La théologie de la vie consacrée
État présent et perspectives
Bruno Secondin, o.c.
N°1994-3-4 • Mai 1994
| P. 225-270 |
Dans cette longue et très dense étude le P. Bruno Secondin, o.c.d. nous offre une des analyses les plus complètes de l’état actuel de la réflexion théologique sur la vie consacrée. Une constatation s’impose. La richesse du fait « vie consacrée » ne trouve pas sa « raison » de manière univoque dans l’un ou l’autre concept théologique. Il y aura donc à articuler entre eux des discours christologique, sotériologique, ecclésiologique, eschatologique, voire trinitaire pour rendre compte de l’espérance à L’œuvre dans l’engagement chrétien que représente la consécration d’une vie dans la profession des conseils évangéliques, une vie ainsi vouée à Dieu seul selon des chemins divers. L’effort demandé par la lecture de cet article est récompensé par la joie très profonde de découvrir les racines, le tronc, les branches et les fruits de cet arbre admirable, qui puise sa force dans les eaux du baptême pascal, et déploie sa beauté dans l’anticipation patiente de la Cité de l’Agneau.
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Le sujet présente beaucoup de difficultés [1]. En théologie de la vie consacrée (TVC) nombreuses sont les contributions fragmentaires et les propositions diverses ; en revanche fait défaut un véritable consensus. Affirmation qui pourrait paraître inexacte, surtout si l’on considère que le concile Vatican II a proposé une synthèse théologique qui lui est propre (en particulier dans Lumen gentium, 43-47, et dans le Décret Perfectae caritatis). Toutefois, la « réception » de l’enseignement conciliaire n’a résolu ni les ambiguïtés ni les compromis ni les contradictions préexistants au concile, intervenus en cours de ses travaux ou affleurant dans le texte de ses documents.
L’apport du concile en matière de théologie de la vie consacrée marque sûrement un tournant historique ; on peut distinguer un avant et un après Vatican II. C’est qu’a été accompli un réel changement de paradigme et de perspectives ainsi que de langage théologique et spirituel. Cependant, près de trente ans après le concile, on éprouve le sentiment qu’il reste difficile d’unifier un enseignement autour de quelques « noyaux » principaux. Le nombre de mots clés a crû, mais on discute encore de leur signification. Assurément le vocabulaire s’est enrichi : consécration, suite (du Christ), charisme, ecclésialité, signe et témoignage, prophétie, insertion, inculturation, conseil évangélique, vie fraternelle, etc., autant de termes qui ne sont pas interprétés dans le même sens par les différents théologiens - lesquels se disent tous fidèles aux orientations du concile.
Pour le théologien postconciliaire de la vie consacrée, le hic a chance de consister à reconnaître comme légitime la diversité des interprétations et, en conséquence, à organiser une théologie qui n’occulte pas les différences mais les associe dans une unité ouverte. Peut-être les temps sont-ils mûrs pour admettre l’existence d’une variété de théologies utiles pour traduire le phénomène complexe et polymorphe de la vie consacrée. Il ne suffit pas, semble-t-il, d’une théologie unique, cela en raison de la diversité des formes de vie en question, ou encore des implications qui lient la théologie de la vie consacrée à d’autres secteurs du champ théologique. Car dans son contenu propre elle est tributaire de la christologie et de la sotériologie, de la pneumatologie, de l’eschatologie, de la théologie de la grâce et des sacrements ainsi que de l’anthropologie.
I. Relectures et visions d’ensemble
Un auteur se plaît à parler d’« interprétations sélectives » auxquelles sont soumis les documents conciliaires et qui en manifestent le caractère de « textes de transition » [2]. De toute évidence s’impose la nécessité d’une seconde phase de réception, explorative celle-ci, non seulement sur le plan de la pratique, mais sur celui d’une nouvelle synthèse théologique capable d’intégrer et de fixer en un corps ce qui est déjà apparu et ce qui est en train d’apparaître de neuf, afin d’offrir un système organique, mais ouvert au changement. Sans pouvoir éliminer toutes les divergences. L’évolution si rapide (pour une bonne part novatrice) de la vie consacrée dans les Églises du Tiers Monde et la multiplication des « relectures » en connexion avec ces situations nouvelles ne sauraient plus être tenues pour des phénomènes marginaux. Elles appellent une nouvelle réception des suggestions du concile en fait de théologie de la vie consacrée. Qu’il suffise d’évoquer le problème du charisme et celui de la vie fraternelle, celui de la formation et celui des saines traditions. Les changements en cours, en théorie comme dans la pratique, réclament une relecture de la théologie conciliaire de la vie consacrée dans des perspectives nouvelles et de nouveaux contextes, afin de tirer des textes conciliaires non plus des limites à l’intérieur desquelles il faut se tenir, mais des indications qui « poussent plus avant », qui promeuvent et permettent du nouveau au titre du progrès et d’une fidélité dynamique et créatrice.
Il s’agit ici de ce qui arrive, par exemple, au discours du concile sur les cultures ou sur les autres religions : le développement intervenu en matière d’inculturation et de dialogue interreligieux met en relief des éléments du message (phrases, paragraphes, terminologie) interprétés jusqu’ici de façon réductive ou accommodatice. De la sorte la base posée par le concile prend un caractère fondamental, mais vraiment comme base à partir de laquelle « s’avancer » plus loin, afin d’explorer des terres inconnues d’où, dès l’époque du concile, arrivèrent (au moins sous forme implicite) des richesses et des défis.
Aujourd’hui, c’est mon impression, la théologie de la vie consacrée ou « les théologies de la vie consacrée » avancent en ordre dispersé, caractérisées par leur fragmentation et leurs approches partielles. Il faut relever en même temps dans les traités de TVC une réelle aptitude à mettre en place des horizons symbolico-intentionnels et l’emploi du style « allusif », « parabolique », « inspirateur ». Ainsi nous y rencontrons des façons de parler, des images, des significations, des symboles qui conviennent à une démarche ouverte et à la formation de projets nouveaux. C’est là, me semble-t-il, une particularité de la production récente. Elle signale spécialement les auteurs d’Amérique (du Nord et du Sud).
Voilà déjà une différence par rapport au passé, même proche, où l’on préférait livrer des traités de doctrine solide et quasiment métaphysique ; saint Thomas d’Aquin était le grand théologien de référence (et demeure aujourd’hui un « maître »). La notion clé était celle de l’ état de perfection ; on marquait une distinction nette entre l’observation des préceptes et la pratique des conseils ; on tirait la détermination de ceux-ci de l’Évangile même, de façon clairement « fondamentaliste ». De nos jours les exégètes mettent presque totalement en question ce fondement « biblique » des « conseils » (sauf pour celui de chasteté) pour faire plus volontiers état du grand paradigme du radicalisme et de la sequela - l’un et l’autre estimés normatifs pour tous les chrétiens, non plus seulement pour quelques-uns. De plus, d’un état de perfection on ne parle que fort peu (il est cependant mentionné dans certains propos du pape actuel, par exemple Redemptionis donum (RD 4d, 13g).
Pour Mario Midali, théologien salésien, l’état actuel de la TVC se signale par deux visions générales bien marquées. La première, que nous pouvons dénommer « essentialiste », pense la vie consacrée selon ses éléments essentiels (vocation, consécration, fonction, spiritualité, gouvernement). L’autre vision centre la perspective sur la figure et la fonction charismatique du fondateur et elle examine l’identité charismatique et la mission ecclésiale de l’initiateur et de ses disciples. Ainsi se trouvent en présence deux conceptions globales, l’une, essentialiste, met en avant, dans la vie consacrée, un projet chrétien global ; l’autre, plus historico-existentielle, se préoccupe d’intégrer la pratique historique et le service évangélique [3].
En fait aujourd’hui on incline, me semble-t-il, à privilégier l’élaboration d’une théologie appuyée sur la phénoménologie et soucieuse de l’interpréter. Par exemple F. Wulf, jésuite allemand, a explicitement développé un tel parcours dans l’essai qu’a publié Mysterium Salutis [4]. De quoi donner l’impression qu’une véritable TVC ne peut s’élaborer que par induction (ou d’en bas), comme fruit du discernement appliqué aux cheminements historiques et d’une thématisation et interprétation, opérée de façon objective et théorique, des parcours de la vie. Dans cette perspective la théologie du charisme se trouve plus à l’aise, qui rend mieux compte des variantes de la vie consacrée et de sa créativité. Une théologie « déductive » (à partir des principes ou d’en haut) risque de n’être qu’une construction abstraite, procédant a priori, incapable de conférer un sens à la réalité concrète qui ne cesse d’évoluer.
II. Références relatives au développement postconciliaire
Il ne manque pas d’études et de recherches sur l’enseignement du concile comme sur l’histoire de l’élaboration de ses documents et sur les intentions des Pères. Un ouvrage fondamental est celui de G. Jelich sur Lumen gentium et Perfectae caritatis [5]. Il existe des monographies : sur le chapitre V de Lumen gentium, la dissertation de M.-J. Schoenmaeckers et l’étude théologique des jésuites P. Molinari et P. Gumpel [6]. Ces derniers ne prennent pas en compte les réactions et les développements postérieurs au concile. Récemment une Allemande, Anneliese Herzig, a essayé de reconstituer toute l’évolution postconciliaire de la théologie de la vie consacrée [7] ; nous avons tenu compte de son travail pour cette présentation.
On trouve aussi d’excellentes études sur des sujets particuliers tels que charisme, vie religieuse apostolique, vie fraternelle en commun, consécration par les conseils évangéliques, droit canonique, chapitre général, etc. [8]. Ces contributions s’étendent au développement postconciliaire du thème étudié. Le panorama n’est pas encore achevé ; font défaut par exemple des analyses complètes concernant chacun des vœux, la formation, le gouvernement en général, la sequela, la spiritualité, l’anthropologie ; néanmoins on dispose déjà d’un certain tableau de la Wirkungsgeschichte de l’enseignement conciliaire (c’est-à-dire de l’histoire de son influence et de sa présence).
Il y aurait également grand intérêt à déterminer avec une certaine précision les phases caractéristiques de l’évolution postconciliaire, non pas pour un thème particulier, mais pour l’ensemble. Pour ma part, je proposerais de distinguer six phases ou étapes, en rapport avec des thématiques propres et signalées par des documents d’une certaine importance [9].
a) La dés-institutionnalisation, vue comme perte de la crédibilité et du caractère sacré du système entier ; phase couvrant le concile lui-même et ses débats et qui se prolonge dans le contexte de l’immédiat après-concile.
b) La récupération de la personne, avec une anthropologie nouvelle, moins favorable à la répression, plus respectueuse de la diversité ; le temps des premières années qui suivent le concile (avec les expériences permises par Ecclesiæ sanctæ).
c) Le sens nouveau de la communauté (ou vie fraternelle en commun libérée de l’obsession de l’ observance régulière mythifiée) ; c’est la note dominante des années 1962-1973 ; ici le document de référence est Evangelica testificatio (1971).
d) La nouvelle mission ecclésiale, dont le passage à l’avant-plan est contemporain de la mise en honneur et de la relecture actualisante du charisme, si voyante de 1970 à 1980 (cf. Mutuæ Relationes, Religieux et promotion humaine) ; cette phase est la plus créatrice en réflexion théorique et pour la pratique, mais sa durée fut brève et elle ne réussit pas à imposer un consensus.
e) Le retour à l’ institution et la tendance à la nouvelle standardisation, que viennent consacrer pour une part le nouveau Code de Droit canonique (1983) et l’approbation officielle des nouvelles constitutions ; comme documents de référence à prendre en considération : Eléments essentiels (1983), Redemptionis donum (1984).
D’un point de vue sociologique, il serait aisé de reconnaître dans toute la parabole décrite à partir du concile par la vie consacrée, le mouvement typique des situations de l’émergence aux conclusions, avec le retour à l’idéologie sacralisée et au rôle central de la nouvelle institution.
À présent nous en sommes à une « sixième » phase, aux traits incertains, où se présentent en ordre dispersé un grand nombre de sensibilités. Deux points, me semble-t-il, focalisent l’intérêt des religieux : les préoccupations convergent sur la formation en tous ses aspects (cf. Potissimum institutioni, 1990) et sur l’élan de la nouvelle évangélisation (cf. Chemin de l’Évangile, 1990). Les deux tendances vont probablement confluer dans le souci de « former à la vie consacrée en vue d’une nouvelle évangélisation ». Il s’agira cependant d’une formation inculturée, contextualisée, capable de redéfinir le rôle même de la mission dans le nouveau contexte culturel. Il faudra une réflexion sérieuse sur le sens qu’on veut donner aux mots clés comme « formation » et « évangélisation ».
On court le risque (nullement imaginaire) d’une interprétation réductrice. Nous ne pouvons prendre notre parti de ne rencontrer, sur les pistes tracées par les prophètes, que des comptables et des vigiles.
