser sous quatre parties ces quelque 280 interventions : une vision complexe de la vie consacrée ; la vie consacrée en elle-même ; la vie consacrée dans la communion ecclésiale ; de la mission et de la nouvelle évangélisation. On voit que ce plan se rapproche de celui de l’Instrumentum laboris. Le document, d’une trentaine de pages comme la Relatio précédente, se terminait par une série de sept questions, laissées au choix des cercles linguistiques, constitués entre-temps.

La deuxième phase du Synode consistera pour l’essentiel dans ce travail en petits groupes, avec des retours à l’assemblée générale pour harmoniser les orientations. Pendant deux jours et demi, les quatorze groupes décidèrent des questions sur lesquelles ils travailleraient. Le rapport de ces discussions fut porté devant l’assemblée durant toute la journée du 19 octobre. Déjà apparaissent les convergences (la femme, la clôture) et les points plus isolés (les instituts séculiers, les moyens de communications sociales, les religieux-prêtres) [10]. Entre le 20 et le 22 octobre, les Circuli minores rédigèrent une première version de leurs “propositions”, que le Secrétariat spécial ordonna en une liste unifiée ou Elenchus unicus demeuré sub secreto en principe [11] et communiqué au Synode le 24. Cinquante-cinq propositions étaient ainsi retenues, qui occupent une brochure de quarante pages et sont ordonnées, après l’introduction (Propositions 1 à 2) sous trois chefs : vie consacrée (3 à 27), communion (28-34), mission (35-55). En plus de la difficile approbation du Message [12], les derniers jours du Synode portèrent sur la mise au point et le vote par les seuls Pères synodaux de ces Propositions, en petit cercle d’abord, puis en séance générale. Modifié pour un quart de son texte environ, l’Elenchus finalis, largement approuvé par les Pères, fut confié au Pape, avec tous les autres travaux.

Pour donner un aperçu plus exact de sa richesse, il faudrait dire encore combien le Synode, constamment encadré par la prière et la liturgie, dominicale notamment, fut un temps d’invitations données et rendues, mais aussi de travaux et de concertations privées, bref, un temps où toucher, au cœur de l’Église, la présence même du Saint-Esprit. Mais il nous revient maintenant de souligner quelques points qui pourraient se révéler cruciaux.

Points d’attention

Parmi les points difficilement mis en évidence par le Synode, notons la spécificité de la consécration elle-même. Même si les Propositions finales entendent le célibat pour le Royaume comme un critère discriminant de cette forme de vie, le Synode a longtemps hésité à distinguer la consécration par la profession des conseils évangéliques de celles du sacrement de mariage ou du sacerdoce diocésain. Un travail considérable demeure ici, qui doit être enfin sérieusement envisagé par les théologiens, tandis que les pasteurs auraient à s’approprier davantage les acquis postconciliaires, dans le domaine de l’histoire et de l’ecclésiologie, notamment.

Le Synode s’est accordé facilement à donner à la femme consacrée un rôle plus étendu dans l’Église et dans le monde d’aujourd’hui, de même qu’il a généreusement opté pour l’accession des frères au gouvernement, même général, dans les instituts où coexistent des prêtres et des non-prêtres. Mais il n’a pu, dans chacun de ces domaines, aller au-delà des généralités. Sans doute doit-on convenir que le problème de fond qui sous-tend ces deux questions, à savoir la manière dont le sacerdoce baptismal et le sacerdoce ministériel s’accordent dans l’Église catholique, n’a pu être abordé pour lui-même. Une constatation identique doit être faite à propos de l’exemption, que certaines interventions in aula auraient pu amener à reconsidérer, mais qui a pratiquement disparu de la scène par la suite, de même que s’est effacée presque complètement - cette convergence n’est pas un hasard - la dimension universelle de l’Église.

Plusieurs ont eu le sentiment que le Synode se trouvait davantage préoccupé de questions “ad intra” (collaboration évêques-vie consacrée, habit religieux, clôture des moniales) que des questions d’évangélisation proprement dites (inculturation, pauvreté, prophétisme). Mais c’est là sans doute une vue trop courte, car toutes les propositions énoncées par le Synode ont été sous-tendues par une perspective missionnaire très ample et un vrai désir d’inculturer la vie consacrée, l’apostolat et la vie fraternelle des religieux par exemple, dans le monde de ce temps. À cet égard, des suggestions ont été avancées, sur le passage intégral des religieux au monde des pauvres, ou l’exemplarité des ashrams, ou l’engagement pour un temps, qui demanderaient de plus profonds discernements. Le Synode de 1994 n’était peut-être, à beaucoup d’égards, qu’une mise en route vers une réflexion et une pratique renouvelées de la vie consacrée.

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[1Parus le 24 novembre 1992 et publiés dans DC 90 (1992/1993), 11-34.

[2Daté du 25 mai 1994, il a été rendu public le 20 juin ; cf. DC 91 (1994), 669-697 et 706-726.

[3Cf. J. Burton et N. Hausman, “Une lecture à deux voix”, in VC 1993, 223-235. Vie consacrée a également proposé une rubrique régulière “Vers le Synode” depuis le numéro 2 de 1993 jusqu’au numéro spécial 3-4 de 1994.

[4Cf. “Les religieuses parlent de la vie religieuse apostolique et de sa mission dans l’Église et dans le monde”, Union internationale des Supérieures générales, Rome, 1994 ; et Charismes dans l’Église pour le monde. La vie consacrée aujourd’hui, Congrès international de l’Union des Supérieurs Généraux à Rome, Paris, Médiaspaul, 1994.

[5Pour un comput précis, voir l’Osservatore Romano en langue française 36 (nous citerons désormais ORLF) du 6 septembre 1994, auquel on ajoutera quelques noms publiés dans les jours suivants.

[6Un tiers d’entre eux environ relevaient eux-mêmes de la vie consacrée.

[7Toujours présent aux séances générales, le Pape a contribué d’une manière encore inaperçue aux travaux du Synode, déjà par ses homélies d’ouverture et de clôture, mais surtout par ses allocutions lors des audiences générales du mercredi.

[8Publiée dans le Bulletin de Presse du Saint-Siège n° 5 et l’ORLF 41 du 11 octobre 1994.

[9On se souvient que l’Instrumentum laboris en comportait quatre : la vie consacrée aujourd’hui, la vie consacrée dans le mystère du Christ et de l’Église, la vie consacrée dans la communion ecclésiale, la vie consacrée dans la mission de l’Église pour le monde.

[10On peut trouver la substance de ces 14 rapports dans les Bulletins 26, 27 et 28 de la Salle de Presse du Saint Siège et dans l’Osservatore Romano, 243, du 21 octobre 1994.

[11Il semble que la presse italienne l’ait publié peu après.

[12Sa troisième version fut présentée à la presse le 28 octobre à 12h30. Cf. Osservatore Romano, 250, du 29 octobre 1994.

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