Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Former, accompagner, diriger selon Nicolas Barré

Brigitte Flourez

N°1994-2 Mars 1994

| P. 115-125 |

Visage trop peu connu de l’école française de spiritualité, Nicolas Barré (minime) se révèle, dans l’évocation proposée ici, comme un maître spirituel d’envergure. Certes, et chacun le fera volontiers, il faut bien entendre le vocabulaire spirituel du XVIIe siècle mais il y a encore profit à réentendre cette « forte spiritualité » (J. de Guibert, D.S., 1252) d’un homme qu’Henri Bremond reconnaissait comme « un des grands saints de ce temps là ». Guide spirituel avisé, il fut aussi un grand pédagogue et un homme entièrement dévoué aux plus pauvres de son temps. Il y a toujours une grande joie à découvrir un Saint.

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Nicolas Barré (1621-1686) est un mystique et un apôtre, reconnu unanimement à son époque comme un expert dans la direction spirituelle. Il a été également formateur de catéchistes, initiateur d’un grand courant d’éducation populaire en faveur de la jeunesse défavorisée, qui a donné naissance à plusieurs instituts apostoliques féminins. Il fut le conseiller de Jean-Baptiste de La Salle à des moments clés de son existence. La parution récente d’une biographie, Marcheur dam la nuit [1] de B. Flourez, l’édition prochaine des œuvres complètes de cette grande figure du XVIIe siècle français, vont faire mieux connaître une spiritualité d’une étonnante actualité.

Les pages qui suivent voudraient évoquer quelques aspects de la manière dont Nicolas Barré vivait le ministère de la direction spirituelle, et dont il concevait la mission de tout formateur, de tout éducateur.

Le but de la formation

Qu’il s’agisse de la direction spirituelle des laïcs, des prêtres, des moines ou des moniales, qu’il s’agisse de former des éducateurs (-trices), des enseignants, des catéchistes, ou qu’il s’agisse de la mission confiée à ces derniers, le but est identique : former des saints, c’est-à-dire achever dans l’humanité le mystère de l’Incarnation, en chacun selon son génie propre.

Former des saints

« Nous sommes sur terre pour que Dieu nous soit tout. Il faut du temps pour que cela commence, progresse et s’achève. Pour que Dieu nous soit tout, il faut qu’il soit totalement en possession de tout notre être ». C’est là Tunique mission du directeur spirituel, le but unique de l’accompagnement spirituel : « Dieu veut régner dans le cœur de l’homme... C’est un excellent emploi de travailler à en faire son domaine... Le directeur spirituel est établi pour empêcher que les biens de Dieu ne se perdent, et pour retrouver ce qui serait déjà perdu... Il doit travailler à être saint et, par ailleurs, se contenter de voir les autres devenir saints ».

C’est aussi la mission reçue par les catéchistes, les maîtres, les maîtresses des écoles populaires. Leur but est de « former et enfanter Jésus-Christ dans les âmes » [2] de » ne chercher rien d’autre sinon d’établir le règne de Jésus-Christ dans les âmes » [3]. C’est donc par excellence la mission qu’il donne à ce groupe de femmes laïques réunies en communauté en vue du service éducatif des pauvres : « Elles doivent tendre uniquement à former des copies de Jésus-Christ, et travailler à les rendre semblables à l’original pour en faire de parfaites images de Dieu » [4]. « C’est en travaillant à faire des saints qu’elles deviennent saintes...que leur emploi est saint et sanctifiant » ! [5].

De quelle sainteté s’agit-il ?

