Théologie de la vie religieuse
Chronique bibliographique
Léon Renwart, s.j.
N°1992-1 • Janvier 1992
| P. 47-66 |
Des neuf ouvrages ici recensés, les trois premiers intéressent la vie religieuse dans son ensemble ; deux autres étudient le célibat et sont suivis par l’examen d’un ouvrage sur l’Église et la sexualité ; viennent ensuite deux travaux traitant de problèmes canoniques et de leurs fondements doctrinaux ; le dernier montre, à partir d’un exemple concret, ce que signifie l’inculturation.
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I
Dans Les religieux aujourd’hui et pour demain [1] », Jaume Pujol, f.s.c., s’efforce avec bonheur de porter un diagnostic sur l’état de la vie religieuse à notre époque et sur son avenir. Le livre commence par une présentation de la « nouvelle donne » de la vie religieuse : celle-ci « se situe dans l’Église et dans le monde... leur consécration (des religieux) renforce leur appartenance à l’Église et au monde, mais avec un projet chrétien »(16) spécifique, ajouterions-nous volontiers. Ils doivent donc prendre en compte la modernité, son impact sur l’Église et sur la vie religieuse, les défis de notre temps, sans opposer Évangile et modernité, car il leur est demandé une fidélité évangélique à l’unique réalité du monde. Et ceci les interroge, car il peut hélas « se présenter des cas de divorce entre Évangile et vie religieuse » (28).
Étudiant les voies du renouveau, Pujol examine le passage d’une Église « instituée » à une Église « instituante » sous l’action de l’Esprit « structurant » et les voies ainsi ouvertes à la critique des analyses institutionnelles : il se demande ce que les religieux ont fait des possibilités de renouveau (« nous n’avons pas toujours su prendre les voies ouvertes ni les parcourir d’une manière adéquate »(40), ce qu’il convient de faire et les points auxquels il faudra porter attention. Il étudie ensuite la finalité de la consécration par laquelle Dieu invite à rester attentif à ses appels répétés et à s’engager dans un itinéraire de recherche par un don total à la suite de Jésus pour le salut du monde, car « précisément la consécration ne consiste pas tant à’ se réfugier’ en Dieu qu’à communier avec l’humanité »(57). Il situe ensuite la communauté dans ce processus : elle n’est pas un simple moyen, mais à la fois « don » et projet.
Dans l’examen des activités des religieux et de leur impact sur l’évangélisation, l’auteur tente une analyse relative au fonctionnement de leur charisme évangélique. « Nous, religieux, professionnels de l’évangélisation, nous avons un langage ’intentionnel’ plein de désirs magnifiques et d’intentions excellentes qui peuvent servir d’élément moteur pour notre vie ; au moment opportun, nous pourrions le confronter au langage ’institutionnel’ propre au fonctionnement réel de nos institutions »(77). Cet examen l’amène à conclure que les religieux ont certes fait du bien tout au long de l’histoire de l’Église, mais que la manière dont se déroulent leurs activités au plan institutionnel n’est pas exempte du danger de contre-témoignage. Les institutions devraient donc rester « capables de critiquer et de se critiquer, d’analyser et de s’analyser, et accepter d’être en permanence dans une situation de changement et de restructuration à la lumière de l’Évangile »(89). Pour progresser vers cet idéal, une vie de prière adaptée à notre temps, y compris au danger de l’activisme qui le caractérise, est indispensable. La formation permanente est elle aussi requise dans une société en mutation : Pujol recherche ses motivations, sa finalité, sa nature et ses modalités possibles. Il présente ensuite la figure du supérieur, telle qu’elle résulte du changement de coordonnées de l’obéissance religieuse : « Il n’est (plus) question que les uns commandent et que les autres obéissent... mais que tous s’efforcent d’obéir à la volonté de Dieu »(127-128). Dans ce processus, le supérieur a une fonction spécifique, qui est sa mission ecclésiale et se traduit surtout dans son rôle d’animateur. Pujol consacre trois chapitres, très riches mais pratiquement impossibles à résumer, au supérieur, à l’animation de la communauté et au projet communautaire.
Voici des pages lucides et courageuses. L’auteur y fait preuve d’un sain réalisme, capable de voir les lacunes, les faiblesses, les dangers ; mais il témoigne surtout d’un vigoureux optimisme fondé sur l’idéal auquel Dieu appelle les religieux. Certes, ses descriptions paraissent parfois utopiques (il en est conscient), mais, pour nous inspirer d’une image qu’il emploie, si l’on veut progresser, ce n’est pas en ramenant l’étoile polaire à notre hauteur qu’on a chance d’avancer dans la bonne direction. Relevons encore une insistance, toujours présente et combien utile, sur la nécessité de ne pas en rester aux beaux discours et aux bonnes intentions. Il s’agit de mettre la main à la pâte ; plutôt que de battre allègrement sa coulpe sur la poitrine d’autrui, chacun de nous devrait se demander : qu’est-ce que le Seigneur attend de moi ?
Manfred Scheuer consacre sa thèse de doctorat, Die Evangelischen Räte [2], à l’examen de quatre présentations contemporaines des conseils évangéliques comme élément structurant pour la théologie systématique.