En corrigeant légèrement (et pour une partie) la classification citée par Midali, on pourrait dire, à mon sens, que l’identité théologique de la vie consacrée dans l’après-concile se fixe surtout - du moins dans sa phase actuelle - sur deux pôles : la consécration, dont le sens n’est pas tout à fait clair (est-elle active ou passive ? les textes officiels présentent des discordances), et la nature charismatique de ce genre de vie, laquelle a ses répercussions évidentes sur la TVC, sur sa fonction et sa nature ecclésiales.
À mon avis, prévaut en ces derniers temps, au moins au niveau magistériel, l’attention à la perspective intra-ecclésiale, avec des visions conventuelles ou monastiques (dans le meilleur sens) proposées un peu à tous. Faible est la réflexion sur la fonction historico-prophétique de la vie consacrée, ou du moins elle s’attire des suspicions et rencontre des obstacles, alors que dans les années 70 elle avait pris de notables développements, dont témoigne le courageux document Religieux et promotion humaine (1980).
Peut-être est-il permis de parler de peur du risque prophétique - justement dans un temps de l’Église qui réclamerait beaucoup d’audace pour l’affronter. La vie des religieux, pour autant qu’elle continue leur tradition, ne peut pas récuser la « prophétie » en la jugeant dangereuse ou en tout cas dérangeante. Ce serait ouvrir la voie à toute espèce d’ involution. Et sous prétexte de fidélité aux origines et d’authenticité, ce genre de vie se vouerait à la simple répétition de schèmes et d’un style d’existence conservés comme des rituels désormais inefficaces.
III. Trois « noyaux » importants de la TVC aujourd’hui
Nous nous proposons de dresser, moyennant des approches successives, la carte du territoire. Nous venons de suivre l’évolution par phases chronologiques. Dégageons maintenant les points autour desquels la TVC s’est développée au cours des années écoulées et peut être présentée schématiquement. Cela vaut la peine d’exploiter l’étude très analytique et abondamment documentée d’Anneliese Herzig [10] sur le développement de la TVC depuis le concile. Travail sérieux et bien à jour. Il nous sert pour présenter les trois « noyaux » ou catégories principales. Nous nous bornons à un exposé schématique, avec telle ou telle allusion aux diverses positions des théologiens, et en renvoyant à l’ouvrage lui-même pour les éclaircissements et la documentation.
a) La spécificité chrétienne et l’existence des consacrés
Il s’agit de ce qui spécifie la vocation à la vie consacrée dans le contexte de la vie chrétienne. Faut-il mettre en relief le principe de base (le baptême) ou s’agit-il d’une forme spéciale d’existence chrétienne ? Et le sacrement de la confirmation aurait-il sa place dans ce discours ? En réalité, c’est le problème de l’anthropologie théologique qui se trouve à la base de ce genre de vie. Dans le passé, la TVC se rattachait à la pratique de la vertu de religion (elle en concernait un épisode isolé de particulière ferveur). À présent elle devrait s’insérer dans l’étude dogmatique de l’Église.
Pour Pie-Raymond Régamey - dont la position est partagée, encore qu’avec des nuances, par beaucoup d’autres : Galot, Ranquet, C. Bamberg, Aubry, Parenteau -. La clef de voûte de la TVC consiste dans la consécration religieuse. Celle-ci se fonde, certes, sur la consécration baptismale, mais lui assure plus de logique et de radicalisme. C’est une initiative de Dieu, qui radicalise son emprise sur le sujet. D’où il suit que - selon l’expression de Ranquet - la vie religieuse est un signe dressé face au monde, tandis que la vie des laïcs est un signe immergé dans le monde.
Selon J.M.R. Tillard (et d’autres, par exemple Wulf, Boisvert, Sicari, Ayel, L. Boff, Lozano), la vie religieuse est un modus de l’existence chrétienne et de la radicalité chrétienne. Elle est pratiquement l’expression du pôle transcendant de la grâce baptismale/pascale, c’est-à-dire proclamation existentielle de la valeur absolue de la foi et de ses conséquences radicales pour la vie en continuelle « conversion », tandis que les laïcs choisissent l’expression du pôle incarnation/missionnaire ; le choix des consacrés ne prend plus un sens négatif, le sens de « monde » étant réévalué. Tillard préfère la terminologie de propositum [11]. laquelle a une structure objective (don de l’Esprit Saint), subjective (acceptation libre de l’appel) et ecclésiale (l’Église l’accueille et la reconnaît). Il se défie de l’emploi qui s’est introduit du terme « consécration ». S’appuyant sur saint Thomas, il voit dans celle-ci non pas une cause, mais un quasi signum pour l’appartenance à la vie religieuse. Il rejette aussi le concept de « nouvelle consécration ». Autre insistance caractéristique : l’accent mis sur la sequela Christi, celle-ci s’entendant selon la catégorie de l’expérience vécue par les disciples autour de Jésus. La sequela est une caractéristique ecclésiale constamment soulignée, bien plus que l’ imitation.
Pour le P. Thaddée Matura, franciscain (et, tenant des positions similaires, Schillebeeckx, Schulte, Guy), l’axe de la vie religieuse se définit par le célibat pour le royaume des cieux, à vivre en communauté. Matura refuse la règle du radicalisme - un thème qu’il se trouve avoir étudié à fond dans un ouvrage très connu [12] - en tant que spécifique de la vie consacrée, parce que selon la Bible le radicalisme embrasse beaucoup de choses qui ne font l’objet d’aucune accentuation de la part des religieux. Le radicalisme est une norme commune à tous les chrétiens.
En somme, pour ces milieux théologiques, le point clé est désigné par consecratio, terme qui s’est imposé toujours davantage dans les documents officiels (pour passer dans le Code, can. 573 § 1). Mais on discute de sa nature, de son caractère dialogique ou sacral, de son essence passive ou active, de son sujet (Dieu, l’Église, la personne intéressée), de son rapport avec le baptême et avec la confirmation (souvent perdue de vue).
b) Quelles sont la place et la mission des religieux dans l’Église ?
Autrement dit, quel rôle, dans l’Église, revient à la « perfection » ou mieux à la « sainteté » chrétienne que vivent les religieux ? Et quel est le sens du terme conciliaire de signum ? À qui ce signe s’adresse-t-il proprement ? Assurément le concile a donné des orientations sur cet horizon mais sans résoudre les problèmes connexes. Après le concile s’est beaucoup élargie la réflexion sur le « charisme », auquel il n’avait fait qu’une allusion (indirecte) en ce qui concernait les religieux : quel rôle et quelle valeur attribuer à cette référence nouvelle ? Intervient aussi dans la discussion le thème de l’« insignifiance » de la vie consacrée pour une bonne part de la communauté ecclésiale d’aujourd’hui. Quel sens donner aux expressions « signe prophétique » et « signe de communion prophétique », participation à la « nature sacramentelle du peuple de Dieu » et « en représentation » de l’Église entière, autant de formules rencontrées dans les textes officiels (cf. MR, RPU, RD, EE, ET) ?
Pour Tillard, la vie consacrée est la manifestation de la koinônia au cœur de l’Église : en disant « au cœur », il entend bien marquer une place qui n’est ni au-dehors ni au-dessus de la communauté ecclésiale. La communauté religieuse est sacrement de l’agapè de Dieu opérant hic et nunc, et en même temps elle remplit la fonction de conviction évangélique, c’est-à-dire d’une éthique dotée d’autorité et provocatrice (terme repris à P. Ricœur). Tel ou tel en vient même à prétendre que la koinônia/fraternité doit être considérée comme un véritable « conseil évangélique », qu’on assume et qu’on vit dans la « vie fraternelle en commun » (Wisse, Beyer).
Pour le père de la théologie politique, J.-B. Metz, la sequela vécue par les religieux doit être une « thérapie de choc » (Schocktherapie) de l’Esprit dans l’« institution Église » menacée de paresse et d’embourgeoisement. Par leur choix du célibat et leur pauvreté, les religieux démythifient les nouvelles idolâtries du « consumérisme » et de l’hédonisme. Ce qui amène Metz à qualifier les religieux d’« accoucheurs » (Gehurtshelfer) de l’Église - et non plus comme élément critique -, c’est-à-dire comme concourant à donner à l’Église un visage neuf, plus avenant pour le peuple. Toutefois, dans son dernier livre est réapparu l’aspect critique - dans le contexte d’une société qui oublie Dieu - ainsi qu’une fonction dynamique en vue d’une nouvelle évangélisation de l’Europe [13]. Il a pourtant toujours souligné le rôle innovateur et même le « modèle productif » de significations et de fonctions provocatrices dans l’Église. En revanche n’est pas ménagée chez Metz la possibilité pour les religieux eux-mêmes de recevoir de l’Église et de la société des impulsions positives (c’est le reproche que P. Lippert lui adresse). Pour Paul M. Zulehner le binôme de mystique (le célibat) et de politique (le choix des pauvres) adopté par Metz est à compléter par la fraternité (dans le sens de l’obéissance comme école de communion ecclésiale).
D’autres encore (comme Pesch et Sudbrack) soulignent la note d’incarnation et d’ecclésialité des instituts religieux. Elle se vérifie dans le fait d’assumer des fonctions et des services qui permettent à l’Église d’agir plus efficacement en réponse aux circonstances du moment. En conséquence est absolument écarté le principe d’un groupe « élitaire » vivant dans un « état » particulier de l’Église.
En somme on ne voit toujours pas si la vie consacrée est signum Ecclesiae (de l’Église entière et de son mystère) ou bien signum in Ecclesia (signe de certains éléments bien spécifiés). Tel ou tel emploierait volontiers l’expression symbolum (reale) Ecclesiae, qui cherche à rappeler la présence de la réalité du mystère en catégories symboliques intentionnelles (non encore épuisées) mais efficaces.
La clarification en cours de la nature de l’Église ainsi que de la réciprocité et complémentarité entre vocations diverses doit, sans doute, conduire à comprendre l’aptitude seulement partielle de la vie consacrée à être signe : elle ne saurait exprimer la totalité et elle-même a besoin de la « signifiance » d’autres états pour mieux se situer (cf. Christifideles Laici, 55). Et même le rôle de représentation demande que soient tirées bien au clair les valeurs et les intentions auxquelles on pense et qu’on veut « représenter ». Nous ne saurions admettre une position réactionnaire ou simplement conservatrice, raidie et mystifiante ; elle n’offrirait qu’une représentation bien pauvre et fanatique. Enfin, il faut le reconnaître, certaines interprétations de la vie consacrée comme « signe de l’Église » impliqueraient une conception antihistorique, piétiste et dualiste de l’Église et de sa présence dans le monde. La nouvelle ecclésiologie exige pour la TVC elle-même des signifiés également nouveaux. À cet égard, un grand intérêt s’attache aux essais (si partiels et discutables soient-ils) qui paraissent en anglais, d’inspiration européenne, américaine ou asiatique. Ils tiennent compte de l’évolution qui affecte les « modèles » de l’Église [14].
c) Les rapports des religieux avec le monde
C’est la troisième catégorie selon laquelle on peut présenter la théologie actuelle. La question de fond est celle-ci : quel sens donner aujourd’hui à la séparation d’avec le monde ? ou à cette autre formule : soli Deo vacare (ne s’occuper que de Dieu) ? Le concile a clairement rappelé que les religieux ne s’isolent pas du monde, mais qu’au contraire leur vie et leur témoignage sont d’une utilité particulière pour l’histoire des hommes et la construction de la cité terrestre (LG 46). De plus le concept de « monde » a beaucoup changé au cours de ces décennies. L’accent s’est modifié. Il apparaît négatif dans Venite seorsum, plus positif dans RPU, avec une certaine distanciation dans RD. Cette variation pose un problème de clarification de la notion, laquelle doit précéder celle de la fonction. Et aujourd’hui surgissent des problèmes nouveaux, quasiment ignorés du concile : il s’agit d’écologie, de sauvegarde de la création, de limite du développement, de nouvel ordre mondial, de ruine des idéologies, etc.
Au jugement de P.-R. Régamey, l’auteur dominicain cité plus haut, la sortie du monde (mise en parallèle avec la consecratio) est un des éléments essentiels de la vie consacrée : pour autant elle n’implique plus aucune attitude de mépris - c’était le cas jadis -, mais une relativisation, vu que la plénitude qu’on attend se trouve en Dieu seul.
Selon J.M.R. Tillard, à la formule être « en présence de Dieu » il faut ajouter « pour le monde », pour réaliser le projet d’ekklêsia tou Theou, c’est-à-dire de « convocation » universelle dans l’agapè de Dieu et le service que Dieu offre à la création pour la conduire à sa plénitude (ekklêsia tou Christou) [15]. Comme l’Église, les religieux ont à répondre avant tout non pas au monde mais à Dieu, qui les établit comme provocation radicale à la véritable communio. Tillard cherche aussi à expliciter une manière propre aux religieux d’être au monde ; cette manière comporte notamment une certaine « rupture » et ne se limite pas à un rôle purement fonctionnel. Les religieux sont donc un témoignage de la transcendance, planté en plein monde et vécu à travers les trois grandes catégories de martyre/témoignage, koinônia/communion, diakonia/service.