Le mot « perfection », utilisé fréquemment dans les écrits de Nicolas Barré, pourrait nous tromper, si nous ne lui donnions le sens que Jésus lui-même lui donne lorsqu’il nous dit : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait ». Il ne s’agit pas d’une perfection moraliste, souvent orgueilleuse, anxieuse ou scrupuleuse. La sainteté, la « perfection » à laquelle doit conduire peu à peu tout accompagnement spirituel, tout service éducatif apostolique, Nicolas Barré la résume en trois mots : amour, obéissance, abandon. Par là, le croyant devient « christiforme », en lui se réalise « le but du mystère de l’Incarnation, dont la fin est de diviniser l’homme » [6].

amour : saint Paul dans sa première lettre aux Corinthiens insiste pour bien faire saisir que tous les charismes, si beaux soient-ils, ne sont que des moyens au service de la croissance de la charité et que, sans l’amour, ils sont vains, sujets à tous les sectarismes, à toutes les ambiguïtés. Aussi est-ce l’amour que Nicolas Barré met à la base de toutes les vertus auxquelles il invite la communauté éducative des « Maîtresses charitables » qu’il a fondée : « Elles tâcheront de faire toutes choses pour le pur amour de Dieu, et comme la charité est le lien de toute perfection, préférable à toutes les autres vertus, il sera le lien qui les unit, l’âme de leur obéissance, de leur désintéressement, de leur patience, de leur modestie, de leur constance, de leur persévérance jusqu’au bout, et de tout ce qui concerne la perfection (= sainteté) de leur état » [7].

Cette centralité de l’amour dans le chemin de sanctification, de divinisation de l’humanité est merveilleusement exprimée dans cette image : « Les chimistes disent qu’il existe une substance qui peut convertir le plomb en or... de même, la charité convertit l’âme en Dieu » [8]. Sans l’amour, quels que soient les dons reçus, ne risquons-nous pas de faire de leur croissance une fin en soi ? N’est-ce pas une tentation à laquelle des Instituts religieux ont parfois succombé ?

Ce serait une grave perversion que de prendre la fin pour les moyens, que d’utiliser les autres pour réaliser sa propre vocation, ou pour réaliser une certaine image de sa communauté, de son Institut. Le but de tous les charismes est la divinisation de l’humanité par l’amour. C’est plus encore le but de ceux qui sont appelés aux ministères de l’accompagnement spirituel, de la formation, de la catéchèse. Le Père Barré ne cesse de le leur rappeler.

Obéissance : c’est l’amour qui seul peut permettre à un cœur libéré de mettre la volonté de Dieu au-dessus de tout intérêt personnel, les valeurs évangéliques au-dessus de toute pression sociale, le partage de la Bonne Nouvelle avec les pauvres au-dessus de toutes les commodités. Aux membres de la communauté qu’il a fondée, Nicolas Barré conseille de demander tout spécialement à Dieu chaque matin « la grâce si importante de faire sa sainte volonté en toutes choses, et d’accomplir ce qui sera d’une plus grande perfection selon leur profession » [9].

Éduquer, former, accompagner, diriger, c’est aider à reconnaître et à accomplir la volonté de Dieu, le directeur spirituel doit savoir « insister et proposer fortement la volonté de Dieu, mais aussi employer pour cela l’attrait, l’amour, l’adresse, plus que la rigueur et l’autorité du commandement » [10].

Une prière écrite par le P. Barré et proposée à une de ses correspondantes, exprime avec beaucoup d’intensité le désir d’adhésion totale à la volonté de Dieu par amour :

Seigneur, je ne veux plus rien, je ne désire plus rien, pour me mettre en état de désirer ce que tu veux, comme tu le veux. Tu me vois, mon Dieu, tu t’occupes de tout, tu présides à tout ce qui me concerne, à tout ce qui m’arrive. Rien n’échappe à ton admirable conduite sur ma vie, et cela me suffit.
Ô Jésus, tu es amour, tu es mon Dieu, mon tout !
Seigneur, à toi de désirer en moi ! Et pour cela dispose de moi, agis, arrange tout comme il te plaira. Et je tâcherai de désirer, d’agir et de te suivre en tout, et partout, sans réserve et sans limite. Enfin, Seigneur, je veux être à toi, totalement, plus de partage, plus de division, ni dans la vie, ni dans la mort, ni dans la détresse, ni dans la tendresse, ni sur la terre, ni au ciel.