Dans la grande synthèse de Hans Urs von Balthasar, « philosophie et théologie sont conçues à partir d’une logique de l’amour qui est en même temps une logique des conseils » (20). Le discours programme du Sermon sur la montagne est pour lui « l’élection d’un groupe limité d’individus qui abandonnent tout pour suivre Jésus... (ce choix est) la condition première de la possibilité d’une prédication à tous » (117). « Les conseils représentent la suite de Jésus dans sa totalité, son exclusivité, sa radicalité, son rejet de tout partage, son immédiateté et son ordination à Dieu » (119). Dans cette optique, « il n’y a aucune vocation proprement dite dans l’ordre naturel (auquel appartiennent le mariage et les professions civiles) » (128). Néanmoins « l’appel au Royaume transcende dans sa radicalité toutes les formes de la vie chrétienne, avant leur différenciation en divers états de vie... l’appel à la perfection s’adresse à tous » (129). De même, en raison de la virginité de Marie et de l’exemple de Jésus, on doit, en toute objectivité, maintenir une supériorité indubitable du célibat pour le Royaume, sans que cela entraîne une dépréciation du mariage (cf. 123).
Pour Karl Rahner, l’être humain historique se découvre radicalement orienté vers le partage de l’amour trinitaire. Pour un tel être, l’obéissance est fondamentalement la reconnaissance de sa dépendance envers le Créateur ; la pauvreté trouve sa racine dernière dans le fait d’être tout entier d’un autre ; il en va de même de la chasteté, qu’elle soit vécue dans le mariage ou le célibat. Puisque tous sont invités à partager l’amour de Dieu, chacun est appelé à tendre à la perfection de la charité dans la situation où il se trouve ; chaque vocation a donc un caractère salvifique et il y a, pour les laïcs, vocation proprement dite au mariage, à la sanctification du monde... Il n’existe pas de supériorité en soi d’un état (la vie religieuse) sur un autre (le laïcat). Tout se mesure à la charité, même l’ascèse, car lui accorder une valeur en soi trahirait des vues dualistes. De même, il n’est pas exact de penser que, par ses renoncements, la vie religieuse anticipe à proprement parler la vie céleste (ou angélique) : elle rappelle, par ceux-ci, la limite inhérente à toutes les réalités terrestres, qui sont bonnes, mais pas dernières, et présentent donc une ambiguïté et un danger d’abus.
La « théologie politique » de J.-B. Metz met l’accent sur la nécessité de la « praxis » et sur la dimension eschatologique de la vie chrétienne, tout entière tendue vers l’espérance de la parousie. Le rôle propre de la vie religieuse est d’être « l’aiguillon eschatologique » pour la masse des fidèles. Par ses renoncements, elle témoigne de la tension vers l’au-delà qui doit habiter toute vie chrétienne. Par sa pauvreté, elle proteste contre toute dictature de l’avoir et pousse à la solidarité avec les démunis, honorant ainsi le « sacrement du pauvre ». De même, l’obéissance, remise totale de soi à Dieu, invite à la proximité pratique avec les opprimés. Le célibat pour le Royaume, qui est une forme de pauvreté, incite à la solidarité avec toutes les victimes de la solitude.
La « théologie de la libération » est fondamentalement pensée à partir de la situation des pauvres, en Amérique latine tout spécialement. Leonardo Boff, qui a expressément étudié l’importance de la vie religieuse dans ce contexte, examine les formes concrètes de la pauvreté et leurs causes. Il met en lumière la place que les pauvres occupent dans l’Écriture. Si celle-ci condamne l’appauvrissement du pauvre et l’enrichissement du riche, elle révèle aussi l’attention spéciale que Dieu porte aux. pauvres. Cette préférence de Dieu, qui fonde l’option pour les pauvres, ne s’enracine pas dans une foi plus intense ou de meilleures dispositions morales, mais « dans le fait qu’ils sont pauvres, affamés et persécutés » (G. Gutiérrez). Boff situe l’obéissance et la chasteté dans ce contexte : il rattache l’obéissance à la vie de la grâce et à la filiation divine qu’elle procure ; de son côté, la chasteté est la contestation, dans le domaine de la sexualité, de toute relation du type « maître-esclave ». Dans la théologie de la libération, Dieu est d’abord le Dieu du Royaume dans toute sa réalité cosmique, sociale et théologique, ce qui exclut tout dualisme. Les religieux sont « des spécialistes de Dieu, qui rendent vivante l’expérience divine dans la suite du Christ et font de cette expérience le but de leur vie » (Boff) ; ils sont aussi « témoins de Dieu dans le monde et signes sacramentels de sa seigneurie » (Id).
Dans son chapitre de conclusion, Scheuer met en garde contre une tendance niveleuse qui se réclamerait de Vatican II. Celui-ci a opportunément rappelé la vocation de tous à la sainteté, chacun dans sa vie concrète et par les moyens de celle-ci. Il dénonce aussi la « fiction abstraite » (391) présentant les conseils comme une voie meilleure en soi. Pour éviter le danger qu’il craint et maintenir aussi la complémentarité des appels, il suffit, nous semble-t-il, de remarquer combien le Concile insiste sur le primat de l’appel divin : dans l’unité organique du Peuple de Dieu, l’Esprit donne à chacun grâces et charismes pour le bien de tous ; c’est ce qui fait la grandeur de toutes les vocations et de leur nécessaire complémentarité.