D’après Leonardo Boff (et d’autres de l’aire latino-américaine : Codina, les théologiens de la Conférence latino-américaine des religieux), les religieux doivent être témoins de Dieu dans le monde ; en cela consiste leur ars combinatoria, laquelle les transforme en sacrement de Dieu, c’est-à-dire signe et instrument, transparence efficace. On voit là une existence symbolique, c’est-à-dire capable de promouvoir l’unité entre immanence et transcendance, consécration et mission. C’est le monde des pauvres, là où le système établi dévoile sa profonde perversité, qui est le lieu privilégié pour exercer cette fonction et pour attester qu’on est, à la suite de Jésus Christ, solidaire des pauvres. Telle est pour les religieux la façon de sortir du siècle par amour de Dieu : accompagner le processus de libération des pauvres, comme révélation de la réalisation du Règne de Dieu, où régnera une unité dynamique de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain (cf. PC 6).
Nous avons fait une lecture diachronique et synchronique de la TVC développée à partir du concile Vatican II. Dans cet ensemble se reflètent des positions propres au concile, mais aussi certaines de ses ambiguïtés et son incapacité d’allier des positions divergentes. Il n’est pas rare qu’il exprime, éventuellement dans des passages éloignés l’un de l’autre, des avis opposés ou des accentuations en sens divers. Il suffit par exemple de voir LG 44 et LG 46 : on y aligne bon nombre d’éléments relativement hétérogènes, sans un focus spécifique ; ou, autre exemple, PC 15 a, concernant la vie fraternelle en commun [16].
IV. Accentuations récentes
Pour faire mieux saisir l’état présent de la TVC, nous allons dégager, de manière très schématique, les grandes catégories théologiques qui se sont effectivement imposées au cours de ces décennies.
1. La consécration
Pour un certain nombre de théologiens, c’est chose acquise et hors de discussion que la TVC a son nœud central dans la consécration (fondamentales en particulier les études d’Aubry, Pigna, Régamey, Recchi) entendue comme action de Dieu. « Le fait récent le plus notable, c’est la place nouvelle, et la place centrale, prise par le concept de consécration [17] ». L’affirmation s’appuie sur les textes conciliaires, en particulier on lit ce principe dans LG 44,1 (énoncé à entendre en sens passif, Dieu étant le sujet actif) et à sa lumière on interprète PC 5,1 (qui souligne aussi l’action de la personne). On fait encore état du développement notable de cette terminologie dans le magistère postconciliaire, des rites de consécration (les Ordines) au Code de Droit canonique (1983), du document Eléments essentiels (le plus important) à l’exhortation Redemptionis donum (1984). On utilise et on invoque surtout Eléments essentiels, qui dans sa seconde partie (nos 13-53) offre un ample développement sur le sujet. À noter cependant qu’on ignore à qui revient la paternité de ce document, bien qu’il ait été « rédigé par ordre du Saint-Père » (Introduction, 21) et « approuvé par le Saint-Père » (Conclusion) [18].
Cette option de base oriente vers une conception théocentrique et eschatologique de la TVC, encore que, dans les attestations du Magistère et le commentaire théologique, on mette toujours en relief la valeur biblique, christique, ecclésiale, baptismale [19] de la consécration en question. De plus, selon certains auteurs, il s’agit d’une « consécration nouvelle et différente » par rapport à la consécration baptismale, entendez différente, re et nomine, de celle du baptême, bien qu’en analogie et en accord avec elle. Pour d’autres théologiens il ne s’agit pas, au contraire, d’une consécration nouvelle, mais d’une radicalisation de la consécration baptismale, destinée à en tirer des fruits encore plus grands de conversion permanente et de sequela significative.
On constate enfin une différence d’interprétation entre EE et RD. Pour Eléments essentiels la consécration religieuse présente un caractère dialogique entre Dieu et la personne, mais au centre se situe l’action de Dieu, totalisante et radicale, et qui est en même temps mission : la nouveauté consiste dans la mission concrète et l’engagement des conseils évangéliques. Différente est la perspective fondamentale de Redemptionis donum, n° 7, où est reprise l’idée de la consécration de la personne humaine à Dieu en Jésus Christ ; on rappelle que « ce lien croît sur la base de ce lien originel que comporte le sacrement de baptême » (et on cite PC 5,1). On conclut alors : « De la sorte elle devient en son contenu constitutif une consécration nouvelle, la consécration est la donation de la personne humaine à Dieu, aimé par-dessus toute chose » (consecratio et donatio personae humanae Deo facta). Contrairement au sens du texte cité de PC 5,1 (peculiarem quamdam consecrationem), on déclare « nouvelle » cette consécration. Son caractère nouveau est expliqué à l’aide de citations bibliques (Rm 6, 3s. 11 ; Ép 4, 22s.). « C’est un nouvel ensevelissement dans la mort du Christ : nouveau par la responsabilité et l’option, nouveau par le fait de l’amour et de la vocation, nouveau par la ’conversion incessante’. Il s’agit, on le voit, d’une expérience ’pascale’ qui introduit à une vie nouvelle dans le Christ et l’Église ; c’est le début d’une création nouvelle » (RD 8). La priorité n’est reconnue à l’action de Dieu que pour l’appel et l’élection (RD 3-6). L’un et l’autre textes soulignent cependant l’orientation christocentrique qui, elle aussi, affecte la consécration.
2. Radicalisme et sequela (= christocentrisme)
C’est là une autre constante importante. Il ne peut y avoir de consécration véritable en un sens chrétien qui n’ait pas lieu à travers la médiation centrale et déterminante du Christ. Et cette présence déterminante amène à parler de ce qui constitue la catégorie classique fondamentale de la vie religieuse : l’engagement à suivre le Christ selon la présentation qu’en font les évangiles (en latin : cum vitre religiosae ultima norma sit Christi sequela in Evangelio proposita, PC 2a). Rien de neuf en réalité, s’agissant du noyau traditionnel qui se dégage le plus constamment de l’histoire, bien qu’au cours des derniers siècles on ait confondu les horizons de la sequela (marqués d’une note plus dynamique et plus inspiratrice) avec ceux de l’imitation (d’aspect plus statique, littéral, volontariste). Le concile Vatican II a employé les deux concepts d’imitation et de sequela et rien qu’ainsi a effectué un changement. L’indication vaut pour l’Église entière et les différents genres de vie (LG 41 a ; GS 41a ; CD 11c ; AA 4f). Il est toutefois évident qu’il a marqué une préférence, surtout dans le cas des religieux, pour la catégorie de sequela comme point d’appui du renouveau (LG 42d ; PC 1bc, 2a e, 5c, 8b, 13a, etc.).
La réflexion postconciliaire s’est montrée très docile à cette indication, développant des aspects nouveaux, surtout de façon programmatique, en correspondance avec les nouvelles christologies en voie d’élaboration. Concernant la « radicalisation », la réflexion n’a pas beaucoup avancé, bien qu’en ce domaine il faille tenir pour fondamentaux les apports de Matura relatifs à cette catégorie biblico-christologique. Ce théologien a mis en lumière les connexions et la constellation évoquées par ce terme : toute l’éthique évangélique et pas seulement quelques thèmes particuliers. Mais sa mise en garde contre l’idée d’un monopole des religieux n’a pas permis une meilleure utilisation de sa contribution [20].
Le thème de l’imitation ne semble pas, lui non plus, avoir bénéficié d’un développement créateur notable, bien qu’il soit classique et qu’il ait imprégné quasiment toute la spiritualité christocentrique de la vie religieuse avant le concile. Sur son versant positif il a donné lieu à une relecture, animée de sensibilités nouvelles en fait d’herméneutique, du riche patrimoine historique, en vue de dégager des variantes et des constantes du christocentrisme [21].
Plus créatrice et féconde, en revanche, la réflexion sur la sequela, qui a tiré de son côté le thème christocentrique, créant la possibilité de proposer du neuf en fait de spiritualité et de projets ecclésiaux. Ainsi l’on a mieux assimilé les nouveaux approfondissements et les résultats de la recherche exégétique, en ce domaine ; de la sorte on a vérifié le fondement biblique de la sequela et son horizon multiple. Ont été mis en lumière les éléments de continuité et de rupture dans la sequela du Jésus historique (style des rabbins, rupture, fraternité, service, destin, mission) et dans le contexte postpascal, qui a imposé aux disciples des interprétations nouvelles et dans lequel a surgi le concept d’ imitation. Comme nous pouvons nous en rendre compte, est devenu évident le caractère historico-ecclésial de la sequela, qui a conduit à remarquer le lien entre le savoir christologique et l’expérience chrétienne, entre admiration/contemplation et partage de la même cause, participation à la même mission de salut libérateur.
D’après Bonifacio Fernandez, ont pris du relief en ce qui regarde la vie consacrée - abstraction faite des particularités charismatiques, toujours importantes et spécifiantes - les catégories et valeurs suivantes [22] ; Jésus en tant qu’homme contemplatif, homme libre et libérateur, homme de communion et de conflit, qui a offert aux pauvres, dans le Royaume de Dieu, leur raison de vivre ; porteur d’un projet d’espérance prophétique et eschatologique qui transforme l’histoire ; crucifié et humilié par les adversaires de sa cause et ressuscité par la puissance de Dieu, et, de ce fait, souvenir dangereux et subversif.
Cette interprétation dynamique et provocante de la pratique historique de Jésus et de sa mémoire comme Seigneur de l’espérance a pris corps dans certaines formes de vie consacrée : cela en termes de prophétie, ou d’options préférentielles libératrices, ou de concentration évangélique dégagée de pratiques dévotionnelles ou de traditions mêlant le politique à l’ecclésial.
On a surtout fortement mis en avant la sequela comme « agir symbolique » qui donne du relief à des éléments importants de la memoria Christi - et les fait entrer dans l’exigence chrétienne de façon « provocante » comme paraboles, ou simplement aussi comme épiphanie ou parénèse. Cette recherche de parcours épiphaniques du registre christologique, et qui soient souvent aussi « prophétiques » ou seulement « doxologiques », se manifeste par exemple dans l’exhortation Redemptionis donum (1984). On trouve plus de variété dans l’aboutissement que manifestent les nouvelles Constitutions, les grands textes d’orientation des Conférences des religieux (comme la CLAR), et les essais des théologiens qui ont souligné le principe sequela (je pense notamment à Tillard, Metz, Codina, Sobrino, L. Boff, Lozano). Lesquels en ont fait comme la clé centrale d’interprétation de la vie consacrée.
3. Impulsion charismatique (= pneumatologie)
Une nouveauté postconciliaire des plus marquantes, aujourd’hui largement reçue dans la TVC et dans de nombreux documents du Magistère, c’est l’appel à la nature charismatique, à l’ impulsion charismatique, au charisme de la vie consacrée, au charisme du fondateur. On a bien affaire à une réflexion novatrice, encore que déjà au concile en aient été posées les prémisses sur les plans théologique et terminologique (du moins pour une part : LG 43-45 ; PC 1-5, 8 ; AG 23) [23]. Durant toute la décennie 1970, réflexions et directives se sont multipliées et affermies. Evangelica testificatio (1971) a légitimé la terminologie nouvelle (ET 11, 12, 32). Une place centrale revient à l’apport de Mutuae relationes (1978), qui donne une description plus précise (MR 11) et montre les conséquences, les caractéristiques ainsi que les critères de discernement (MR 12, 19, 23, 51) Enfin Religieux et promotion humaine (1980) a offert une nouvelle hiérarchie de ces critères (cf. les quatre grandes fidélités, RPU 13-31).
La recherche des théologiens s’est montrée vivante, sans aboutir encore à un fruit tout à fait mûr. En tout cas l’emploi de la terminologie en question est désormais tenu pour légitime en ses ramifications (inspiration charismatique, expérience fondatrice, charisme du fondateur, charisme de fondation, charisme de l’institut, charisme des membres, etc.), avec ses perspectives (pneumatique-prophétique, christologique-évangélique, ecclésiale, de paternité, d’institution, de ritualisation, eschatologique, etc.) et les critères de vérification et de ré-interprétation (continuité, communion, adaptation dynamique, fidélité créative, herméneutique existentielle, symbolisme intentionnel, architecture de transformation, etc.).
La résistance opposée à cette terminologie par certains « milieux juridiques » l’a empêchée d’apparaître dans le texte définitif du Code. Assez probablement la pression notable exercée par les nouveaux « mouvements ecclésiaux » - qui, précisément au nom de leur charisme originel, réclament leur place et leur reconnaissance dans l’Église - offre l’occasion d’officialiser plus explicitement la terminologie du charisme dans le domaine juridique lui-même [24]. Il subsiste d’ailleurs des aspects problématiques, auxquels nous ferons allusion dans notre dernière section, et qui concernent le rapport entre le charisme authentique et son autonomie juridico-institutionnelle.