Pour en arriver là, la formation, l’accompagnement spirituel vise à rendre l’autre, peu à peu, capable de se libérer intérieurement afin de s’ouvrir inconditionnellement à la volonté de Dieu. L’abandon en est le fruit.

Abandon : l’amour, et le désir authentique de faire la volonté de Dieu, sont conjointement la source d’où jaillit l’abandon ; il n’est pas une vertu supplémentaire à pratiquer, il est une grâce faite à ceux et celles qui se mettent délibérément et humblement à la suite du Christ. Ceux-là ne se préoccupent plus d’eux-mêmes. Ils sont conscients de leur pauvreté, de leur « néant ». Ils en font l’espace intérieur de l’accueil de Dieu.

« L’abandon véritable, la remise de tout soi-même à Dieu, c’est normalement et mystiquement rentrer dans son néant, retourner en Dieu, vrai lieu de notre origine, pour être créé à nouveau, d’une manière toute divine ».
Pour ceux qui sont appelés à une vie apostolique, cet abandon prend une tonalité toute particulière : il s’agit pour eux de « travailler uniquement au salut des âmes, en sacrifiant leurs propres intérêts, sans se mettre en peine de ce qu’ils doivent devenir un jour ».
« Beaucoup de personnes veulent bien servir Dieu, mais la plupart ne veulent pas que Dieu se serve d’elles ! ». Or c’est là une disposition fondamentale pour ceux et celles qui sont appelés à une vie d’apôtre. « Il faut être dans la main de l’écrivain comme le pinceau dans celle du peintre ».
Voilà l’obéissance de ceux qui, par amour, se mettent au service de l’annonce de l’Évangile. Ils n’ont plus à se préoccuper de leur avancée sur le chemin de la sainteté. Dieu s’en charge. « Il suffit de se présenter à Dieu, de vouloir être à lui, et après cela nous juger indignes d’être ses favoris et ses bien-aimés, et nous appliquer à servir, façonner, cultiver ceux qu’il appelle à devenir ses enfants ».

Souvent on trouve réunies dans les écrits spirituels de Nicolas Barré les trois voies inséparables de la sainteté : Amour, Obéissance, Abandon. Citons un dernier texte qui s’adresse à une jeune fille :

Estimez les souffrances, les humiliations, les mépris, les contradictions, comme autant de dons et de moyens pour avancer dans le saint amour, et vous plonger dans l’abîme divin de l’humilité et de l’obéissance. Peu à peu, ils vous feront passer en Dieu sans que vous le sachiez, car si vous le saviez, vous seriez en vous-même en pensant être en Dieu.

Aider chacun à trouver sa voie vers Dieu

Être apôtre, former des croyants, accompagner spirituellement, c’est aider chacun à trouver sa voie vers Dieu. Elle est unique. Chaque personne doit la découvrir et la suivre. Le Père Barré l’exprime avec force aux personnes qui aspirent à la sainteté, tout comme aux directeurs spirituels et à la communauté des « Maîtresses charitables ».

La beauté de l’univers consiste dans les beautés différentes de chaque chose. Si un arbre voulait le brillant de l’or, et si l’or était revêtu de la verdure, du feuillage, des fleurs et des fruits de l’arbre, ce serait une confusion et une destruction de la nature. Dans l’ordre de la grâce, il faut que chacun se tienne à sa place, sans vouloir entrer dans les voies d’un autre, sans prétendre à ses grâces : ce serait se perdre... Il est dit de chaque saint : « Il ne s’en est pas trouvé de semblable à lui ».

Dieu est comme un centre environné d’une grande circonférence auquel aboutissent une infinité de lignes, toutes d’origines différentes. Que le directeur prenne donc garde de ne pas détourner la personne de la voie qui lui est propre et particulière à chacune, car ce serait les faire régresser ou les égarer.