Le grand mérite de ces pages, fort bien informées, est d’obliger le lecteur à réfléchir sur les positions en présence et sur les systèmes dans lesquels elles s’insèrent, prenant ainsi des colorations différentes. Comme le note fort justement l’auteur, « les options théologiques fondamentales (par exemple sur le rapport entre la nature et la grâce, entre la création et la rédemption,...) jouent un rôle déterminant pour la compréhension des conseils » (18). Or c’est à ce niveau de profondeur qu’d faut porter la discussion et la recherche si l’on veut qu’elles soient fructueuses. On saura gré à l’auteur d’avoir ouvert avec compétence la voie à cette réflexion.
Dans Nuovi Cammini dello Spirito [3], Bruno Secondin s’efforce de détecter les lignes de force de la spiritualité à l’aube du troisième millénaire. Ce que notre monde attend, c’est « une spiritualité neuve, en ce sens qu’elle permette à ceux qui la vivent de rester pleinement hommes et femmes de notre temps sans pour autant renoncer à la dimension spirituelle de l’existence ni à la radicalité paradoxale du message chrétien » (17). Pour le dire dans les mots de Karl Rahner, c’est une spiritualité jaillie « d’une foi qui aime la terre » (cité 23), ouverte sur un avenir qui sera fils de nos choix actuels, mais qui devra aussi nous préparer à être fils d’un autre avenir (cf. 19). Tel est le projet de ces pages, composées « sur les sentiers de la vie », avec la collaboration d’étudiants de la Grégorienne et du Teresianum. Conscient de ne pouvoir développer toutes les implications de ce programme, l’auteur se limite à quelques grands thèmes. Il présente les nouvelles tendances comme une prophétie à soumettre au discernement ; il étudie les défis de la fin de ce siècle, pris entre l’abondance et la pénurie ; il décèle dans l’Église en marche vers le troisième millénaire des tendances restauratrices, plus soucieuses de consolider les positions assurées que de recueillir les balbutiements d’une vérité qui « se fait » et se révèle à travers les efforts de tous les hommes de bonne volonté ; il dénonce chez les laudatores temporis acti la peur des inévitables erreurs de ceux qui s’efforcent d’appliquer les directives du Concile. Il souligne la nécessité, pour l’Église, de se tourner davantage vers l’extérieur : ceci inclut une sérieuse inculturation, un laïcat qui ne soit frustré ni de ses droits ni de ses responsabilités, le long cheminement nécessaire pour reconnaître, dans la pratique, l’égalité proclamée entre hommes et femmes, la lutte contre tout usage désinvolte de la vie humaine, une catholicité progressant sérieusement vers l’union entre les Églises. Il étudie ensuite le temps vécu, les âges de la vie et de la spiritualité, la manière chrétienne de vivre le temps aux divers moments de l’existence, les « signes des temps » et la manière chrétienne de les interpréter. Surtout, il attire l’attention sur le rôle de l’Esprit, source et moteur de l’intense dynamisme messianique et eschatologique dans lequel se déploie notre expérience spirituelle (cf. 177).
Il en vient ensuite à l’étude du temps « morcelé » ; il montre le rôle de la mémoire et le danger pour elle de se couper de la tradition comme de négliger toute utopie ; il décrit l’urgence de nouveaux circuits de solidarité, surtout avec les plus démunis ; il invite à libérer la parole « atrophiée » et, dans ce but, à redécouvrir la valeur du silence, qui apprend à se taire pour pouvoir écouter l’autre.
Un dernier chapitre est consacré au « temps libre », cette réalité nouvelle pour beaucoup de personnes : il en étudie le bon usage, mais aussi le danger de commercialisation qui le guette ; il dégage le message biblique du sabbat et précise la nécessité d’une formation pédagogique au bon usage de ce temps libéré.
Pour tout chrétien, il y a énormément à recueillir dans ce livre ; religieux et religieuses liront avec un intérêt spécial la vingtaine de pages consacrées au rôle que l’Église et le monde attendent d’eux « dans un contexte qui a perdu les grandes certitudes et requiert une lecture pluridirectionnelle, hypothétique, ouverte et malaisée, où il faut découvrir des certitudes à une époque de relativisme chaotique » (cf. 92). Perfectae caritatis a invité religieux et religieuses à un aggiornamento attentif aux signes des temps. Or, après l’élan généreux, parfois un peu fou, des premières années, on doit constater aujourd’hui une chute de tension, une sorte de « retrait collectif » dans l’administratif et l’ordre établi : « Comme nous l’avons déjà observé dans l’Église, un retour à la ’normalisation’ est en train de s’imposer aussi dans la vie religieuse : nouvelle sacralisation de l’observance, formes standardisées, renforcement du pouvoir central au détriment de l’autonomie locale et culturelle » (94-95). Ici également, il est urgent de repenser les thèmes majeurs, de vivre intensément le colloque avec Dieu, d’apprendre à contempler sa présence active sur le chemin des hommes et dans les événements de l’histoire. Il faut surtout vivre une intense expérience de Dieu. S’il est facile d’écrire des textes splendides sur le charisme ou la fonction ecclésiale, il est bien plus ardu de dépasser les slogans pour engendrer la vie et changer les situations de somnolence et d’embourgeoisement. Ceci suppose une foi pauvre et sincère, assurée que Dieu a confiance en nous malgré tout et qu’il nous aime tels que nous sommes. A ce propos, l’auteur remarque qu’on devrait analyser sérieusement la tendance de tant de religieux et de religieuses à trouver dans leur appartenance à de nouveaux mouvements ou groupes ecclésiaux le lieu de leur vraie prière, leur vraie communauté, leur véritable élan missionnaire, leur générosité prophétique et jusqu’à leur équilibre émotif. N’est-ce pas la reconnaissance implicite de la stérilité de leur institut et un rejet de l’identité propre à la famille religieuse dont on s’est engagé à partager en tout le sort et la mission ? Ce qui assurera la nouvelle fécondité de la vie religieuse, ce sera, plus encore que l’attachement au charisme propre, la fidélité à l’Évangile et au défi qu’il lance au monde d’aujourd’hui. De la sorte, la vie consacrée, se dégageant de l’excès d’installation et de visées administratives, sera capable de montrer que le choix radical pour le Christ représente, même à notre époque de mutation culturelle, l’entrée dans un laboratoire toujours ouvert et en pleine activité pour le bien de tous. Vus dans cette optique, les vœux seront vécus moins comme des privations (ce qu’ils restent) que comme la proclamation vécue de valeurs que notre monde a tendance à oublier, voire à nier : construire un monde plus juste pour tous, dans le respect de la dignité des pauvres ; montrer la possibilité d’un amour serein sans volonté de possession ; vivre à fond sa responsabilité propre en s’offrant pour une tâche qui dépasse les capacités individuelles.