Cependant le thème pneumatologique comporte beaucoup d’autres aspects que celui du charisme. Intervient par exemple la spiritualité, un secteur où, dans le passé, les religieux ont été un excellent « modèle productif » et devraient l’être encore de nos jours. On peut remarquer dans la vie consacrée des cheminements nouveaux de l’Esprit et il y a lieu de les thématiser et de les introduire parmi les valeurs acquises. Songeons par exemple à la diffusion de la lectio divina, aux célébrations plus authentiques, à la prière plus persévérante, à l’exercice du discernement communautaire, à un type nouveau de fraternité, à des modalités plus prophétiques et audacieuses du témoignage de la charité, au rapport réciproque homme-femme, au zèle pour la paix, au souci de sauvegarde de la création. Tout cela est le fruit de la vitalité de l’Esprit, qui rend novateur l’élan du charisme héréditaire et pousse celui-ci à de nouvelles incarnations et à de nouvelles synthèses vivantes : il conduit à la vérité tout entière (Jn 16,13).
4. Alliance et aspect sponsal (= mystique)
Il ne s’agit pas d’un aspect qui répondrait surtout à la sensibilité féminine, mais d’une perspective commune à tous, et qui appellerait sans doute davantage de réflexion. Nommer l’alliance, c’est évoquer les noces entre grâce de Dieu et liberté de l’homme, ainsi que le mystère de la fidélité divine qui saisit et façonne la réponse humaine, l’appelant à la conversion continuelle, au radicalisme, à la soif de l’absolu de Dieu (cf. EN 69). Les nouveaux rites de la consécration religieuse, surtout en ce qui concerne les femmes, se plaisent à souligner des valeurs sponsales en reprenant des catégories bibliques appropriées (dans les prophètes, le Cantique, les lettres de saint Paul). Certains théologiens ont rappelé l’importance à reconnaître au primat de l’amour (théologal) dans la vie consacrée, en conjuguant sans difficulté la référence à l’amour avec la référence à une alliance d’amour sponsal.
Cet élément a été particulièrement souligné dans Redemptionis donum, qui affirme que l’amour et la donation de Dieu à l’homme provoquent chez l’homme une réaction qui devient amitié et alliance authentique d’amour sponsal, total et exclusif. Le pape voit là une expérience qui constitue aussi une « représentation » pour tout le Peuple de Dieu. « De la sorte se forme l’alliance particulière de l’amour sponsal, dans laquelle résonnent avec un écho incessant, les paroles appliquées à Israël que le Seigneur s’est choisi comme sa possession (Ps 135,4). Car dans toute personne consacrée est choisi en réalité l"Israël de l’alliance nouvelle et éternelle. Tout le Peuple messianique, l’Église tout entière, est élue en toute personne que le Seigneur choisit du sein de son Peuple, en toute personne qui se consacre pour tous à Dieu comme propriété exclusive ». Le modèle de cet amour sponsal et rédempteur, c’est le Christ. « Ainsi s’exprime dans la profession religieuse la ressemblance de cet amour qui dans le cœur du Christ est rédempteur et en même temps sponsal » (RD 8). Cependant le pape reconnaît plus loin que le caractère sponsal de cet amour brille surtout dans la chasteté, tandis que la pauvreté et l’obéissance reflètent l’aspect rédempteur et de kénose (RD 11). Le caractère d’alliance et d’amour nuptial est repris dans Potissimum institutioni nn. 8-9.
Voilà sans doute un des filons qu’on pourrait remettre le plus en valeur aujourd’hui dans le contexte de recherche du bonheur, du besoin d’intimité et de tendresse, voire du retour de la « jalousie ». Au fond, le mariage même et la virginité ne peuvent être interprétés correctement à la lumière de la révélation si l’on ne tient pas compte de la « jalousie » de Dieu, laquelle réclame l’exclusivité [25]. Du reste nous sommes ici en présence d’une grande tradition spirituelle qui est à réexprimer en termes et en symboles moins vieillis, plus sobres, davantage imprégnés de sensibilité théologale.
5. Sainteté et témoignage ecclésial (= ecclésialité)
De ce point de vue la vie consacrée a bénéficié d’une accentuation nouvelle et d’un enrichissement notable. Si jadis on a pu attribuer une grande importance à la « générosité » et à la « sainteté » personnelles des consacrés, aujourd’hui il est impossible d’isoler leur genre de vie du mystère de l’Église, de son cheminement vers la sainteté, de son témoignage, de sa nature sacramentelle, de son attente eschatologique. En ce domaine la production est abondante. Cela en rapport avec le concile, qui a souligné non seulement la note ecclésiale de la sainteté, mais aussi une foule d’autres caractéristiques « ecclésiales ». Ou bien à partir d’autres problèmes soulevés par l’évolution de la vie chrétienne depuis le concile, et dont les principaux documents reprennent constamment les termes, mettant en relief le rapport entre la vie ecclésiale et la vie consacrée.
Est ici en jeu la fonction de signe, qui ouvre tout un éventail de perspectives : on parle de l’aspect prophétique et de l’aspect de koinônia, de la visibilité et de l’efficacité, de l’impact provocateur et de l’effet évocateur, de la dialectique entre Église universelle et Église particulière ou entre liberté charismatique et institution organique, du rôle de fonction, de représentation, d’authenticité, de soutien. On évoque aussi l’engagement de l’obéissance, de la prise de responsabilité, du respect pour l’Église comme médiatrice des dons de Dieu et interprète des voies authentiques de l’Esprit.
À son tour la considération du charisme comme don fait à l’Église, toujours ouvert à de nouvelles « physionomies ecclésiales » [26], a bénéficié de nombreux approfondissements qui vont de la nature ecclésiale de ce don à son insertion organique, à son interprétation ouverte, à son « autonomie » et à son irréductibilité à des formes standardisées, à son rôle de stimulation prophétique, au processus d’inculturation dans de nouveaux contextes ecclésiaux et culturels, au lien avec la consécration sacerdotale. Il reste pourtant des problèmes posés - ou qu’on pourrait poser - touchant l’ecclésialité de la vie consacrée, parce que certains théologiens n’admettent pas du tout la nécessité, pour la vie de l’Église aujourd’hui, de cette « forme d’existence chrétienne » (du moins dans la phénoménologie où elle existe actuellement et dans sa macro-institution). Sur ce point nous reviendrons à la fin de cet article.
6. Prophétie dans l’histoire (théologie politique)
Nous rencontrons ici une perspective qui s’est affirmée avec une vigueur particulière au cours des dernières décennies et qui, reprenant des vérités anciennes, leur a donné une interprétation plus dynamique. La vie religieuse, on le sait, a toujours été considérée comme institution et représentation du style de vie des prophètes ; mais on interprétait de préférence ce prophétisme comme celui d’hommes agités par l’Esprit, pleins d’une passion divine, de tendance radicale, d’hommes solitaires, pénitents, saints au registre superlatif, témoins des biens à venir et de la vie nouvelle donnée dans le Christ. C’est encore, en somme, ce que reprend le concile dans LG 44.
Le premier document postconciliaire à parler expressis verbis du caractère prophétique de la vie religieuse est RPU 4a ; on y parle de « devenir comme communauté un signe prophétique » (RPU 24) et de « dimension prophétique » (Introduction). Mais c’est le texte entier que traverse la préoccupation d’imprimer « un élan à la participation croissante et active de la vie consacrée »- comme « signe » de choix évangéliques à la hauteur des « signes des temps » - « aux besoins des hommes, à leurs problèmes, à leurs recherches ». Tout en nuançant l’expression et la perspective, le Code a intégré cette idée de signe en lui donnant surtout un accent eschatologique (cf. par exemple les can. 573, 599, 602, 607).
Les recherches des théologiens ont dégagé divers éléments de ce rôle prophétique. Chez certains d’entre eux, ce rôle est celui d’une parabole vivante des biens transcendants et eschatologiques, du Royaume en particulier (S.M. Alonso, V. Codina) ; chez d’autres, celui d’une mémoire vivante des activités et des choix de Jésus et des disciples (J.M. Lozano), celui d’un témoignage vivant de vie évangélique dans la foi, l’espérance et la charité (M. Rondet) ; ou celui d’une vie théologale vécue devant Dieu et pour le monde (Tillard).
D’autres, davantage soucieux d’influence historique, décrivent le rôle prophétique comme position critique et engagée face aux structures oppressives et antiévangéliques de la société (L. Boff), comme provocation à la fois mystique et politique adressée à l’Église qui perd son élan évangélique (J.B. Metz), comme sequela radicale du Christ prenant le parti des pauvres (J. Sobrino), comme signe eschatologique de la justice de Dieu dans l’histoire (G. Gutierrez et V. Codina), comme attestation de la primauté cosmique du Christ par rapport aux grandes traditions religieuses (Pieris), comme attestation de la « passion de Dieu » dans un monde qui se passe de lui (J.B. Metz).
Cependant cette caractéristique prophétique paraît plus faiblement exprimée au cours de la décennie écoulée, ou peut-être croit-on opportun de l’occulter vu que prévaut une tendance restauratrice, ou bien le fait tient simplement à l’extinction de pas mal d’utopies socio-religieuses et au retour à l’avant-plan de l’institution et de la survivance. Et pourtant les sociologues ont déjà remarqué un retour massif du religieux, au point de pouvoir parler de la revanche de Dieu [27] et d’une véritable séduction exercée par la religion et la mystique sur des générations qui n’ont plus d’orientations sûres. Ainsi s’explique la diffusion de la galaxie religieuse nommée New Age. C’est encore leur fonction prophétique qu’exercent les religieux en dénonçant les équivoques consolatrices de cette religiosité nouvelle, émotive, faussement mystique et, en réalité, syncrétiste [28].
7. Les « conseils » évangéliques
Ce thème a fait lui aussi l’objet de réflexions et de nouvelles perspectives. Nous ne disposons pourtant pas d’une véritable synthèse qui embrasse ces interprétations [29]. Souvent la tradition a reconnu dans la « profession des trois conseils » l’essence même de la vie religieuse et la raison de la distinction dans la communauté chrétienne entre « vie selon les préceptes » et « vie selon les conseils ». Ces dernières années s’est accrue notre connaissance de l’histoire de l’apparition de cette terminologie et du processus par lequel s’imposa l’obligation de ces engagements [30] - cela avec une relecture plus positive des critiques formulées par les réformateurs. Est également notable la réflexion relative à l’unité profonde et théologale des trois conseils : ils sont un don du Seigneur à son Église et il faut les interpréter suivant l’orientation spécifique découlant du charisme (can. 598 § 1).
D’une manière générale nous pouvons, dans la réflexion théologique récente en ce domaine, discerner deux orientations principales. Avant tout l’insistance sur la radicalité de l’appel, pour tous, à l’amour sans limite : c’est la position de R. Schnackenburg, T. Matura, D. Lanfranconi, V. Truhlar. Elle ne laisse aucune place à des exigences « au choix », mais tout devient obligatoire, au titre de l’exigence radicale affectant l’existence chrétienne comme telle. Ainsi les « conseils » se transforment en « préceptes » obligatoires pour tous, puisqu’ils sont concrètement nécessités par la fidélité à l’Évangile. Ici l’on se trouve en consonance avec l’appel universel à la sainteté (LG, ch. V), et le commandement d’aimer Dieu de tout son cœur. Sont en convergence dans cette direction des théologiens protestants, comme D. Bonhoeffer (et M. Thurian dès avant son passage récent à l’Église catholique).
L’autre opinion met l’accent sur la formulation existentielle, en attachant une grande importance à l’appel, à l’invitation, au don, à la gradualité : telle est la proposition de B. Häring, G. Philips, L. Gutierrez Vega, S. Lyonnet. Dans cette conception les préceptes eux-mêmes prennent des caractéristiques existentielles ouvertes, puisque l’existence entière est sous le signe de la « gratitude », qui consiste à reconnaître le don de Dieu et à en être reconnaissant ; le plus précieux de ces dons est l’Esprit Saint et ses charismes. La loi nouvelle de l’Esprit n’est pas un code ou une règle d’action, mais un nouveau dynamisme intérieur, qui réclame une croissance spirituelle et une liberté filiale (cf. LG 39).
Le conseil évangélique dont l’interprétation s’est révélée la plus difficile est l’obéissance : un horizon nouveau s’est ouvert avec la référence à la sagesse du Maître (les conseils vus comme indications sapientielles : S. De Fiores) et à l’alliance (J. Galot). L’Afrique offre un développement intéressant quant à la signification de la chasteté dans un contexte de fécondité absolue (O. Matungulu). Mais on a, semble-t-il, accordé une attention privilégiée à l’engagement à la pauvreté. J.M.R. Tillard a mis en lumière son lien avec le mystère du salut. D’un autre côté, on tend à souligner l’impact historique et prophétique de la pratique des trois conseils évangéliques. Pour J.B. Metz les religieux doivent être un « aiguillon » (Stachel) eschatologique dans l’Église et la société, comme protestation historique et critique contre la dictature de l’avoir, le mythe du pouvoir, la marginalisation des faibles. Pour L. Boff, V. Codina et l’ensemble des théologiens d’Amérique latine, le contexte de la pauvreté institutionnalisée et de la marginalisation impose de vivre concrètement pauvreté, chasteté et obéissance de manière conforme aux valeurs de la solidarité avec les gens victimes de la pauvreté et humiliés, ainsi qu’à l’insertion dans leur monde.