Les différentes espèces d’arbres produisent des fruits divers. Il ne faut pas chercher des cerises sur un prunier. Il en va de même dans la vie spirituelle. Chaque personne doit porter le fruit de son espèce, qui est celui de la grâce et de son attrait. Le soin et le savoir-faire du directeur consistent à bien discerner ce fruit, à le conserver, et à le conduire à une parfaite maturité.

Tout formateur, tout éducateur, a pour tâche essentielle d’aider une liberté à devenir responsable de sa vie devant les autres et devant Dieu. Celui ou celle qu’il accompagne a sa voie, son rythme, sa grâce, son péché. Aussi Nicolas Barré recommande aux membres de la communauté des « Maîtresses charitables » d’avoir « le discernement des esprits des enfants et des personnes qu’elles instruisent [11] afin de les élever [12] chacun selon son génie propre » [13].

Cela exige des capacités particulières de la part du directeur spirituel, du formateur, ou de l’éducateur.

La personne du formateur

Quel que soit le titre auquel on est appelé à aider la croissance spirituelle d’autres personnes, on retrouve sous la plume de Nicolas Barré les mêmes caractéristiques. Il s’agit d’être : un instrument de l’action de l’Esprit Saint, un témoin conscient de sa pauvreté, à la fois maître et serviteur désintéressé.

Instrument de l’action de l’Esprit Saint

La formation n’est jamais une œuvre personnelle. Elle est service de l’action d’un Autre dans la vie des autres, car celui qui forme, qui instruit, qui conduit, c’est l’Esprit Saint, créateur et sanctifiant. Il s’agit donc d’être des facilitateurs de l’écoute de sa voix et de l’accueil de son action : « Un directeur peut bien éclairer mais non pas convertir ni même faire progresser ou s’élever dans la vie spirituelle : c’est Dieu qui donne la croissance, et lui, seconde la grâce. Il doit agir toujours en dépendance de l’Esprit Saint à qui seul il appartient de conduire chaque âme » [14]. Il en est de même pour ces formatrices que sont les catéchistes (il parle ici au féminin) :

« Considérant que Dieu veut se servir d’elles, elles doivent s’abandonner à la conduite de l’Esprit de Dieu, s’unir aux desseins et aux intentions de Dieu, renoncer à toute manière humaine de voir, ne rien chercher d’autre sinon d’établir le règne de Jésus-Christ dans les âmes... Elles demanderont au Saint Esprit qu’il parle au cœur de ceux qu’elles instruisent ».
Et l’ultime recommandation de Nicolas Barré aux membres de l’Institut qu’il a fondé est « de laisser l’Esprit Saint ». (c’est-à-dire le recevoir en héritage).
Pour être instrument de l’action de l’Esprit Saint, comme la plume qui « pour bien écrire est souvent coupée, taillée, tranchée », le formateur ou l’accompagnateur doit se laisser former dans la prière, la fréquentation de la Parole de Dieu : « Il doit aller à la source et y puiser les eaux vives et vivifiantes. Si le directeur n’est pas un homme d’oraison et par conséquent de conseiller et ordonner ? ».

Quant aux « Maîtresses des écoles charitables », elles doivent, pour réussir, avoir un gémissement intérieur devant Dieu pour obtenir les grâces nécessaires à elles-mêmes et aux personnes qu’elles veulent gagner et sanctifier. Saint Paul disait : « Nous prions sans cesse pour qu’il plaise à la bonté de notre Dieu de nous remplir de son Esprit sanctifiant » [15] ; « par l’exercice de la méditation, la maîtresse d’école sera portée à adorer Dieu en esprit et en vérité, à dépendre de sa divine conduite, à l’aimer, à ne vivre que pour lui, à désirer procurer sa gloire. De cet amour naîtra un accroissement de foi, une confiance sans limite » [16].

Ainsi, le formateur, l’éducateur, le directeur spirituel deviennent témoins.