Ces pages renferment encore d’autres trésors. Nous laissons aux lecteurs la joie de leur découverte. Quant à l’auteur, il est de ces hommes « qui aiment l’Église plus que leurs avantages et la tranquillité de leur carrière », comme l’écrivait en 1969 le Professeur, aujourd’hui Cardinal, Joseph Ratzinger (cité 30).
II
Une chasteté franche et joyeuse [4], tel est titre de la circulaire envoyée à ses confrères par le P. José Maria Salaverri, Supérieur général des Marianistes, avant la fin de son mandat. Il y décrit la situation, en pleine société permissive. Mais plus graves que l’ambiance érotisée, qui caractérise toutes les époques décadentes, sont les attitudes d’esprit qui enlèvent toute force au levain évangélique. Il en relève trois : une interprétation idéologique rabaissant la compréhension du célibat à sa valeur humaine et sociale ; le recours à une psychologie qui se limiterait à aider la personne humaine dans l’obtention d’une maturité psycho-sexuelle individuelle ; un moralisme laxiste réduisant le vœu de chasteté à l’interdiction du mariage et des péchés contre la chasteté (étant entendu que la manifestation génitale de l’affection mutuelle n’est pas une faute) ou se contentant d’une chasteté « progressive ».
Ces trois approches incomplètes ou erronées ont en commun de ne pas croire que le célibat consacré ait une valeur en soi. Aussi la vertu de chasteté - conjugale ou religieuse - a-t-elle surtout besoin de retrouver ce qui fait son essence et sa force : l’amour du Seigneur. Sur ce point, il y a eu dans le passé un manque de formation et il y a aujourd’hui une crise de la foi. Il faut donc redécouvrir que le célibat pour le Royaume des deux est un mystère révélé. L’exemple de Jésus le montre pleinement vierge au sens total de ce mot, « d’une virginité qui n’est pas simple abstention d’activité génitale, mais surtout dévouement - en corps et en âme - à l’amour de Dieu et, à travers lui, à tous les hommes... Mais, et voilà la clef de la vision spécifiquement chrétienne (et peut-être même humaine) sur amour et sexualité, il y a en Jésus une assimilation de l’ esprit profond de l’autre option possible... une synthèse profonde du binôme virginité paternité... Tout chrétien doit accepter et vivre pleinement, sans ambiguïtés, une des deux options possibles (mariage-virginité), mais dans chaque option il faut intégrer l’esprit - non la matérialité - de l’autre » (373). La vocation au célibat consacré est un don de Dieu ; aussi la consécration dans la vie religieuse est-elle bien plus qu’une offrande héroïque : elle est une démarche d’amour, la réponse à l’amour personnel du Christ, qui englobe celui de nos frères et sœurs.
Pour que cette réponse soit vécue dans une chasteté franche et joyeuse, « il faut entrer avec le Christ dans le corps, car à travers le corps passe tout l’esprit » (H.U. von Balthasar, cité 376). Dans la virginité consacrée, il y a la consécration d’un corps, qui est la base et le fondement de la consécration de la personne, et donc l’acceptation par l’intéressé de son corps tel qu’il est : « Le mal, pour le chrétien, ne se trouve pas dans la sexualité humaine. Le mal se trouve dans le manque de respect envers la dignité du corps » (Jean-Paul II, cité 377). Aussi la consécration religieuse devrait se manifester jusque dans le corps : paix et sourire du visage... Et nous devrions accepter sereinement que notre corps vieillisse et perde la fraîcheur de sa jeunesse. Mais surtout notre amour devrait être désintéressé, ouvert à tous, plus attentif à aimer que préoccupé d’être aimé.