En conclusion, force est de reconnaître que le champ des conseils évangéliques a dû rabattre ses prétentions à se dessiner de façon claire à partir de textes déterminés des évangiles ou du moins du Nouveau Testament ; l’exégèse nous met en garde contre certaines lectures fondamentalistes. Cela sans qu’on puisse perdre de vue l’importance de la Wirkungsgeschichte, histoire de l’influence exercée, sur le plan de la pratique, par des textes « évangéliques » bien déterminés. La « conscience ecclésiale », sous l’impulsion de l’Esprit (LG 43) y a découvert avec le temps une force d’inspiration pour la vie, contribuant à faire l’histoire. Et avec le temps, la hiérarchie en a réglé la pratique (LG 45). Ce fut là, impossible de le nier, un événement charismatique que la hiérarchie n’a pas provoqué ni créé. Malheureusement, à certaines époques, le droit a pris le pas sur la théologie, l’ascétique sur la mystique, la morale sur la spiritualité authentique. La polarisation de la vie religieuse sur les trois vœux, avec l’oubli de ce qui est en réalité central et constitutif - la suite évangélique du Christ - a considérablement appauvri la vie religieuse, la coupant de sa racine et de sa référence la plus essentielle [31].
Notons enfin qu’en retrouvant toute une « multiplicité de conseils », on ne doit pas perdre de vue l’insistance du Seigneur sur l’ amour fraternel. Et de fait la tradition montre à l’évidence que la « suite du Christ » s’est donnée une expression que nous dirions typique dans la vie en communauté, à l’exemple du groupement « primitif » (cf. les sommaires des Actes des Apôtres). L’attrait de cet idéal primitif a dominé les siècles, il garde son efficacité ; de plus il présente le contexte le plus adéquat pour faire valoir le pouvoir transformant de la sequela menée sous la conduite de l’Esprit. Au point que tel ou tel - ainsi Beyer et ses disciples commentant le Code (can 602) - peut désigner la « vie fraternelle » comme un quatrième conseil évangélique, déterminant pour la « vérité pratique » des trois conseils classiques [32].
V. Difficultés à ne pas perdre de vue
Nous avons exposé de façon sûrement incomplète, per summa capita, quelques-unes des tendances les plus marquantes en fait de thèmes de la TVC. Elles s’accompagnent d’éléments de friction et de tension que nous avons à signaler à présent. Car, c’est bien certain, l’apparition de perspectives nouvelles n’a pas neutralisé l’influence d’interprétations et de schémas anciens de cette théologie.
L’histoire de la vie consacrée connaît certaines explications « théologiques » de la vie religieuse qui ont fait fortune mais ont aujourd’hui quasiment disparu. Citons-en tel ou tel exemple, en signalant telle ou telle amorce de récupération :
1. La tradition monastique primitive voyait dans la vie religieuse un combat contre le démon, donc une fonction d’exorcisme, exprimée dans le choix des lieux de séjour (tombeaux, déserts, cavernes) ou par la conviction que la vie chrétienne consiste en lutte contre Satan. Ce thème de lutte est attesté par toute la littérature monastique ancienne (à commencer par la Vita Antonii) qui en décrit la stratégie et les ressources. On peut parler de toute une véritable démonologie monastique [33]. face négative de la vie monastique conçue comme militia Christi et donc comme « martyre » et « liturgie ». Pareille théorie serait aujourd’hui susceptible d’être reprise moyennant l’assimilation aux démons de l’athéisme, du matérialisme, de l’esprit de consommation, de l’hédonisme, de l’érotisme, de l’individualisme, de la marginalisation, du racisme [34].
2. Autre doctrine ancienne : celle qui désignait dans les moines les pèlerins d’un retour au paradis et dans la vie monastique un paradis retrouvé. S’y présentent à la fois le retour à l’ataraxie d’Adam, la pureté du coeur, la ressemblance avec les anges, la science spirituelle (ou gnosis), la familiarité avec Dieu (ou parrhèsia), la spiritualisation plénière (ou katharotès), le don de pénétrer les consciences (ou diorasis). Pourrait-on repenser cette thèse à la lumière de la nouvelle pneumatologie, où il est question de corps spiritualisé, d’existence spiritualisée (pneumatisée), de nouveau baptême dans l’Esprit, de transfiguration et de transparence sous l’action de l’Esprit ? La nouvelle écologie pourrait-elle intéresser les religieux de manière à les engager, dans la ligne de la tradition, à œuvrer pour la sauvegarde et l’assainissement de l’habitat, en faveur de l’équilibre et d’une intégration entre les différentes valeurs et ressources et le progrès scientifique, selon une vision de la terre comme d’un unique être vivant et comme d’une grande communauté fraternelle ?
3. Mentionnons une autre présentation de la vie religieuse qui appartient à la tradition ancienne et qui réapparaît assez souvent jusqu’à nos jours : elle combine le mythe de la communauté primitive, l’imitation des Apôtres et l’attente de la Jérusalem céleste. Ces archétypes ont au moins la valeur de paraboles et un pouvoir inspirateur qu’on retrouve jusque dans le concile Vatican II, qui ne les réserve pas aux religieux (LG 46 ; PC 15a). Que peut-on en retenir en termes de théologie ? Nous sommes sans doute orientés de ce côté par l’insistance indéniable avec laquelle RPU et EE en particulier traitent de la communauté religieuse comme d’un « signe prophétique » de communion, de solidarité et de mission.
Et surtout cela vaut la peine de rappeler que, dans les tableaux que constituent les « sommaires », Luc a voulu mettre en relief le « paradigme évangélique » à l’œuvre. La vie religieuse traditionnelle, mais particulièrement les communautés nouvelles, avec le lien de la communion fraternelle dans le Christ (cf. PC 15a ; can. 602), avec l’accent mis sur la cité céleste, avec la mise en commun des biens et la suite du Christ dans la pauvreté et le témoignage, offrent une manière nouvelle d’intégrer les différentes orientations de la tradition.
Le caractère liminal, qui fait prévaloir désert, frontière et itinérance, a fait parfois l’objet d’une interprétation qui introduit une hiérarchie dans l’expérience de la recherche de Dieu. La perfection comporte, pensait-on, le passage du cénobitisme à la vie érémitique et à l’existence de « déraciné » (sans patrie). On pourrait récupérer ce caractère en termes de la culture actuelle, comme le suggère cette phrase de Sobrino : « Par ’désert’, entendons le fait que le religieux doit se trouver là où en réalité il n’y a personne, comme cela s’est vérifié au cours de l’histoire par la présence des religieux dans les hôpitaux, les écoles et plus récemment dans les paroisses négligées. En parlant de ’périphérie’, nous voulons relever que le religieux n’est pas au centre du pouvoir, mais là où il n’y a plus de pouvoir et bien plutôt impuissance. En disant ’frontières’, nous avons en vue que les religieux sont là où il n’y a plus d’expériences à faire, avec l’imagination et la créativité nécessaires au chrétien, à l’endroit d’un plus haut risque, là où il faut plus d’activité prophétique pour secouer l’inertie par laquelle l’Église dans son ensemble est en train de se fossiliser, et pour dénoncer le péché avec plus d’énergie [35] ».
4. Une TVC classique, c’est celle de l’état de perfection ; elle se fondait sur l’idée d’un partage des chrétiens en deux catégories : celle des généreux professant les « conseils évangéliques » et celle des faibles, qui ne dépassaient pas les schémas des « préceptes ». Aujourd’hui pareille terminologie et la théologie correspondante sont presque totalement abandonnées comme sources de malentendus et indéfendables du point de vue théologique et biblique. Le concile lui-même a évité ce langage (pas toujours cependant : voir SC 98a et 101 ; LG 45b), de peur de nourrir des équivoques et pour donner plus de relief à l’appel universel à la perfection de la charité - à vivre d’ailleurs selon des types et dans des états ecclésiaux divers (cf. LG ch. V). Pourtant Jean-Paul II l’a employé parfois [36], sans provoquer son retour dans la littérature du sujet.
Il serait sûrement possible de « purifier » ce vocabulaire en le ramenant au sens qu’en réalité les meilleurs théologiens lui assignèrent : celui d’une vie qui tend à la perfection de la charité et adopte les moyens proposés par l’Esprit et la tradition spirituelle comme particulièrement adéquats. Au demeurant des problèmes d’interprétation sont nés des adjectifs et adverbes au comparatif utilisés par le concile : pressius (LG 44 ; cf. PC 1b) ; uberiorem fructum (LG 44a) ; intimius LG 44a) ; magis conformare (LG 46b) ; arctiore via (LG 13c) ; maiore cum libertate (PC 1b) ; facilius indiviso corde (LG 42c) ;pressius, clarius, plenius (LG 42d). Les uns y ont vu l’expression d’un « plus » de nature morale, d’autres, celle d’une meilleure visibilité et d’une plus grande force significative ; d’autres encore, suivant une interprétation que contredit le contexte, y lisent l’affirmation d’une plus grande perfection et sainteté. De toute façon subsiste le danger de concevoir une « aristocratie spirituelle », qui n’est que partiellement mise en question par le développement de la théologie spirituelle des autres « états de vie » (sacerdoce et laïcat).
Reste encore à purifier aussi la vue théologique évoquée par le terme de « perfection » ; il garde quelque chose d’une parenté séculaire avec des idées parfois étrangères au christianisme, celles surtout où se reflète une représentation de Dieu sans lien avec l’histoire du salut et où certaines de ses « perfections » sont opposées à la faiblesse humaine (idées issues du platonisme ; gnose) [37]. La doctrine chrétienne de la perfection est basée sur le mystère pascal, où se révèle un suprême degré d’amour de Dieu pour nous et où se dessine le modèle de notre « perfection de la charité ».
En outre la connaissance de l’histoire et un sens nouvellement éveillé de l’Église obligent à souligner les dimensions théologale, ecclésiale et le caractère progressif de cette « perfection » dans le dialogue avec toutes les composantes de la communauté chrétienne. C’est selon ces coordonnées qu’il faut toujours resituer la signification attribuée aux « conseils évangéliques », qu’on charge trop souvent de notes ascétiques et élitistes. Alors qu’il faudrait mettre l’accent sur la valeur de stimulant, de ferment au bénéfice de la perfection commune de la charité.
5. Est désormais en voie de démythisation totale, c’est bien clair, la TVC qui considérait ce genre de vie comme fonctionnel par les activités, les œuvres concentrant les intérêts de groupes spécialisés en vue de leur service. La crise de tout le système des suppléances et la transformation radicale du secteur où intervenaient les religieux (écoles, hôpitaux, œuvres d’éducation, d’assistance, aide aux marginaux, etc.) ont concouru à faire repenser l’identité de la vie consacrée apostolique dans son ensemble ; ainsi se sont peu à peu dégagées des lignes d’une « spiritualité apostolique » capable d’allier vie consacrée et activités d’apostolat dans une synthèse vivante et non par simple juxtaposition ou dialectique d’intérieur et extérieur, de spirituel et de matériel.
Il est bien certain que « l’apostolat de tous les religieux consiste en premier lieu dans le témoignage de leur vie consacrée » (can. 673), mais il y a sans nul doute charisme et charisme. L’activité spécifique liée au charisme qui a été donné à tel institut ainsi que l’harmonie entre sanctification et charité oblative, entre service et contemplation, seraient dépourvues de sens si elles ne soutenaient et alimentaient simultanément l’union à Dieu et le zèle apostolique. Ce que propose Perfectæ caritatis n’a pas fini d’occuper la recherche et réclame encore un effort de thématisation. « Il faut que les membres de tous les instituts, ne cherchant avant tout que Dieu seul, unissent la contemplation, par laquelle ils adhèrent à lui de cœur et d’esprit, à l’ardeur apostolique qui s’efforce de s’associer à l’œuvre de la Rédemption et d’étendre le Royaume de Dieu » (PC 5d) [38].
6. Est encore requise une réflexion importante et assez critique concernant les anthropologies sous-jacentes aux diverses TVC, parce qu’elles comportent des éléments que n’admet plus notre conception de l’homme et de l’homme chrétien. On le sait : à chaque phase de l’histoire et de la vie de l’Église se sont élaborées des théologies et des anthropologies en dialogue ou en rapport de tension ou d’opposition avec toute espèce d’anthropologies et d’idées sur Dieu et la religion alors répandues dans la société. Ces stratifications culturelles (faites de mots et de symboles, de rites et de valeurs, de jugements et d’intentions) ont certainement été démontées par les changements consécutifs au concile. Pour autant elles n’ont pas complètement disparu de la vie pratique et de l’imagination collective.