Témoin conscient de sa pauvreté

Témoin d’un autre, le formateur doit bien se garder de former les personnes à son image, puisque, nous l’avons vu, il doit aider à ce que chacun grandisse selon son génie propre. Mais il ne peut éviter d’être parfois un modèle d’identification, à certains stades du cheminement, ou pour certains de ceux qu’il accompagne. C’est aussi dans sa propre expérience qu’il peut puiser ce qui viendra éclairer, soutenir, stimuler. « Il est semblable à celui qui, connaissant les différentes parties d’une maison, y marche en pleine nuit et y conduit les autres en les avertissant des passages difficiles » [17]. Tout éducateur doit s’efforcer d’être « exemplaire, sinon il détruit au lieu de bâtir » [18], d’être « un modèle parfait de la charité pour le prochain... il faut que sa vie soit l’évangile pratiqué » [19].

Qui peut prétendre être arrivé à ce point ? Cela ne peut être qu’un humble désir, un cheminement vécu dans la conscience de sa propre pauvreté sans découragement ni retour sur soi : c’est l’Esprit de Dieu qui agit, et le formateur, l’éducateur, se met joyeusement à sa disposition, dans la foi et l’espérance en son action, en lui et par lui.

Le directeur est souvent comme ces ruisseaux bourbeux qui pourtant ne cessent de porter une eau pure... Il doit travailler à être saint et par ailleurs se contenter de voir les autres devenir saints... Souvent il reçoit beaucoup de lumières pour ceux qu’il dirige. Il est riche des biens d’autrui. Et si l’on séparait ce qui lui est donné pour les autres d’avec ses grâces et ses vertus personnelles, il se trouverait presque tout nu, pauvre et misérable !.

À un missionnaire qui lui demande d’être son directeur spirituel, Nicolas Barré écrit :

J’ai longtemps hésité en considérant mon incapacité. Au lieu de prendre soin de la grâce particulière qui est la vôtre, et de la pousser jusqu’où elle doit aller, je pourrais la retarder. J’ai accepté ce dont je suis incapable dans l’espérance que Dieu, considérant les si grandes faveurs qu’il vous a faites, ne me laissera pas dans le besoin. Sans avoir égard à l’indignité de l’instrument, il s’en servira en vue de l’ouvrage auquel il l’appliquera. Que Dieu conduise le tout.

À un ami, il écrit :

Pourquoi faut-il que le directeur soit aussi dans les ténèbres ?

 parce qu’expérimentant cet état, il conduira bien plus sagement ;

 parce qu’il doit travailler gratuitement ;

 c’est un vrai martyre, mais en même temps une vraie bénédiction : car ainsi jugez avec quelle humilité, quels retours et recours à Dieu, avec quelle dépendance et circonspection, quelle crainte et fidélité on se conduit.

C’est le même constat en ce qui concerne ces « apôtresses » que sont les maîtresses d’écoles populaires et les catéchistes, pour lesquelles il utilise la comparaison suivante :

Elles doivent se considérer comme les servantes dans une maison, toutes occupées auprès des enfants de leur maître : toutes négligées sur elles-mêmes, elles mettent tout leur soin à nettoyer, habiller, orner les enfants. Ainsi elles plaisent extrêmement à leur maître quoiqu’elles soient moins propres sur leur personne.
La catéchiste, considérant que Dieu veut se servir d’elle pour une chose si sainte et si grande, doit se faire très humble, et reconnaissant sa très grande faiblesse, s’abandonner à l’Esprit de Dieu qui donne sa grâce aux humbles et parle par leur bouche.

C’est que Nicolas Barré, s’il est un apôtre au zèle infatigable, est aussi un mystique qui a expérimenté que le lieu même où se saisit le Tout, c’est le néant, que la pauvreté peut être grande richesse, que l’obstacle est le chemin, que la nuit peut être « excellent jour ». C’est là un des aspects de sa pédagogie spirituelle qui mériterait un développement plus ample que ne le permettent les limites de cet article.