Parce que le religieux est un pèlerin, la motivation profonde qui est à la base de sa décision est d’une grande importance : « Tout le reste se répare ou se perfectionne sauf ce ’péché originel’(d’une intention défectueuse) » (Lacordaire, cité 382). Il faut aussi une « force ascensionnelle », maintenue jour après jour par une vie de prière et de sacrifice ; il faut oser les « ruptures nécessaires » et surtout se maintenir dans l’humble acceptation de notre vulnérabilité. Pour être possible, la « fidélité jusqu’à extinction » devra être un don sans cesse renouvelé de soi-même à la nouveauté par excellence qu’est le Seigneur.
L’émerveillement pour l’œuvre primordiale de Dieu - la femme, l’homme - retentira toujours dans le cœur de celui qui s’est consacré totalement au Seigneur dans la virginité. Mais celui qui en reste à la seule beauté extérieure, se trouve automatiquement privé de la découverte du trésor de qualités que Dieu a mis en germe dans la femme et il reste incapable de découvrir et de développer en lui-même les germes d’humanité qu’il aurait pu découvrir et accepter dans le miroir de la femme. Il y a donc, non seulement pour le religieux, mais pour tout chrétien, un chemin de conversion. Il lui faut passer d’Adam à Jésus, le nouvel Adam, et d’Eve à Marie.
Après quelques observations concrètes, marquées au coin du bon sens, sur les relations d’un religieux avec les femmes et sur d’éventuelles amitiés (qui n’ont jamais à être recherchées pour elles-mêmes, ni perçues comme nécessaires, car elles sont un libre don de Dieu à qui il veut), l’auteur montre que la virginité est une abondante source de vie : elle fait de nous des « frères universels », au cœur toujours ouvert et à tous ; elle est une vocation complémentaire de celle du mariage chrétien. Aussi faut-il oser la prêcher et oser rappeler l’exemple de Marie, vierge et mère.
Nous avons résumé à grands traits cette instruction, souvent dans les mots mêmes de l’auteur. Sa valeur mérite cet hommage.
En des pages excellentes, André Barral-Baron présente Le célibat, chemin de vie [5], ses ombres et ses lumières. Il situe d’abord les différentes formes (subies ou voulues) du célibat dans le contexte des relations entre hommes et femmes aujourd’hui, puis il étudie les significations, ambiguës ou valables, du choix de cet état ; il décrit celui-ci à la lumière de la foi chrétienne et montre par quel cheminement on passe de l’épreuve à la joie du célibat. Il conclut en examinant les risques et les chances du célibat consacré. Cet exposé est remarquable par sa clarté, sa lucidité, son souci d’objectivité et son enracinement dans la foi chrétienne. Nous en avons particulièrement apprécié plusieurs points. Il signale nettement les risques de compensation par la domination du pouvoir ou les séductions du service ; il relève l’ambiguïté qui réside dans la volonté de dépasser la condition charnelle, en se croyant déjà dans l’au-delà de ce monde : « Il est utile de préciser ceci : c’est dans les limites et les contingences de ce monde que le célibat nous tourne vers l’avenir du Royaume de Dieu »(41). Une certaine manière de faire trop rapidement appel à un amour universel, égal pour tous, dénote un manque de vérité et de réalisme. Un travail continu sur nos comportements, essentiel mais combien difficile, s’impose face à une publicité qui invite sans cesse à regarder l’autre, et particulièrement le corps de la femme, comme un objet sexuel à consommer. La sublimation de l’instinct ne va de soi ni pour les gens mariés, ni pour les célibataires ; c’est pourquoi « le dynamisme du célibat et l’une de ses significations humaines essentielles se trouvent dans cette invitation qu’il porte en lui : invitation à s’accomplir et à devenir des hommes et des femmes épanouis, sans demeurer prisonniers des satisfactions affectives et sexuelles de la vie du couple » (51). Pour y parvenir, il faut que « le célibat puisse faire rayonner jusqu’en nos corps l’amour qui nous fait vivre » (21). Aussi l’essentiel pour les célibataires consacrés est-il dans cet apprentissage d’une vie sous le regard du Père, qui nous aime et nous remplit de la force de son Esprit. Loin d’écarter les règles traditionnelles de prudence, cette attitude les empêche de devenir des recettes magiques ; elle leur donne force et lucidité face aux tentations.
Nous recommandons chaudement ces pages qui situent remarquablement le célibat consacré dans l’Église, sans prétendre y voir une condition supérieure, et dans le monde, au service duquel cette vocation répond à un appel complémentaire de celui des chrétiens mariés.
L’étude d’Uta Ranke-Heinemann, Des eunuques pour le royaume des deux [6], est centrée sur l’attitude des gens d’Église (hiérarchie et théologiens, ces « eunuques par profession ») envers l’exercice de la sexualité dans le mariage et en dehors de lui. Trente chapitres en étudient les manifestations au cours des siècles, depuis les racines non chrétiennes du pessimisme de l’Église en ce domaine et les « erreurs » d’interprétation du Nouveau Testament, jusqu’au contrôle des naissances, à la théologie morale du XXe siècle et à la mariologie. Il y aurait sans doute beaucoup de mises au point à faire à propos des citations de l’auteur, ne serait-ce que sur la naissance de Jésus (une « vraie » incarnation requiert qu’il ait un père humain) ou la vraisemblance de son mariage (déduite du silence des Écritures). Ce serait un travail long et fastidieux, d’autant plus que l’auteur se contente souvent de citations reprises à des compilations modernes. Et cela n’atteindrait pas le cœur du problème. Même ramenés à de plus justes proportions, les textes qu’elle cite soulèvent de vraies questions, (que l’on pense aux réactions à l’instruction Donum vitae). Il serait urgent que des travailleurs sérieux en prennent conscience et s’attellent à l’austère recherche historique, philosophique, psychologique et dogmatique sans laquelle on ne peut espérer progresser vers une solution.