Qu’on songe aussi tout simplement au rapport homme-femme, à l’attitude à l’égard du bien-être, de la nature, de la vie « intérieure », du monde de la « transcendance ». Qu’on songe à la palingénésie anthropologique maintenant en cours à travers la culture de la communication et dans l’affinement du savoir concernant l’interdépendance planétaire ou dans l’exploration technologique de la vie en sa structure la plus mystérieuse (cf. l’étude du génome). Nous avons affaire à des transformations globales qui ébranlent tout à fait les paramètres anthropologiques et non pas seulement des « aspects » secondaires.
On pourrait s’interroger, par exemple, sur les rapports entre l’ anthropologie sous-jacente aux vœux (avec les secteurs intéressés) et l’ anthropologie sous-jacente à la recherche nouvelle concernant le sens religieux, le sacré et le mystique. Dans quelle mesure la « mise en évidence » anthropologique effectuée par la « profession des trois conseils évangéliques » est-elle capable de dialogue avec l’anthropologie de l’homme d’aujourd’hui ?
7. Autre sujet critique auquel je me contente de faire allusion : le problème de la théologie du charisme et certaines de ses conséquences pratiques. Assurément c’est une contribution importante qui a été apportée en ce domaine après le concile. Chaque institut a pu mieux comprendre et identifier sa propre « inspiration charismatique » en en dessinant la genèse, les exigences institutionnelles, les cheminements spirituels, la spécificité dans l’Église. Mais il serait aisé d’observer que ce genre de démarche a abouti à isoler les différents instituts dans leur charisme particulier. Elle leur a même fourni les arguments théologiques et juridiques en vue d’en défendre l’autonomie et d’exalter en quelque sorte leur originalité jusqu’au niveau de l’« unicité ».
Cette recherche d’une sauvegarde présente incontestablement des avantages et a porté des fruits heureux. En revanche, dans bien des cas, elle a fait obstacle à la convergence entre charismes similaires, entre finalités et spiritualités étroitement apparentées. En même temps que le bénéfice d’une meilleure affirmation d’identité, on aura développé, je le crains, une sorte de protectionnisme excessif au détriment de l’ecclésialité et donc de la communion organique entre charismes dans le corps de l’Église. Ce n’est pas seulement pour des motifs d’organisation ou de survie « honorable » qu’il faut aller vers des formes de fédération, d’union, de fusion, voire de suppression pour les instituts qui n’ont pas d’espoir fondé quant à leur existence et à leur capacité de servir (PC 21-22) ; c’est aussi par fidélité même au charisme, lequel est un don fait à l’Église et non pas à l’institut (à ce dernier il incombe simplement d’assurer au charisme vitalité et efficacité). Il faut reprendre constamment la confrontation de ce don avec la fécondité ecclésiale. S’attacher au seul principe de l’autosuffisance et de la différenciation claire et distincte du charisme, exempte de toute ambiguïté, cela ne va pas actuellement sans effets pervers.
8. Dernier point de friction. Il y aurait à débattre de l’opinion répandue par certains théologiens touchant un dépassement de la vie consacrée, considérée comme « contingence historique » et qui aurait aujourd’hui perdu sa nécessité. Suivant cette opinion, l’évolution de l’institution ecclésiale (les prêtres séculiers ont désormais en fait de vie spirituelle une dignité remarquable) et la conscience nouvelle de tous les chrétiens concernant un radicalisme évangélique et une responsabilité directe dans la mission de l’Église, enlèveraient sa nécessité à tout le système de la vie religieuse ; celui-ci demeurerait affaire de libre opinion, mais devrait être réformé de fond en comble. Voilà des mises en question qui secouent les fondements mêmes de la signification du genre de vie des religieux. Elles trouvent un assentiment chez tel ou tel consacré persuadé que le pire des dommages encouru par la vie religieuse d’aujourd’hui a été de se préoccuper de son organisation et de sa fonction propres. Pour ceux qui partagent ce sentiment (en général des personnes de sensibilité monastique et conventuelle), les religieux auraient dû se concentrer sur les paradigmes évangéliques, sans se soucier d’une fonction qui finalise globalement leurs activités (macrofonctionnalité opérative). En faveur de leur jugement intervient le fait de la prolifération des communautés nouvelles moins attachées à la gestion de secteurs et d’œuvres déterminés et davantage concentrées sur la qualité de la vie.
VI. Critères d’interprétation de la diversité
Nous avons largement mis en lumière le grand nombre de théologies de la vie consacrée. On aura pu pressentir le danger d’une multiplication excessive de ces théories. Le fait est là : aujourd’hui n’existe pas une « théologie » unique en matière de vie consacrée ; c’est de quoi il faut prendre acte. Et savoir, au moins dans une très faible mesure, cerner le noyau spécifique de chacune des différentes théologies.
Certes les propositions théologiques apparaissent nombreuses et se présentent toutes sur le même plan, comme si on les faisait défiler dans un certain ordre, sans regard critique sur leurs rapports réciproques. Cela ne veut pas dire qu’on manque de critères d’évaluation. C’est d’en jalonner notre lecture que s’occupera la présente section, afin d’orienter le discernement en vue d’une synthèse ouverte à la multiplicité des valeurs sans sacrifier au besoin d’unité la richesse de cette multiplicité.
Voici quelques propositions d’éclairage.
1. Valoriser la variété
a) La multiplicité et la diversité ne signifient pas que sous le ciel règne une grande confusion (plus grande encore que nous ne l’avons fait voir). C’est le signe que la matière comporte des éléments intéressants, déjà enclos, du reste, dans la tradition, et qui méritent une considération nouvelle, en raison tant de leur valeur que des limites qu’on peut remarquer et des possibilités nouvelles qu’ils portent en germe.
b) Sous la multiplicité, certains critiques dénoncent une faiblesse, le manque de points forts, de portée décisive. Ce qui peut être partiellement vrai. Pour une part cette dispersion montre qu’est en cours une phase d’élucidation, commençant non pas par une réduction mais par un élargissement du spectre ; cela vaut effectivement la peine d’étendre l’horizon plutôt que de le rétrécir. La réalité même de la vie ainsi que le texte des nouvelles constitutions manifestent une telle multiplicité. La réflexion théologique tend à accumuler les éléments plutôt qu’à les sélectionner et à en réduire le nombre. Il n’y a donc pas là le signe d’une faiblesse par manque de références solides, mais peut-être d’une richesse réelle, qui bien sûr appelle un discernement et un groupement organique des différentes perspectives.
c) À noter aussi que sont en train de se dégager des lignes de plus en plus accusées au cours des dernières années, par exemple la ligne pneumatologique, la ligne ecclésiale, la ligne prophétique. Elles étaient présentes dans le passé, mais avec d’autres implications et d’autres accentuations. Les accents qui les marquent actuellement demandent un groupement organique qui ne les ignore pas et qui ne les soumette pas simplement aux optiques anciennes. En particulier les tracés nouveaux procèdent de la pratique novatrice ; et comme la TVC est également réflexion sur le vécu, il faut traiter avec respect les vues nouvelles, si nous voulons respecter les cheminements de l’Esprit en ce temps. Autrement nous risquons d’« étouffer » les voix nouvelles.
d) Il n’y a pas que chez les « religieux » une pratique nouvelle, mais plus généralement une pratique ecclésiale qui veut qu’on repense toutes les catégories impliquant une distinction, un « plus » (qu’on se rappelle les comparatifs du concile) lequel menaçait de dépréciation la qualité chrétienne des non-consacrés. Il n’est plus possible de garder aujourd’hui ces habitudes. Tout le discours est à réordonner avec la considération qui est due aux acquisitions mises en place en d’autres milieux (laïcs et prêtres, par exemple), et avec la vision nouvelle de l’histoire et des réalités terrestres. Rappelons à ce propos que quelque chose de neuf s’élabore actuellement à partir de grands paradigmes nouveaux : libération, théologie féministe, théologie de la création, dialogue interreligieux - secteurs secondaires, à ce qui paraît, mais il s’agit d’éléments qui viennent interférer avec tous les schémas [39].
e) Ainsi nous avons affaire à des arguments nouveaux en train de prendre corps, nous voyons se distinguer des secteurs nouveaux dans un même horizon, nous avons à opérer en toute clarté des révisions (par exemple touchant les conseils évangéliques, l’anthropologie, la fonction ecclésiale, le rapport des différentes typologies ecclésiales, la révision culturelle). Il y a aussi des constructions inachevées à ne pas perdre de vue ; ainsi le thème de l’ alliance et des épousailles a été saisi d’un regard mais non encore développé ; de même celui des rapports réciproques homme et femme ; celui des modèles de sainteté porteurs d’une théologie déterminée de la vie consacrée ; le thème des « formes nouvelles » qui ouvrent des horizons nouveaux en théologie et ne se réduisent pas à allonger une suite de phénomènes ; le thème de l’existence symbolique significative dans une société qui vit de communication très dense, instrument de manipulation ; et d’autres thèmes encore.
f) Nous pouvons donc le dire : il faut consentir à réfléchir encore sérieusement afin de découvrir le carrousel des visions anciennes et nouvelles et de s’y retrouver. Il faut le courage de laisser au temps d’éprouver les voies novatrices et les formes neuves de prophétie, s’efforcer de construire des argumentations ou de thématiser à partir de la vie et de sa force de persuasion. Dans ce contexte, apparaît clairement, par exemple, la nécessité de repenser le schéma classique selon lequel la vie contemplative (conçue comme solitaire, priante, silencieuse) représentait le summum de la perfection possible ; nous avons à repenser aussi le pouvoir d’exorcisme de notre existence dans un contexte de tendances démoniaques collectives ; repenser le sens des vœux dans un contexte de solidarité planétaire et de respect de la responsabilité personnelle ; il faut répartir autrement les responsabilités et les décisions si l’on veut vraiment accepter le rapport réciproque homme-femme ; définir plus nettement la participation « charismatique » des laïcs à nos charismes « ecclésiaux ».
g) Cela vaut aussi pour le vocabulaire, auquel les dernières années ont conféré une portée décisive. Rappelons : charisme du fondateur, fonction charismatique, charisme de l’institut, signe prophétique, nouvelles qualifications ministérielles, inculturation, nouvelle évangélisation, etc. Étant donné les expériences nouvelles de coresponsabilité des laïcs, il y a lieu de repenser peut-être la théologie et sûrement l’organisation. Un exemple : parlerons-nous du charisme vécu par un institut, nous ne devrions pas exclure qu’il puisse être vécu aussi sous d’autres formes, sans autre organisation que celle de groupes de laïcs. En conséquence on devrait parler de la nature ecclésiale charismatique d’un projet déterminé, sans le considérer comme monopole d’un groupe ou d’un « institut », mais comme semence inépuisable et féconde dans le sein de l’Église. Cela revient à dire qu’avant d’être approprié à un institut, le charisme est - et il le restera toujours - propriété de l’Église, de son corps, de son expérience, de sa communion. Et l’Esprit, avec son imprévisible créativité, le conduit à s’incarner dans des formes nouvelles.