Attentif à l’autre, il est maître et serviteur désintéressé

« Ceux qui travaillent à perfectionner les âmes, doivent agir avec un total désintéressement » [20]. On pourrait couvrir des pages avec les textes de Nicolas Barré relatifs au désintéressement de l’apôtre.

« Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement », dit Jésus. Le désintéressement de l’apôtre, loin de le rendre passif, va de pair avec un zèle qui l’amène, comme saint Paul, « à s’appliquer au salut d’une seule personne comme s’il s’agissait de conquérir le monde entier » [21].

C’est Jésus l’unique modèle de tout formateur. À la fin des Maximes pour la direction spirituelle, Nicolas Barré les résume toutes dans une invitation à agir comme Jésus, qui sut montrer amour et fermeté, douceur, humilité et autorité. « Celui qui est appelé à procurer le salut du prochain et la sanctification des âmes doit être tout à tous. Il faut qu’il soit esclave et serviteur, compagnon et ami, maître et roi, et même tyran (sic), mais tout cela à la manière de Jésus ».

Cette dernière image pourrait choquer, si on l’isolait de la densité évangélique que le P. Barré a voulu lui donner. Ce n’est pas la personnalité du formateur qui doit être tyrannique ! Au contraire. « Il doit approcher les âmes avec douceur, afin de les gagner et ne jamais agir par voie d’autorité. Il doit, comme le samaritain, mettre l’huile avec le vin » [22]. Mais il s’agit de proposer dans toute sa force la Parole de Dieu.

Nous sommes là au seuil d’un thème qui mériterait à lui seul de longs développements et que nous pourrions aborder dans un autre article sur la pédagogie spirituelle de Nicolas Barré. Elle s’organise autour de trois axes :

  • L’expérience plus que la théorie est le facteur principal de la formation, à condition qu’elle soit relue, réfléchie, approfondie.
  • L’épreuve et les difficultés sont paradoxalement un ressort essentiel de la dynamique formatrice.
  • La formation, comme l’accompagnement spirituel, doit respecter des étapes, qui impliquent des manières diverses d’agir de la part du formateur.

Au moment où la direction spirituelle semble retrouver une place qu’elle avait perdue dans la vie des croyants, face à une demande grandissante d’aide pour retrouver la dimension mystique de l’existence chrétienne, Nicolas Barré, reste pour aujourd’hui un maître incontesté.

Via Girdamo, 21
I-00133 ROMA, Italie

Esclave Il s’est anéanti lui-même prenant la condition d’esclave (Ph 2) ;
Serviteur Je ne suis pas venu pour être servi, mais pour servir (Mc 10,45) ;
Compagnon Ne sommes-nous pas cohéritiers du Christ (Rm 8,17) ;
Ami Je ne vous appelle plus serviteurs mais amis (Jn 15,15) ;
Maître Vous m’appelez Maître et Seigneur et vous dites bien, car je le suis (Jn 13,13) ;
Roi Tu l’as dit, je suis Roi (Jn 18,37) ;
Tyran Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive (Mt 10,34).

[1B. Flourez. Marcheur dans la nuit. Paris, Éd. Saint Paul.

[2Quelques avis pour les maîtresses touchant l’exercice de l’école.

[3Avis et conduite pour faire les catéchismes utilement.

[4Maximes particulières pour les Écoles charitables de l’Institut du P. Barré.

[5Statuts et règlements des Écoles charitables du Saint Enfant Jésus.

[6Réflexions et avis sur les moyens pour parvenir à la plus haute perfection.

[7Cf. note 7.

[8Cf. note 8.

[9Cf. note 7.

[10Cf. note 3.

[11Instruire = former dans la foi, NDLR

[12Élever = faire grandir, avancer, monter, NDLR

[13Cf. note 6.

[14Cf. note 3.

[15Cf. note 6.

[16Cf. note 4.

[17Cf. note 3.

[18Cf. note 6.

[19Cf. note 4.

[20Cf. note 3.

[21Cf. note 3.

[22Cf. note 3.

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