Malheureusement, le choix de l’auteur, sans doute guidé par son ressentiment plus que par des critères objectifs, lui rend un apport positif à cette tâche presque impossible. La manière dont elle utilise l’histoire religieuse semble mériter le reproche qu’elle adresse à une certaine manière de recourir à l’Écriture : « Pour beaucoup de gens, la Bible est un self-service où chacun prend ce dont il a besoin » (146). À parcourir ce qu’elle a récolté, on se demande comment une mécréante (qui se présente comme telle), Catherine Baker, a pu, après avoir partagé la vie des moniales, écrire Les contemplatives, des femmes entre elles (Paris, Stock 1979 ; cf. Vie consacrée 1980, 57), ce bel éloge de leur authentique chasteté. Ce que note X. Thévenot : « Pour réfléchir correctement, il convient de ne jamais séparer la réflexion sur le célibat de ce avec quoi il fait système » (Études, mai 1980, 664) vaut tout autant de l’attitude de l’Église en matière de sexualité : on ne peut la séparer d’une considération du pouvoir et de l’argent dans les situations propres à chaque époque, ni surtout de ce qui est au cœur du christianisme : l’amour de Dieu et de son Fils incarné et l’appel à la perfection adressé à tous les chrétiens. Dans sa vie et sa doctrine, le Peuple de Dieu s’avance sur un chemin de crête et s’efforce, avec plus ou moins de succès selon les temps, de répondre aux interpellations sans cesse nouvelles qui lui viennent des circonstances et de se prémunir contre les dangers qui s’y révèlent. C’est dire l’utilité et l’urgence d’une réflexion pluridisciplinaire valable, qui situe progrès et déviations dans leur contexte et soit attentive au fait capital que l’Église n’est pas simplement une institution humaine (même si elle l’est aussi) : en elle circule la vie du Christ qui, telle une source d’eau vive, cherche son chemin à travers les obstacles : ceux-ci semblent parfois l’absorber, mais elle reparaît sans cesse.
Il est d’autant plus triste de devoir constater que ce volumineux ouvrage est un échec du point de vue scientifique : les questions d’une brûlante actualité qu’il soulève auraient demandé une recherche objective menée sur les sources (sans se contenter d’ouvrages de seconde main) et les éclairant par leur contexte historique, philosophique et psychologique. Grâce à sa formation et à son enseignement théologique dans une Université allemande aux solides traditions, l’auteur avait en mains tous les atouts. Hélas, elle les a galvaudés.
À ceux et celles qui ont entendu l’appel au célibat pour le Royaume, l’existence de ce livre rappellera néanmoins, s’il en est besoin, que seule une chasteté vouée par amour pour le Christ, sans aucun mépris pour les réalités du mariage, donnera le témoignage dont notre monde a plus que jamais besoin.
III
La majeure partie du livre de Jean Bonfils sur Les Sociétés de vie apostolique [7] est un excellent aide-mémoire canonique, destiné à ceux qui, dans ces Sociétés, « sont appelés à participer à une assemblée ou chapitre général ou à remplir une fonction de gouvernement » (135). Tout en reprenant, dans les diverses parties du Code, les dispositions législatives qui s’appliquent aussi aux SVA, l’auteur marque bien la manière dont elles le font, compte tenu de la spécificité de ces instituts. C’est dire l’importance du premier chapitre, où Bonfils s’explique, de façon fort éclairante, sur celle-ci et sur les attaques dont elle est encore l’objet de la part de certains canonistes. De copieuses annexes donnent la parole aux fondateurs et confirment le bien-fondé de la spécificité des Sociétés de vie apostolique.
Dans ce travail, présenté comme « un coup d’envoi pour des études ultérieures » (135), des questions de grande importance sont abordées.
Quel est le rapport entre la consécration sacramentelle découlant du baptême et de la confirmation, remise en lumière par Vatican II, et les autres engagements qui jalonnent la vie chrétienne ? Parmi ceux-ci, peut-on considérer que les vœux religieux apportent un « supplément ontologique » (44), destiné à unir plus pleinement au Christ ? L’on pense ici à certaines interprétations de la profession religieuse, qui la présentent comme un « second baptême » (et sont peut-être à l’origine du nom de religion). Ou bien s’agit-il, dans tous les engagements ultérieurs, de modalités de l’appel fondamental du baptême ?
Le radicalisme évangélique est-il le propre de la vocation religieuse ou une caractéristique de la vie chrétienne comme telle ? Mgr Jacques Leclercq a écrit quelque part (nous citons de mémoire) : « Les conseils évangéliques s’adressent à tous les chrétiens, mais ceux-ci ne sont pas appelés à les vivre tous de la même façon ni au même moment ».
En conséquence, même pour la triade traditionnelle, doit-on y voir une exigence propre à la vie consacrée ou une manière spécifiquement distincte de vivre des attitudes chrétiennes radicalement communes à tous les baptisés, comme le tient, entre autres, le P. Azevedo, s.j. ?