2. Exigences
Pour terminer je voudrais mettre en relief quelques exigences, majeures à mon sens, imposées à qui veut vraiment comprendre la situation présente de la vie consacrée et de sa théologie, et accompagner l’évolution de celle-ci et sa thématisation.
a) La première exigence et condition est l’appartenance à l’Église, non seulement à l’Église universelle, mais aussi à l’Église locale ou particulière. La vie consacrée doit en accompagner les cheminements, en anticiper prophétiquement les options évangéliques, la stimuler dans les moments de lassitude ou d’incohérence, assumer sérieusement sa tradition et ses virtualités, sans hâte et sans accuser des divergences indues. Si la vie consacrée est véritablement un don fait à l’Église, et que l’Église universelle se concrétise de façon réaliste et efficace dans l’Église particulière, il faut prendre au sérieux cette référence. Cela sans renier l’expérience propre de la vie consacrée, ses attaches, ses visées plus larges, plus universelles. Mais l’universel doit se réaliser en connexion avec le particulier et le particulier doit être invité de manière dynamique à dépasser les limites étroites et égoïstes du particularisme, afin de survoler les frontières et de faire corps avec les autres communautés ecclésiales. Les religieux se situent sur la ligne de partage du particulier et de l’universel, maintenant le dialogue ouvert entre les deux pôles, portant l’effort laborieux et la joie des influences réciproques et de l’osmose.
b) La seconde exigence, c’est d’être présents et de prendre part à l’histoire, c’est-à-dire au déroulement des faits, aux angoisses, aux espoirs, aux émotions et aux utopies de nos contemporains. La vie consacrée ne tombe pas du ciel toute faite et complète ; elle se construit sur les coordonnées qu’on vient de rappeler, pour le bien comme pour le mal, ainsi que le montre l’histoire de tous les instituts. Les charismes mêmes qui nous lient et nous spécifient ne sauraient se comprendre et s’interpréter hors du contexte historique de leur origine. Leur évolution, elle aussi (du moins pour les instituts de grande tradition), est marquée par le climat des diverses saisons du passé et pas seulement par les membres de l’institut. Leur efficacité présente est conditionnée par un discernement portant sur la rencontre heureuse ou l’affrontement entre les mentalités, les valeurs, les projets de nos contemporains et notre aptitude à faire passer dans le projet évangélique un souffle de vie et d’inspiration.
c) La troisième exigence à prendre fort au sérieux concerne la manière de concevoir la personne, l’expérience vécue par chacun, qui le façonne et le fait se réaliser. Il faut abandonner l’idée de la personne comme une réalité statique et isolée, comme une existence anonyme que viendraient modeler les « valeurs ». La personne conçue comme dynamique, en devenir, ouverte aux relations intersubjectives, sollicitée par une foule de projets différents des nôtres, et qui souvent ne sont plausibles qu’en apparence, voilà à quoi la théologie de la vie consacrée doit faire une place. Tenir compte de la personne, cela veut dire admettre que d’autres descriptions, elles aussi, aient la parole et soient écoutées quand elles parlent des pulsions du sujet humain, des dynamismes de convergence ou de divergence dans notre vivre ensemble (on fait état de la dynamique de groupe), de l’ inconsistance qui affecte la manière de vivre les valeurs et les styles d’existence lorsqu’ils restent entièrement formels. De ce point de vue il faut alors faire sérieusement droit à cette demande : que tout ce que nous avons à vivre en tant que religieux soit de qualité également sur le plan anthropologique ; que cela constitue une thérapie de guérison et de transformation intérieure et non pas seulement une « formalité » vertueuse. La découverte de soi ne s’oppose pas à la recherche du visage de Dieu et au dévouement à sa volonté de salut.
d) Il est donc urgent d’opérer un discernement sérieux et juste concernant la sédimentation culturelle que nous ont laissée des générations d’ascètes et d’orants, de services rendus et de modèles de vie, de rôles de présence et d’absence assumés à l’égard de l’histoire. L’héritage que nous avons reçu, souvent entouré d’éloges, riche d’exemples de sainteté éprouvée et reconnue, cet héritage n’est pas nécessairement susceptible d’être présenté aujourd’hui pour annoncer l’Évangile et le faire fleurir au cœur des hommes. Ce n’est pas pour rien qu’un des points principaux, dans le vaste discours sur la nouvelle évangélisation, concerne l’inculturation, laquelle requiert imagination et créativité, comme l’a dit l’Assemblée épiscopale de Saint-Domingue.
La nouvelle évangélisation ne sera pas la « restauration » du schéma chrétien (ou, comme on peut parfois l’exprimer, la réfection du tissu chrétien dans la population) ; cela risquerait d’être le rêve de la chrétienté nouvelle. Cette nouvelle évangélisation marquera bien plutôt un temps de semailles et d’attente, d’attention aux signes des temps, le moment de laisser tomber « les pluies d’automne et les pluies du printemps ». L’Assemblée de Saint-Domingue a insisté en somme sur l’évangélisation inculturée, envisageant une saison nouvelle de fécondité et d’incarnation de l’Évangile dans l’histoire et la culture. La même invitation vaut pour nous : espérance et patience, audace, imagination, créativité et discernement, vigilance, application au travail, autant de composantes du projet.
e) Tout compte fait, l’enjeu consiste dans l’aptitude à entrer en dialogue avec les contextes, lesquels sont faits d’idées mais aussi de souffrances concrètes. Les visages douloureux de nos contemporains, leur recherche haletante de sens et de certitude nouvelle, le désir passionné d’une « convivence » bénéficiant de plus de justice et de respect des différences, leur déchirement continuel à travers toutes sortes d’inégalités, tout cela demande à la vie consacrée de savoir inter-venir, de s’engager, de se mettre en jeu, d’écouter les contestations et de trouver « le ton » d’une réponse. Il s’agit, pour user d’une expression assez forte, sinon choquante, de faire une sorte d’ insurrection évangélique en solidarité fraternelle. En d’autres termes, de donner vie et efficacité au pouvoir de contestation de la mort victorieuse du Seigneur Jésus, que nous suivons « de plus près » en communion fraternelle de vie. Que cette insertion soit véritable et réelle : à ce prix on procurera l’amélioration de la « cité terrestre » et l’on préparera la voie au grand avènement du Règne de Dieu.
VII. Esquisse d’une proposition globale
Au terme de ce long et complexe exposé, je suggère quelques idées personnelles en vue d’une théologie de la vie consacrée - cela à titre de simple hypothèse.
Partons de la racine pneumatologique : de la réalité d’une impulsion/expérience de l’Esprit. Je commencerais par les variations historiques, soit par la phénoménologie. Pour ouvrir la perspective du charisme avec tout ce qu’elle entraîne : c’est au fond le schéma du concile (cf. LG 42, 43, 45), repris dans la suite avec une vigueur particulière. Est donc en jeu un mouvement de caractère « théologal » (puisque l’Esprit implique toute l’activité trinitaire), en vue d’une assimilation au Christ, témoin du Père et son serviteur pour le salut du monde. La configuration christologique et christonomique recouvrira les catégories classiques de la sequela, du radicalisme, des conseils du Maître, de la conversion continuelle, mais tout cela dans une perspective de l’histoire du salut voulu par le Père, « planté » par lui dans notre vie (ici je parlerais de consécration) et attendant son épiphanie plénière dans le Royaume. Est en jeu un « mouvement« qui ne saurait être vécu que dans l’Esprit et par la force de l’Esprit. Dans ce cadre on situera et on interprétera les « conseils multiples » (cf. LG 42) ; ils forment une structure de vie en Dieu et avec Dieu, faisant « réaliser » la vie en plénitude. Nous avons là une expression de totalité, c’est-à-dire d’une capacité d’amour, de liberté et d’espérance, dont les Béatitudes offrent le paradigme le plus authentique (cf. LG 31b).
Ici j’introduirais un nouvel horizon : celui d’une vie en contexte ecclésial, au regard duquel prennent leur relief quelques options préférentielles, soit de caractère théologal (une certaine absolutisation de l’expérience de Dieu au sein de la communauté), soit de caractère « sacramental », c’est-à-dire une visibilité, un type de sainteté, une manière d’exercer la koinônia, soit encore de caractère « fonctionnel et efficace », tenant compte de la participation de la comunauté chrétienne à la construction de la cité des hommes et répondant à leurs attentes, à leurs angoisses, à leurs projets, à leurs souffrances. Dans ce contexte, j’insisterais sur la dialectique avec les dynamiques de l’histoire. La vie consacrée devrait exercer tout le spectre des formes possibles de présence ecclésiale, faite de signe et de symbole, de provocation et d’évocation, de critique et d’espoir, de parcours épiphanique, d’une convivialité où soit reconnu tout homme juste en sa conduite et attendant l’avenir avec espérance. Les termes classiques d’eschatologie, de vie orientée vers le Royaume, la valeur de « signe » et d’« exemple » trouveraient place ici, dans un langage et une construction dynamiques - non pas simplement pour qu’ils apparaissent quelque part au titre de « scholion ».
Enfin je relèverais le défi d’une anthropologie nouvelle, de manière à purifier notre patrimoine historique et spirituel, à « rendre leur santé » aux traditions mais aussi en vue d’un nouveau profil de la « personne », compte tenu des exigences nouvelles de profondeur et d’unification, de globalité et de transformation dynamique. La fonction symbolico-intentionnelle de ce genre de vie ne doit pas se situer seulement sur un versant théologal - ce point de vue est premier et central - mais aussi sur celui de la réalisation d’une « créature nouvelle », d’une « nouvelle création » dans le Christ. Cela n’implique aucunement qu’on survole l’humain, mais bien plutôt qu’on lui donne un sens plénier nouveau, qu’on l’invite à des parcours thérapeutiques, qu’on lui propose des réussites où ses intentions obtiendront des incarnations graduelles. Nos vœux, par exemple, ont trop l’air d’ absolus abstraits ; il faudrait développer leur qualité de parcours thérapeutique. Ils présentent en effet une véritable thérapie anthropologique guidée par la foi et l’amour (il est permis d’interpréter de la sorte le can. 602 rapproché du can. 607, § 1). Et selon les circonstances il s’agira d’une thérapie de guérison ou d’une thérapie de provocation, prophétie ou solidarité chargée de sens humain, partage d’espérance ou résistance au nivellement du pan-économisme.
Tâchons d’élucider cette pensée. Le style de vie construit sur les paradigmes classiques des vœux ou de la vie commune, ainsi qu’un certain genre de valeurs (prière, esprit évangélique, foi intense, coresponsabilité et solidarité) ne devraient pas en venir à répéter un schéma figé mais constituer une « réserve d’humanité », une forme symbolique et intentionnelle d’une autre manière de se comporter entre personnes et à l’égard de l’histoire. Au milieu d’une troupe d’égoïstes occupés à consommer, d’ambitieux affairés, face à une pan-économie commercialisant la personne, les religieux, par leur sobriété, leur pratique du partage et de la solidarité, par leur langage nouveau et plus inspirant, par l’intérêt cordial et affectif qu’ils accordent à la promotion de toutes les aspirations de leurs contemporains, peuvent être réellement la parabole du Royaume caché, levain de vie nouvelle dans le monde.
Cette « mystique » que nos devanciers ont cherchée dans l’isolement et l’indifférence à l’histoire, nous devons aujourd’hui la retrouver dans le « compagnonnage » avec tous les hommes et même avec tout le cosmos : une authentique expérience de Dieu dans une authentique fraternité planétaire.
Nous vivrons en pauvres non seulement en renonçant à la possession égocentrique, mais dans la conscience vive et efficace de l’existence d’une pauvreté structurelle qui accuse notre sentiment de respectabilité et exige que nous prenions part au sort désespéré des démunis et des affligés de ce monde. Cette orientation devrait être davantage accentuée, également dans le sens de la résistance évangélique à la civilisation de la consommation, prise comme modèle de « réalisation » de la personne, dans le refus de la tendance à aviver des besoins artificiels, camouflage de gaspillages et d’une idolâtrie de l’avoir. L’avenir de la « consécration dans la pauvreté » ne consistera pas à distribuer davantage mais à « construire » davantage de dignité et de coresponsabilité dans le monde des pauvres, dans une fraterna conversatio cum pauperibus.
Dans une société qui fait de la vie l’assemblage de multiples satisfactions superficielles à assouvir dans une médiocrité égoïste et un bonheur à consommer matériellement, la chasteté viendra montrer que l’authenticité à l’égard de soi-même et la racine même de la personne réclament une rencontre avec les autres qui soit oblative et non pas purement hédoniste. La chasteté est à vivre non seulement comme abstention des comportements et désirs désordonnés mais plutôt comme capacité d’aimer sans « posséder » en exclusivité. Et même de vouer le meilleur de ses élans au bien commun, prompts à embrasser tous les cœurs assoiffés de fraternité et de bonheur, leur donnant de sentir par leur propre aptitude à aimer à quel point il est vrai que Dieu les aime et « quel prix ils ont à ses yeux » (cf. Is 43,4).
On suivra la voie de l’obéissance comme affaire de choix personnel, comme manière réelle d’assumer à fond sa responsabilité, mais cela en s’offrant au service d’un projet qui dépasse les limites individuelles. Ainsi on attestera publiquement que la vie n’est pas une lutte de pouvoirs mais le lieu de l’offrande consciente, en coresponsabilité, dans l’assurance que la véritable maturité consiste à accepter le processus d’enrichissement réciproque. La réussite personnelle doit se mesurer à la capacité de se dépasser soi-même jusqu’au pur « service » et à la gratuité, et non pas à la satisfaction d’un égoïsme narcissique et à la puissance qui s’impose.
VIII. Où sont les prophètes nouveaux fondateurs ?
Avouons en conclusion le sentiment de nous trouver entre le coucher du soleil et l’aube. Nous pouvons regretter la splendeur qui s’éteint ou penser qu’il nous est offert de voir un jour nouveau, de traverser une nouvelle saison créatrice. Les religieux se doivent d’explorer la nouveauté, non de pleurer l’ancien ; l’avenir n’est pas l’enfant d’un Dieu plus petit, il est habité par le Dieu du cosmos et de l’histoire.
Il faut savoir discerner parmi nous les « prophètes refondateurs » (selon la formule chère à Gerald A. Arbuckle) et leur faire place, leur accorder l’espace déjà donné par l’Esprit par une nouvelle floraison des charismes et de la vie consacrée en général. Quand tout l’ensemble de la vie et des mentalités change profondément (c’est le cas aujourd’hui), l’Esprit n’est pas absent mais déjà il a tracé le profil spirituel des nouveaux prophètes en vue de nouvelles « aventures » libératrices. À nous de comprendre et d’accueillir leurs choix, sans nous empêtrer dans les réseaux bureaucratiques ou dans les hiérarchies de compétences, avec le danger de stériliser toute espèce de nouveauté sous prétexte que le risque et l’inédit coûtent trop cher.
Notre temps réclame des guides nouveaux, des dispositions nouvelles pleines de vie : au fond il ne rejette pas le témoignage de la vie consacrée. Mais il repousse et ridiculise toute espèce de contrefaçon de ses valeurs, les accommodements embourgeoisés, l’émiettement du radicalisme en mille menues pratiques sans communion [40]. Sans fuir le monde, sans le dénoncer ou l’assujettir à leurs propres fins, mais en le servant avec amour et imagination, les religieux peuvent redevenir constamment signe de l’Esprit Créateur, signe de la justice de Dieu à l’œuvre dans l’histoire, témoins de la personne de Jésus de Nazareth pour les pauvres et les derniers de la société.
C’est cette grande perspective du Règne qui doit traverser notre vie. Cela nous renvoie bien au-delà de nos œuvres, de notre peur de mourir, mêlée au désir de survivre, bien au-delà même de notre conscience ecclésiale et de notre présence dans l’Église concrète. Le Règne embrasse tout cela, mais le dépasse, le relativise, le féconde, le domine. La passion pour le Règne nous rendra capables d’embrasser l’univers, à l’écoute de chaque gémissement et frémissement de l’Esprit et sachant l’interpréter. Elle fera de nous des compagnons de quiconque sur la terre a soif de justice et des disciples du Verbe, non seulement de la Parole désormais fixée et éclairée par notre tradition, mais aussi de ces « semences », de ces « germes » qui font partie de son don le plus précieux mais sont dispersés dans la culture et les traditions des différents peuples. Il faut les reconnaître, les accueillir, les intégrer, les estimer. Ils ouvrent comme des brèches par lesquelles se découvrent de larges horizons, d’immenses espaces où Dieu habite. Nous, au contraire, nous voudrions ramener aux enclos « ecclésiastiques » ces espaces immenses que Dieu habite et féconde.
Autre conséquence : il est impossible d’agir de la sorte sans être conduits par l’Esprit, continuellement stimulés par lui ; lui seul donne la force de franchir les frontières, de renverser les idoles trompeuses, de chercher « la vérité tout entière » sur le chemin des hommes, par intuition prophétique plus que par démonstration rigoureuse. Les religieux sont en train de redécouvrir la grammaire charismatique de leur existence mais ont besoin de la transformer en force nouvelle qui les console, les défende, les ramène au particulier. Il leur faut suivre l’Esprit de la liberté, portés par lui sur les routes qui mènent à Gaza et à Azot (cf. Ac 8) ; il faut rencontrer tous les « eunuques » de la terre, hommes et femmes humainement « eunuques », c’est-à-dire sans avenir, incapables de transmettre la vie, exclus de la communauté du salut, mais dont le cœur désire immortalité et rédemption et qui s’interrogent sur ce qu’ils éprouvent et vivent. Cependant ils ont besoin que quelqu’un se fasse proche d’eux, un « diacre », je veux dire un serviteur et témoin qui descende avec eux dans les eaux régénératrices et remonte vers une joie nouvelle et une liberté plénière.
Concluons : si nous voulons faire une théologie qui ne soit pas simple élucubration théorique, ou une sorte d’enchiridion théologique, ni une théorie rassurante qui justifie le statu quo et ne dérange en rien nos habitudes, ayons le courage d’habiter les horizons et de ne pas nous blottir dans les buissons. Il en est qui se terrent ainsi, cantonnés dans quelques expériences, sur la défensive à l’égard de toute invitation à l’effort de repenser courageusement. Si notre vocation à la vie consacrée est un don de l’Esprit, c’est l’Esprit de liberté et de prophétie qui doit être notre gîte. C’est lui qui fera fermenter dans notre cœur le levain de cette consolation qui vient de la présence authentique du Seigneur vainqueur de la mort et garantie certaine de toute notre espérance.
Borgo S. Angelo 15
I 00193 ROMA, Italie
[1] À l’origine du présent article, une conférence à l’Assemblée semestrielle des Supérieurs Généraux, tenue les 27-30 mai 1992 à Ariccia, près de Rome. Ce texte a paru, intégralement ou en adaptation, dans différentes revues, notamment Consacrazione e Servizio (plusieurs numéros de 1993). Pour la version française, l’auteur, que la direction de Vie consacrée tient à remercier, a ajouté la section VI et développé la conclusion.
[2] H.-J. Pottmeyer. « Vor einer neuen Phase der Rezeption des Vatikanum II », dans Die Rezeption des Zweiten Vatikanischen Konzil. Düsseldorf, Patmos, 1986, 47-65.
[3] Cf. M. Midali. "La teologia della vita consacrata dal Vaticano II ad oggi », dans Vita consacrata 28 (1992) n° 4, 312-327 (avec bibl.).
[4] F. Wulf. « Fenomenologia tcologica della vita religiosa », dans Mysterium Salutis, v. 8, Brescia, Queriniana, 1975, 588-604.
[5] G. Jelich. « Kirchliches Ordensverständnis im Wandel. Untersuchungen zum Ordensverständnis des Zweiten Vatikanischen Konzils in der dogmatischen Konstitution über die Kirche Lumen gentium und im Dekret über die zeitgemasse Erneuerung des Ordenslebens Perfectae caritatis », dans Erfurter Theol. Studien 49, Leipzig, 1983.
[6] M.-J. Schoenmaeckers, Genèse du chapitre VI « De religiosis" de la Constitution dogmatique sur l’Église « Lumen gentium ». Roma, PUG, 1983 ; P. Molinari - P. Gumpel. « Il capitolo VI ‘De religiosis’ della Costituzione dogmatica sulla Chiesa. Genesi et contenuto dottrinale alla luce dei documenti ufficiali » dans Quaderni di Vita Consacrata, 8, Milano, Ancora, 1985.
[7] A. Herzig. « Ordens-Christen ». Theologie des Ordenslebens in der Zeit nach dem Zweiten Vadkanischen Konzil. Würzburg, Echter, 1991, (avec bibliographie importante).
[8] F. Ciardi, I fondatori uomini dello Spirito. Per une teologia del carisma di fondatore, Roma, Città Nuova, 1982 ; A. Romano, I fondatori : profezia nella storia. La figura e il carisma dei fondatori nella riflessione teologica contemporanea, Milano, Ancora, 1989 ; F. Viens, Charisme et la vie consacrée, Roma, PUG, 1983 ; N. Hausman, Vie religieuse apostolique et communion de l’Église. L’enseignement du Concile Vatican II, Paris, Cerf, 1987 ; G. Geeroms, La vie fraternelle en commun dans la vie religieuse. Du Concile au Code. Approche théologique-canonique, Thèse, Roma, PUG, 1989 ; S. Recchi, Consacrazione mediante i consigli evangelici. Dal Concilio al Codice, Milano, Ancora, 1989 ; M. Scheuer, Die evangelischen Rate. Strukturprinzip systematischer theologie bei H. U. von Balthasar, K. Rahner, J.-B. Metz und in der Theologie der Befreiung, Würzburg, Echter, 1990 ; J. Beyer, Il diritto delle vita consacrata, Milano, Ancora, 1989 ; F. Iannone, Il capitolo generale, saggio storico giuridico, Napoli, Dehoniane, 1988.
[9] Pour un développement du contenu, cf. « La vita consacrata nel postconcilio : tra crisi e kairòs », dans Credere oggi, 11 (1991), n. 6, 3-18.
[10] Op. cit supra, note 6.
[11] Qu’il appelle projet dans son traité fameux : Devant Dieu et pour le monde. Le projet des religieux. Paris, Cerf, 1974.
[12] Th. Matura. Le radicalisme évangélique. Aux sources de la vie chrétienne, Paris, Cerf, 1980.
[13] J.-B. Metz. Passione per Dio. Vivere cia religiosi oggi. Brescia, Queriniana, 1992 (orig. Herder, 1991).
[14] Je fais allusion, par exemple, aux livres de G.A. Arbuckle, Out of Chaos : refounding Religious Congregations, New York/London, Paulists/Chapman, 1988 : M.J. Leddy, Reweaving Religious Life. Beyond the Liberal Model. Twenty-Third Publication, Mystic, Connecticut, 1990 ; M.A. Neal, Front Nuns to Sisters. An expanding vocation, même coll., 1990 ; D. O’murchu, The Prophetic Horizon of Religious Life, London, Excalibur Press, 1989.
[15] Cette position apparaît très nettement dans son commentaire de Perfectae caritatis 15 : « Le grandi leggi dal rennovamento », dans A.A.V.V., Il rennovamento della vita religiosa, Firenze, 1968, 63-133, en particulier 123.
[16] Cf. notre commentaire : « Il testo conciliarc sulla vita fraterna in commune », dans Consacrazione e Servizio 41 (1992) n° 5, 7-16.
[17] J. Aubry, »La consacrazione nella vita religiosa« , dans La teologia della vita consacrata, Roma, Centra Studi USMI, 1990, 88.
[18] Pour ma part j’attribuerais à ce document un degré assez bas d’autorité magistérielle, en raison de cette incertitude touchant sa paternité. En fait ce sont surtout quelques auteurs « romains » qui en font grand état (peut-être en sont-ils les rédacteurs).
[19] Cf. l’article d’Aubry cité supra, note 16, 94-101. N.D.L.R. On lira aussi : A. Queralt, « La valeur de la consécration ’religieuse’ selon Vatican II ». In : Latourelle, R. (cd), Vatican II, Bilan et perspectives – vingt-cinq ans après. Recherches. Nouvelle série - 17, Bellarmin - Cerf, Montréal - Paris, 1988, pp. 37-80.
[20] Th. Matura. Le radicalisme évangélique, cité supra, note 11 ; Suivre Jésus. Des conseils de perfection au radicalisme évangélique. Paris, Cerf, 1983.
[21] Cf. B. Secondin, Alla luce del suo volto. I Lo splendore. Bologna, Dehoniane, 1989.
[22] Cf. B. Fernández. « Seguimiento. 2. Reflexión tcológica », dans Diccionario teológico de la Vida Consagrada, Madrid, 1989, 1624-1641.
[23] Cf. les études citées à la note 6.
[24] Cf. les considérations de notre livre : I nuoviprotagonisti, associazioni, gruppi nella Chiesa, Milano, Paoline, 1991, 182-187 (avec bibliographie).
[25] Cf. la thèse de A. Sicari, Matrimonio e verginitá nella Rivelazione. L’uomo di fronte alla « gelosia di Dio », Milano, Jaca Book, 1978.
[26] Cf. notre article « Orizzonti del carisma di un istituto : la ’nuova’ participazione dei laici ? » dans SCRIS, 17 (1991), n° 2, 89-103.
[27] Cf. G. Kepel. La revanche de Dieu, Paris, Seuil, 1991.
[28] Cf. J. Vernette, Le New Age. À l’aube de l’ère du Verseau, Paris, Téqui, 1990.
[29] Il existe cependant le bon essai limité à quelques théologiens : M. Scheuer, Die evangelischen Rate, cité supra, note 7.
[30] Cf. J.M.R. Tillard, « Consigli evangelici », dans DIP 2, Roma, Paoline, 1975, 1630-1685.
[31] S.M. Alonso, « Consejos evangelicos. 3. Reflexión teológica », dans Diccionario Teológico de la Vida Consagrada, Madrid, Claretinianas, 1989, 422 s.
[32] Sur la théologie de la vie fraternelle menée en commun, en plus de l’étude de G. Geeroms déjà citée (note 7), cf. F. Ciardi, Koinônia. Itinerario teologico-spirituale della communità religiosa. Roma, Città Nuova, 1992.
[33] Cf. G.M. Colombas, « Demonologia monastica » dans DIP 3, Roma, Paoline, 1976, 440-442.
[34] Codina lui aussi va en ce sens dans : V. Codina ; N. Zevallos, Vita religiosa. Storia e teologia.
[35] J. Sobrino, Resurrección de la verdadera Iglesia, Santander, Sal Terra ; 1981, 336.
[36] Cf. RD 4d et 13g ; Familiaris Consortio 74b ; et en divers discours.
[37] Cf. l’article « Perfezione », dans DIP 6, Roma, Paoline, 1980, 1438-1518.
[38] Cf. le document de l’UISG, Vita religiosa apostolica. Fondamenti e note distintive, Bologna, Dehoniane, 1984 ; et l’étude de N. Hausman, Vie religieuse apostolique..., citée supra, note 7).
[39] Cf. la brève contribution « I nuovi paradigmi cultuali » dans AA.VV, Carismi e profezia. Verso il Sinoda sulla vita consacrata, Centra Studi USMI, Roma, 1993, 97-105.
[40] Cf. l’intéressante interprétation de M.J. Leddy, Reweaving religious Life, cité supra, note 13.