Ceci pose la question de la distinction entre les conseils et leur codification dans les instituts de vie consacrée. De ce point de vue, il serait très intéressant de prolonger l’étude esquissée par Bonfils sur les motifs qui ont amené les fondateurs des SVA à ne pas adopter les vœux publics de religion tout en proclamant leur attachement aux valeurs évangéliques contenues dans les conseils (cf. 52-58).
Ne faudrait-il pas porter de nouveau attention à une différence fondamentale en matière d’engagement envers Dieu ? Il y a les gestes par lesquels on s’oblige sur un point limité (une aumône, un pèlerinage, un engagement apostolique temporaire...) ; il y a d’autre part le don total et perpétuel de soi à Dieu. Celui-ci n’est-il pas plus fondamental que la manière concrète à partir de laquelle Dieu attire ? Les membres des SVA le pensent : pour eux, c’est l’appel à l’apostolat qui commande tout le reste, y compris la pratique des conseils selon les exigences de leur vocation (et selon les moyens les plus adaptés, parmi lesquels peuvent figurer les vœux privés).
Au cours des siècles et face aux besoins du monde et de l’Église, l’Esprit Saint a sans cesse suggéré de nouvelles manières de tendre à la perfection de l’amour pour Dieu et pour le prochain, ce qui a régulièrement dérouté certains canonistes, dont les catégories rigides étaient menacées d’éclatement. Pensons simplement aujourd’hui aux communautés nouvelles, qui n’entrent dans aucun cadre existant. Certes, les périodes de mutation sont souvent aussi des époques de foisonnement, où tout n’est pas inspiré par l’Esprit de Dieu. C’est ici que l’institution joue un rôle, irremplaçable mais difficile. Comme toute réalité humaine, elle a ses avantages, mais aussi ses dangers. Les structures sont en quelque sorte « l’épine dorsale » qui permet à l’organisme de grandir et de s’épanouir. Mais si elles se durcissent, elles deviennent un « corset », voire un « carcan », ou même un « lit de Procuste ». Or la règle d’or, en ce domaine, est celle que l’Apôtre a formulée : « N’éteignez pas l’Esprit, ne méprisez pas les prophéties, mais vérifiez tout et retenez ce qui est bon » (1 Th 5, 12).
Dans « Un Ordre de frères [8] », Jacques Bélanger, o.f.m. cap., explique pourquoi les Frères Mineurs Capucins ne reçoivent pas l’approbation de leurs constitutions rénovées. La CRIS exige que celles-ci déclarent au minimun que l’Ordre « est énuméré par l’Église dans la liste des instituts cléricaux » (259). Les Capucins s’y refusent. Un dossier fort clair précise l’enjeu majeur que l’on perçoit de part et d’autre. Alors que de bons canonistes voient, dans le CIC 588, § 1 (« L’état de vie consacrée, de sa nature, n’est ni clérical, ni laïque »), une ouverture du Code vers la possibilité d’instituts qui ne soient ni cléricaux, ni laïques dans leur structure juridique, la CRIS continue, comme avant Vatican II, à ne reconnaître que des instituts cléricaux (« gouvernés par des clercs », c. 588, $ 2) ou des instituts laïcs. « Derrière cette position rigide (de) la CRIS, se cache une ecclésiologie pré-conciliaire, pyramidale... Pie X ne prend pas de détours pour décrire cette Église à deux niveaux :’... c’est dans la hiérarchie seule que réside le droit et l’autorité de mouvoir et de diriger les membres... Quant à la multitude, son office propre c’est..., troupeau docile, de suivre ses pasteurs » (cité 262). Les Capucins s’appuient sur les déclarations de Vatican II reconnaissant l’égale dignité des baptisés ; conformément aux directives de ce même Concile, ils retrouvent dans leurs sources cette même égalité foncière : « Tel est un homme devant Dieu, tel il est en réalité, sans plus » (Admonition 19, citée 268). En conséquence, ils ne voient pas pourquoi, dans leur Ordre, « le droit de parole et décision reste entier entre les mains des prêtres pour tout ce qui concerne les grandes orientations de notre vie » (277). Plus largement, ils sentent que « le passage d’une ecclésiologie pyramidale à une ecclésiologie axée sur le Peuple de Dieu est loin d’être réalisée dans notre Ordre comme dans l’Église. L’écart en particulier entre le langage et la pratique s’y révèle quasi-désespérant » (277). Rien d’étonnant, par suite, que la crédibilité de l’Église en soit menacée.
Ce résumé, que nous espérons assez objectif, ne donne qu’un son de cloche ; nous n’avons ni la compétence ni l’autorité requises pour intervenir sur le fond du débat. Le problème soulevé nous paraît toutefois bien situé par l’auteur lorsqu’il regrette que dans toutes ces démarches « il a été impossible d’opérer un discernement évangélique ouvert, d’interlocuteur à interlocuteur »(263). Le dialogue est toujours chose difficile, il suppose que chacun écoute l’autre ; or ce n’est possible que si l’un et l’autre partenaire admet sincèrement, même s’il est persuadé d’être dans le vrai, la possibilité que l’autre ait aussi une parcelle de vérité. Dans la matière qui nous occupe, c’est prendre conscience, comme le Concile nous y invite, que le Saint-Esprit distribue ses dons à chacun en particulier comme il l’entend (1 Co 12,11). Telle était la persuasion de saint Benoît écrivant dans sa Règle : « Tous doivent être convoqués au conseil, pour cette raison que le Seigneur révèle souvent à un plus jeune ce qui est préférable » (C. 3, 3). Ceci n’enlève nullement à l’autorité son rôle de discernement et de décision. Qu’un tel dialogue soit possible et fructueux, nous n’en voulons pour preuve que l’article de Michel Falise, « Rome et les universités catholiques » (Études, 374, 1991, 687-695), où il salue la constitution apostolique Ex corde Ecclesiae donnant leur charte aux universités catholiques comme le « fruit d’un dialogue réussi ». Certes, une hirondelle ne fait pas le printemps, mais elle le laisse espérer.
Fils de saint Bernard en Afrique [9], de Charbel Gravrand, o.c.s.o., est l’histoire des multiples essais d’implantation du monachisme cistercien en Afrique, jusqu’à l’érection, en 1988, de Notre-Dame de Koutouba en prieuré autonome. Une première tentative à Nkol-Nkumu (1951), puis une seconde à Minlaba, la même année, posèrent le problème : moines-missionnaires ou contemplatifs ? Une troisième implantation, à Notre-Dame d’Obout, de 1952 à 1957, revint à l’esprit cistercien des moines défricheurs et bâtisseurs. Diverses circonstances amenèrent les moines à céder, en 1969, leur monastère aux Cisterciennes de Laval pour s’installer dans la savane, à Koutouba. Cette dernière implantation assura un meilleur recrutement africain et permit d’atteindre, en 1988, les conditions requises pour l’érection d’un prieuré autonome.
Ces pages peuvent se lire à deux niveaux. On y découvre l’histoire mouvementée, fort bien narrée, d’une implantation aux nombreuses péripéties, qui eut ses hauts et ses bas et compta plusieurs religieux remarquables. Mais une lecture plus profonde et d’un plus grand intérêt (celle qui justifie notamment la place de cette recension dans notre chronique) fait porter l’attention sur cet essai concret d’inculturation. Dès le départ, l’intention des évêques demandeurs comme des moines fut d’implanter la vie monastique en terre d’Afrique. Au cours des années, s’affirma de plus en plus la conviction que réaliser « la rencontre du monachisme et des civilisations africaines dépassait les moines européens » (111). Il n’y suffisait pas de consulter les profès africains avant d’appliquer en communauté les transformations des observances cisterciennes (cf. 112). Plus qu’un nouvel emplacement, le « cadre nouveau » requiert un « nouveau modèle de vie » incarnant dans une « forme » (Gestalt), spirituelle plus encore que matérielle, l’idéal monastique dans les valeurs de la culture africaine. Dom Jean de la Croix, abbé d’Aiguebelle, laissait en 1964 deux consignes pratiques : fidélité à la volonté de Dieu, manifestée par la discipline actuelle de l’Ordre ; acceptation que les Africains eux-mêmes proposent à l’Ordre les adaptations opportunes« (cf. 108). Koutouba représente assurément une étape importante dans ce processus. Ce n’est sans doute pas la dernière, car »ce qui doit s’incarner dans la culture africaine, c’est Jésus, pas la culture blanche qui l’a fait connaître", s’il nous est permis de paraphraser une expression de Jean-Paul II.
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B 5000 NAMUR, Belgique
[1] J. Pujol, f.s.c. Les religieux, aujourd’hui et pour demain. Paris, Desclée, 1990, 22 x 15,205 p.
[2] M. Scheuer. Die Evangelischen Rate. Strukturprinzip systematischer Théologie bei H.U. von Balthasar, K. Rahner, J.B. Metz und in der Theologie der Befreiung. Coll. Studien zur systematischen und spirituellen Théologie, 1. Würzburg, Echter, 1990, 22 x 14, XIV-450 p., DEM 58.
[3] B. Secondin. Nuovi Cammini dello Spirito. La spiritualità alle soglie del terzo millenario. Coll. Problemi e dibattiti, 15. Torino, Ed. Paoline, 1990, 21 x 14, 291 p., ITL 18.000.
[4] J.M. Salaverri, S.M. Une chasteté franche et joyeuse. Circulaire n° 24. Rome, Curie généralice S.M., 1991, 28 x 22, 40 p.
[5] A. Barral-Baron. Le célibat, chemin de vie. Ombres et lumières. Coll. Foi vivante, 249. Paris, Éd. du Cerf, 1990, 18 x 11, 125 p.
[6] U. Ranke-Heinemann. Des eunuques pour le royaume des cieux. L’Église catholique et la sexualité. Coll. Essais. Paris, R. Laffont, 1990, 24 x 15, 408 p., 135 FRF.
[7] J. Bonfils, s.m.a. Les Sociétés de vie apostolique. Identité et législation. Coll. Droit Canonique. Paris, Éd. du Cerf, 1990, 22 x 14, 209 p., 108 FRF.
[8] J. Bélanger, o.f.m.cap. »Un Ordre de frères« , La vie des communautés religieuses, 48 (1990), 259-261.
[9] C. Gravrand. Fils de saint Bernard en Afrique. Une fondation au Cameroun. 1951-1988. Coll. Église aux quatre vents. Paris, Beauchesne, 1990, 24 x 16, 180 p., 120 FRF.